Archives mensuelles : février 2012

Manifesta 9, événements collatéraux

La galerie Nadja Vilenne a été sélectionnée  par Manifesta 9, biennale européenne d’Art contemporain,  dans le cadre de son programme d’événements collatéraux, appelé « Parallel events ». A l’échelle de l’Euregio, région rassemblant le Limbourg belge, le Limbourg hollandais, la région d’Aachen et la province de Liège, Manifesta a en effet lancé un appel aux projets  afin de faire découvrir au public international attendu durant l’été la scène de l’art contemporain dans cette région aux quatre frontières.

Parallel Events are collateral events taking place during the same period of Manifesta, in this case focused in cultural projects being organised in the Region of Belgium, Limburg and neighboring communities in Dutch Limburg, Germany and Wallonia.
Initiated by Manifesta 9 together with the Region of Limburg, the Parallel Events program aims to give a broader view of different aspects of the local cultural scene, presenting it to the regional, national and international public.
Apart from being a cultural project, the Parallel Events program offers a communication platform for individual artists and interdisciplinary cultural producers who live and work in the region, for local institutions, art organisations and other cultural events.

80 projets ont été retenus, émanant d’institutions artistiques, d’associations, de galeries, de musées, parmi lesquels Schunk à Heerlen, le Bonnefantenmuseum, la Van Eijck Academie à Maastricht, le NAK et le Ludwig Forum à Aachen, le FLACC à Genk ou Z33 à Hasselt. Bon nombre de projets proviennent naturellement du Limbourg, de Waterschei à Winterslag, de Heusden à Bilzen, puisque Manifesta se concentre sur l’ancien site minier de Waterschei. Trois projets proviennent de la province de Liège : « Open Airs »,  triennale d’art public organisée par la province de Liège, sous commissariat de Johan Muyle. « Faubourg Vivegnis, A contemporary art centre takes shape… », projet introduit par Espace 251 Nord  ainsi que le projet de la galerie : « Tokonoma » (titre provisoire) exposition en processus qui se déroulera, en épisodes successifs de la fin du mois de mai à la fin du mois de septembre. C’est donc tout le centre historique et le quartier nord de Liège qui vivra au rythme de la création contemporaine durant l’été.

Manifesta 9 est placé sous le commissariat de Cuauhtemoc Medina, Katérina Gregos et  Dawn Ades.  Notons qu’Aglaia Konrad figure parmi les artistes sélectionnés pour cette neuvième édition de Manifesta, biennale européenne née au début des années 90, plateforme itinérante d‘échange entre l’art et la société.

Le site de Manifesta
Le site des Parallel Events de Manifesta 

Emilio Lopez Menchero, H2-H1, les images

A Bruxelles, l’Iselp, tout proche de la Porte de Namur, est implanté dans un quartier bien connu  pour ses nombreuses boutiques. On y flâne, on y lèche les vitrines, on y fait ses emplettes. « Dans les territoires palestiniens, à Hébron, on faisait aussi les magasins. C‘était avant  1967 et la guerre des Six Jours ».  Dans le guide du Routard, édition 2011, cette remarque introduit la notice qui concerne la ville d’Hébron en Cisjordanie. Et le Routard précise : « Depuis, près de 600 colons juifs se sont installés au cœur de la ville musulmane, protégés par des soldats de Tsahal. Peu à peu, victime des violences, le souk de la vieille ville s’est éteint. Des centaines de magasins ont fermé, certains immeubles ont été évacués pour protéger ceux occupés par les colons. Des blocs de béton, des barbelés bloquent certaines rues aujourd’hui réservées aux seuls colons. Sur les toits des immeubles – colonies disséminés dans la ville, des soldats scrutent le territoire perchés sur des tourelles de garde ». 



A Hébron, deuxième ville de Palestine, à 30 km au sud de Jérusalem, la situation est inextricable. Au cœur d’une vieille ville palestinienne sous haute surveillance, ces quelques micro colonies juives cristallisent les tensions. La cité est séparée en deux secteurs, H1 et H2. Le secteur H1, qui comprend à peu près les trois quart de la ville, est sous contrôle palestinien, ce qui n’empêche absolument pas l’armée israélienne d’y entrer quand bon lui semble. Le secteur H2 est sous contrôle israélien : il englobe la plupart des colonies, mais aussi la vieille ville, habitée par 20.000 Palestiniens. Hebron représente en effet pour les colons un enjeu majeur qu’ils justifient par des raisons historiques et religieuses. Les colonies se sont donc implantées au coeur de la ville, notamment près du tombeau des Patriarches avec la colonie de Avraham Avinou, l’une des plus extrémistes qui soit. On dénombre environ 600 colons, protégés par quelques 1500 soldats, soit presque trois soldats par colon. 170.000 palestiniens vivent à Hébron.

À Hébron, on visite en effet un lieu saint commun aux Juifs et aux Musulmans, le Tombeau des Patriarches, où repose Abraham. Autour a été bâtie une mosquée. Les Juifs et les Musulmans ont chacun leur accès, en étant surveillés, filtrés par l’armée. Dans la mosquée, des impacts de balles sont encore visibles, souvenir douloureux de l’acte fou du médecin Baruch Goldstein. En 1994, il mitrailla les musulmans en prière pendant le ramadan, tuant des dizaines d’entre eux. Certains colons extrémistes se rendent sur sa tombe en pèlerinage. La ville d’Hébron vit, depuis ce massacre, dans une tension permanente, une violence quotidienne entretenue par les soldats de Tsahal. D’anciens militaires israéliens ont d’ailleurs décidé de rompre le silence. « Breaking de Silence », leur association, a publié trois rapports adressés à l’ensemble de la société civile israélienne et la communauté internationale, trois rapports énumérant des dizaines de témoignages de militaires qui évoquent les humiliations, les arrestations arbitraires, le harcèlement, les injures, la violence et la terreur dont ils ont été les témoins et bien souvent les acteurs durant leur service militaire à Hébron. Leur objectif : combler le fossé qui existe entre leur vécu et le silence qui règne dans les familles israéliennes, témoigner afin d’exorciser les traumatismes qu’ils déclarent souvent avoir subi.

Emilio Lopez Menchero s’est rendu à diverses reprises en Palestine à l’occasion d’une série d’échanges entre La Cambre – Horta Architecture, où il enseigne, et l’Université Birzeit, toute proche de Ramallah. En 2009, l’année où il visite Hébron, il dirige et anime un workshop organisé  par Al Mahatta Gallery, une initiative d’artistes basée à Ramallah, soucieuse de fonder une plateforme professionnelle et internationale en Palestine : « Inside/Outside », intitulé de ce workshop, aborde la question de l’intervention dans l’espace public et circonscrit les domaines de la  performance, de l’action et de l’intervention plastique. Toute la réflexion tourne autour de la spécificité socio – politique de la Palestine.

A propos d’Hébron, Emilio Lopez-Menchero témoigne bien sûr de ce qu’on appelle pudiquement « le principe de séparation » qui a radicalement transformé la circulation dans le centre ville d’Hébron et mis à mal toutes les activités de la population palestinienne. Alors que nous parlons de son expérience, il évoque les check points en chicane, la partition du Tombeau des Patriarches, les rues désertes et les centaines de boutiques fermées par l’armée pour « raison de sécurité », les pressions et le harcèlement dont les populations du centre ville sont l’objet afin de les pousser à fuir et à abandonner leurs maisons, la fermeture de la rue Suhada, principale artère commerçante avant la seconde Intifada en plein cœur historique de la vielle ville palestinienne, une rue que ne parcourent plus que les militaires et les familles de colons qui se rendent au Tombeau d’Abraham. L’œuvre qu’il propose aujourd’hui s’appelle simplement « H2-H1 », ces lettres et chiffres qui scellent la partition de la ville. Il conclut en me disant : « Hebron s’appelle Al Khalil en arabe, ce qui veut dire l’Ami en référence au prophète Abraham. Son nom hébreu, Hevron, a la même signification. Je suis arrivé à Hébron un vendredi. C’est le jour le plus singulier de la semaine, jour de la prière musulmane, alors qu’au soir débute le Sabbath. J’ai donc pu observer l’absurdité de la situation autour du Tombeau des Patriarches. Un même check point filtre les deux religions monothéistes, il révèle ce système de scène et de coulisses où synagogue et mosquée ne sont séparées que par un mur mitoyen ».

En déambulant dans le centre ville, son attention a été attirée par de singuliers filets tendus au dessus des ruelles. Ces filets et ces grilles sont jonchés de détritus, de déchets de tout genre, des débris de mobilier, des ordures ménagères ou même des bouteilles remplies d’urine ! Ce sont les habitants qui ont tendu ces filets pour se protéger des détritus que les colons jettent par leurs fenêtres. Certaines maisons palestiniennes sont en effet collées aux maisons des colons et ces dernières surplombent. Qui s’aventure dans ces rues déambulera entre des façades aux volets clos, sous des tonnelles de crasses. Ce sont là des actes qui démontrent le mépris dans lequel les colons tiennent la population.

L’installation que propose Emilio Lopez Menchero à l’Iselp est dès lors radicale. Par dessus la salle de l’Atelier, il a tendu des filets et y a jeté toute sorte de choses, toute sorte de déchets. En accédant à la coursive qui surplombe l’Atelier, le visiteur aura le point de vue des colons ; sous les filets, celui des habitants palestiniens d’Hébron. Singulièrement énigmatique, car rien, pas même le titre de l’installation, ne fait explicitement référence au fait précis évoqué, le dispositif témoigne silencieusement et avec force de cette intolérable situation. Réduit à une expression minimale, un filet, des déchets, il condense une situation complexe qui dépasse, de loin, son objet. Sans discours superflu, il invite à s’informer, à réfléchir ce conflit entre deux peuples : Hébron est le symbole même du conflit israélo-palestinien, son centre cristallise l’épineuse question des colonies israéliennes qu’elles soient en Cisjordanie, dans la bande de Gaza ou sur le plateau du Golan. Hébron concentre toute les problématiques de l’extrémisme religieux et de l’apartheid. Emilio Lopez-Menchero aurait pu se contenter, comme d’autres l’ont fait avant lui, de documenter ces « aménagements » pour le moins sauvages de l’espace social et urbain. Ici, il n’est ni question de documenter ou de reconstituer, il est question d’utiliser le langage plastique et, je dirais même, un artifice de situation, un filet, des déchets installés dans une institution artistique. Le dispositif est presque incongru. Je repense  à ce texte de Jacques Rancière sur les paradoxes de l’art politique : « Le problème, écrit-il, ne concerne pas la validité morale ou politique du message transmis par le dispositif représentatif. Il concerne ce dispositif lui-même. Sa fissure laisse apparaître que l’efficacité de l’art ne consiste pas à transmettre des messages, donner des modèles ou des contre-modèles de comportement, ou apprendre à déchiffrer les représentations. Elle consiste d’abord en disposition des corps, en découpage d’espaces et de temps singuliers qui définissent des manière d’être ensemble ou séparés, en face de ou au milieu de, dedans ou dehors, proches ou distants ». C’est bien le cas, ici.

Agenda mars 2012

Honoré d’O

– Antwerpen (B), Cinq siècles d’images à Anvers, exposition inaugurale du Museum aan Stroom, 12 mai – 31 déc. 2012
– Gent (B), résidence in Casa Argentaurum : « if language substitutes the title », Brabantdam 68.

Aglaia Konrad

– Bruxelles (B), « Monolith/life » (en duo avec Willem Oorebeek), Sint-Lukasgalerie, du 9.03 au 21.04. 2012 (solo)

Jacques Lizène

– Antwerpen (B), Cinq siècles d’images à Anvers, exposition inaugurale du Museum aan Stroom, 12 mai – 31 décembre 2012.
– La Louvière (B), CAP 40 ans, images réelles et virtuelles, Centre de la gravure et de l’image imprimée, 28 janvier – 29 avril 2012
– Bagneux (F), Maison des Arts, « Burlesques », du 14 janvier au 23 mars 2012.
– La Louvière (B), Escargots à gogo, Daily-Bul & Co, jusqu’au 29 avril 2012
– Strasbourg (F), L’art de l’irrévérence, Apollonia, jusqu’au 13 mars 2012
– Liège, Collection de la Province de Liège, acquisitions récentes, galerie Monos, du 5 février au 4 mars 2012

Capitaine Lonchamps

– La Louvière (B), Escargots à gogo, Daily-Bul & Co, jusqu’au 29 avril 2012
– Strasbourg (F), L’art de l’irrévérence, Apollonia, jusqu’au 13 mars 2012
– Marchin (B), Acquisitions de la province de Liège, Centre culturel de Marchin, jusqu’au 4 mars 2012
– Liège (B), BIP 2010, Biennale de la photographie de Liège, Only You, du 10 mars au 06 mai 2012

Jacqueline Mesmaeker

– Liège (B), galerie Nadja Vilenne, Le premier jour du mois,…prolongation jusqu’au 10 mars 2012.  (solo)

Emilio Lopez Menchero

– Liège (B), Homme Bulle, Bibliothèque des Chiroux, jusque fin avril 2012
– Bruxelles (B), Duos d’artistes, un échange. Charles-François Duplain / Emilio Lopez Menchero, ISELP, du 27 janvier au 24 mars 2012
– Liège (B),  Gare au Gorille, galerie Nadja Vilenne, du 15 mars au 29 avril (solo)

Benjamin Monti

– Strasbourg (F), L’art de l’irrévérence, Apollonia, jusqu’au 13 mars 2012
– Marchin (B), Collection de la Province de Liège, acquisitions récentes, du 12 février au 4 mars 2012.

Jeroen Van Bergen

– Liège (B), Log Cabins, galerie Nadja Vilenne, du 15 mars au 29 avril 2012 (solo)

Walter Swennen

– Antwerpen, Cinq siècles d’images à Anvers, expo sition inaugurale du Museum aan Stroom, 12 mai – 31 dec 2012
– Freiburg (D), Alexander Heim et Walter Swennen, Kunstverein Freiburg, jusqu’au  11 mars 2012.
– Bruxelles (B), Présent !, La Centrale Electrique, jusqu’au 22 avril 2012.

Marie Zolamian

– Strasbourg (F), L’art de l’irrévérence, Apollonia, jusqu’au 13 mars 2012
– Marchin (B), Collection de la Province de Liège, acquisitions récentes, du 12 février au 4 mars 2012
– Liège (B), Les désorientés, galerie Nadja Vilenne, du 15 mars au 29 avril 2012 (solo)

Honoré d’O, No Polliplan Tic Tac Space, dans « Semaine »

« Semaine » travaille avec les états temporels des œuvres et des expositions et propose une approche de l’art en train de se faire. Cette exploration est développée au rythme d’un numéro de seize page par semaine, consacré à un projet artistique et conçu avec les acteurs de ce projet. Les volumes réunissent les numéros parus au cours des quatre mois antérieurs et dévoilent l’envergure et la diversité du territoire artistique aujourd’hui en France.

C’est ainsi que « Semaine » consacre sa dernière livraison à l’exposition « No Polliplan Tic-Tac Space (Si la langage remplace le titre) » d’Honoré d’O, conçue au Parvis Centre d’Art contemporain à Ibos, organisée par Magali Gentet.

L’opus consiste en une série de reproductions des installations conçues pour le lieu ; le corps du récit est assuré par Chrystelle Desbordes, historienne et critique d’art, enseignante aux Beaux Arts de Tarbes. L’auteur nous livre une analyse pertinente de cette expérience de poétisation de l’espace, de l’objet banal au paysage, à l’in situ d’un langage inventé, en passant du paysage à l’expérience du travail. Elle conclut : « Non sans lien avec la Pataphysique d’Alfred Jarry – cette science des solutions imaginaires, les œuvres d’Honoré d’O nous font vivre, au Parvis, l’expérience d’un espace critique ; son travail ne crée pas un « ailleurs » plus que le réel, il est partie intégrante du réel qui l’entoure. En ce sens, l’artiste pourrait être affilié à l’auteur oulipien défini par Jacques Roubaud et Marcel Benabou : « un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir ». Et c’est avec une certaine grâce qu’il nous invite à le suivre dans ce dédale, en (y) inventant de nouvelles règles de composition poétique ».

Semaine n°291
Revue hebdomadaire pour l’art contemporain.
Vendredi – Friday 03.02.2012 / 4€
Parution Semaine volume VIII / mai 2012 / 18€

La publication peut être consultée gratuitement sur le site de l’éditeur en version numérique.

 

 

 

Arco 2012 Madrid, les images

Arco Madrid 2012

Jeroen Van Bergen, American Cabine 001 – 004, échelle : 1/4, bois, 2011

Aglaia Konrad, Desert Cities, 2007-2009, digital print on acid-free cardboard, 110 x 80 cm

Jeroen Van Bergen American Cabine 001-003 mini (échelle 1/10), 2011

Jacques Lizène, sculpture nulle, ahaharchitecture, plan d’appartement pour collectionneur VIP excentrique, 500 x 350 cm, en remake 2012

Jacques Lizène, Art syncrétique 1964 en remake 2011, sculpture génétique culturelle, Bouddha croisé statuette africaine, le 25e Bouddha méditant. Technique mixte, 26 x 24 x 50 cm.

 

Jacqueline Mesmaeker, J’ai vu que tu n’as pas vu (2002-2011)

J’ai vu que tu n’as pas vu

Lorsqu’on interroge Jacqueline Mesmaeker sur l’une de ses œuvres, sa réponse, consiste très souvent, avant toute autre considération, à raconter une histoire, une situation, une rencontre, un contexte. Il en fut ainsi, à propos de son film « J’ai vu que tu n’as pas vu » : « En 2002, on m’a proposé, m‘écrit-elle, de réaliser une intervention dans le ville d’Uzès : c’était dans le cadre d’un festival de danse. J’imaginais quelques réponses, je pensais à un film, un défilé de génériques, mais tout cela demeurait à l’état d’idées. Je ne voulais surtout pas que mon intervention se fasse à l’extérieur. Invitée à me rendre là bas, les organisateurs m’ont montrés divers lieux ; un seul convenait à la projection du film que j’avais en tête, une grande demeure, au fond d’une cour pavée. Trois pièces carrées et un escalier de part et d’autre d’un vestibule ouvert sur une terrasse de moyenne envergure et un jardin de buis. C’est là que, durant le festival, devait se tenir les colloques sur la danse. Dans l’une des trois pièces, vers le jardin, il y avait des placards.  Tout est devenu dès lors évident… ».

Le début de la projection du film complète ces propos ; le  générique prend, en effet, cette même forme de récit ; c’est une succession de petites phrases, plan par plan, qui nous apprennent que nous sommes à Uzès au mois de juin 2002, que le centre de cette petite ville du Gard a été classé « secteur sauvegardé » selon les modalités de la loi Malraux, que tout ce patrimoine y est très éclairé et qu’il semblerait que la plupart des maisons restaurées ont été achetées par des non – autochtones. « On s’y promène ainsi que sur une scène aux multiples projecteurs, sans pouvoir échapper à la lumière et sans lieux sombres ».  Tandis qu’un diablotin de papier surgit de sa boîte, première image du film, Jacqueline Mesmaeker interrompt son évocation : nous nous arrêtons à l’Hôtel des Consuls, « dans le Salon des Placards, les placards sont vide, le salon est vide, il y a juste un piano, un divan et deux fauteuils ».

La pièce est en effet ceinte de placards. Ils sont comme des portes feintes dans les lambris, dans les angles de la pièce, leurs portes sont bombées, ventrues d’abondance. Ils en appellent au recel, au secret tandis que la curiosité pousse à les ouvrir. Ce sont sans doute les conditions idéales pour le projet qui occupe Jacqueline Mesmaker, rendre public, dans un rapport d’intelligence discrète, une série d’objets, de  documents, d’images, surtout des images, qu’elle a conservées au fil du temps : « A l’origine de tout cela et bien avant Uzès, toutes ces images ont retenu mon attention pour l’une ou l’autre raison, explique-t-elle. Les conserver, c’était en quelque sorte les sauver. Empilées les unes sur les autres, la dernière revenant à la première place et ainsi de suite, au gré du temps, une part de cette petite collection était ainsi accessible au désir de tous. Puis il a fallu en empiler un partie dans une boîte en carton, jusqu’au moment ou sans soucis de logique elles furent glissées au hasard dans des classeurs, mais sans classement. Suivant les circonstances elles pouvaient ainsi reprendre un visibilité, pour m’étonner, me ravir. Il n’y avait pas d’idées de collection  d’où l’état usé ou taché de certains documents qui faisaient partie du quotidien en attendant d’être échangés. Une chose seule me tracassait: c’était trop secret ». Uzès, ce sera donc le Salon des placards. Et mettre au placard ne sera pas le fait de mettre à l’écart, mais bien, dans un subtil équilibre, l’occasion de se jouer de la double acception du mot : un placard est une armoire ou un renfoncement dans le mur servant de rangement. Un placard, c’est aussi un affichage public, une affiche, une pancarte, un écriteau, une notice, ce qui est destiné à être vu, à être lu.

Le Salon des Placards sera donc une installation de toutes ces images dans les placards ouverts ; ce sera aussi un film qui témoigne et rend compte de l’installation, tout en étant autonome ; c’est une façon singulière de visiter les placards, un regard particulier, celui de l’artiste elle-même sur sa propre collection. Dans ce décor désuet et suranné, placards ouverts, on suivra l’objectif à la découverte des images, des objets  qui y sont rangés et présentés. On suivra aussi la façon dont la caméra glisse de l’une à l’autre image, la manière dont elle les révèle, dont elle les quitte. C’est un subtil phrasé où les incises, les ponctuations, les respirations ont toutes leur importance. Et le regard, sans cesse, rebondit. Le bas relief d’un lion héraldique a-t-il retenu l’attention de Jacqueline Mesmaeker ? Elle l’associe à l’image officielle de Charles et Diana publiée en regard du programme processionnel de leur mariage. Constate-t-elle que l’hôtel des Consuls n’est pas un hôtel pour voyageurs, qu’il s’agit d’un hôtel sans chambres, ni salles de bains, un hôtel où les évêques d’Uzès tenaient salon ? De suite, elle nous entraine entre les rayonnages de livres de la Librairie La Borgne Agasse à Ixelles, là où elle a découvert « Jaune Blanc Bleu » de Valery Larbaud. Un chapitre du livre, chapitre dédicacé à Jean Paulhan est intitulé « 200 chambres, 200 salles de bains ». Un autre chapitre du livre porte un titre énigmatique : « RLDASEDLRAD LES DLCMHYPBGF ». Le regard que Jacqueline Mesmaeker pose sur cette page cryptée nous déroute tandis que, sans attendre et suivant le fil de sa pensée, toujours en compagnie de Valery Larbaud, elle nous projette dès le plan suivant, au Musée des Fenêtre Vertes à Lisbonne, face à l’Ecce Homo attribué à l’Atelier de Nuno Gonçalves, un Christ auréolé et souffrant, un voile blanc comme un linceul recouvrant sa tête et ses yeux, surtout ses yeux.  « (…) Ce Christ voilé hante l’imagination, écrit Valery Larbaud ; on se sent attiré vers le regard qu’on devine sous ce pan de manteau royal qui ressemble à un suaire, vers ce regard qu’on ne verra jamais. Je n’ai envoyé à aucun d’entre vous la carte postale où ce tableau est reproduit, tant il semble demander, à qui l’a vu, de garder le secret ».  Je repense à la parabole de la lampe sous le boisseau : « Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu », plus explicite encore dans son prolongement : « il n’y a rien de caché qui ne devienne évident, ni d’enseveli qui ne doive ressusciter ».

Tout l’enjeu de cette installation, de ce film est là : révéler ce qui était secret, sauver de l’ensevelissement, faire resurgir ce que la mémoire enfouit, susciter le regard, et l’imaginaire qu’il peut produire. « Je vois mon travail, me dit encore Jacqueline Mesmaeker, comme une attention aux choses et aux événements journaliers, à la littérature, à la mise en évidence de choses qui pourraient être oubliées et à la grâce qu’il nous est donné de voir et d’apercevoir des choses ». Dans le film, le salon est bien souvent dans l’ombre tandis que la lumière habite les placards.

Il faut lire la Lettre de Lisbonne de Valery Larbaud ; celui-ci prend possession de la ville de toutes les manières, géographique, littéraire, linguistique, tout lui délie l’imagination ou le contraint au silence. Chaque élément architectural ou musical retenu ne l’est que dans la mesure où il trouve une résonnance dans sa sensibilité. Larbaud reconfigure la ville, il crée ce qu’il appelle lui-même « une collection de souvenirs acquis par les yeux ».

Valery Larbaud n’a pas envoyé la carte postale de l’Ecce Homo des Fenêtre Vertes à ses amis. Jacqueline Mesmaeker reçoit des cartes postales, et bon nombre figurent dans sa collection. Parmi toutes, celle reçue de Michel Assenmaker qui lui écrit : « Tu sais toi, Jacqueline, que la carte postale, et Derrida l’a écrit, c’est une histoire d’amour. Des lointains, des voyages, des êtres et des choses ».

Des êtres et des choses…  « Valery Larbaud ainsi que Polichinelle, Jean Raine, Stendhal, Monsieur Hitchcok et tant d’autres se sont invités dans ce salon», commente Jacqueline Mesmaeker. Oui,  il y a aussi Richard Tuttle, Sylvie Eyberg, Marcel Broodthaers, André Cadere, Walter Swennen, Ian Wilson, Bernd et Hilla Becher, Piero Manzoni, Jime Dine, Valentin Haury, Blinki Palermo,  Magritte, Francis Alÿs, Lawrence Wiener, Johan Muyle…  Des photos, des invitations à des expositions, des reproductions de leurs œuvres. Il y a tous ces documents qu’on ne peut identifier tandis que l’objectif passe de l’un à l’autre… Il y a un saucisson acheté au marché d’Uzes, des coques de noix transformées… en coques de noix qui naviguent sur le bois d’une étagère, un crayon ayant servi à écrire 263 mots, une pomme en cage éditée par Danese à Milan ; il y a des reproductions de tableaux anciens : un détail de Saint Luc dessinant la Vierge par Rogier Van der Weyden, « Joseph et la femme de Putifar » par Pieter Coecke van Aelst. On pourrait le mettre en parallèle avec « le Verrou » de Fragonard.  Il y a des œuvres de Jacqueline Mesmaeker, Les « Marionnettes de Faulkner » entre autres. Il y a aussi des jouets, cette poule en bois sur roulettes qui pond un œuf tout rond, un polichinelle qui s’anime. Je repense aux archives de Walter Benjamin ; entre autres documents, le philosophe a rassemblé et conservé toute une série de photographies de jouets russes qu’il a collectionnés, voisinant dès lors ses carnets de notes où chaque centimètre carré est utilisé. On sait combien les techniques archivistiques ont marqué de leur empreinte son processus d’écriture. Les archives de Walter Benjamin, parfois marginales et irrationnelles mènent au centre de son œuvre. Lui aussi collectionna les cartes postales. Ce sont, écrira-t-il, des appuis mémoriels ainsi que des sources d’inspiration visuelles et textuelles». Il y a des jouets plus récents également, des dragons et des petits soldats en plastique, rassemblés en bataille, comme s’ils illustraient la guerre, des origines à nos jours.  Je pense à l’Encyclopédie des Guerres de Jean-Yves Jouannais ; aux « Désastres » de Francisco Goya, à la « Kriegskarthotek » d’Aby Warburg, au « Gai savoir inquiet, œil de l’histoire » de Georges Didi-Huberman. Les dragons, pour Jacqueline Mesmaeker, sont une allusion à un texte de Lewis Carroll  intitulé « Voyages, remarques architecturales sur Berlin » : « (… ) Ou alors la figure colossale d’un homme en train de tuer, ou qui vient de tuer (le passé semble l’emporter) une bête : plus le bête a de piquants, mieux cela vaut : à le vérité, c’est le dragon qui convient le mieux, même si cela est au-dessus des forces de l’artiste, il peut se contenter d’un lion ou d’un porc ». Jacqueline Mesmaeker a noté ce passage dans le petit carnet, qu’elle a édité au moment de l’exposition d’Uzès et qui accompagne ses placards, une comptabilité poétique, un inventaire incomplet des documents, une suite de noms, d’opus, 177 petites références dont la dernière est un « dernier morceau d’une peau de chagrin ».

Il y a, enfin, car je ne pourrai tout évoquer ici, ce tapuscrit qui occupe tout un placard : le texte complet de la conférence de Lacan à Louvain, le 13 octobre 1972. Cette chute, que j’ai relue, si puissante de sens : (…) J’y ai déjà plusieurs fois fait allusion dans ce discours, déclare Lacan : ce qui se gagne d’un côté, se perd d’un autre ; ce que nous avons acquis comme ressort, comme usage du savoir, comme mise à la question du savoir dans ses rapports avec la vérité, c’est quelque chose qui assurément existe, qui est vraiment le tampon, la marque, le saut, l’épingle, le blason de cette ère que nous vivons. Mais nous ne savons pas non plus, nous sommes bien incapables de dire par rapport même à des stades, à des époques qui nous sont proches, quel était à ce moment le savoir qui était précisément ce qui faisait l’équilibre, ce autour de quoi enfin s’apaisait cette horrible impatience ; et c’est bien parce que nous ne le savons pas que nous en sommes réduits à nos propres moyens ».

J’y ai déjà fait allusion au début de ce texte : la première image du film est un diablotin (ou un clown) articulé (il jette les bras au ciel) sortant de sa boîte. Quant au livret qui accompagne les Placards en 2002, Jacqueline Mesmaeker l’intitule « La boîte à Pandore ». Non bien sûr, si l’on s’en tient au mythe, les archives de Jacqueline Mesmaeker n’ont rien d’une boîte de Pandore (bien que dans celle-ci subsiste l’espoir, dès les maux répandus aux quatre vents). Jacqueline Mesmaeker fait plutôt référence à un livre magnifique, le « Pandora’s Box » qu’Erwin Panosky écrit avec son épouse Dora. Avec une extraordinaire érudition, les auteurs y opère une coupe transversale dans l’histoire de l’art et de la culture, analysant le thème de Pandore d’Hésiode à Paul Klee et Max Beekmann, parfaite application quant des théories de l’historien de l’art, cette iconologie, terme qu’il emprunte à l’ « Iconologia » de Cesare Ripa (1593) et à Aby Warburg, qui vise à dégager le contenu des œuvres, le principe de leur unité, à la fois, leur aspect visible et leur sens intelligible. Et pour Panofsky, dans sa forme la plus élevée, l’iconologie permet de saisir « la forme générale de l’esprit humain ».

Ce qui est visible, le sens intelligible : c’est là que réside l’invitation que nous fait Jacqueline Mesmaeker, disposant ses images, ses documents, cet univers personnel, singulier, en ses placards. Regarder, projeter, déceler un sens, du sens et, pourquoi pas, l’imaginer. De bonds en rebonds, l’invitation est exigeante, mais ô combien passionnante. Du coup, je me dis que Panofsky est mort trop tôt et qu’il n’a pas vu « Mulholland Drive » de David Lynch. Au début du film Rita (Laura Elena Harring), résurgence elle-même d’un mythe de cinéma, Rita Hayworth, ouvre une mystérieuse boîte bleue dont elle détenait la clé. Cette dernière, à peine ouverte, semble aspirer l’ensemble de la fiction et offre au film une plongée dans l’abîme. Le noir envahit l’image. Le film s’arrête, les personnages disparaissent et nous basculons ailleurs… vers une autre histoire, ou vers une autre face possible de la même histoire, mais qui demeurait jusque-là invisible.

J’ai vu que tu n’as pas vu, 2002 – 2011

Réalisation et montage : Jacqueline Mesmaeker
Prise de vue : Reggy Timmermans
Assistance au montage : Gérard Fenerberg, Philippe Van Cutsem, Reggy Timmermans
Photos : Luc Noël.
9’25, mini DV numérisé, couleurs.

Arco Madrid 2012 preview, Benjamin Monti

De Benjamin Monti, on verra, à Madrid, une sélection de travaux récents. Quelques encres de chine sur papier Perspecta, ce papier millimétré et récupéré, bicolore, formulaire pour la vue isométrique, des plans de ville et cartes géographiques, un  cheval à Rome (Marc Aurèle au Capitole ?), un berger de Bergame, deux adolescents dans les îles Toscane ou encore ces figures d’architecture – réversibles – publiées par G & S Robinson que Monti flanque d’un pilastre composite et tête bêche.

Profitons-en pour reprendre le portrait de l’artiste publié  dans le Guide de l’Irrévérence paru en 2011 chez Yellow, mais cette fois en version intégrale et d’origine.

Si Benjamin Monti cite volontiers Ernst Hans Grombrich, qui nous rappelle que « même dans les illustrations scientifiques, la vérité de l’image dépend de la véracité de sa rubrique », ce serait plutôt en tenant compte du « Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis » de Pierre Desproges. « L’art et l’illusion » de Gombrich a pour objectif, précise son auteur, « d’expliquer les raisons pour lesquelles les artistes qui tentent résolument de créer des images mimétiques ont à faire face à des difficultés inattendues ». Et Benjamin Monti rencontre sans aucun doute, dans sa pratique de la copie, de nombreuses difficultés inattendues. Mais il a lu Desproges et, à coup sûr, cette lumineuse définition de l’oeil où Desproges précise que « l’œil est un outil merveilleux, que c’est grâce à lui que l’homme peut, en un instant, reconnaître à coup sûr une langoustine d’un autobus, ce qui lui confère évidemment un sentiment de puissance sur la nature. La preuve en est, précise Desproges, qu’un homme privé de ses yeux se met instantanément à raser les murs honteusement ».  Intense noirceur et intelligence aiguisée, ici, on le verra, fort bien comprises.

Benjamin Monti est un collecteur patenté, un collectionneur averti, il chine les livres et les images anciennes, il rassemble des carnets usagers, des cahiers d’écolier, des dessins anonymes oubliés. Il campe, itinéraire singulier, au carrefour de l’illustration et du dessin, des arts plastiques et graphiques. Très actif au sein du collectif Mycose (1999-2008),  il appartient à cette génération spontanée qui a décloisonné l’univers de la bande dessinée. « On place cet auteur, déclare l’un de ses éditeurs, parmi les artistes contemporains. Où d’autre placer, d’ailleurs, un véritable auteur ? ».

Lorsque, adolescent encore, il conçoit son premier « Carnet », cette plongée en apnée, frénétique champ de bataille pilonné d’une seule et longue griffure, véritable purge de tous les doutes existentiels, il lit « Opium » de Cocteau. « Écrire pour moi, c’est dessiner, nouer les lignes de telle sorte qu’elles fassent écriture, ou les dénouer de telle sorte que l’écriture devienne dessin, c’est la leçon de Cocteau ». Ecrire, oui. Son « Autobiographie », « pas d’états d’âme, juste des faits », est d’une blancheur comptable grinçante. On ne peut plus radical dans le domaine de l’intime. Dessiner oui,  l’hallucinante pérégrination de Thomas l’Obscur de Blanchot : mais « Vide » est-il à l’image de Blanchot ou de Monti ?

Apprenti fort peu sage, Monti se dit en apprentissage. Copiste attentif, il recopie, plonge et pille ce qu’il collecte. Mimétisme du geste, serait-ce là  que réside la difficulté ?  Parfois ces images, il les recopie telles quelles, un « crétin du Valais » comme « Notre Dame aux Esclaves », des vieilles pages de cours de Néerlandais qu’il adresse à des Parlementaires francophones ; « Couillu », lancera l’un d’eux. Il hybride aussi, recycle, compose et décompose, transgresse les règles comme dans ces leçons  de Droit manuscrites et anonymes datées de 1901, dont il occupe les marges, le texte, la feuille, l’espace. Il récupère les supports comme il recycle les images qu’il glane. Et rien ne lui échappe quant au sens des images qu’il colle et copie. Mais oserais-je cette expression pour un Monti copiste ?  Assurément, Monti fait la différence entre une langoustine et un autobus. Surtout s’il mêle d’heureux acolytes du divin flacon et de bienheureux alcooliques du divin tout court, preuves iconographiques à l’appui. Ces  deux dessins sont recyclés sur papier « Perspecta », papier qui, à l’époque, ne l’était pas. Et ceux-ci ne manquent pas, aujourd’hui, de perspectives lorsqu’il s’agit, par exemple, en trois planches, de dresser « une très brève histoire de la religion catholique ». Mais oui, trois planches suffisent. Je laisse à Desproges la conclusion : « L’œil du sourd est normal ».  Ajoutons y que c’est « la véracité de la rubrique », merci cher Ernst Hans Grombrich, vous m’assurez la chute.

Sans titre, encre sur papier imprimé, 15,2 x 10,5 cm, 2010

Sans titre, encre sur papier imprimé, 15,2 x 10,5 cm, 2010

Sans titre, Encre de chine sur papier « Perspecta », papier millimétré bicolore pour dessin en perspective. Formulaire pour la vue isométrique, 29, 7 x 21 cm, 2010 – 2011

Sans titre, Encre de chine sur papier « Perspecta », papier millimétré, bicolore pour dessin en perspective. Formulaire pour la vue isométrique,, 29, 7 x 21 cm,  2011

Arco Madrid 2012 preview, Jacques Lizène

« Colectionistas, es menester comprar un Lizène de arte mediocre para conjuntar con vuestros muebles de estilo y obras maestras ! » (1975)

Section publicité.  On le sait, depuis 1975, Jacques Lizène pratique l’art auto- publicitaire (comme il assure d’ailleurs également son auto – historicité) : le slogan est désormais bien connu : « Collectionneurs, il vous faut acquérir un Lizène d’art médiocre pour mettre en valeur, par opposition, vos mobiliers de qualité et vos tableaux de maître, 1975, art auto – publicitaire ».  Dès 1976, le petit maître affine d’ailleurs son discours promotionnel et peint « Peinture marchandise, Prestige Marchandise », une facétie médiocre, une peinture nulle, une « misère pour nanti » sur laquelle il indique que « L’acheter  c’est créer ». Et il ajoute : « Cet objet d’art est un modèle valorisant son acquéreur », prouvant par là qu’il est possible de promouvoir des œuvres d’art disqualifiées par leur propre auteur. Fin des années 80, après avoir créé l’art néo déco nul (1987), le Petit Maître envisagera un projet de « catalogue façon publicitaire (1975) », traçant deux exemples de « toile à photographier près de meubles de qualité ». Il n’hésite pas à opérer « une découpe spéciale » dans sa peinture médiocre, afin de valoriser le meuble d’antiquaire et le siège design posés contre la cimaise. Artiste adepte de la procrastination, il remettra ce projet de catalogue à plus tard et le fera réaliser, en 2004, sous forme de « spot » vidéo. On le sait également : avec Lizène, la technologie avance, la médiocrité reste. Usant de l’infographie, Lizène insère ses propres œuvres dans les décors d’une galerie d’antiquités et  d’un show room de mobilier contemporain, tous deux réputés « de qualité ». On y voit le petit maître déambuler, contemplant quelques-unes de ses œuvres dans ces environnements singuliers. La bande son est constituée de discrètes exclamations admiratives sur fond de musique, une fois n’est pas coutume, destinée à séduire.

Entretemps, Lizène a réalisé pour une exposition à Paris, « une salon / installation vidéo nulle, d’après un projet de 1971, pour collectionneur ‘in’ », un charivari de moniteurs vidéos installés dans les fauteuils du salon du collectionneur, accompagné « d’une essoreuse à haute vitesse avec cassettophone au son déformé ». Cette idée d’œuvres pour salon de collectionneur « in »  (1992), l’amènera à concevoir des « cimaises pour collectionneurs tendance » (2006, remakes en 2009), tout l’art de composer un cabinet d’amateur en y insérant fauteuil, écran télé, guéridon et plante verte.

Cette fois, Lizène va plus loin et propose le « plan d’un appartement d’un collectionneur tendance (2012) », un peu excentrique, précise Lizène, tracé sur toile libre de grande dimension (400 x 210 cm), qu’il compose comme s’il s’agissait d’une toile d’art spécifique (1967-70). Comme peut l’être un plan d’architecte, la toile n’est pas entièrement déroulée sur le mur. A l’avant plan, Lizène place une sculpture génétique culturelle (1984), un masque cimier de l’ethnie Ekoi (Nigeria – Cameroun), croisé portait photocopié du petit maître à la fontaine de cheveux (1980, en remake), sculpture génétique posée sur cadre vide et doré (2011). Juxtaposant toile libre et cadre vide, Lizène renoue ainsi avec l’idée du cadre dans le cadre (1970), qu’il expérimenta dans L’Art Spécifique, cette façon singulière d’envisager les limites du médium mis en œuvre. Sur le plan ainsi tracé, Jacques Lizène pose une série de ses œuvres, les distribuant dans les diverses pièces de l’appartement, veillant à donner un aperçu (qui sera perçu, non perçu, 1973) des diverses facettes de son non talent (1966) pour art d’attitude (1965).

A l’inventaire des œuvres ainsi distribuées, nous trouvons :

– Deux «Minables ‘AhAharchitectures’ 1980, remake 1999. D’après les dessins médiocres de 1964-66 ». Technique mixte sur papier, 30 x 43 cm. 1999. 


 

L’architecture occupe une place singulière dans l’œuvre de Jacques Lizène. Durant ses années d’études aux beaux-arts, il est déjà très attiré par les maquettes, les plans et tracés d’architectes. Ses premiers dessins médiocres (1964) en témoignent : des maisons s’y syncrétisent et dans une bonne logique de l’échec, du revers, des déboires et du naufrage, le Petit Maître dessine des traces de maisons démolies. Il les dessine en coupe aussi, révélant l’envers du décor, ses lézardes et ses décrépitudes. C’est déjà là un intérêt pour une archéologie contemporaine qui ne se démentira pas. Cela ne l’empêche pas de dessiner des buildings, mais la plupart du temps, ceux-ci gondolent. Le Petit Maître est d’ailleurs un grand technicien à rebours, puisqu’il tente de mettre au point un système de fenêtres gondolantes, à l’ondulation commandée électroniquement (projet de Sculpture nulle, 1980).

Dès le début des années 90, Lizène développe ses « Ahaharchitectures ». C’est évidemment le rire lizénien qui résonne ; ce pourrait aussi être une allusion ‘pataphysique, tant ces projets participent d’une science des solutions imaginaires, bien que la ‘pataphysique préfère Ha! Ha! à Ah! Ah! Sur l’idée des Sculptures nulles (1980), sur celle aussi de « Mettre n’importe quoi sur roulettes » (1974), Jacques Lizène conçoit des maisons aux styles composés et composites (Art syncrétique, 1964). Ce sont des sculptures pénétrables sur grosses roues d’avion, avec escaliers dépliants, en métal léger, plastique dur, plexiglas, dotées de panneaux solaires, de cheminées en forme de priape, de jardins suspendus, fontaines de fumée, écrans TV et extra plats en façade et bornes électroniques. Lizène résout ainsi une série de problématiques liées à la mobilité, à l’énergie, à la robotique domestique.

– Un Fragment de mur de briques peint à la matière fécale (1977), en remake 2008.

 

Placé sur un mur extérieur de l’habitation.

Renvoyant à la constante architecturale du pays, le motif de la brique rouge se retrouve fréquemment dans l’art belge (Magritte, Mariën, Broodthaers).
Elément récurrent dans l’œuvre lizénienne, la brique intervient comme sujet de l’œuvre (Travelling sur un mur de briques, 1971), comme élément de décor (le fond des photographies de « Contraindre le corps à s’inscrire dans les limites du cadre de la photo, 1971 ») et comme élément de représentation des Peintures à la matière fécale. Rappelons que Lizène, se déclarant petit maître, annonce qu’il peint les murs de briques de la banlieue industrielle liégeoise, comme un petit maître hollandais peindrait des marines. Le mur de brique, aveugle, qui fait face à la clinique d’Ougrée, là où Jacques Lizène est né, participe de sa mythologie individuelle, le petit maître affirmant qu’il s’agit là de sa première vision du monde.

« La formule autarcique « être son propre tube de couleur », écrit Cécilia Bezzan, révèle selon l’équivalence freudienne (or – merde) une « savoureuse » litote, puisqu’il s’agit de boire, manger, déféquer, peindre avec, tenter de vendre le tableau pour à nouveau boire, manger, etc. Eclairée par le propos lacanien, la peinture au caca et sa formalisation par le motif de la brique conduisent cependant à l’abîme du renoncement  Là où le peintre transforme la merde en regard, Lizène, par le recours à la matière fécale, annule son regard. L’artiste démonte la sublimation que comporte toute peinture, dans un geste qui est un retour – sans doute parodique -, à l’état de nature, se réfugiant dans un tabou qui provoque le dégoût pour concrétiser son désir de rejet. La peinture à la merde équivaudrait symboliquement à une peinture « aveugle », à l’image du mur de briques sans fenêtre ».

Cadre vide, art syncrétique 1964, sculpture génétique culturelle 1984, cimier Ekoi croisé petit maître à la fontaine de cheveux, remake 2011. Technique mixte, 195 x 190 x 30 cm

Cadre doré et vide, posé contre un mur : on pensera à la fenêtre morte de 1970, hommage à la non procréation. La fenêtre et le tableau fonctionnent d’ailleurs comme des oxymores : si le tableau de la fenêtre est ce qui la borde dans l’architecture, la surface du tableau agit comme une fenêtre ouverte sur le monde. Lorsque Jacques Lizène pose un châssis de fenêtre au sol, déclarant la fenêtre morte, il rejoint l’idée du tableau perspectif d’Alberti. « On conçoit que la fenêtre, écrit Gérard Wajmann dans Fenêtre, chroniques du regard et de l’intime (Verdier 2004), incarne l’idée même du tableau perspectif, celle qui implique le terme de ‘perspectiva’, soit une vision traversante  –  perspicere signifiant bien en latin voir à travers  – ; voir c’est voir à travers, mais non à travers quelque chose : à travers un trou. Voir c’est toujours voir par un trou. La fenêtre est l’incarnation qu’il n’y a pas de vision sans fenêtre. » Pour Lizène, postulant l’erreur de la matière, il n’y a pas de perspective pour l’humanité, pas de vision d’avenir. Inutile d’élargir l’horizon, au loin il n’y a rien à voir.

Sur le cadre vide, l’artiste pose une sculpture génétique (1971), croisement d’une photocopie de son propre autoportrait de 1980, dit à la fontaine de cheveux avec un masque cimier de l’ethnie Ekoi. Ce cimier Ekoi, recouvert de peau animale, porte une coiffure cornue, en quelque sorte une fontaine de cheveux, que le Petit Maître double d’un pinceau. Encore de l’art spécifique.

– Art syncrétique 1964 en remake 2011, sculpture génétique culturelle, Bouddha croisé statuette africaine, le 25e Bouddha méditant. Technique mixte, 26 x 24 x 50 cm.
– Art syncrétique 1964, sculpture génétique culturelle 1984, en remake 2011, fétiche africain croisé danseuse asiatique. Technique mixte 40 x 13 x 13 cm et 42 x 14 x 14 cm.

 

Deux exemples d’art syncrétique (1964)

On sait combien les années académiques de Lizène auront été fécondes, dans les marges et hors des sentiers battus de l’atelier bien entendu. Lizène dessine dès 1964 de petites choses en les croisant : « Croiser toutes sortes de choses comme des animaux, des visages, des architectures, des arbres, des voitures, des chaises, des sculptures. » Ou encore : « Découper et mélanger deux styles. » Il pratique une forme d’Art syncrétique, un syncrétisme de collage, le haut d’une sculpture hindoue adoptant la triple flexion végétale et les jambes d’une statue africaine, un sapin et un palmier, un chameau et un bovidé, des avions ou des autos qui s’hybrident, des visages qui se transforment en masques.
Le syncrétisme, terme de souche religieuse et philosophique, est une combinaison d’éléments hétérogènes ainsi que l’être ou l’objet qui en résulte, un mélange, aujourd’hui on parlerait de métissage, de sampling ; c’est aussi une façon primitive de voir le monde, qui pratique une appréhension globale et indifférenciée du monde extérieur par simple juxtaposition. Lizène hybride le réel en des créations indisciplinées, fusionne des éléments de cultures différentes ; la pratique trouvera son naturel prolongement dans l’Interrogation génétique, la Sculpture génétique, la Sculpture génétique culturelle, les Funs fichiers, les Actions de rue. Dans le domaine génétique, l’hybride est en effet le croisement de deux individus de deux variétés. C’est un comble, Lizène pratique ainsi sans cesse l’accouplement, mais il féconde des bâtards, altère, outrage, transgresse, se réjouit de la disharmonie et s’enthousiasme même de rendre celle-ci non perçue ; il renoue avec le grotesque, l’anormalité, ce que l’histoire de l’art positiviste a d’ailleurs longtemps refoulé.

– Art syncrétique 1964, Petit maître écrasant son nez sur la surface de la photo, 1972,  croisé grand singe, en remake 2004.

Tout dans l’œuvre de Jacques Lizène est un continuel ressassement, un circuit fermé, une réutilisation continuelle des idées et des images produites. Ainsi en 2004, Lizène reprend la photographie du « personnage s’écrasant le nez contre la surface de la photo, le perçu non perçu, 1973 » qu’il hybride en collage avec un grand singe. Art syncrétique (1964) et sculpture génétique (1971).

– Contraindre le corps à s’inscrire dans le cadre de la photo, 1971, suite de 4 photos NB. Tirages argentiques.



Les premiers travaux photographiques (et vidéographiques) du petit maître ne sont pas éloignés des préoccupations sont il témoigne dans ceux abordant l’art spécifique. La question du cadre (du châssis, dans le domaine de la peinture) y est centrale. Ainsi les « contraindre le corps dans le cadre de l’image » qu’ils soient filmiques, photographiques et que le petit maître réalise également en diapositives, en découlent très naturellement. Dès 1971, le petit maître contraint son corps dans le cadre de l’image. Il se filme en train de jouer avec le cadre défini par la caméra, et fonde une série de pitreries sur la façon de sortir du champ, d’y entrer, d’échapper à la « surveillance », ou de « contraindre le corps » à s’inscrire dans ce cadre, se ramassant sur lui-même au fur et à mesure que l’objectif s’approche et que le plan se resserre. Les « contraindre le corps » de Jacques Lizène participent tous de ce vaste corpus entamé dès 1971 et intitulé : « Œuvre à vocation inachevée : contraindre toutes sortes de corps, nus, habillés, y compris des corps de policiers, à s’inscrire dans le cadre de la photo. Projet abandonné ».  Jacques Lizène déclarera : « à l’époque, je cherchais quelque chose de simple à réaliser et que je pourrais répéter indéfiniment ».

– Absence de sujet 1971, remake 2011. Photographies NB argentiques et texte.

Un trou dans la perception. Cette « absence de sujet » participe des travaux sur le « perçu, non perçu » (1973). Sous un travail similaire, Jacques Lizène écrira : « Il y a… Il y a un trou… un trou dans le milieu de la photo. Il y avait là, à la place de ce trou, l’image d’un passant, un homme de dos qui marchait, l’on ne sait vers où. Il vous est inconnu… et le restera. (Ainsi !) (Artiste de la médiocrité et de la sans importance. Le chic de la démarche de déception) ». Notons que Lizène réutilise ici des clichés d’une série de photographies prises en 1973 destinées à préparer son film sur la « Civilisation banlieue » (1976). Ce film, prêté pour les « Sixth International Open Encounter on Video » au Museo de Arte Contemporaneo de Caracas fut égaré durant le déplacement. Pas de copie. En 1971, Jacques Lizène réalise un film intitulé « Absence de sujet filmé » ; celui-ci est également perdu. Les coûts de production d’un éventuel remake ne devraient pas être trop élevés.

– Art syncrétique 1964, sapin croisé palmier, croisé baobab, remake 2011. Encre sur enveloppe, 24,5 x 22 cm. Encadré 30 x 30 cm

Tracé sur enveloppe de récupération. Jacques Lizène projette d’installer un sapin croisé palmier croisé baobab, voire un sapin croisé palmier croisé olivier, monumental, en bronze et aluminium à Abou Dhabi. S’il ne le fait pas, il le fera virtuellement (expositions virtuelles, 1993)

– Art syncrétique 1964, en remake 2011. Technique mixte sur enveloppe, 25 x 23 cm. 

Tracés sur enveloppe de récupération. Petits dessins médiocres, façon 1964. Art syncrétique marin.  Hybridité d’un bestiaire. Voir plus haut quant au champ de l’art syncrétique (1964).

– Peinture nulle 1964, sur l’idée de mettre  n’importe quel objet sur la tête, 1994 en remake 2010, photographie marouflée sur toile, rehaussée en technique mixte, 50 x 60 cm, 2010.

Trois peintures nulles (1964) sur des portraits photographiques réalisés par Luc Vaiser. Sur le principe de « mettre n’importe quoi sur le tête » défini en 1994. Hop ! Encore trois œuvres de faite sur mode burlesque. « Mettre n’importe quoi sur la tête » (1994) participe des attitudes lizéniennes, au même titre que « mettre n’importe quoi sur roulettes » (1974)

– Art syncrétique 1964, chaises découpées et croisées, en remake 2011. Technique mixte, 98 x 41 x 45 cm

Les chaises dorment assises, les chaises dansent, les chaises gondolent, ce sont autant de projets de Sculptures nulles, 1980, que Jacques Lizène réalisera dès la fin des années 90. Et le motif de la chaise est particulièrement vif dans l’œuvre du Petit Maître tant on peut l’associer à toute une série de préoccupations. Les chaises, en effet, sont corps et armatures. Des corps assis, des corps couchés, dansant et même déglingués, au bord de la chute ; elles sont aussi, à l’opposé, armatures, châssis, cadres, ossatures, toutes choses que Lizène a sondées dans l’Art spécifique des années 1967-1970. En fait, nous tenons là deux attitudes fondamentales : celle du corps burlesque qui chavire et chute, celle de la structure, de la charpente d’une œuvre construite dans une cohérence singulière. Or on sait combien l’ossature est liée à la génétique et à la mort, deux thèmes premiers dans l’œuvre lizénienne. Les chaises disséquées sont comme des corps désormais absents. La chaise est également, dès 1964, sujet d’Art syncrétique, comme bon nombre d’objets : « Croiser toutes sortes de choses comme des animaux, des visages, des architectures, des arbres, des voitures, des chaises, des sculptures. Découper et mélanger deux styles, projet de sculpture, 1964 ». Lizène découpera nombre de chaises en Sculptures nulles, croisements de tous les styles dans un charivari de brocante, des objets idiots et donc singuliers, métissés, allant par paires comme les chromosomes. Ces chaises ainsi croisées peuvent, c’est presque du domaine d’une anthropologie tribale, devenir totems de chaises (tout comme les totems vidéos de 1971), comme elles peuvent devenir cadres de chaises. On retrouve là et le corps et son ossature, son châssis, sa structure.

 

 

Arco Madrid 2012 preview – Aglaia Konrad, Desert Cities

The city that doesn’t exist

If you search for “Desert Cities” on the World Wide Web, the first hits are American cities in California and then real estate offers in Hurghada/Egypt. A medium-sized apartment is going cheap at €24,000. If you then go on to search for “real estate in Egypt”, you find such cities as “6th of October” or “Mirage City” with their embedded controlled settlements that offer everything from grocery deliveries to “religious service” all inclusive.

The government programme that gave rise to the Desert Cities around Cairo and Alexandria goes back to Anwar el Sadat. Back in the seventies, his plan was to catapult his country straight into the twenty-first century. As so often in the history of modern urban development, the aim was to build planned cities to do well what was of such political and social complexity as to appear insoluble.

At first, cursory glance at Aglaia Konrad’s photoseries of these areas you cannot pinpoint the places to begin with: Asia, Africa, desert? Konrad focuses a direct gaze on these cities and their buildings. This is not architectural photography, nor documentary photography. Her way of seeing things is unadorned and draws our attention straight to the incidental nature of the history of the real setting. She shows that very poetry of the everyday image that cannot be captured but that rather lingers as an afterimage in fragmentary memory.

The photographs spotlight the key issue of “modernist architectures” as the spaces in between architectural development. Within individual photos, and all the more when they are lined up together, we can suddenly leap, as it were, from the sixties into the nineties and beyond. Reminded of Tati’s “Play Time” and the ridiculousness of modernised man, this gaze suddenly turns into concrete reality. It’s everywhere. The multifaceted nature of the pictures, the termite hill-like aspect of the agglomerations puts the photographs in the realm of scientific observation and landscape photography. Like picturesque, albeit mechanically recurrent rock formations, mountain ranges. Konrad’s view of this world is analytically detached, but never uninvolved. It is not the aesthetic and structural phenomena alone that fascinate the photographer but the absurdity of human activity and its potentialities expressed by the empty punctuated façades. Who – in the name of God – had to go and build these houses here – and why? The anthropological aspect of this viewing and looking creates more empathy through emptiness than through fate. How did they conceive the ideal person, the ideal family, who were to live there?

A conurbation such as Cairo – with currently more than fifteen million inhabitants – is one of the mega-cities of the modern world. Wedged in geographical confinement between desert, pyramids and archaeological sites, and the Nile Delta, the expansion and development of the city is naturally limited, as it were. In the nineteen-seventies, spinning off satellite towns seemed to offer the ideal solution to this fatal predicament. Similar to, albeit on a much larger scale than the real suburbs of Central European modernism in Frankfurt-Preungesheim or Berlin-Siemensstadt, for example, and following in the vein of Le Corbusier’s visions of a Ville Radieuse, the spin-offs around Cairo were pure dormitory towns linked to the heart city by big motorways and designed for some 500,000 inhabitants. Often, not even ten per cent of these potential populations materialised. In some places they are building again today. The aim is no longer to attract the working masses, the simple middle classes, but rather the high earners and the increasingly well-to-do. The result is clearly demarcated communities, irrigated and amenitised at inordinate expense, in whose swimming pools no-one would ever bathe publicly. The perfect illusion of a globally present quasi-movieland has become reality.

The surrounding desert and the view from afar, subdued, go to augment the disconcerting impression. These characteristics of the gaze preserve the condition, conserve and archaeologise in advance. You can feel the dry heat in the photos, that reflect on stones and structures. Continuing to look only increases the impression of dreariness. The sun really begins to burn. It blazes and makes the doorways and windows appear even blacker. The face of the landscape assumes remorseless features. Roads to nowhere. Lights with no function. Balconies never occupied. Faults in the water installation systems. Unfinished roads. Few cars. Rocks. Stones. Necropolis.

Reality and timelessness collide in a clash of times and spaces. Where has social space gone? Gingerbread style, Neo-Roman, in recent building projects. Tastes converge and, like the modern movement, are international. One image follows another. Rows upon rows of interrelated, overlapping aspects of local existence. The cityscapes are abstract structures, plausible on paper and from a distance, aesthetic, anti-social – and thus bringing about the opposite of what they were founded to achieve – in their form. Aglaia Konrad’s cinematic gaze turns the observers into external experts, strangers in and of themselves. The pausing, searching movement cannot be detached from the photographs but is rather ingrained in them. Associatively, memory searches for starting points, finding them perhaps in Antonioni, remembering ruined Western towns, the empty houses of Walker Evans, the empty roads of Eugène Atget’s early-morning Paris, and Dan Graham’s row houses from the late sixties. The views of modernity that Aglaia Konrad presents cut to the core, for their formal beauty in detail is lost in the desert in mass. Their ideals founder in view of the rapidly growing population. The once new architecture for the once new people of our grandparents’ generation at the start of the twentieth century is now nothing but a ruin to behold. The attempt to change people through architecture has failed. Coming to a halt in a modern building does not suddenly make you modern. The post-modern phase of new capital-driven pseudo-individualism has well and truly begun here, too, in the form of the demarcated new districts. The suggestion of luxury stands for prosperity and progress.

The represented cultures of the landscape are made up of misunderstandings, exploitation, false pity, the attempt to organise masses, and the false premise that they exist and may be organised as such, idealism, misguided ambition, corruption. These global phenomena join together in Konrad’s photoseries to form one side of the coin. There unfolds before our eyes a never-ending urban agglomeration encircling the globe like a ribbon. The anonymity of the places is symptomatic. Their identity, the modern will to structural change. The Desert Cities are just one part of these world cities. Four, nine or sixteen hours away by air. A Smithsonian sense of entropy sets in. Konrad gives a tour to the monuments of modernity. Periphery is everywhere and nowhere. The veil of exoticism and orientalism has long since been torn away. The transfigured view now only exists in anonymous image production for marketing apartments and villas. Barely good enough for selling travel adventures. Although as soon as we look at the pictures in the magazines we are sure that it doesn’t look like that there anyway. But these other pictures, that Konrad does not photograph but refutes, are like a prejudice in the back of our minds, something that we are willing to believe although we know full well that all the facts say otherwise.

Logical in itself is the dissection of modernity that Konrad performs by means of the photographic apparatus. The little image machine is, in and of itself, a representative of modernity. Without photography, media image production, modern existence would be inconceivable, too. Bauhaus would be less without the Bauhaus photographs of Lucia Moholy. Architectural modernism, but also the modern feeling of life, is intimately linked to photography. Only by means of their photographic presence in the media could buildings that were in many cases geographically far-spread create the impression of an international movement, e.g. in the legendary International Style exhibition at the Museum of Modern Art in New York in 1932. Buildings and landscapes, but equally political events, are immovables, firmly attached to specific places. Photography, film and video not only bear witness to their existence but also make them available for further processing, as it were. The heroic view of the first half of the twentieth century has worn thin, for one reason because spectacular achievements have become miniaturised, for example in the form of genetic research. Only building projects still have that trait of spectacular monumentalism because they are protuberances of individuals’ sense of mission and power.

Realism, in this context, is a category that holds a difficult position in contemporary art, but whose analytical eye is of great importance. The term abstract realism could be one category of description, one semantic field, one attitude that might be applied to Konrad’s gaze in view of its inherent contradictoriness. It is not just that we see what we see. It is not about the relationship between mass and individual. The viewer, looking down on a raving rock concert audience from far on high or on glittering Los Angeles, is not what interests Aglaia Konrad. It is not a landscape whose production of grandeur is relevant in its modern flavour. Rather, the persistent sound of rigid concrete, that has a sculptural quality but that also points out presences, inclusions and exclusions and, in connection with the desert sand, is possessed of a strange formedness, as if a giant had been playing with building blocks. Her landscapes are of a peculiar homelessness, the abstract compositions of space of immense beauty. The underlying political complex is constantly subcutaneously present. What to do?

Aglaia Konrad
Desert Cities, 2007-2009
digital print on acid-free cardboard, 110 x 80 cm