LE RAIL

 

Le déplacement de «The Pipe» dans l’enceinte d’une foire d’Art contemporain, est sans aucun doute à l’origine d’une performance plus récente, tout aussi incommode et envahissante et cette fois conçue à dimension de la ville : en 2013, Emilio López-Menchero met en scène, à Bruxelles, le déplacement d’un rail de chemin de fer, un Vignole de 18 mètres de long pesant une tonne. Huit plasticiens sont, en effet, sollicités pour déployer de nouvelles créations le long des trois kilomètres de la voie ferrée qui relie les gares du Nord et du Midi. Ils plongeront dans leur imaginaire pour y analyser et y canaliser l’histoire de cette faille urbaine ainsi que les forces sociales, architecturales et émotionnelles sous-jacentes. La jonction Nord – Midi est avant tout un espace conflictuel, tant par ses origines qu’en raison de son avenir: son aménagement a contraint personnes et bâtiments à disparaître tandis que son destin est source de rêves et d’opinions antithétiques. Son implantation a imposé de nouvelles frontières, divisé et marginalisé certains quartiers, mais permet aussi des expériences et des appropriations nouvelles.

 

Emilio López-Menchero prévoit donc de déplacer un rail au fil des boulevards, tout au long du tracé de la Jonction : Pachéco, Berlaimont, Impératrice, Empereur transformeront le paysage bruxellois. Son intention première est de signifier et de rappeler la présence de la Jonction à l’échelle humaine, d’un point de vue historique, urbanistique et social au sein de la ville. Certes, la jonction a permis de résoudre la rupture de transport entre les gares du Nord et du Midi, mais il fallu pour cela raser des pâtés de maisons entiers, bâtis au 19e siècle dans la plus pure tradition hausmanienne. Rituel contemporain, cette déambulation est comme une tentative de résilience par rapport à cette cicatrice urbaine, aujourd’hui une série de grands boulevards qui, une fois la nuit venue, ont des allures de désert urbain.

 

A l’aide de sangles, une dizaine d’ouvriers intérimaires tireront un rail d’acier qu’un camion grue aura auparavant déposé à l’entrée de la gare du Midi. Le rail, long de 18 mètres, posé sur des roulettes, sera tracté comme l’étaient les péniches, depuis les chemins de halage sur les berges des canaux. Cortège, action collective, procession, ce convoi exceptionnel, qui d’ailleurs à ce titre sera escorté par des policiers cyclistes, rejoindra, dans l’effort, et en rythme, le parvis de la Gare du Nord, où l’artiste prévoit d’exposer le rail, tel une sculpture, cette fois encore un monument horizontal. La réalité fut tout autre. En raison d’un problème de résistance du train de roues prévu, le rail ne quitta jamais la zone de la gare du Midi. Qu’à cela ne tienne, le projet est remis; il subsiste néanmoins ce film témoin de l’aventure. (Jean-Michel Botquin)

 

Emilio Lopez-Menchero,

Le Rail, 2012. Vidéo HD,

couleurs, son, 19 min 29.

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016