AUDREY FRUGIER

 

Si les chiens immobiles de l'artiste française Audrey Frugier (1980) ont un profil plutôt viril, leur pelage de strass, de dentelle ou de toile de Jouy les féminise et justifie leurs poses figées sous un lustre de type 'sac à perle' fait de billes à jouer et qui n'éclaire rien. En pratiquant ainsi des échanges entre les genres, en associant la trivialité et le luxe, l'artiste se tient sur le fil entre bon et mauvais goût. En ôtant aux objets domestiques toute utilité, elle en fait de purs signes d'un espace poétique empreint d'humour noir.

(Colette Dubois, dans H.ART)

De Tati à Vuitton en passant par Bricodiscount et Agnès b., le travail d’Audrey Frugier s’offre une large palette d’objets, de couleurs et de matières qui joue incontestablement avec l’appréciation des goûts décoratifs et esthétiques. Pour mieux renverser le système hiérarchique du jugement. À la manière des fictions populaires, les œuvres d’Audrey Frugier déploient un lexique d’objets qui tiennent à la fois du signe symbolique et prosaïque, amorçant ainsi le récit de contes de fées qui auraient mal tournés. Entre Cendrillon et Desperate Housewife, comme l’indique le titre de l’une de ses œuvres, le foyer et les objets qui le peuplent forment un topo à la fois récurrent et inépuisable. Lieu de projection individuelle et sociale par excellence, le foyer est ici saturé par de multiples éléments d’équipement électroménager ou d’outillage déguisés en motifs décoratifs, qui rompent littéralement avec toute tendance au confort domestique. Comme le véritable reflet de votre réussite, vous pourrez vous glorifier de posséder l’accessoire en vogue, la fameuse Défonceuse ou encore vanter les mérites de votre panoplie complète de Scie sauteuse, Visseuse et Meuleuse en strass et paillettes. De manière parodique et ludique, l’artiste jette ainsi un regard à la fois caustique et décomplexé sur l’âge d’or d’un consumérisme assumé qui dure depuis les années 70 avec l’avènement du prêt-à-porter et de l’ameublement chez Prisunic. Mais au-delà du formalisme des objets matériels et de l’usage quotidien dont ils participent, Audrey Frugier s’amuse des stratégies publicitaires en œuvre dans le consumérisme décoratif pour l’appliquer au domaine esthétique et artistique, et ainsi niveler les écarts d’appréciation entre le profane et le sacré. À l’endroit même du paradigme historique qui, jusqu’aujourd’hui, sacralise l’esthétique et le jugement de goût, l’artiste propose de greffer son exact contraire en y associant frivolité de la mode et attractivité populaire. À moins que ce ne soient les objets symboles d’une culture traditionnelle qu’Audrey Frugier augmente de l’exubérance médiatique des pratiques artistiques contemporaines. En brouillant ainsi les codes sociaux référents, l’artiste révèle les antagonismes internes qui animent les classes rigoureusement déterminées. Considérant qu’une appartenance, qu’un sens de lecture ne vaut finalement pas mieux que l’autre, Audrey Frugier touche à une véritable position critique à la fois partiale et lucide. Un jeu de l’idiotie généreux et sans complexe, qui renverse à coup sûr les déterminismes sociaux en composant un carnaval perpétuel.

(Leslie Compan, dans le catalogue du Salon de Montrouge, 2009)

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016