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Jacques Lizène, Vasectomie Youppie, Extinction de l’œuf.1970

Passage de Retz, Salle 4

Vasectomie Youppie !

A droite : Peinture nulle en remake 1993, Vasectomie Youppie ! Rupture de procréation… et le sperme part en fumée. (collection privée)
A gauche :  Art syncrétique 1964, composer les styles, croisement de vases et flacons, technique mixte, remake 2004. (Production Atelier 340 Muzeum, Bruxelles)

A propos de « Vasectomie, sculpture interne, 1970 », il n’est pas inintéressant de rappeler ce fragment de conversation entre Denis Gielen et Jacques Lizène :

Au registre de votre art d’attitude, l’opération de vasectomie que vous auriez subie au début des années ’70 ( Vasectomie : 1970) me semble particulièrement éloquente de la manière dont vous appréhendez la vie et l’art. D’un point de vue philosophique, on pense directement au titre de Cioran De l’inconvénient d’être né.

Oui, c’est encore le frère de Jacques-Louis Nyst, Frédéric, qui me fait découvrir vers 1969 cet auteur dont il venait de lire Le précis de décomposition. Comme je lui avais parlé longuement de ce concept de non-procréation, il m’avait dit : ‘Tiens, tu dois lire ça ; c’est un type qui parle comme toi.’ J’ai lu le livre, mais je n’ai pas trouvé que c’était la même chose du tout ; c’est beaucoup mieux. Il y a bien ce chapitre sur l’inconvénient d’être né, mais il réfléchit aussi sur la sainteté, sur la religion, et bien d’autres sujets. Cioran m’a fait, au demeurant, énormément rire et ricané.

Mais d’un point de vue artistique vous rapprochez cela du Body art. Vous précisez même qu’il s’agit d’une «  sculpture interne » et de la première intervention chirurgicale dans le domaine de l’art.

Absolument, mais c’est seulement en 1971 que j’ai fait le rapprochement avec le Body art. C’est dans le prolongement de cette idée qu’en 1971 j’ai réalisé une pièce de « Body art nul » qui consistait en une séquence-photo accompagnant ma petite chanson médiocre sur magnétophone : « Ah ! Qu’est-ce qu’il y a dans mes souliers…. », et sur laquelle je levais le gros orteil. J’avais intitulé cela « Minimal body art » (ah !ah !ah !). Ca, c’est vraiment du bel art nul ! N’est-ce pas ?!

La question que l’on a évidemment envie de vous poser c’est si vous avez réellement subi cette opération ou si cela relève de votre licence artistique. Vous n’avez pas de certificat qui validerait conceptuellement votre acte ?

Non. Je n’ai pas de certificat et je n’en ai pas besoin. Il faut croire l’artiste sur parole. Et puis, en plus, cela s’est passé à Oslo en Norvège, et je n’ai pas demandé de justificatif ni de photographie. Je ne suis, ni n’était Orlan, qui a fait ça longtemps après (ah !ah !ah !).

C’est une opération importante ?

Non, pas du tout. Cela se fait en cinq minutes. C’est moins compliqué comme intervention chirurgicale que la  ligature des trompes chez la femme. Le chirurgien fait une anesthésie locale, il soulève la bourse des couilles, il fait une petite incision au bas de celles-ci, il cherche les canaux déférents et les coupe. Il existe deux sortes d’opération : la vasectomie « à robinet » qui n’est pas irréversible car on laisse la possibilité aux canaux d’être ressoudés ; et la vasectomie dite radicale qui est irréversible.

Cela ne vous effraie pas de commettre des actes irréversibles ?

Non, car j’étais persuadé que je n’avais et n’aurais pas envie de procréer. J’étais convaincu que je ne changerais pas d’avis. Je suis un peu imbécile, comme le disait aussi de lui-même Picabia, et il ne faut pas oublier que les imbéciles ne changent jamais d’avis, comme le disent imbécilement ceux qui ne sont pas conscients d’en être.  (ah !ah !ah !).

Aujourd’hui, vous le referiez, même si le contexte artistique et scientifique a un peu  changé ?

Oui et aujourd’hui j’interdirais aux générations futures de me cloner ! Je ne veux pas me reproduire, ni que l’on me reproduise (ah !ah !ah !). C’est d’ailleurs pour cette raison que je voudrais me faire incinérer. A ce propos, quelqu’un de très drôle m’a dit qu’un jour on parviendrait peut-être à me cloner en allant rechercher mon ADN sur une de mes toiles à partir d’un peu de merde. Ce serait alors un clone de merde, comme on dit un gamin de merde (ah !ah !ah !) Mais c’était une manière de plaisanter, je crois.

Quel est le motif de ce choix ?

La condition de l’espèce humaine même évoluée relève d’un pessimisme radical. Je crois que l’on n’arrivera jamais, même avec l’intervention génétique et l’eugénisme, à apaiser complètement toutes les souffrances de l’humanité. Il y aura toujours de petites catastrophes (ah !ah !ah !). C’est inévitable. Je suis persuadé qu’un jour on découvrira que la vie s’est développée par erreur ; que la vie et la nature sont une suite d’erreur qui se multiplie en se complexifiant . Donc, par principe, je me suis dis : ‘Moi, j’arrête ; comme je peux ‘.  Bien sûr, quand on se fait incinérer des gaz et quelques particules s’envolent dans l’air et continuent peut-être à alimenter les cycles de la matière ; ce qui laisse penser que l’on ne peut pas être radicalement contre la vie. Mais enfin, on peut quand même prendre une position. Une pose poétique…

Votre art d’attitude consiste en fait à prendre des positions disons d’ordre philosophique…

D’une certaine manière, oui. Je peux également déclarer que je suis le vingt-cinquième bouddha. Vous connaissez la légende  ? Le vingt-quatrième bouddha aurait dit qu’avant lui il y aurait eu vingt-trois bouddhas que les hommes n’auraient pas reconnus… Et moi, je dis : ‘le vingt-cinquième c’est moi ! ‘  (ah !ah !ah !). Mais ce n’est pas gratuit comme affirmation, car si on examine rapidement l’histoire du vingt-quatrième  bouddha, et son attitude, il y a des points en commun avec ma démarche. Vous savez qu’il est né dans une famille sans problème, c’était même un prince – et pour ma mère, j’étais une sorte de prince ! (ah !ah !ah!). Un beau jour, il quitte son palais et découvre un monde imparfait avec ses malades, ses morts et ses souffrances. C’est en voyant, le monde dans cet état, qu’il décida de prendre cette position de retrait et de retraite intérieure qui fut la sienne. C’est un peu ce que je fais, moi aussi, n’est-ce pas ? (ah !ah !ah!)

A l’extrême de cette position, il y a le suicide….

Oui, j’ai beaucoup pensé au suicide, et j’y pense encore maintenant, mais je le reporte chaque fois en me disant : ‘ Restons encore en vie pour crier nos stupidités à la face du monde.’ (ah !ah !ah !). Il faut dire que j’ai crée «  L’institut de l’art stupide » en 1971, et que je suis le seul représentant avoué, ce qui induit quelques devoirs !

Extinction de l’oeuf, 1970

– Au dessus : « Vasectomie, sculpture interne. D’une manière générale, les choses étant ce qu’elles sont, Jacques Lizène ne procréera pas…Hopla ! Il subira volontairement la vasectomie (stérilisation par coupure des canaux déférents. Dès ce moment, il portera en lui une sculpture interne. 1970 ». Affiche.
– En dessous :  Action : extinction de l’œuf. Performance geste / odeur (insecticide) / son (cris de nouveaux-nés), APIAW, 1970.

Produite pour l’exposition Un an d’activités à la galerie Yellow (1969-70), Société royale des Beaux-Arts, Verviers, en 1970, cette affiche sera censurée par le Parquet pour prosélytisme pour une pratique illégale. La vasectomie est alors en effet interdite par la législation belge.

Action : extinction de l’œuf. Performance geste / odeur (insecticide) / son (cris de nouveaux-nés), APIAW, 1970. Collages de photographies NB, tirage argentique , 30 x 20 cm, 1970.

A propos de cette action, j’écrivais dans « Jacques Lizène, Tome III » :

Extinction de l’œuf, action 1970. « D’une manière générale, les choses étant ce qu’elles sont, Jacques Lizène ne procréera pas… Hopla ! Il subira volontairement la vasectomie (stérilisation par coupure des canaux déférents)… Dès ce moment il portera en lui « une sculpture interne. 1970 ». La déclaration – éditée par la galerie Yellow en 1970 – ne variera que dans la forme, à quelques mots près. Le protocole de cette sculpture interne est essentiellement verbal. Action corporelle, licence artistique ? Elle n’est accompagnée d’aucun certificat médical, d’aucun protocole conceptuel. En fait, et c’est sans aucun doute le plus important, elle n’est documentée que par l’attitude de l’artiste, cet Art d’attitude fondé sur la déclaration de non-procréation de 1965 et sur sa réaffirmation en 1970. Jacques Lizène déclare alors l’irréversibilité de la chose. Cette même année, Lizène conçoit une action symbolique, lors de son exposition liégeoise Art spécifique : l’Extinction de l’œuf. Il s’agit cette fois d’une action visible, métaphorique, menée devant un public. Lizène tend une toile cirée sur le sol, y casse des œufs de poule, aligne très régulièrement les jaunes baignant dans l’albumine. Blancs, jaunes, coquilles, l’artiste révèle la spécificité de l’œuf amniotique et du zygote fécondé. L’action consiste alors à prendre un aérosol et à régulièrement, méthodiquement, asperger les œufs d’insecticide. Durant l’acte, un enregistreur placé à proximité de la toile cirée diffuse les cris d’un nouveau-né. Fin de l’action, Lizène a tué toute vie dans l’œuf. On pourrait dire que le geste est d’autant plus violent qu’il est mené sans exaltation, sans outrancière théâtralisation. Cette fois, il s’agit bien d’une action matérielle qui donne lieu à une mise en scène photographique. Et l’on pense bien sûr à l’actionnisme viennois. Intéressante est d’ailleurs, à ce sujet, la définition que donne Otto Muehl à l’action : « Marcel Duchamp n’est pas un actionniste bien qu’il travaille avec des objets, par exemple l’objet Fountain, qu’en aurait fait un actionniste ? Il n’aurait pas posé simplement l’objet là, quelque part, ou accroché dans un musée, mais il le suspendrait, prendrait un œuf et le casserait dedans. Les objets sont comme un alphabet, un langage symbolique. Un œuf n’est plus un œuf quand on le casse ». Par rapport à Lizène, ce rapprochement entre l’urinoir duchampien et l’œuf est évidemment signifiant. Entre 1964 et 1967, les actions d’Otto Muehl ont pour thème l’extinction de l’individu. Tête dans un sac plastique, L’Oreille, Cuvette, Exécution, Funèbre, sont des actions radicalisées à l’extrême. Le credo des actions matérielles qu’il mène entre 1969 et 1971 réside dans le sens du monde et sa consommation créative. Elles suscitent de plus en plus de rejets et d’agressivité. Lizène rencontre Muehl en 1970, à l’occasion d’une soirée organisée par Jacques Piraprez où sont projetés des films actionnistes. Avec l’action Extinction de l’œuf, Lizène se distancie de l’actionnisme. Il use d’une même rhétorique, mais l’action elle-même témoigne d’une ironie, d’une relativité par rapport à l’actionnisme, tout en affirmant un matérialisme cynique absolument cinglant. Lorsque Muehl conçoit Funèbre en 1966, il met en terre et momifie un corps avec de la crème fouettée, du sucre en poudre, de la crème, de la colle et des roses : une théâtralisation de l’excès. Lorsqu’en 1969, Lizène conçoit Noir funèbre, il s’agit beaucoup plus simplement, et sans doute radicalement, de descendre le volet de la galerie et de parfumer l’obscurité de la galerie d’odeurs de mortuaire. Fallait-il dès lors donner de la publicité à la « vasectomie » et son action matérielle ? On s’en tiendra au récit autorisé des rencontres de Lizène  avec le corps médical, aux risques pris par rapport à la législation, au voyage à Oslo, à l’attitude du Petit Maître, Art d’attitude. D’ailleurs l’œuvre est invisible. Elle ne se voit pas à l’œil nu. Par ses déclarations, Jacques Lizène, lui, est nu.

Action : extinction de l’œuf. Performance geste / odeur (insecticide) / son (cris de nouveaux-nés), APIAW, 1970. Collages de photographies NB, tirages argentiques , 37 x 19, 1970

Action of Killing the Egg, 1970. “Generally speaking, things being as they are, Jacques Lizène will not procreate… There you go! He will voluntarily undergo a vasectomy (sterilisation by cutting the ductus deferens)… From that moment he will carry within himself ‘an internal sculpture, 1970.’” This statement, published by the gallery Yellow Now in 1970, would subsequently vary only a little in its form, by a few words. The protocol of this internal sculpture is essentially verbal. Corporeal action, artistic license? It comes with no medical certificate, no conceptual protocol. In fact, and this is no doubt the most important thing, it is documented only by the artist’s attitude, the Attitude Art founded on the 1965 statement of non-procreation and its reaffirmation in 1970. That same year Lizène conceived a symbolic action for his exhibition in Liège, Art spécifique, namely the Action of Killing the Egg. On this occasion it was a visible, metaphorical action carried out in front of an audience. Lizène spread an oilcloth over the ground, broke some chicken’s eggs over it and formed highly regular lines with the yokes bathing in their albumen. Whites, yellows and shells – the artist revealed the specificity of the amniotic egg and the fertilised zygote. The action consisted of then taking an aerosol spray and regularly, methodically spraying the eggs with insecticide. During this action, a recording device positioned close to the canvas played the cries of a new-born baby. At the end of the action, Lizène had killed all life “in the egg,” as they say in French. It could be said that the action was even more violent because it was performed without exaltation, without excessive theatricalisation. This time, it was very much the case of a material action giving rise to a photographic mise-en-scène. One thinks, naturally, of Viennese Aktionismus here. In this regard, Otto Muehl’s definition of an action is interesting: “Marcel Duchamp is not an action artist even though he works with objects. What, for example, would an actionist have done with the object Fountain? He would not have simply placed the object somewhere, or hung it in a museum, but would have suspended it, have taken an egg and broken it in it. Objects are like an alphabet, a symbolic object language. An egg is no longer an egg when you break it.” Where Lizène is concerned, this linking of the Duchampian urinal and the egg is obviously significant. The theme of Otto Muehl’s actions between 1964 and 1967 was the killing of the individual. Head in a Plastic Bag, The Ear, Basin, Execution and Funereal were extremely radicalised actions. The credo of Jacques Lizène’ material actions between 1969 and 1971 lies in the felt response to the world and its creative consumption. They are meeting with more and more rejections and aggressiveness. Lizène met Muehl in 1970, during an evening organised by Jacques Piraprez where films by action artists were shown. With the action Killing the Egg, Lizène was distancing himself from Aktionismus. He used the same rhetoric, but the action itself attested an irony, a relativity in relation to Aktionismus, while at the same time affirming a thoroughly caustic cynical materialism. When Muehl conceived Funereal in 1966, he buried in the ground a body that had been mummified using whipped cream, caster sugar, cream, glue and roses: a theatricalisation of excess. When Lizène conceived his Funereal Black in 1969, the idea, much more simply, was to roll down the gallery blind and perfume its dark interior’ with mortuary smells.
Was it a good idea, then, to publicise the “Vasectomy” and its material action? I shall limit myself here to the authorised story of Lizène’s encounters with the medical profession, to the risks taken in relation to the law, to the trip to Oslo, to the attitude taken by the Minor Master, Attitude Art. Indeed, the work is invisible. It cannot be seen by the naked eye. By his statements, Jacques Lizène is naked