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Pol Pierart, les films

(…) A cette pratique photographique, Pol Pierart a donc ajouté celle du film. Le médium est évidemment tentant. Il a ses qualités ontologiques, celle d’être, par rapport à la photographie, une succession de photogrammes. Dans le cas du travail de Pol Pierart, c’est évidemment capital. Pierart choisira le super 8, non par nostalgie, mais bien pour l’aspect familier, voire même familial du médium, son caractère courant et sans prestige, ce grain de l’image très particulier. Les photographies sont toutes d’un même format, les films le seront aussi. Pierart choisit, la plupart du temps, des bobines de trois minutes. En amont, ces films sont écrit d’une façon très précises ; la post production est  quasi inexistante. Elle se résume le plus souvent à l’adjonction d’une bande sonore, généralement décalée, aussi légère que le sujet sera grave. Souvent, le bruit mécanique du projecteur suffit à souligner le défilement des images. A ses films, Paul Pierart donne parfois un titre ; plus généralement, ils sont seulement numérotés. Le générique est dès lors minimal, d’autant que le scénariste, le réalisateur et l’acteur ne sont qu’une et même personne. Une seule complice prête son concours pour des scénarii en duo, aussi drôles et désopilants que graves. Pol Pierart renoue avec le cinéma muet ; ses écriteaux insérés dans l’image, comme dans ses photographies, feront office de cartons. (…)

Pol Pierart, film n°12, Film super 8, numérisé sur support DVD, NB, son, 2.37, 2005

Trois films sont aujourd’hui à découvrir. Le premier cite et renoue avec l’esthétique des débuts du cinéma, de Feuillade en particulier. Son synopsis est simple : L’auteur, réalisateur et interprète se filme, marchant de dos dans un jardin. Un carton commente : « On part à la conquête de l’univers et on ne se connaît pas de dos ». Tandis qu’il a ainsi le dos tourné, une singulière Musidora, en bonnet et collants noirs s’introduit chez lui, fouille, dérobe un petit squelette en plastique qu’elle cache dans son giron, et est finalement surprise par le propriétaire des lieux. Querelle, l’homme lui arrache ce qu’elle considère déjà comme son bien ; l’œil mauvais, il secoue le petit squelette comme un prunier. « La mort est tellement dynamique, qu’elle doit bien avoir quelque chose de vivant ». Cependant, Musidora secoue, elle, un ours en peluche. Naître, donner la vie, vivre, mourir, autant de désespérances.

Pol Pierart, le malheur, le bonheur, 6 min 36, couleurs, sans son, 2001

Le deuxième, cette fois en couleurs, est un diptyque, composé de deux bobines. La première est consacrée au malheur, la seconde au bonheur. Ce sont de muets instantanés, un film cousu de petites choses décousues. Défilent ainsi les images d’un couple assis sur un banc de jardin entouré de potirons et autres cucurbitacées, d’un pèse lettre posé devant un rideau flottant au gré du vent (il est vrai que Pol Pierart pèse chaque mot, chaque lettre), d’une promenade dans un chemin creux, près d’un ancien fort, d’une chute, celle littérale du caméraman. Un singulier cagoulard, présente à la caméra une série de cartons successifs. « J’ai deux nouvelles, une bonne et une mauvaise », lit-on. « Je commence par la bonne ». « Vous allez mourir ». « La mauvaise maintenant ». « Pas tout de suite ». Deux pieds masculins cachent le centre d’une inscription tracée sur le plancher, tandis que passent deux jambes féminines gainées de nylon. Le « désir » se lit sur le plancher. Les talons de la femme sortent du champ ; les espadrilles de l’homme disparaissent du côté opposé et dévoilent le mot « désunir ». Au mur, c’est « Etre et s’empêtre » qui se conjuguent. Mais, passons au bonheur : un travelling sur des haies tracées aux cordeaux sur des pavillons qui abritent autant de bonheurs conformes offre une belle transition ; les gazons sont entretenus, les pavés rigoureusement appareillés. « Ce sont des images comme on aimerait en voir tous les jours », lit-on sur un carton accroché aux buissons. Comme, peut-être, celles de ce vent d’été glissant dans un rideau de porte, celles de ces passants promeneurs entraperçus par la fenêtre, celle de cet homme qui repeint sa clôture. C’est « le bonheur pour tout le monde », insiste le scénariste. Une allée de verdure s’étire entre deux haies. « Ce qui nous manque, ce n’est pas de jouir. Mais de bander », lit-on sur deux cartons successifs. Quant aux nains de jardins, aux boîtes aux lettres les plus kitsch que piste enfin la caméra ; ce sont des « emerdveillements ». Plan final sur le même couple assis sur le même banc de jardin. Ils ont l’air préoccupés. Non, ils ont l’air de royalement s’emmerder. Finalement, je préfère les images du « malheur ».

Pol Pierart, film n°22, Film super 8, numérisé sur support DVD, NB, son, 2.11

Le troisième débute par un travelling sur un long carton manuscrit : on y lit « tête haute, profil bas ». Le ton est grave tandis que surgissent dans le prolongement du carton, l’image de deux tours jumelles. L’auteur réalisateur et toujours interprète a d’autres préoccupations. Dans l’atelier (A te lier), il déplace de gauche à droite et de droite à gauche de grands cartons dont l’encombrement est inversement proportionnel à l’étroitesse de la pièce. Leurs textes témoignent de nos ronchonnades journalières, cœur des lamentations quotidiennes : « c’est pas une vie », « trop c’est trop », « ras le bol de tout », « il pleut encore » (en fait, il neige), « vie de chien ». Chaque plan est entrecoupé de très courtes séquences de promenade en extérieur. Par la fenêtre, on voit défiler quelques voitures : elles évoquent les « heures de pointe ». Non, les « heurts de pointe ». Dernière sortie en extérieur, où l’on découvre un panneau d’interdiction frappé d’une tête de mort et du mot « Halte » que Pol Pierart a détourné en toute « Hâte », ou « Hate », pour les anglophones. « Demain sera pire », carton final. Depuis l’image des tours jumelles, le fond sonore est léger et jazzy.

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