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Jacques Charlier, The Ever Changing Body, Museum cultuur Strombeek Gent, CC Strombeek

changing body

Jacques Charlier participe à l’exposition « The Ever Changing Body », organisée au Centre Culturel de Strombeek, premier volet d’une trilogie produite dans le cycle Museum Cultuur Strombeek-Gent (commissaire Luk Lambrecht). Jacques Charlier est artiste en résidence, ses oeuvres seront présentes dans les trois expositions prévues.

Over de veranderingen in de artistieke representatie van de mens en het mensbeeld vanaf de jaren vijftig tot nu.
In dit eerste deel is sterk werk te zien van o.a. Karel Appel, Asger Jorn, Martial Raysse, Chuck Close, Andy Warhol, Jonas Mekas, Panamarenko en andere, bij het grote publiek minder bekende kunstenaars zoals Jacques Verduyn en Valerio Adami die aantonen hoe de beeldende kunst zich langzaam onttrok aan het naoorlogse trauma. De befaamde Nederlandse kunstenaar Mark Manders maakt voor dit deel een nieuwe, zielsaangrijpende sculptuur en Jacques Charlier toont, als residerend kunstenaar in de drie delen van The Ever Changing Body, zijn vroege reeks “vernissagefoto’s”.

Jacques charlier vernissages, 1974-75

En 1974, Jacques Charlier, qui pratique toujours la photographie professionnelle au sein du Service Technique Provincial qui l’emploie comme dessinateur expéditionnaire (entendez par là l’ensemble des activités de l’artiste, consistant à retirer de leur contexte une série de documents professionnels afin de les introduire dans le système de l’art) retourne l’objectif photographique sur les acteurs de ce monde de l’art lui-même. À divers photographes qui collaboreront au projet (Nicole Forsbach, Philippe de Gobert et Yves Gevaert), il demande de fixer sur la pellicule une série de vernissages, considérés pour les raisons les plus diverses comme « incontournables » par les amateurs, et plus précisément de photographier avec distance, sans exaltation dirions-nous, le public de ces rendez-vous. Charlier décide de prendre le public de l’art pour motif. Il ne s’agit pas de photographier les œuvres. Ce n’est pas plus le photoreportage mondain qui mobilise l’artiste. Et celui-ci s’explique sur ses motivations : « En 1975, l’art que je fréquentais se refermait de plus en plus sur lui-même. Le même petit monde qui s’y intéressait se déplaçait au fil des vernissages. Comme il n’y avait presque rien sur les murs, cela devenait le rite à l’état pur. On m’avait beaucoup reproché d’exposer des photos de fêtes et d’excursions se déroulant dans le contexte du STP. Je ne proposais nullement ces documents par exotisme, mais on me reprochait agressivement d’exhiber l’aliénation… Ce qui m’animait c’était plutôt d’entrer en conflit ouvert avec le scoutisme poético photographique et le reportage dit socio. Je continuais à me poser le problème de l’indice sociologique de l’objet et de ses retombées, l’implication de celui qui montre, de ceux qu’il montre, de ceux à qui cela est montré. Dans le cas du STP, tout était vraiment insoluble, rien n’était légal, justifiable, légitime Tout se court-circuitait. C’est ce côté impossible qui me fascinait… Rien n’était neutre… Cette complication rendait le produit tout à fait indéfendable sur le plan du marché. Une sorte de « no man’s land » inextricable. En réponse à certains arguments, j’ai décidé de retourner le contexte artistique sur lui-même. »

Charlier a donc durant un an multiplié les planches, neuf clichés noir et blanc par neuf, les composant avec un perpétuel souci de relever les indices sociologiques. Il a couru les grands-messes, la troisième triennale de Bruges, le Köln Projekt, les foires également, celle de Knokke, le Kunstmarkt de Köln très d’avant-garde, IKI à Dusseldörf bien plus bazar de l’art. Il a rejoint le Stedelelijk museum d’Amsterdam pour un vernissage de Sol Lewitt, rallié à diverses reprises le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles où exposent Marcel Broodthaers, Hanne Darboven, Klapeck. Il s’est même immiscé dans les fêtes plus privées, celle donnée en l’honneur de l’infatigable Karl Geirlandt au musée de Gand, une soirée entre amis chez les collectionneurs bruxellois Nicole et Herman Daled. En 1975, un an après la mise en place de cette stratégie de situation, il est invité par Yves Gevaert à lui-même exposer au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Il y propose ces/ses photographies. « L’activité d’On Kawara est entièrement centrée sur sa vie, dit-il… L’heure à laquelle il se lève… Les gens qu’il rencontre… La date du jour… Bref un programme serré à vous foutre la migraine (rires), une aubaine pour la régie des postes télégraphes (rires)… La conception du cadrage de mes photographies de vernissage était inspirée de la photo-rapport de Bertrand, le photographe du STP… Le plan moyen et prendre l’ensemble de la situation… Le déploiement le plus complet de l’envers du tableau, de ce qui se trouve en face de lui… Exactement le contraire de l’oeuvre centrée sur l’artiste et aussi l’opposé de la photo de vernissage habituelle où l’on restitue la perspective morale inhérente à l’exposition… L’artiste, les organisateurs, les personnalités connues en gros plan, à l’arrière le public… la figuration… Le vernissage des photos de l’ensemble de ces photos a eu lieu à la fin de l’exposition et a coïncidé avec la parution du catalogue rassemblant les photos des gens occupés à se reconnaître sur les photos… l’expérience aurait pu continuer et devenir une mise en abîme ».

Jacques Charlier avait déjà joué sur cet effet de miroir, confrontant le public des expositions à lui-même, mais sur un autre mode : avec le groupe Total, lors d’un vernissage de l’APIAW à Liège, fin des années 60, il introduit dans l’espace d’exposition un grand miroir sur lequel est écrit « Tableau Total » . Le public confronté au tain du miroir devient ainsi également motif de l’exposition. Est-ce le même effet de miroir qui agit dans le cas des photographies de vernissage ? « Non, un miroir ne capte pas le temps, répond Charlier… Le rite de la photo c’est celui de la nostalgie… Du souvenir… Avec le temps l’intérêt pour le public va croissant pour ces photos, tout le monde s’y retrouve… On compte progressivement les absents… Un «work in progress» comme disent tous ceux qui voudraient en dire quelque chose… ». C’est là un des intérêts de cette œuvre. « Le document offre le privilège de donner rétrospectivement du sens aux choses – cela vaut également pour le monde de l’art, écrit Shawn McBride à propos des photographies de Benjamin Katz, qui développa durant un demi-siècle par le biais de ses photographies une vision panoptique du monde de l’art et de ses protagonistes. Et bien des artistes n’ont pas eu le loisir sur le moment d’en mesurer toute la portée. On peut ressentir combien les choses progressent avec une cruelle rapidité quand on les observe dans leur déroulement. Mais est-ce bien de cette manière que les événements s’imbriquent? L’expérience réelle ne permettait certainement pas d’avoir une vue d’ensemble, comme nous la percevons avec le recul. Cette expérience a eu lieu dans le flux du moment -et pas nécessairement dans ce matériau restant qu’est l’oeuvre d’art. Souvent la photographie transmet plus que son essence ». De fait, avec le recul, les photographies de vernissages de Jacques Charlier sont devenues un exceptionnel fonds d’archives sur cette très courte période de l’histoire de l’art. Au fil des clichés, on reconnaît en effet un impressionnant nombre de « personnalités », d’acteurs de cette corporation artistique. Des artistes, des directeurs de musée, des collectionneurs, des galeristes, des critiques, bref ce petit monde, cette famille, que d’aucuns considèrent, avec un regard critique, comme quasi incestueuse et infatuée, que d’autres évoqueront avec un attachement nostalgique, heureux d’en avoir été ou regrettant de ne pas avoir cotoyé les Konrad Fischer, James Lee Beayers, Marcel Broodthaers, Anton Herbert, Daniel Buren, Benjamin Buchloh, Isi Fiszman, Giancarlol Politi, Catherine Millet, John Gibson, Dan Graham, Llona Sonnabend et tant d’autres. L’analyse de ces photographies est évidemment riche d’enseignements les plus divers quant à ce monde de l’art, quant aux rites de celui-ci, ces vernissages parfaitement codifiés, ce cérémonial singulier où le public se vernit puisqu’on ne vernit plus les tableaux en public. Le rituel consiste à recevoir puisqu’il s’agit d’une réception, mais que reçoit-on en fait ? Se reçoit-on les uns les autres ? Recevons nous les œuvres ? C’est sans aucun doute là que réside toute l’actualité de cette œuvre de Charlier. Elle questionne radicalement l’objet d’art lui-même, c’est assurément sa première nécessité. Devant les dernières photos de vernissages, celles de 1975, là où l’on voit le public regardant les photographies de vernissages, on s’interroge évidemment sur les regards interrogatifs. Interroge-t-il l’œuvre ? S’interroge-t-il sur lui-même ? S’interroge-il sur sa propre présence ? L’oeuvre fonde, de plus, ce que l’on comprend aujourd’hui du tour sociologique qu’a pris la création au fil du temps, elle interroge le foyer même de ce champ artistique, elle est une méthode de penser sa réception, ses artifices, sa réalité. Elle continue encore aujourd’hui à renvoyer le regardeur à lui-même. Edouard Manet ne déclarait-il pas : « Le Salon est un vrai terrain de lutte. C’est là qu’il faut se mesurer » ? Cela aussi reste d’actualité.

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