SOAP SERIE - ÉTERNISATION

 

6.

Je me rends compte que ce n’est pas la première fois qu’Honoré δ’O associe l’arbre et la connaissance. Les nombreuses bibliothèques que l’artiste a sculptées dans le polystyrène ces dernières années, absolument blanches, sont parfois accompagnées d’un livre à la tranche de bois, rappelant que c’est de la fibre ligneuse de celui-ci que l’on fabrique le papier. Sur la dernière de ces bibliothèques, Honoré δ’O a posé un bloc de bois aux angles arrondis, de la taille et de la forme d’un savon. L’œuvre s’appelle «Soap Serie».

 

7.

Les arbres remarquables sont souvent considérés comme intemporels. Toute l’œuvre d’Honoré δ’O, dans l’inspiration intuitive qui la caractérise, tend vers l’éphémère et l’immatériel. Cette double préoccupation de la dématérialisation de l’objet et de la production artistique d’une part, et de l’autre des aspects éphémères de la production contemporaine d’images, définit le caractère processuel de sa pratique artistique. Cette exposition, «Au Volant. More impossible poetry» procède de plusieurs semaines de résidence sur les lieux même de l’exposition ; elle a débuté dans l’atelier domicile de l’artiste, Peperstraat, à Gand. Obligé de quitter ce laboratoire après l’avoir occupé dix ans, Honoré δ’O y a parfait, dans l’effervescence, in situ, une dernière exposition, qualifiée de «Passage» en référence à Walter Benjamin, une totale immersion dans le travail, l’alchimie du lieu répondant à la magie de l’œuvre ; une urgence aussi, cette question de la durée, de l’accomplissement de l’œuvre, de son existence matérielle et immatérielle, de son début, de sa fin.

 

Honoré δ’O condense cette question de l’accomplissement de l’œuvre dans l’une d’elles, qui nomme «Éternisation». Au sens propre, c’est une action, celle de faire durer perpétuellement, de prolonger sans fin, parfois même, au sens figuré, de prolonger outre mesure. Quel est le sens de la matérialité de l’oeuvre, celle-ci même serait-elle encore nécessaire ? Il y a assurément une nécessité de dire ce qui a été, ce qui ne sera plus. Mais cette question de la transmission serait-elle uniquement technique et temporelle ? L’œuvre est ouverte et justement se ferme à toute lecture qui tenterait de la réduire aux objets qu’elle manifeste.

 

Cette photo prise dans l’atelier de la Peperstraat, alors que l’œuvre installée au mur a disparue et ne laisse que sa trace, témoigne de ce que la perte, elle aussi, fait sens, qu’elle peut même être un paradigme fondateur de l’œuvre. Cette photographie n’est pas un pur «voici», ni un «ce sera», encore moins un «cela a été» ; ce serait plutôt un «ça aura été», en quelque sorte une œuvre au futur antérieur. Elle admet la perte, mais cherche néanmoins à se rendre transmissible dans le temps. «Une image éternisée est une image dont l’espace lui-même s’adapte à un sentiment impérieux d’infini et d’intemporalité, une image balayée par le temps, déclare Honoré δO». Un balayage qui se matérialise dans l’image de façon fantomatique. Comme un passage de l’œuvre.

Honoré δ’O confronte un livre à cette image éternisée, on serait même prêt à dire «le livre» tant il semble monumental. Il est sculpté en polystyrène, comme un absolu, déposé dans une réceptacle transparent et ouvert, posé sur une colonne. Le dispositif fonctionne comme si le patient travail de l’interprétation, de l’exégèse, tout ce filtrage anamnésique à travers lequel le passage du temps -et du sens- se fait dans la culture du livre -et de l’herméneutique.

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016