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Marie Zolamian, Sans titre, Flémalle, 2014

Marie Zolamian

Il est probable que l’homme commença à désigner des quantités avec ses doigts, avant de penser à les consigner quelque part. Et l’on s’accorde aujourd’hui sur le fait que, dès le paléolithique, la gravure d’encoches sur des os d’animaux ou sur la pierre, pourrait bien être un premier moyen de comptage, comme lorsqu’on compte sur ses doigts les jours qui passent, les mois lunaires, les proies capturées. C’est là une première théorie des nombres et des unités, une arithmétique élémentaire. Il est tout aussi certain qu’à l’usage, l’homme se rendit compte qu’aligner de nombreux traits entraine un risque grandissant d’erreurs. Notre capacité visuelle est limitée : au-delà de quatre traits, tout se brouille. Notre cortex frontal compte de un à quatre, directement. Lorsque les quantités considérées sont plus importantes, c’est une autre zone de notre cerveau, plus profonde, qui prend le relais. On s’attachera dès lors à estimer le résultat et non à compter directement. La solution sera dès lors d’éviter d’aligner plus de quatre traits successifs : le nombre cinq devient quatre entailles traversées par une barre, puis un trait barré, enfin un V.

Le graphe de cette idée simple, si simple qu’elle nous paraît désormais intemporelle, a très vite surgi dans l’esprit de Marie Zolamian, invitée à intervenir au Fort de Flémalle dans le cadre des Commémorations du centenaire de la grande guerre.  L’enjeu est une commande publique pérenne ; celle-ci subsistera au delà des manifestations qui placent, en ces premiers jours du mois d’août 2014, les douze forts qui ceinturent Liège sous les feux d’une actualité du souvenir collectif. Marie Zolamian a choisit de concentrer son intervention sur la tour d’aération du fort, construite lors de la modernisation du fort durant l’entre-deux-guerres. Cette tour d’air, quelque peu excentrée par rapport au massif du fort, vigie visible à plusieurs kilomètres à la ronde, marquée par les vicissitudes du temps, ponctue le paysage flémallois. Marie Zolamian a proposé d’y graver, de la base la tour à sa coupole, une myriade de ce graphe universel, quatre entailles traversées par une barre. C’est là une théorie du nombre, du nombre de vivants et de morts comptés à l’unité, des morts lors de l’assaut des forts de Liège, de la Grande guerre, de toutes les guerres. Toutes les guerres ont leur comptabilité, celle de l’horreur, de la douleur, de l’absurde, de la destruction, de la reconstruction dès lors que tous les comptes sont faits. Ces graphes sont traces mémorielles. Leur dessin en appelle à la transcription, à la transmission. Ils sont aussi autant de sutures qui cicatrisent la tour. Par dessus tout, chacune de ces encoches gravées, est signe de l’intelligence, d’une capacité à créer et à raisonner, dès lors d’espoirs renouvelés. Sobre, économe, efficace, l’intervention de Marie Zolamian touche ainsi à l’universel, à l’émergence d’une pensée créatrice.

Le centenaire de la reddition du fort de Flémalle sera célébré ce samedi 16 août.

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