Archives mensuelles : octobre 2016

Agenda Novembre 2016

Jacques Charlier
– Liège (B), Photos Sketches et Hard’Music, galerie Nadja Vilenne, du 10 novembre au 11 décembre 2016
– Charleroi (B), Panorama, BPS22, du 24 septembre au 22 janvier 2016
– Antwerpen (B), De Broodthaers à Braeckman – La photographie dans les arts plastiques en Belgique, Muhka, du 6 octobre 2016 au 5 février 2017
– Paris (F), Images et mots depuis Magritte, Centre wallonie Bruxelles, Paris, 12 octobre – 29 janvier 2017

Olivier Foulon
– Rotterdam (Nl), Cafard, Olivier Foulon & Alexander Lieck, RIB, 18 septembre – 30 décembre 2016

Eleni Kamma
– Leipzig (D), Terra Mediterranea in action, Halle 14, 17 septembre – 20 novembre 2016

Suchan Kinoshita
– Dusseldorf (D), Behind the curtain. Concealment and Revelation since the Renaissance. From Titian to Christo, Museum Kunstpalats, du 29 septembre au 22 janvier 2017.

Jacques Lizène
– Liège (B), Homomigratus, comprendre les migrations humaines, Musée de la vie wallonne, du 30 avril au 11 décembre 2016
– Charleroi (B), Panorama, BPS22, du 24 septembre au 22 janvier 2016
– Ivry/Seine (F), Le territoire à l’oeuvre, galerie Fernand Léger, 23 septembre – 18 décembre 2016
– Antwerpen (B), De Broodthaers à Braeckman – La photographie dans les arts plastiques en Belgique, Muhka, du 6 octobre 2016 au 5 février 2017
– Hornu (B), Rebel Rebel, art contemporain et rock, MAC’S, musée des arts contemporains, du 23 octobre au 27 janvier 2017
– Hasselt (B), Identity as a TM, Stadstriënnale Hasselt-Genk, du 1er octobre au 8 janvier 2017
– Paris (F), Images et mots depuis Magritte, Centre wallonie Bruxelles, Paris, 12 octobre – 29 janvier 2017
– Athens (Gr), Urgent Conversations, Athens – Antwerp, EMST, 31 octobre – 29 janvier 2017
– Flémalle (B), Cela a existé, peut-être, Centre d’art contemporain La Châtaigneraie, 28 octobre – 9 décembre 2016

Emilio Lopez-Menchero
– Charleroi (B), Panorama, BPS22, du 24 septembre au 22 janvier 2016
– Hasselt (B), Identity as a TM, Stadstriënnale Hasselt-Genk, du 1er octobre au 8 janvier 2017
– Borgerhout (B), Bosphorus, L’Edition populaire, jusqu’au 18 décembre 2016

Jacqueline Mesmaeker
– Paris (F), Images et mots depuis Magritte, Centre wallonie Bruxelles, Paris, 12 octobre – 29 janvier 2017

Pol Pierart
– Charleroi (B), Panorama, BPS22, du 24 septembre au 22 janvier 2016
– Paris (F), Images et mots depuis Magritte, Centre wallonie Bruxelles, Paris, 12 octobre – 29 janvier 2017

Eran Schaerf
– Montréal (Qb), La répétition mise à l’épreuve, VOX, du 1er septembre au 26 novembre 2016

Walter Swennen
– Bruxelles (B), Hic Haec Hoc, galerie Xavier Hufkens, du 28 octobre au 17 décembre 2016

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Jacques Lizène, Documents rapportés…, M hka Antwerpen

Jacques Lizène

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Jacques Lizène, « Documents rapportés d’un voyage au coeur de la civilisation banlieue (Ougrée, banlieue industrielle liégeoise), par un petit maître liégeois, pauvre pitre en art, artiste de la médiocrité, représentant de la banlieue de l’art » (1973, Liège). Accompagné de : « Modèle contraignant son corps à s’inscrire dans les limites du cadre pour réaliser une tentative de reconstitution de portrait de l’indigène de la civilisation banlieue » (Collection Muhka Antwerpen)

Banlieue (banlieue de l’art, art de banlieue). Jacques Lizène est né à Ougrée, une banlieue industrielle de Liège, en 1946. En 1974, il se déclare de la banlieue de l’art. Être de la banlieue de l’art, c’est incontestablement adhérer à cette « Révolte des Médiocres » menée en 1967 par Robert Fillliou, révolte d’artistes médiocres mais, entendons bien, fort avertis, refusant « d’être culturellement colonisés par une race autodésignée de spécialistes de la peinture, de la sculpture, de la poésie, de la musique », et qui affirment haut et fort la possibilité d’autres voies créatrices, par contredit radical, fût-ce au risque de l’infamie. Être de l’art de banlieue, c’est aussi plonger dans cette banalité, cette désespérance du monde dont témoigne le Petit Maître. Un an auparavant, en 1973, Lizène réalise avec Guy Jungblut une séquence photographique intitulée Banalité Banlieue. Lizène est en repérage au cœur même de ce faubourg industriel où il est né pour un film qu’il réalisera deux ans plus tard, film dont l’original est perdu et dont il n’existe pas de copie. Dans cette suite de photographies, on retrouve les longs murs aveugles d’Ougrée, les usines et les ateliers, des Vespas et des 50cc pétaradantes, des maisons ouvrières, la devanture d’un marchand de guitares électriques, l’école de mécanique, l’entrée de la clinique, le café des Sports, la buvette, le Cockerill, les grilles du cinéma Le Splendid et le Sarma, bref des fragments de paysages d’une banlieue industrielle. Des photographies sans vie, qui agissent comme un décor, celui de la « Civilisation Banlieue », un décor dont on subodore l’envers. Cet « envers du décor », Lizène l’évoque en marge d’autres photographies, images arrêtées du Regard au bas des murs (1971), un film parfaitement déprimant où la camera déambule, au ras du sol, dans un espace urbain et enregistre le bas des murs, les caniveaux et soupiraux, le pavé suintant la crasse. Chacune de ces photos est annotée et sur l’une d’elles, on lit : « Derrière n’importe lequel des détails du paysage urbain, il y a la présence de la fatigue d’un ou de plusieurs individus. Et pour certains d’entre eux (peut-être) une certaine misère sexuelle à vivre… » Clichés en noir et blanc, film, textes, les travaux se suivent et se répondent : Lizène campe en effet un personnage fictif et l’envers du décor. Il nous narre « l’histoire de la misère de Marc W… Apprenti d’usine à Ougrée », au fil de ces photographies rehaussées au cirage, ce qui leur confère le ton sépia de l’archive et une sorte de saleté indéfinie. Pour une exposition à l’ICC à Anvers, Lizène compose ses photographies, il les place en bordure d’un drap de lit tendu sur le mur. Pas fort net le drap de lit, grisâtre, orné de quelques poils pubiens et de larges taches de sperme. Des textes sur feuillets, tapés sur une Remington portative, complètent l’œuvre et la documentent : il s’agit bien là d’un voyage anthropologique au cœur de la civilisation banlieue, de son décor, et de traces de masturbation solitaire. L’œuvre, considérée comme sexuellement incorrecte, subira les foudres de la censure, elle sera recomposée, avec une tentative de sourire du Petit Maître, des tentatives sonores de rire et une photo de la série « Contraindre le corps à s’inscrire dans le cadre de la photo » que Lizène introduit comme portrait d’une indigène de la civilisation banlieue, une indigène contrainte par la banlieue elle-même. Le sexe et la multitude (1966), la foule des anonymes portraits AGCT (1971), les films réalisés en milieu urbain, la vie camp de travail, plus tard dès 1977 les murs de briques peints à la matière fécale : Lizène révèle un univers déprimant dans sa banalité, sans aucune perspective, un monde harassé, cachant bien mal ses misères solitaires et quotidiennes. Il s’en extrait par ses tentatives de rire ou de sourire, par des pirouettes et pitreries telle cette œuvre de 1976, une suite de collages, un sondage à la porte d’une usine d’Ougrée. Aux ouvriers et employés qui sortent de l’usine, il compte poser la question : « êtes-vous pour le sacrifice et la contrainte contre la jouissance ? ». Lizène accumule les photos de camions, de voitures, d’ouvriers solitaires qui quittent les ateliers et les commente : « Sans réponse, trop vite, trop loin, ne parle pas français… » « Sans réponse, évidemment on n’a pas pu poser la question et de toute façon, on ne l’aurait pas posée, cette question. On n’allait pas les limer plus encore avec nos sondages à la sot. » Cette revendication lizénienne d’être de la banlieue de l’art trouvera un prolongement par la création du Cirque Divers, d’une certaine gaieté, fondé à Liège en janvier 1977 et dont il est l’un des membres fondateurs. Le Cirque sera « un entonnoir-couloir où les rencontres se souderont en une goutte, une scène où les gestes quotidiens seront théâtralisés, une piste où les clowns se tordront entre le Rire et la Mort, un miroir où se reflétera notre monde dans sa béatitude (bête attitude). » Se revendiquant comme « dernière représentation de l’Art Banlieue, unique et inique », animé par Michel Antaki, « Jardinier du Paradoxe et du Mensonge universels », ce lieu incarnera incontestablement ce radical contredit énoncé par Robert Filliou. (JMB)

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Jacques Lizène, Travaux sur le cadre et contraindre le corps, M hka, Antwerpen

Jacques Lizène

Jacques Lizène

Jacques Lizène

Jacques Lizène
Personnage photographié regardant le spectateur d’une photo. Personnage photographié essayant de se dérober au regard d’un spectateur d’une photo, 1971
Collection privée

Jacques Lizène

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Jacques Lizène
Contraindre le corps à s’inscrire dans le cadre, 1971
7 diapositives produites par Yellow Now

Jacques Lizène

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Contraindre le corps à s’inscrire dans le cadre de la photo, 1971.
Suite de 30 photos NB, tirages argentiques, 76 x 89 cm

Lu dans : Liesbeth DECAN, Conceptuel surréaliste pictural. Photo-Bases Art in Belgium (1960s-early 1990s), Leuven University Press, 2016

(…) Right after the Specific Art exhibition, Lizene created a group of photographic works in which he executes certain actions underlining his distinct medium-specific approach. The pictures are all inextricably bound up with their titles, which describe the absurd performances represented in the pictures. The picture frame is the photographic feature Lizene focused on most in these works. For instance, Forcing the Body to Fit Inside the Photo Frame [Contraindre le corps a s’inscrire dans le cadre de la photo] (1971) shows a mosaic of thirty self-portraits that gradually picture the change from a standing to a kneeling position. (fig. II.9) In each image, the camera zoomed closer and closer to the subject, forcing him to bend down increasingly until he appears totally contained by the framing of the camera. Visual links between this work and examples from the international art scene can be found in Sol Le Witt’s Schematic Drawingfor Muybridge II (1964). Le Witt presents a sequence of images that requires the viewers to move their body in response to the work. An early photo series by Robert Rauschenberg, entitled Cy +Roman Steps (1952), shows the legs and finally the torso of his friend, the American painter Cy Twombly, approaching the camera frame-by-frame. All three of these works document the idea of temporality through an incremental sequence of body movements-made either by the subject or the viewer. (Osborne, 2002: 56) Apart from the fact that Lizene does the performance himself, there is another striking difference between Lizene’s works and those by LeWitt and Rauschenberg: by cutting off the face of the individual, Le Witt and Rauschenberg do not allow the insertion of emotion or expression. This lack of emotion or expression as well as the suppression of authorial subjectivity, are characteristics often found in Conceptual art. By contrast, in the case of Lizene, who looks and smiles at the camera, the work operates as a type of self-interrogation, through which the artist puts his action into perspective.

Other, related works from 1971 include: Minor Master from Liege Having Attached His Tie to the Photo Frame [Petit Maltre liegeois ayant accroche sa cravate au cadre de la photo] (fig. II.10), showing a full portrait of theartist whose tie indeed seems to be attached to the right upper corner of the photograph; Minor Master from Liege Entering the Frame of a Photo [Petit Maitre liegeois s’introduisant dans le cadre d’une photo], in which the artist pops up in the right part of the picture merely showing the upper part of his body; Minor Master from Liege Joyously Entering the Frame of a Photo [Petit Maitre liegeois s’introduisant joyeusement dans le cadre d’une photo], which consists of a sequence of two photographs showing the artist entering the frame of the picture while smiling; and Minor Master from Liege Hesitating Before Entering the Frame of One Photo or the Other [Petit Maître liegeois hésitant à entrer dans le cadre de l’une ou de l’autre photo], which includes two photographs, the frames of which cut the portrait of the artist in half. Two last examples within this group even more explicitly make clear Lizene’s interest in a medium-specific inquiry: Specific Photographic Art: A Walk Around the Frame [Art specifique photographique. Promenade autour du cadre] and Specific Photographic Art: Figure in the Corner of the Photo [Art specifique photographique. Personnage s’inscrivant dans le coin de la photo]. The former is composed of cut frames from a roll of color film, arranged in a rectangular shape so that the figure in the images walks around ; rectangular. The latter is a slide, which shows Lizene sitting indeed in the corner of the photographic image.

The performance aspect – typically executed by the artist himself-links this group of works to the « Conceptual canon, » more precisely, to « California Conceptual art » with Bruce Nauman as a key figure. According to Jeff Wall in his essay « Marks of Indifference, » mentioned above, the performative qualities of Nauman’s work « brought photography into a new relationship with the problematic of the staged, or posed, picture. » (Wall, 1995: 253) Furthermore, Wall described Nauman’s performances as a manifestation of the « subjectivization of reportage » within the realm of Photoconceptualism. (ibid.) In his view, Nauman’s studio photographs, such as Failing to Levitate in the Studio (1966) or Self Portrait as a Fountain (1966-67/70), changed the terms of classical, studio photography into a mode that was no longer isolated from reportage. Nauman realized this by working within the experimental framework of performance art, executing « a self-conscious, self-centered ‘play. »‘ (Wall, 1995: 254) Wall also added that it is as if Nauman’s color photographs go back to « the early ‘gags’ and jokes, to Man Ray and Moholy-Nagy, to the birthplace of effects used for their own sake. » (Wall, 1995: 254)

Building on Wall’s analysis and further investigating Nauman’s early photographs, John Roberts concluded that « to enact something as an event for the camera, something as banal as spitting out a fountain of water, is not merely to produce a photograph of a ‘performance’ but to opt for the possibility that photography might have established a very different relationship to the ‘real’ than conventionally supposed. » (Roberts, 1997: 27) « They disrupt, » he continued, « in casual, humorous and at times inane ways, the privilege given to certain high-serious identities in art and photography, in particular the idea of the anonymous author in Modernism (as a rejection of the bad-form of self-description and autobiography) and the idea of the photographer as objective witness. » (Roberts, 1997: 27-28)

Although Lizene’s photographs were not made in the st udio (but certainly could have been), his work corresponds to these analyses. Lizene is also the subject of a « self-centered play » that uses the strategies of reportage photography in a humorous, inane way. And his works certainly recall the « gags and jokes » of early staged photography. In addition, the use of titles by Nauman also bears resemblance to Lizene’s. Compare, for example, Nauman’s Playing A Note on the Violin While I Walk Around the Studio, a video from 1967-1968, with Lizene’s Minor Master from Liege Entering the Frame of a Photo: in both cases a « banal » action, seen in the image, is tautologically explained in the title. However, Lizene’s approaches are even more enlarged than in the case of Nauman, since the banality and foolishness of Lizene’s scenes is reduced to new levels. Compared to the Conceptual canon, Lizene much more explicitly uses actions in order to put himself into perspective, thereby rendering his work with a distinctly absurd, humoristic undertone. As a matter of fact, Lizene remarked « [that] on August 28, 1990, he realized he was one of the inventors of the ‘comic Conceptualism’ of the early 1970s. » (Lizene, 1990: 43)

Other « inventors of comic Conceptualism » might be the American artist William Wegman and the Dutch artists Bas Jan Ader and Ger Van Elk, whose performative works from the early 1970s are sometimes very similar to Lizene’s . For example, Wegman’s Reading Two Books (1971)-in which the artist is cross-eyed, as it were, in order to read two books at the same time-recalls Lizene’s recordings of absurd activities such as « putting his nose against the surface of the photograph. » Van Elk’s photo works in which he represents the word « OK » -such as the Co-Founder of the Word O.K – Marken (No. 5) (1971)-are related to Lizene’s visual plays with the picture frame. (fig. Il. l 0) To conclude, Ader’s photographs of his « falls »-such as Broken Fall (Geometric), Westkapelle, Holland (1971), by means of which he challenges the ideal of the heroic master-aligns with Lizene’s self-mocking attitude. (Goldstein & Rorimer, 1995: 46-47)

Just like Bruce Nauman, around 1970 Wegman, Ader, and Van Elk were all working in and around Los Angeles. Therefore, their work was recently categorized as California Conceptualism, with the use of the body as a material as one of its defining characteristics. (Lewallen, 2012: 78) However, the resemblance between Lizene’s work and that of Wegman, Ader, or Van Elk is rather based on coincidence, since Lizene states he never met one of these artists nor knew their work at that time. (J. Lizene, Interview, Liege, July 14, 2014) More direct artistic links are likely to be found in Brussels Surrealism on the one hand, and the Fluxus movement on the other.

Due to the absurd, humoristic character, some of Lizene’s strategies are perfectly in line with, for example, those of Paul Nouge in his Subversion of Images [Subversion des Images] (1929-30) or Rene Magritte in his amateur snapshots, some of which served as models for his paintings. As a matter of fact, the strategy of staging, of constructing an image in a theatrical, well-reasoned way, is one of the key concepts of Nouge and the Brussels Surrealists. Nouge’s photo series Subversion of Images consists of nineteen precisely composed still lifes and tableaux vivants, in which some of Nouge’s Surrealist comrades appear as performers in an absurd act. The work remained « hidden » until 1968, the year after Nouge’s death, when Marcel Marien collected and published the images in Les Levres nues under the generic title Subversion of Images. (Meuris, 1993: 297; De Naeyer, 1995: 9; Canonne, 2007: 27) In fact, this photo series is a visualization of Nouge’s theory of the « disturbing object » (objet bouleversant), which he developed in connection with the paintings of Rene Magritte. (Nouge, 1956: 239-241) According to Nouge, one of the strategies that rendered the subversive quality of Magritte’s works was the deliberate decontextualization or isolation of daily objects. After isolating the object, it could be transformed by a modification of the object itself, a change of scale of the object, or a change of decor. (Nouge, 1956: 240)

Connected with the visual strategies that are linked with the theory of the « disturbing object » and demonstrated in Subversion of Im ages, is the method of staging. Contrary to the idea of « automatic writing » (ecriture automatique) propagated by the French Surrealists, the Brussels Surrealists supported the idea of the well-reasoned, constructed image. Concerning the creation of photographic images, they would rather stage the images, including (themselves as) actors and « disturbing objects, » than hunt for « found objects » (objets trouves) in the streets. (De Naeyer, 1995: 21) When the Minor Master from Liege created his staged photo series in 1971, Nouge’s Subversion of Images had only been published three years earlier. However, Lizene claims he did not know Nouge’s work at that time. Nevertheless, he does acknowledge his interest in Magritte and his « manipulation of the image » (J. Lizene, Interview, Liege, July 14, 2014).

Also within Fluxus the staging of events was a key activity. Dedicated to the dissolution of the dichotomy between art and life, Fluxus performances often included very banal actions taken from daily life experience. They were characterized by simplicity, playfulness, the acceptance of chance, specificity, presence in time (ephemerality), and musicality (the idea that a work is conceived as a score, which can be executed by an artist other than the creator)-all of these being core concepts of Fluxus. (Friedman, 1989/1998: 247-251) Lizene’s « performed photo works »-Minor Master from Liege Having Attached His Tie to the Photo Frame, Minor Master from Liege Entering the Frame of a Photo; etc.-actually match most of these characteristics. What differs, however, is Lizene’s use of photography to capture the event in a very specific moment, which totally determines the content of the work and responds to the medium specificity of photography, which is, for example, defined by a frame.

The Fluxus artist with whom Lizene shows most affinity is undoubtedly Ben Vautier, who, residing in Nice, was appointed by George Maciunas as the director of »Fluxus South. » (Smith, 1998: 11) The Fluxus art movement, noted for the blending of different artistic disciplines and the use of unconventional media, was founded in Germany in 1962 by American artist George Maciunas, and its members included Joseph Beuys, John Cage, Yves Klein, and Ben Vautier. Lizene shows some affinities with this last member, especially. Not only do he and Ben share an admiration for Dadaïsm, Duchamp, and Cage; both their works are also permeated with irony and self-mockery. In the case of Ben, this is expressed in a constant alternation of claiming to be the world’s greatest genius and undermining his own claims. « I want to be the greatest in not being great, » and « I want to neutralize my ego in order to affirm my ego, » as he stated in an interview with Ermeline Lebeer in 1973. [my translations] (Lebeer 1997: 145) His well-known text-based paintings include inscriptions like, for example, « Art is useless/go home » [Lart est inutile/rentrez chez vous] or « I discovered something new in art, but I will not tell you about it; it is a secret. » Ben and Lizene actually met in 1971 through gallery owner Daniel Templon in Paris but had already been corresponding with each other since 1969. In that year, Guy Jungblut had sent Ben an invitation to Lizene’s exhibition at gallery Yellow Now on which a quotation after Marcel Duchmap was written: « We have to abolish the idea of judgment. » [my translation] Ben had responded to this by adding « I don’t walk to that which makes the others run, » marking the beginning of an exchange of letters between the artists. [my translation] (Gielen, 2003: 42) (…)

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Jacques Lizène, Rebel Rebel, Mac’s Grand Hornu, les images

Jacques Lizène

Jacques Lizène, 2005
Sculpture nulle, guitare pioche 1979, en remake 2005, avec vidéo : « Remake d’après deux, projets vidéos de 1971 et une chanson médiocre de 1980 », 1984, couleurs, son, 3’46, avec Myriam Zakdam. Production Canal Emploi, WIP, Igloo Edition, Radio Titanic et RTBF. (photo Phlippe De Gobert)

Jacques Lizène

Vue d’exposition

Jacques Lizène

Vue d’exposition

Jacques Lizène

Jacques Lizène

« Remake d’après deux, projets vidéos de 1971 et une chanson médiocre de 1980 », photographies de plateau, 1984

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Jacques Charlier, Paysage artistique, 1970, M hka Antwerpen

Jacques Charlier

Jacques Charlier

Jacques Charlier
Paysage artistique 1970
Collection privée

« Paysage artistique » est l’art de prendre les choses au pied de la lettre et au pied de l’arbre. En 1970, avec la collaboration de Francis De Bruyne, Jacques Charlier peint un arbre au latex (avec toutefois l’aide d’un compresseur) quinze jours avant le début de l’automne. Le travail est à mettre en relation avec son « Paysage urbain familial et utilitaire » (début des travaux en juillet 69), ainsi qu’avec son « Paysage culturel ». Tous s’inscrivent dans une démarche initiée par les « Paysages professionnels ».

Jacques Charlier

Jacques Charlier

Jacques Charlier

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Emilio Lopez Menchero, Bosphorus à L’Edition Populaire, Borgerhout

Emilio Lopez-Menchero est l’invité de la galerie-vitrine L’Edition Populaire initiée par l’artiste Philip Aguirre et son épouse à Borgerhout, dans la région anversoise.
Vernissage ce 23 octobre 2016 de 15 à 18h. Exposition jusqu’au 18 décembre

L'édition populaire

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Jacques Lizène, Rebel Rebel, Art + rock, au Mac’s, musée des arts contemporains au Grand Hornu

Jacques Lizène

Jacques Lizène participe à l’exposition REBEL REBEL art + rock au Mac’s Grand Hornu. Commissariat : Denis Gielen.

Du 23 octobre 2016 au 22 janvier 2017, le MAC’s présente REBEL REBEL art + rock, une exposition inédite consacrée à la culture rock et ses liens avec l’art contemporain. Les utopies, contestations, marginalités, looks et autres attitudes singulières qui caractérisent la musique rock ont inspiré en e et nombre d’artistes plasticiens depuis les sixties. Denis Gielen, directeur du MAC’s, invite le public à redécouvrir la culture rock à travers le prisme d’œuvres (vidéos, photos, installations, dessins, peintures, etc.) qui en détournent les codes, les modes et les références. Réunissant les œuvres de près de 30 artistes belges ou étrangers, l’exposition propose un regard sur le rock, tantôt immersif (installation vidéo) tantôt distancié (documents d’archives), qui oscille entre énergie destroy et humour désinvolte. À épingler, la présence d’une installation rare du grand artiste américain Dennis Oppenheim, qui n’a plus été montrée depuis sa création en 1974 et que le MAC’s, en collaboration avec la Fondation basée à New York, a exhumée des oubliettes. Pour les amateurs de distorsions et de bidouillages électriques, un concert-performance noise de Joris Van de Moortel, jeune artiste anversois, aura lieu au MAC’s le soir du vernissage. Publié aux Éditions Fonds Mercator, un livre abondamment illustré et organisé suivant trois modes importantes de l’histoire du rock (le folk, le glam et le punk) est également édité à cette occasion.

Depuis les années 1960, le rock fait partie, avec d’autres cultures populaires comme la S.F., des nouvelles sources d’inspiration et de réflexions que détournent les artistes plasticiens. Dérivé du blues et de la country, musiques rurales américaines, le rock qui apparaît après la Seconde Guerre mondiale se pro le comme une culture typiquement adolescente dont l’histoire oscille entre divertissement industriel et mouvement contestataire. Célébrée avec nostalgie ou parodiée avec virulence, sa « religion » hante, depuis le Pop Art, tout un pan de l’art contemporain de ses distorsions électriques et refrains diaboliques. Associé à l’art, il élargit le spectre d’une sensibilité désormais partagée : de la révolte politique à la crise identitaire en passant par le nihilisme artistique.

À travers le prisme du rock, REBEL REBEL propose une traversée de l’art contemporain suivant trois directions complémentaires : esthétique, culturelle et critique. La première regroupe des artistes qui, comme Joris Van de Moortel, Tony Oursler, David Askevold, Douglas Gordon ou Steven Parrino, captent l’énergie électrique et cinétique du rock et de ses performances scéniques pour en révéler le potentiel subversif voire extatique. De coloration moins musicale ou sonore, le deuxième axe envisage le rock comme une culture populaire dont l’art contemporain détourne l’imagerie et les clichés avec un humour plus ou moins féroce : Daniel Johnston, Johan Muyle, Damien De Lepeleire, Gauthier Leroy, Jacques Lizène, Catherine Sullivan ou encore Dieter Meier, membre du duo électro-pop YELLO. En n, la troisième orientation, d’approche plus conceptuelle, réunit des artistes tels que Dan Graham, Dennis Oppenheim, Allen Ruppersberg, David Lamelas ou Jacques André, autour de l’idée que le rock est un symptôme de réalités historiques, sociologiques ou politiques.

On pourra y découvrir des œuvres de : Jean-Michel Alberola, Dave Allen, Jacques André, David Askevold, Charlotte Beaudry, Quentin de Briey, David Claerbout, Gilles Élie Cohen, Damien De Lepeleire, Douglas Gordon, Dan Graham, Patrick Guns, Daniel Johnston, Corita Kent, David Lamelas, Gauthier Leroy, Jacques Lizène, Christian Marclay, Dieter Meier, Angelica Mesiti, Jonathan Monk, Johan Muyle, Dennis Oppenheim, Tony Oursler, Steven Parrino, Raymond Pettibon, Allen Ruppersberg, Catherine Sullivan, Dennis Tyfus, Joris Van de Moortel, Alan Vega.

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Jacques Charlier, Total’s Underground, la revue souterraine liégeoise, M hka, Antwerpen

Jacques Charlier

(…)
– Urbanisation totale… Je suppose que cela à quelque chose à voir avec Total’s que vous créez en 1965 ?

Oui, en 1965. L’appellation vient d’un petit groupement que Jean-Marie Decheneux crée avec Paul Dubar. Cela s’intitulait le Total’s Club. Ils avaient même des cartes de membre. Cela m’a fait beaucoup rire, et c’est ainsi que j’ai décidé de créer une revue qui s’intitulerait « Total’s Underground, la revue souterraine liégeoise ».
La revue sera sporadique jusqu’en 1968. Si mes souvenirs sont bons, nous avons édité sept ou huit livraisons, pas beaucoup plus. On réunira une soixantaine d’abonnés qui resteront fidèles jusqu’au bout. Mais ces rares éditions sont entrecoupées de réunions, de petits happenings, d’actions. La publication de Total’s, c’était également une façon de correspondre avec l’extérieur, avec toute une série de mouvements activistes, aussi bien avec les Provos hollandais qu’avec des groupes des pays de l’Est. Nous recevons beaucoup de correspondance des mouvements anarchistes et révolutionnaires australiens et britanniques, qui nous adressent leur littérature, du groupe allemand Fluxus également, ou même d’un collectif actif à Malmö. Comparativement, nous entretenons moins de contacts avec la France, mais nous sommes en relation avec les Situationnistes de Strasbourg, avec les éditions « Le Pavé ». Bref, Total’s est un moyen de communication alors que le mail-art est dans l’air du temps. La poste nous permet de sortir de notre isolement et de nous tenir au courant de l’état de la situation qui se dessine en dehors de nos frontières.
C’est à cette époque que je rends d’ailleurs visite au groupe Provo d’Amsterdam. Leur Q.G. était installé sur une péniche. Tout un staff y vivait collectivement. Il y avait tout un rituel pour les approcher, y compris un siffleur signalant l’arrivée d’un visiteur, tout comme dans le maquis. C’était parfaitement délirant. À cette occasion, j’ai rencontré la dirigeante du mouvement féministe d’Amsterdam ; elle rêvait d’essaimer des vélos blancs dans toute la ville. L’idée était intéressante ; elle a depuis fait son chemin.

-Que publiiez vous dans Total’s ?

– Ce n’était pas toujours facile de trouver des collaborateurs… Il y avait Paul Dubar qui dessinait, nous avons publié des textes de Walter Swennen. Je me souviens de la contribution de Terry Riley, un musicien assez célèbre dans le milieu underground, qui nous avait adressé une sorte de flageolet, un papier permettant de faire de la musique. Dans la revue, nous avons glissé de petits cartels sur lesquels il était imprimé « merde autorisée » destinés à être planté dans les déjections canines qui parsèment les trottoirs ; de même des affichettes « civilisaTion » à coller partout. En fait, tout cela c’était un passe-temps tout à fait inoffensif, une façon de meubler nos soirées tout en inventant des jeux, un peu dans la même dérive que celle que pratiquaient les Situationnistes, mais certainement de façon plus bon enfant. Par exemple, partir en groupe d’un point A pour rallier un point B en ligne droite, quels que soient les obstacles. J’ai même imaginé proposer qu’on permute pour quelques heures ou quelques jours les pères et mères d’une famille à l’autre, avec pour feuille de route d’interpréter ces rôles sociaux de la façon la plus conforme qui soit. Ce serait aujourd’hui un bon scénario de « reality show » à la télévision. Je me rends compte que nous étions fort influencés par l’idéologie warholienne dont on parlait beaucoup, tout comme par l’analyse critique de Baudrillard. En 68, je découvre son « Système des objets », je lis ses articles dans les revues. Durant les années 70, je resterai fort proche de sa pensée, alors que la majorité des philosophes professionnels que je croise se réfèrent à Barthes, Derrida, Foucault, Althusser. Aucun ne m’intéresse vraiment ; et j’ai du mal à les comprendre. Je trouvais chez Baudrillard une façon plus poétique d’envisager la situation.

– Je suppose que c’est vous qui avez signé l’éditorial du premier numéro de Total’s. Une phrase a attiré particulièrement mon attention. En substance, vous précisez dans ce texte qu’il ne faut pas vous prendre pour un provo, un beatnik, un anar et que tout cela c’est d’ailleurs un vocabulaire journalistique déformé par la consommation. Et vous ajoutez, c’est là que je veux en venir, que « Total’s n’espère rien, ne lutte pas pour une nouvelle « liberté » utopique où tout homme prendrait enfin conscience de lui-même. Il se contente de survivre dans des couloirs secrets sans vouloir persuader »… Survivre dans les couloirs secrets sans vouloir persuader, c’est très poétique pour un discours militant, mais cela semble témoigner d’une grande désillusion, non ?

– J’avais, en effet, une grande désillusion par rapport à tous les combats possibles, et c’est très facile à expliquer. J’ai été immergé dès l’âge de dix-sept ans dans une réalité sociale, je côtoyais des collègues dont les opinions politiques étaient des plus diverses; j’ai vu arriver les mouvements de 68 et j’ai surtout vu d’où ils provenaient. J’ai eu automatiquement comme une sorte de réflexe, celui du fils d’ouvrier par rapport au fils à papa. Je m’interroge donc sur ces nantis bourrés de blé, qui jouent à la révolution, qui se déguisent en Mao et qui ne se rendent pas compte de ce qu’ils font. Bien sûr, j’ai trouvé toute une partie du mouvement très vitale, mais dès le moment où celui-ci veut pénétrer le champ social, réellement, je le juge à côté de la plaque. J’avais donc un sentiment de très grande méfiance par rapport à tout cela. Cette désillusion me sera souvent reprochée ; certains me traiteront de janséniste réactionnaire. On m’accusera de nier qu’il était possible de changer la réalité sociale dans le monde où l’on vivait, y compris la réalité sociale de l’art. Il me semblait que les réactions les plus extrêmes faisaient déjà partie du spectaculaire. Ou du moins, je sentais qu’elles seraient spectaculaires, qu’elles seraient envahies par le marché. À certains moments, j’adhère à certaines actions, comme multiplier les œuvres pour les rendre plus démocratiques, mais je n’y crois pas fort. La preuve : au moment de l’exposition de la Zone Absolue, j’édite un multiple à 500 balles dont je ne vendrai qu’un exemplaire ! Je détruirai le reste. Déjà ne sont vendables en multiple que des choses qui sont surévaluées sur le marché. En un mot donc, je ne crois pas à la rupture intégrale.

– Si l’on évoque l’action, au sens politique du terme, vous semblez tout aussi relatif. Vous terminez cet éditorial en déclarant : « Nos happenings, sous des apparences provocantes, ne sont que des essais de dépaysement collectif… ».

– Absolument. Et je crois qu’il en est encore ainsi.

– Qu’est-ce qu’un dépaysement collectif ?

– Le dépaysement collectif, c’est peut-être une façon de considérer l’art autrement, la situation poétique et sa réalité. C’est dans cette limite-là que je le vois. Même si l’action est poussée à l’extrême, je ne la vois pas comme une sorte de transgression des tabous. Et lorsque je verrai débouler l’école de Vienne et ses bouffeurs de saucisse, les performances actionnistes, je trouverai cela très rigolo, mais sans y croire. Sur le plan théorique, la seule chose qui me semble importante, c’est en 1967, l’exposition BMPT au Musée d’Art moderne à Paris. À la fois, cela me fait rire et c’est très intelligent. C’est d’ailleurs bien dommage qu’on ait mis le côté humoristique de la chose sur le côté. Il y avait là une autre façon de considérer la situation et une réelle charge ironique. En fait, c’est la première fois que je constate un discours aussi radical quant à l’interchangeabilité des pratiques. Et je me rends compte qu’avec un peu d’attention, tout spectateur peut accéder à la signification de ces gestes. En fait, on quittait là le romantisme des Nouveaux Réalistes pour accéder à ce qui était à voir et rien d’autre. C’était une mise en scène spectaculaire, presque outrancière, une bouffée d’air frais assise sur ce « plan théorique à la française » que j’ai toujours trouvé marrant.

– Je poursuis votre définition de l’action : il s’agit donc de dépaysement collectif. Et vous précisez : « En créant un événement où chacun est obligé de commettre un acte tabou, lequel l’oblige sans exaltation à quitter son environnement habituel ».

– Ah oui ! Sans exaltation ! Formidable ! (rires). Il y a toujours une sorte d’effervescence dans ces événements, ces happenings, comme s’il s’agissait d’une sorte de rituel vaudou, alors qu’il ne se passe rien.

– Et quelles sont les actions totalistes que vous menez sans exaltation ?

– Je me souviens que dans un vernissage de l’Apiaw, nous avons apporté amené un grand miroir sur lequel nous avions écrit : « Tableau total ». Nous étions toute une clique. Le public du vernissage pouvait donc se voir dans le miroir ; c’était le miroir de l’exposition. Nous l’avons détruit avant de quitter les lieux. Dans un autre vernissage, j’ai amené Philippe Gielen, un ami artiste, dans un sac. Il était habillé en costume cravate, et en le sortant de son sac devant l’une de ses oeuvres, nous avons soigneusement brossé son costume. Parfaitement ridicule. Toujours à l’Apiaw –décidément, « on leur en voulait »- nous avons aussi introduit dans une exposition une caisse en carton contenant une poule. Nous l’avons évidemment lâchée en plein vernissage. Hélas, en retombant au sol, la poule s’est cassé une patte. Elle en est devenue la poule boiteuse de l’exposition. Nos actions étaient toujours menées avec classe, elles n’avaient rien de trash. Au musée, pendant les discours officiels d’une inauguration d’exposition, nous avons déposé des gerbes mortuaires sous les tableaux d’un peintre abstrait lyrique qui venait d’obtenir je ne sais plus quel prix. Tout cela sans exaltation, dans l’air du temps. Je repense bien sûr à Allan Kaprow dont j’appréciais la position théorique. Le fait de considérer un embouteillage de voitures comme une œuvre d’art, la manière dont il se profilait à l’intérieur des mouvements artistiques : ce n’était pas des choses extraordinaires, mais elles étaient extrêmement réfléchies. Scier un bloc de bois et recoller les morceaux pour reconstituer le bloc, par exemple. Pour moi, c’était des gestes bien plus intéressants que ceux posés par le Nouveau Réalisme ou par les Pops. Ce fut un grand choc, aussi important que ma découverte, plus tôt, de l’œuvre de Rauschenberg.

Extrait d’un entretien avec Jacques Charlier, paru dans « Zone absolue, une exposition de Jacques Charlier en 1970 », Editions de l’Usine à Stars, 2007

Total's Undergound

Total’s n° pirate, la bonne parole liégeoise.
8 pages polycopiées, y compris 4 pages de couverture, format A5, sans date. Edité par Jean- Marie Decheneux et Paul Dunbar, signataires.
Numéro dissident intitulé « Abornement abortif ». Un seul texte éditorial, signé par Jean- Marie Decheneux et Paul Dunbar, annonçant leur dissidence du groupe Total’s et réglant leur compte avec Jacques Charlier, rédacteur en chef de Total ‘s, l’édition souterraine liégeoise. Sans date, le dessin de couverture fait référence à l’affiche « CivilisaTion », qui paraitra dans le n°7 de « Total’s, l ‘édition souterraine liégeoise ».

Total's Underground

Total’s. L’édition souterraine liégeoise, n°1
16 pages polycopiées, y compris 4 pages de couverture, bicolore, format A5, sans date.
Editorial, interview totaliste par NIC (Nicole Forsbach, ndlr), bande dessinée « Bedman et ou sans Dr. Sexus, dans Kamion », par P.J. Dunbar. Action merde autorisée (affichette cartonnée agrafée en dernière page), suite poétique écrite par Walter en juillet 1966 (Walter Swennen, ndlr), art graphique « comment ça va et toi ça va », Schéma de la vision totaliste.
Addendum glissé dans le numéro : « Ear Piece » par Terry Rilley (compositeur minimaliste américain, ndlr)

Total's Underground

Totals Underground

Action Merde Autorisée

Total's Underground

Ear Piece, Terry Riley

Total's Underground

Total’s n°7, l’édition liégeoise souterraine
16 pages polycopiées, y compris 4 pages de couverture, format A5, sans date.
« Evidence manifeste, grand retour » par Walter (Walter Swennen, ndlr), annonces, documents sur l’encombrement des sépultures – calcul des surfaces, extrait des règles à suivre pour l’encombrement des cimetières, bande dessinée « Laminoires » par P.J.Dunbar, compte rendu d’une action Totaliste menée le 19 novembre (1966, ndlr) en la salle de l’Apiaw, vernissage de l’exposition « Jeunes liégeois », par N.F. (Nicole Forsbach, ndlr). Self happening audio visuel par Günther D. En couverture une « radiographie jolie » par PHIL (Philippe Gielen, ndlr). Affichette CivilisaTion, agrafée en dernière page.

Total's Undergound

Total’s, n°2. Affichette – invitation
Affichette annonçant la réunion Totaliste du 7 janvier, 21h chez Chr. Stein, 19 rue Saint Pierre à Liège. Apportez boissons. L’affichette représente un chantier urbain avec canalisations (évidemment souterraines)

Total's Underground

Photographie argentique, NB. Tirage d’époque, 12 x 17 cm. Totalistes présentant le n°7 de « Total’s, l’édition liégeoise souterraine »

Total's Underground

Tract Total’s T’, un monde de super-machine, par Jacques Charlier.

Total's Underground

Affichette « CivilisaTion », addendum au n°7 de « Total’s, l ‘édition liégeoise souterraine »

Les documents reproduits appartiennent tous à une collection privée.

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Jacques Charlier, Photographies de Vernissages, M hka, Antwerpen

Jacques Charlier

PHOTOGRAPHIES DE VERNISSAGES

En 1974, Jacques Charlier, qui pratique toujours la photographie professionnelle au sein du Service Technique Provincial qui l’emploie comme dessinateur expéditionnaire (entendez par là l’ensemble des activités de l’artiste, consistant à retirer de leur contexte une série de documents professionnels afin de les introduire dans le système de l’art) retourne l’objectif photographique sur les acteurs de ce monde de l’art lui-même. À divers photographes qui collaboreront au projet (Nicole Forsbach, Philippe de Gobert et Yves Gevaert), il demande de fixer sur la pellicule une série de vernissages, considérés pour les raisons les plus diverses comme «incontournables » par les amateurs, et plus précisément de photographier avec distance, sans exaltation dirions-nous, le public de ces rendez-vous. Charlier décide de prendre le public de l’art pour motif. Il ne s’agit pas de photographier les œuvres. Ce n’est pas plus le photo-reportage mondain qui mobilise l’artiste. Et celui-ci s’explique sur ses motivations : «En 1975, l’art que je fréquentais se refermait de plus en plus sur lui-même. Le même petit monde qui s’y intéressait se déplaçait au fil des vernissages. Comme il n’y avait presque rien sur les murs, cela devenait le rite à l’état pur. On m’avait beaucoup reproché d’exposer des photos de fêtes et d’excursions se déroulant dans le contexte du STP. Je ne proposais nullement ces documents par exotisme, mais on me reprochait agressivement d’exhiber l’aliénation… Ce qui m’animait c’était plutôt d’entrer en conflit ouvert avec le scoutisme poético photographique et le reportage dit socio. Je continuais à me poser le problème de l’indice sociologique de l’objet et de ses retombées, l’implication de celui qui montre, de ceux qu’il montre, de ceux à qui cela est montré. Dans le cas du STP, tout était vraiment insoluble, rien n’était légal, justifiable, légitime Tout se court-circuitait. C’est ce côté impossible qui me fascinait… Rien n’était neutre… Cette complication rendait le produit tout à fait indéfendable sur le plan du marché. Une sorte de « no man’s land » inextricable. En réponse à certains arguments, j’ai décidé de retourner le contexte artistique sur lui-même.»

Charlier a donc durant un an multiplié les planches, neuf clichés noir et blanc par neuf, les composant avec un perpétuel souci de relever les indices sociologiques. Il a couru les grands-messes, la troisième triennale de Bruges, le Köln Projekt, les foires également, celle de Knokke, le Kunstmarkt de Köln très d’avant-garde, IKI à Dusseldörf bien plus bazar de l’art. Il a rejoint le Stedelijk museum d’Amsterdam pour un vernissage de Sol Lewitt, rallié à diverses reprises le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles où exposent Marcel Broodthaers, Hanne Darboven, Klapeck. Il s’est même immiscé dans les fêtes plus privées, celle donnée en l’honneur de l’infatigable Karl Geirlandt au musée de Gand, une soirée entre amis chez les collectionneurs bruxellois Nicole et Herman Daled. En 1975, un an après la mise en place de cette stratégie de situation, il est invité par Yves Gevaert à lui-même exposer au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Il y propose ces/ses photographies. «L’activité d’On Kawara est entièrement centrée sur sa vie, dit-il… L’heure à laquelle il se lève… Les gens qu’il rencontre… La date du jour… Bref un programme serré à vous foutre la migraine (rires), une aubaine pour la régie des postes télégraphes (rires)… La conception du cadrage de mes photographies de vernissage était inspirée de la photo-rapport de Bertrand, le photographe du STP… Le plan moyen et prendre l’ensemble de la situation… Le déploiement le plus complet de l’envers du tableau, de ce qui se trouve en face de lui… Exactement le contraire de l’oeuvre centrée sur l’artiste et aussi l’opposé de la photo de vernissage habituelle où l’on restitue la perspective morale inhérente à l’exposition… L’artiste, les organisateurs, les personnalités connues en gros plan, à l’arrière le public… la figuration… Le vernissage des photos de l’ensemble de ces photos a eu lieu à la fin de l’exposition et a coïncidé avec la parution du catalogue rassemblant les photos des gens occupés à se reconnaître sur les photos… l’expérience aurait pu continuer et devenir une mise en abîme ».

Jacques Charlier avait déjà joué sur cet effet de miroir, confrontant le public des expositions à lui-même, mais sur un autre mode : avec le groupe Total, lors d’un vernissage de l’APIAW à Liège, fin des années 60, il introduit dans l’espace d’exposition un grand miroir sur lequel est écrit «Tableau Total» . Le public confronté au tain du miroir devient ainsi également motif de l’exposition. Est-ce le même effet de miroir qui agit dans le cas des photographies de vernissage ? «Non, un miroir ne capte pas le temps, répond Charlier… Le rite de la photo c’est celui de la nostalgie… Du souvenir… Avec le temps l’intérêt pour le public va croissant pour ces photos, tout le monde s’y retrouve… On compte progressivement les absents… Un «work in progress» comme disent tous ceux qui voudraient en dire quelque chose…». C’est là un des intérêts de cette œuvre. «Le document offre le privilège de donner rétrospectivement du sens aux choses – cela vaut également pour le monde de l’art, écrit Shawn McBride à propos des photographies de Benjamin Katz, qui développa durant un demi-siècle par le biais de ses photographies une vision panoptique du monde de l’art et de ses protagonistes. Et bien des artistes n’ont pas eu le loisir sur le moment d’en mesurer toute la portée. On peut ressentir combien les choses progressent avec une cruelle rapidité quand on les observe dans leur déroulement. Mais est-ce bien de cette manière que les événements s’imbriquent? L’expérience réelle ne permettait certainement pas d’avoir une vue d’ensemble, comme nous la percevons avec le recul. Cette expérience a eu lieu dans le flux du moment -et pas nécessairement dans ce matériau restant qu’est l’oeuvre d’art. Souvent la photographie transmet plus que son essence ». De fait, avec le recul, les photographies de vernissages de Jacques Charlier sont devenues un exceptionnel fonds d’archives sur cette très courte période de l’histoire de l’art. Au fil des clichés, on reconnaît en effet un impressionnant nombre de « personnalités », d’acteurs de cette corporation artistique. Des artistes, des directeurs de musée, des collectionneurs, des galeristes, des critiques, bref ce petit monde, cette famille, que d’aucuns considèrent, avec un regard critique, comme quasi incestueuse et infatuée, que d’autres évoqueront avec un attachement nostalgique, heureux d’en avoir été ou regrettant de ne pas avoir côtoyé les Konrad Fischer, James Lee Beayers, Marcel Broodthaers, Anton Herbert, Daniel Buren, Benjamin Buchloh, Isi Fiszman, Giancarlo Politi, Catherine Millet, John Gibson, Dan Graham, Llona Sonnabend et tant d’autres. L’analyse de ces photographies est évidemment riche d’enseignements les plus divers quant à ce monde de l’art, quant aux rites de celui-ci, ces vernissages parfaitement codifiés, ce cérémonial singulier où le public se vernit puisqu’on ne vernit plus les tableaux en public. Le rituel consiste à recevoir puisqu’il s’agit d’une réception, mais que reçoit-on en fait ? Se reçoit-on les uns les autres ? Recevons nous les œuvres ? C’est sans aucun doute là que réside toute l’actualité de cette œuvre de Charlier. Elle questionne radicalement l’objet d’art lui-même, c’est assurément sa première nécessité. Devant les dernières photos de vernissages, celles de 1975, là où l’on voit le public regardant les photographies de vernissages, on s’interroge évidemment sur les regards interrogatifs. Interroge-t-il l’œuvre ? S’interroge-t-il sur lui-même ? S’interroge-il sur sa propre présence ? L’oeuvre fonde, de plus, ce que l’on comprend aujourd’hui du tour sociologique qu’a pris la création au fil du temps, elle interroge le foyer même de ce champ artistique, elle est une méthode de penser sa réception, ses artifices, sa réalité. Elle continue encore aujourd’hui à renvoyer le regardeur à lui-même.
Édouard Manet ne déclarait-il pas : «Le Salon est un vrai terrain de lutte. C’est là qu’il faut se mesurer» ? Cela aussi reste d’actualité. (Jean-Michel Botquin)

Jacques Charlier

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Photographies de Vernissages, 1974-1975
01. Knokke, 4e foire d’art actuel 1974 (6 panneaux. Photos : Nicole Forsbach) (4e Foire d’Art Actuel, Casino de Knokke, 19 mai-16 juin 1974)
02. Köln, Projekt 1974 (6 panneaux. Photos : Nicole Forsbach) (Projekt 74. Aspekte Internationaler Kunst. Anfang der 70er Jahre, Kunst bleibt Kunst, Kunsthalle Köln und Kölnischer Kunstverein 6 juillet -8 septembre 1974)
03. Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, Sol Lewitt, Darboven, Finlande, 1974
(6 panneaux. Photos : Nicole Forsbach) (Hanne Darboven, « El Lissitzky. Kunst und Pangeometrie », « Finlande 1900 », « Sol Lewitt , Location of Three Geometric Figures», Société des Expositions, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles. Mai – juin 1974)
04. Bruxelles, réception chez Herman et Nicole Daled, 1974 (2 panneaux. Photos : Yves Gevaert) (Fête chez Nicole et Herman Daled, le 8 janvier 1974)
05. Amsterdam, Stedelijk Museum, Sol Lewitt , (3 panneaux. Photos : Jacques Charlier)
(Sol Lewitt, « Prints », Stedelijk Museum, Amsterdam, Pays-Bas, 29 novembre – janvier 1975)
06. Gent, fête de Karel Geirlandt, 1974 (3 panneaux. Photos : Nicole Forsbach)
07. Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, Klapheck, 1974 (3 panneaux. Photos : Nicole Forsbach)
(Konrad Klapheck, Société des Expositions, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 14 novembre 1974 – 5 janvier
1975)
08. Bruges, 3e triennale, 1974 (9 panneaux. Photos : Nicole Forsbach) (Triennale 3. Stedelijke Museum /
Beurshalle, Brugge, 22 juin – 1 septembre)
09. Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, Broodthaers, Cadéré, Ryman, 1974
(6 panneaux. Photos : Nicole Forsbach) (« Robert Ryman et Dan Van Severen », « Narrative Art (David Askevold, Didier Bay, Bill Beckley, Robert Cumming, Peter Hutchinson, Jean le Gac and Roger Welch), « André Cadéré », « Marcel Broodthaers. Catalogue. Catologus », Société des Expositions, Palais des Beaux-Arts, 27 septembre – 3 novembre)
10. Dusseldorf, IKI, 1974 (7 panneaux. Photos : Nicole Forsbach) (4.Internationaler Markt für Aktuelle Kunst 19-24 oktober 1974)
11. Köln, Kunstmarkt, 1974 (7 panneaux. Photos : Nicole Forsbach)
12. Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, On Kawara – Jacques Charlier (9 panneaux : Photos : Nicole Forsbach et Philippe De Gobert) (Jacques Charlier, Société des Expositions, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles. On Kawara, « Production de l’année 1973 = Produktie van het jaar 1973 », Bruxelles, Société des expositions du Palais des Beaux- Arts, 1975)
67 panneaux 60 x 50 cm, comprenant chacun 9 photographie NB 13 x 18 cm

Jacques Charlier

Jacques Charlier
Vernissage des expositions J. Charlier, On Kawara/Vernissage van de tentoonstellingen J. Charlier, On Kawara, 1.07.1975 (Exhibition catalogue. Brussels: Société des expositions du Palais des Beaux Arts a.s.b.l./Vereniging voor tentoonstellingen van het Paleis voor Schone Kunsten v.z.w., 1975)

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Jacques Charlier, Paysages professionnels, M hka , Antwerpen

Jacques Charlier

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PAYSAGES PROFESSIONNELS

Ces soixante-dix clichés noirs et blancs sont des documents issus d’un milieu socio – professionnel déterminé qui ont été insérés dans le contexte artistique, accompagnés de leur certificat d’origine par Jacques Charlier, dessinateur expéditionnaire au Service Technique de la Province de Liège (STP) entre 1957 et 1978. Jacques Charlier les nomme « Paysages Professionnels »1. Rasssemblés neuf par neuf en huit panneaux, ils sont flanqués d’un certificat rédigé sur le papier à en-tête de l’Administration Provinciale. Charlier y confirme que ces photographies, qu’il retire de leur contexte depuis 1964, ont bien fait partie de la documentation des bureaux de projets du Service technique provincial et qu’elles ont été réalisées par André Bertrand, chef mécanographe du Service. Une photographie du bâtiment qui abrite le Service et la retranscription d’un entretien entre Jacques Charlier et ses collègues de travail, trois pages d’un tapuscrit serré, complètent ce certificat. Ces photographies n’ont absolument rien d’auratique et ne sont en rien spectaculaires. Ce ne sont que des documents destinés à l’élaboration de projets d’amélioration de voirie, d’égouttage, de normalisation de cours d’eau ou d’implantation de zonings industriels, des clichés bruts, un enregistrement banal de la réalité de travaux publics et autres friches industrielles. Aux dires même de leur « présentateur », ils témoignent d’une expulsion complète de toute notion de cadrage traditionnel et même d’une « incomposition » systématique.2 A l’origine, cet entretien entre Jacques, André, Joseph, Claude et les autres qui accompagne ces clichés est paru en novembre 1970 dans MTL Magazine, au moment même où Charlier présente, pour la première fois en exposition, une large sélection de ces paysages, à l’invitation de Fernand Spillemaekers, propriétaire de la galerie MTL à Bruxelles. Jacques Charlier, déjà friand de formules chocs, le titre « Les coins enchanteurs ».  Pour l’enchantement en effet, on repassera. Déjà se manifeste, ce désenchantement ironique qui caractérise toute l’œuvre de l’artiste liégeois, un activisme qu’il pratique, dit-il, « sans exaltation ».

Jacques Charlier débute sa collecte de documents professionnels en 1964.3 « Je me lie d’amitié avec le mécanographe et le photographe que je côtoie régulièrement puisque durant des journées entières, je vais tirer des plans à l’ammoniaque, des plans de routes qui mesurent six à sept mètres de long, nous confiera-t-il. Je découvre dans les poubelles du service de mécanographie des petites photos de champs de betteraves. Ce sont des photos parfaitement banales destinées à illustrer les rapports du Service. Ce qui me fascine, c’est leur côté brutal et inesthétique »4. Dressant la liste de ses activités au STP, Charlier précisera même que les photographies d’André Bertrand ont été retirées de leur contexte à partir de juillet 64. Jacques Charlier considère ce geste, comme fondateur d’une recherche qui se précisera rapidement, celle désormais dite du STP, à laquelle on associera ses peintures de « Blocs », ses travaux sur les canalisations, ou bien évidemment, l’établissement de sa « Zone Absolue ».

Autodidacte, cannibale de toute information touchant à l’art et son monde, observateur des flux transatlantiques – le Pop Art est déjà bien présent et bientôt l’art conceptuel new-yorkais déboulera en Europe -, Charlier a postulé au Service Technique Provincial afin d’échapper à l’usine. Il devient dessinateur de projets de travaux publics tout en lisant l’œuvre de Franz Kafka, employé le jour d’une compagnie d’assurance pour les accidents de travail en royaume de Bohême et écrivain la nuit. Charlier, un rien romantique, s’identifie à cette dualité. Il fréquente Marcel Broodthaers, avec lequel il s’est lié d’amitié ; les deux hommes partagent les mêmes préoccupations. « Lorsque le Pop Art et le Nouveau Réalisme, nous dit-il, font irruption chez nous, nous nous demandons comment affirmer notre identité par rapport à ce rouleau compresseur américain. Comment faire aussi par rapport à Pierre Restany et ses Nouveaux Réalistes français. Où trouver notre place ? En gros, je considérais que le Pop Art résultait du fait de considérer la publicité comme un objet trouvé et de littéralement la balancer dans le champ artistique en lui conférant quelques modifications esthétiques. Warhol se sert des clichés de presse, Rosenquist de la publicité, Rauschenberg reprend le Merzbau de Schwitters et le configure dans le paysage américain. Avec Wahrol, c’est la publicité toute entière accaparée comme objet trouvé. Tout devient image trouvée, dévulgarisée, traversée, culturalisée ». En réponse au Pop Art américain, mais aussi aux Nouveaux Réalistes français, aux tranches d’affiches déchirées de Villeglé, aux reliefs de repas collés de Spoerri, aux accumulations d’Arman, cette vaste et systématique appropriation du monde, Jacques Charlier sort de la poubelle du service mécanographique du S.T.P. ces quelques clichés de champs de betteraves et décide, lui, de s’approprier ainsi ses propres réalités sociales et socio-professionnelles, de les introduire dans le contexte de l’art, de les signer, d’en faire en moteur critique. Pour Jacques Charlier, l’œuvre d’art a toujours été un cheval de Troie.

Ne se revendiquant pas même du ready-made duchampien, Jacques Charlier se déclare simplement « présentateur » de ces documents trouvés dont il affirme l’origine par voie de protocole ou de certificat. Il les désigne, affirme leur fonction première, confirme leur attribution à leurs signataires d’origine. En fait, en insistant sur l’appartenance de ces documents à son milieu professionnel, Charlier prend à la fois le contrepied de l’appropriation artistique et en joue le jeu. Il signe l’œuvre, ou du moins la présentation dans le contexte artistique de ces images et objets trouvés, tout en éventant clairement la manipulation de l’appropriation. Le certificat de ces Paysages professionnels l’atteste : il est à la fois signé par Jacques Charlier et par André Bertrand. Ainsi met-il le doigt sur ce qu’il finira par nommer l’art pompier du siècle, ce principe d’appropriation de n’importe quel objet, transformé en œuvre d’art, une appropriation qu’il qualifie de quasi religieuse, qu’il considère comme une véritable transsubstantiation, là où le moindre courant d’air peut être divinisé, ressuscité, sauvé de l’apocalypse et devenir, par la grâce de cette théologie de l’art et l’intervention de ses prédicateurs, un objet rédempteur destiné aux collectionneurs. Charlier l’affirme : « Dire que l’objet n’est que lui-même et rien d’autre, c’est encore croire au miracle ». 5

La méthode sera d’abord de les « présenter » aux acteurs mêmes du monde de l’art. Dessinateur expéditionnaire, Charlier part en expédition, ses planches photographiques sous le bras. Il les montre, entre autres, à Michaël Sonnabend. Certes, l’artiste cherche une enseigne où les exposer ; nonobstant voici ces Paysages Professionnels ainsi déjà introduits dans le champ artistique, puisque présentés à certains de ses acteurs. On ne peut que repenser au principe moteur des déambulations d’André Cadere : « le travail est exposé là où il est vu ». Ils seront enfin accrochés, exposés, pour la première fois en 1970 à la galerie MTL à Bruxelles, ensuite au Musée d’Anvers (1971), lors de la seconde triennale de Bruges (1971), à l’invitation d’Anka Ptazkowska à la Galerie 18, à Paris (1974), plus tard au Vereniging voor het Museum voor Hedendaagse Kunst à Gand et au Museum Boymans Van Beuningen de Rotterdam (1981).

Ces « Paysages professionnels » ne sont qu’un aspect de cette collecte et de documents. Charlier, très vite distingue les Documents spécifiquement professionnels et ceux qui concernent les relations amicales du personnel de ce service. Peu à peu, il tire de leur contexte des imprimés, des lettres, des communications, des essuies–plumes, des buvards et papiers de table, des listes de signatures de présence (entrée à 8h00, sortie à 16h45), les tirages de ses propres plans de route, des documents souvenir à propos d’événements importants de la vie professionnelle, un pot de départ par exemple, la mise à la retraite de M. Merciny ou celles de M. Herman et Tenret, un voyage en groupe à Anvers, organisé par la caisse de solidarité du STP. C’est finalement le STP tout entier qui semble se transformer en objet trouvé. Qui semble, soyons bien clairs. Jacques Charlier l’écrit dans un tract signé en 1973 : « L’expérience commente à rebours ce courant esthético-sociologique qui sous le couvert et l’aura de la signature artistique a simulé le vertige de la réalité. Comme si de ce qui nous entoure, on pouvait gommer le sens, la hiérarchie, la provenance des objets ». Je repense à Harald Szeemann qui, à propos de son exposition « Grand Père, un aventurier comme vous et moi » écrit en 1974 : « On ne discute même plus la chose, on discute le cadre qui est, de toute façon, devenu parfaitement ennuyeux : se battre pour la réalité artistique est un faux combat parce que le consensus ricane au-delà de toute controverse, ou alors il se transforme en combat politique, qui est lui aussi une fausse bataille. Où donc existe le vrai rejet, le véritable enthousiasme, où est l’ensorcellement ? ». 6

Alors qu’il extrait de la documentation technique du STP une série d’images imprimées de travaux publics de canalisation, Jacques Charlier écrit, dans le protocole qui les accompagne cette réflexion qui précise son propos : « Leur caractère énigmatique, écrit-il, peut non seulement rivaliser avec certaines recherches plastiques contemporaines, mais aussi les dépasser par leur monumentale capacité d’expression. Mais cela, personne ne le dira jamais, ou peut-être trop tard. Ainsi en est-il de l’art d’aujourd’hui qui détourne à son profit, sous l’alibi d’une création ésotérique, la réalité du travail, insupportable pour la minorité culturelle dominante »7. Les Paysages professionnels interrogent ces rapports à l’appropriation et la distanciation. En corrolaire, ils évoquent également l’anonymat. Ces photographies de paysages sont en effet pauvres et minimales ; on pourrait en rapprocher bon nombre du Land Art ou de certaines pratiques minimales. Robert Smithson, Walter De Maria, Richard Long, Carl André ne sont en effet pas loin ; oui, mais voilà, ces clichés ont été pris par André Bertrand tout à ses préoccupations professionnelles et bien loin de celles des artistes. Leur présentation s’inscrit, quant à elle, dans un cadre parfaitement conceptuel, inventaire documentaire et protocole certifié à l’appui. Caméléon du style et parfaitement au fait des pratiques artistiques du moment, Charlier s’installe donc dans les règles de l’art et de son actualité, à une époque où le populaire, la rue, et la banalité du réel marquent profondément les esprits. D’aucuns ont fait le lien entre les photographies d’André Bertrand et le grand œuvre développé à l’époque par le couple Bernd et Hilla Becher, une aubaine en quelque sorte pour Charlier qui conteste le titre de « sculpture anonyme » donné par le couple de photographes allemands à leurs typologies industrielles. Et Charlier vitupère : « Ce sont bien des outils industriels qui ont été réalisés par des ouvriers monteurs, conçus par des ingénieurs, manipulés par des ouvriers, possédés par des patrons, tous ces gens ont un nom »8 Tout cela n’a pour Jacques Charlier strictement rien d’anonyme. C’est un témoignage de la réalité du travail, il est déjà signé. Au cœur de ce dispositif mis en place par l’artiste, Charlier pointe naturellement une réalité sociale, sociologique. Sans doute l’ensemble de ces paysages a-t-il également valeur documentaire sur l’état et l’évolution du paysage régional, mais ce n’est là qu’un effet collatéral par rapport au propos de l’artiste. Exactement comme dans le cas des « Photographies de Vernissages » (1974-75) qui, aujourd’hui ont acquis une valeur documentaire quant au who is who ? du public des vernissages.

En fait, on pourrait paraphraser Harald Szemmann, et sous-titrer ces Paysages Professionnels : « Jean Mossoux, Pierre Chaumont, André Bertrand, Jacques Laruelle, des aventuriers comme vous et moi ». Leurs commentaires sur ces Coins Enchanteurs de la province de Liège participent pleinement du travail, à commencer par le leur. Oui, retournons une fois encore la situation. Ce serait-là comme les prémices d’une autre mythologie individuelle, une mythologie collective par procuration. Jacques Charlier s’est bien déclaré Directeur des Zones Absolues, comme d’autres sont devenu Conservateur du Département des Aigles ou général russe volant sur la Pan American Airlines and Company.

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1 Le Smak à Gand, le Musée M à Leuven ainsi que le BPS22-collection de la Province de Hainaut à Charleroi conservent diverses séries de Paysages Professionnels.

2 Jacques Charlier, Dans les règles de l’art, Lebeer-Hossmann, Bruxelles, 1983.

3 Dans Les règles de l’art, opus cit. Récemment, lors d’une exposition sur les Paysages de Belgique, ces Paysages professionnels ont figuré au catalogue sous la double date de 1964-1971. La date de 1971 est erronée. C’est bien en 1970 qu’elles sont montrées en exposition pour la première fois. La date de 1964 ne représente que le début de l’aventure.

4 Jean-Michel Botquin, Zone Absolue, une exposition de Jacques Charlier en 1970, Editions l’Usine à Stars, 2007.

5 Dans les règles de l’Art, op.cit.

6 Harald Szeemann, Ecrire les expositions, La Lettre Volée, Bruxelles, 1996

7 Dans le protocole certificat de Canalisations Souterraines, 1969

8 Dans les règles de l’art, opus cit.

Jacques Charlier

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