DESERT CITIES

 

A travers une série de photographies de villes comme Le Caire ou Alexandrie, Aglaia Konrad s'intéresse à l'application des principes "moderniste" au développement de l'architecture en milieu désertique, et aux dialogues improbables qui apparaissent entre modèles importés et vernaculaires, constructions et environnements naturels, désert et habitations, modernité et tradition. L'oeuvre photographique d'Aglaia Konrad, argentique, imprimée en simple jet d'encre, photocopiée ou projetée, constitue un vaste corpus interrogeant la ville, ses signes, sa modernité.

Cela commence par la dureté minérale du sable. Souvent le ciel est vide, parfois, juste un peu bleuté. Le soleil n'invite ici à aucune fantaisie, aucun divertissement, aucun loisir. Là, entre le désert omniprésent et le ciel absent, se dressent des cubes de béton dont les noms voudraient faire rêver : Dreamland, Utopia, Palm Hills, Beverly Hills, New Cairo. Une terminologie dont l'ironie, in fine, trahit le cynisme des sociétés immobilières ayant acheté des morceaux de désert à l'état égyptien dans les années quatre-vingt dix. La forme du Caire est dorénavant celle des mégapoles propre à l'ère postmoderne. La ville est éclatée et morcelée, l'espace fragmenté sépare plutôt qu'il ne réunit. Comme ailleurs, le centre a été transformé en paradis pour touristes, les "idiots du voyage" comme l'écrit l'anthropologue Jean Didier Urbain avec shopping et cirque patrimonial et "muséal" de circonstance. Les lieux de résidence, quant à eux, ont été rejetés au loin, sur les marches désertiques et connectés par le réseau autoroutier. L'agglomération cairote rassemble ainsi 15 millions de personnes.

 

Poursuivant son exploration de l'urbain, Aglaia Konrad a photographié ces espaces posés au milieu de rien où des hommes doivent vivre coincés entre le Delta du Nil, les pyramides et le désert. Walter Benjamin écrivait à propos des photographies d'Atget qu'elles commençaient "à devenir des pièces à convictions pour le procès de l'histoire. C'est en cela que réside leur secrète signification politique." Il y a dans les photos d'Aglaia Konrad, dans leur rigueur documentaire quelque chose de cet ordre là. Ici, point de séduction, point de lyrisme, point de sensualité, point de narration mais plutôt la description précise de la topographie des lieux, l'effacement apparent de l'auteur derrière son motif. Il faut s'attendre à l'austérité d'une certaine esthétique de la fadeur telle qu'elle existe chez Bernd et Hilla Becher. Donc, il s'agit de rendre compte et de produire ces "pièces à convictions pour le procès de l'histoire". Vue du ciel, cette ville a des allures irréelles, au ras du sol, au milieu de la monotonie de l'habitat postmoderne, surgit un oasis incongru, une bâtisse aux couleurs tapageuses, l'ensemble ayant ce caractère à la fois factice propre aux décors et inoccupé des villes fantômes. Soigneusement, la photographe allemande nous épargne tous ces petits détails quotidiens dont l'alibi documentaire dissimule souvent mal la recherche de l'anecdote attrayante aux relents d'humanisme. Elle multiplie les points de vue, tantôt proches, éloignés, au coeur des cours de ces cités des sables, ou bien aériens en un système qui en diversifiant les jeux d'échelle perturbe la représentation spatiale. Au fil des images nous voilà pris de vertige, nous voilà en errance dans un dédale géométrique où la ligne droite succède à l'arrête, et souvent à la frontière de la pure forme, de l'abstraction. Dans ce milieu, la présence humaine paraît anecdotique pour ne pas dire accidentelle, laissant cet étrange sentiment d'être face à du désert bâti sur le désert.

 ---->   Cliquer sur les vignettes

 ---->    Read in English

 

 

Recommander ce contenu

optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016