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Jacqueline Mesmaeker, 21 mars 1975

21 mars 1975

Série de 33 photographies, 1975

L’œuvre est régie par un protocole strict : l’artiste demande à plusieurs personnes de prendre une photo noir et blanc de l’endroit où ils se trouveront le 21 mars à 17h23 précises. La série réunit ces photos banales prises à un même instant. Leurs moments se superposent et rendent compte de l’infinie diversité des points de vue et des attitudes à un moment donné. Jacqueline Mesmaeker délègue les prises de vue de ces petites images singulières liées ainsi à d’autres vies que la sienne.

VENDREDI 21 MARS 17H23 : FAIRE UNE PHOTO BANALE NOIR ET BLANC DE L’ENDROIT, QUEL QU’IL SOIT, OÙ VOUS VOUS TROUVEZ.

AYEZ LA GENTILLESSE DE NE PAS OUBLIER ET D’ENVOYER LE NÉGATIF AVANT LE 29 MAI 1975 À JACQUELINE MESMAEKER, 22 AVENUE ERNEST SOLVAY 1310 LA HULPE.

LE BUT EST DE RÉUNIR DES PHOTOS PRISES SIMULTANÉMENT DANS DES PAYS ET DES LIEUX DIFFÉRENTS : CUISINE, SALLE DE BAIN, BUREAU, RUE, ROUTE, CAFÉ, ETC…

VOULEZ-VOUS SI POSSIBLE CONTACTER VOS AMIS POUR LEUR DEMANDER LA MÊME CHOSE ?

Bruxelles, 21 mars 1975. 17h23.

Athènes, 21 mars 1975. 17h23.

Train Bruxelles Arlon, 21 mars 1975. 17h23

Bremershaven, 21 mars 1975. 17h23.

Bruxelles 21 mars 1975, 17h23

Bierges, 21 mars 1975. 17h23.

21 mars 1975. 17h23.

Lu dans le texte d’Anaël Lejeune, Faire Voir (in Jacqueline Mesmaeker, oeuvres 1975 – 2011)

Actualité du regard

On souhaiterait à présent conclure en reformulant l’enjeu théorique dont seraient porteuses les quelques oeuvres envisagées et qui nous semble avoir émergé au terme de ce bref parcours : créer des images capables d’interpeller le spectateur afin de lui signifier que son regard est constitutif du fonctionnement du dispositif visuel que met en place l’oeuvre d’art, et ce, en thématisant les modalités et les conditions fondamentales auxquelles elles font voir quelque chose et figurant de la sorte autant de signes renvoyant réflexivement le spectateur à son propre acte de contemplation. Ces oeuvres, pourrait on résumer, fournissent le spectateur de signes performant qui actualisent son regard. Un tel enjeu, de par sa teneur théorique, confirme volontiers la dimension conceptuelle du travail de Jacqueline Mesmaeker, tendance artistique à laquelle il n’est en effet que trop raisonnable de le rattacher comme y invitent les oeuvres protocolaires telles que « 21 mars 1975 17h23 » (1975) ou « Time Table Fax » (1997). Reste qu’il conviendrait assurément de saisir comment ce travail, dont on a cherché à dégager l’un des enjeux, prend également l’énonciation même de celui-ci à contre-pied. Car si en effet, dans sa tendance dominante, l’art conceptuel repose principalement sur les deux postulats que l’idée dont est porteuse l’oeuvre d’art en constitue l’aspect le plus important au point de se caractériser d’abord par la volonté de substituer une proposition langagière à l’objet d’une expérience sensible, et que la nature de l’art elle même en constitue le sujet privilégié16, il faut voir comment l’oeuvre de Jacqueline Mesmaeker résiste à semblable disposition. C’est que le concept ou le prédicat théorique que recèlent ses oeuvres ne les précèdent pas pour ainsi dire mais, ainsi que nous avons cherché à le montrer, s’élabore aussi bien qu’il se vérifie depuis les oeuvres elles-mêmes. Celles-ci déploient donc une sorte de pensée visuelle en acte quant à leur propre nature. Aussi, si Jacqueline Mesmaeker répond à l’une des propositions qui soutiennent l’art conceptuel, il faut constater comment ses préoccupations rejoignent celles d’artistes illustres, également associés à cette tendance tels que Mel Bochner, Robert Smithson ou Douglas Huebler pour ne citer que quelques figures historiques, qui ont eux aussi, contre le postulat linguistique de ce courant, cherché à examiner réflexivement les modalités et les moyens spécifiques dont dispose l’activité plastique pour engendrer du sens selon une logique proprement visuelle. À ce compte, on pourrait tout aussi bien considérer les dernières pages d’Après lecture des Mémoires d’Outre-tombe telle une allégorie de cette position. À l’instar du portrait photographique de Lawrence Weiner – tenant d’un certain conceptualisme austère – affecté visuellement par les motifs décoratifs floraux adjacents qui contribuent ainsi à en révéler les conditions matérielles, l’oeuvre de Jacqueline Mesmaeker montre que c’est peut-être en en passant par l’expérience visuelle et sa jouissance que s’élabore au mieux la pensée théorique des pouvoirs de l’oeuvre d’art.

A voir au MAC’S Grand Hornu, jusqu’au 14  octobre