Jacques Lizène. Bouffons, artistes, saints. Eloge de la folie à la Bundeskunsthalle de Bonn

Après  le musée du Quai Branly, c’est la Bundeskunthalle de Bonn en Allemagne qui accueille l’exposition « Les maîtres du désordre ». Conçue par Jean de Loisy, celle-ci est rebaptisée : « Narren. Künstler. Heilige. Lob der Torheit ». Traduisez : « Bouffons, Artistes, Saints. Eloge de la Folie ». Jacques Lizène y participe.

Communiqué : 

Chaman, bouffon, devin, artiste, héros, homme-médecine… cette exposition explore la fonction (sur)humaine de tous ceux qui, dans les cultures et les époques les plus diverses, franchissent les limites. Y sont abordés les thèmes de l’humanité et de la surhumanité, de la maladie et de la santé, de la folie et de la raison, du chrétien et du païen. Images pleines d’étrangeté, signes spirituels, personnages sauvages provenant entre autres de l’Egypte ancienne, de l’Extrême-Orient et de l’Océanie côtoient des oeuvres de l’époque baroque, de la modernité classique ou contemporaines.

Par-delà leurs différences, le spectateur y relèvera nombre d’analogies stupéfiantes. Cette exposition a été conçue par le Musée du Quai Branly de Paris, où elle a été présentée pour la première fois du 11 avril au 29 juillet 2012.

In allen menschlichen Gesellschaften gibt es die Figur des Exzentrikers, der am Rande steht, als Außenseiter gilt, und einerseits verachtet, aber andererseits als besonders und herausgehoben wahrgenommen wird. Die Ausstellung Narren. Künstler. Heilige. Lob der Torheit mit ihren ca. 250 Exponaten verfolgt die unterschiedlichsten Ausprägungen dieser universalen Figur und spürt ihr in allen Weltkulturen und Epochen nach. Zeitlich schlägt sie einen Bogen von altägyptischen Zeugnissen bis zu jüngsten Werken des 21. Jahrhunderts und beweist, dass trotz aller oberflächlichen Verschiedenheit des Ausdrucks die archetypische Figur und ihre Funktion seit 3000 Jahren Menschheitsgeschichte unverändert aktuell sind.

Es werden überraschende Ähnlichkeiten und Kontinuitäten aufgedeckt: Narren, Schmiede, Propheten, Dichter, Schamanen, Priester, Künstler gehören allesamt zu diesen Grenzgängern, leben in einer besonderen Sphäre und bringen Menschliches mit Übermenschlichem in Verbindung. Fremd wirkende Bilder, spirituelle Zeichen, Figuren u. a. aus dem antiken Griechenland, dem Fernen Osten, Ozeanien, Afrika, Sibirien und Südamerika treten neben europäische barocke, moderne und zeitgenössische Werke.

Ausgestellt werden neben den Bildern und Darstellungen der exzentrischen Figuren, auch deren magische Werkzeuge und Hilfsmittel wie Kostüme, Masken, Zauberstäbe, Musikinstrumente, Fetische und Medikamente. Die Schaustücke stammen aus zahlreichen öffentlichen und privaten Sammlungen und Museen in Frankreich, Belgien, den USA, Deutschland, den Niederlanden, Brasilien, Dänemark, Russland und der Schweiz.

Tatsächlich erfüllen die exzentrischen Figuren eine essentielle Rolle. So wie es ohne Tod kein Leben gibt, kann es auch ohne Chaos und Exzess, ohne Unverständliches, Mystisches, Außergewöhnliches weder Ordnung noch Normalität geben. Der Lauf der Welt wäre in höchster Gefahr, wenn es keine « Meister der Unordnung », keine Zauberer, Künstler oder Heilige gäbe, wenn nicht der Karneval die Verhältnisse auf den Kopf stellte oder die Narren in christo nachts beteten.

Während die absolute Notwendigkeit des Andersseins für das Funktionieren menschlichen Lebens in der alltäglichen Betrachtung häufig aus dem Blickfeld gerät, rückt die Ausstellung Narren. Künstler. Heilige. Lob der Torheit die Randfiguren ins Licht und unterstreicht die vitale Bedeutung ihrer Aufgabe. Dabei wird sie selbst zu einem besonderen Ort: Ein aktivierter Voodoo-Altar gehört zum Ensemble der Exponate.

Jean de Loisy, dans l’introduction du livre qui accompagne l’exposition écrit :

L’Occident désenchanté fut confronté presque simultanément à l’éloignement des dieux anciens, à l’affaiblissement de l’irrationnel et à la découverte des arts primordiaux. Amputé en deux cents ans d’une conception du monde qui le régissait depuis le temps des cavernes, l’art moderne naissant, encore accompagné en ses débuts par les sorcières de Goya, les formes primordiales de Redon et les masques d’Ensor, se détourne d’abord, puis retrouve, capte à nouveau les intuitions et le sens des mythes de sociétés parfois révolues. Si, de l’aube du XXe siècle à aujourd’hui, l’intérêt des artistes pour

les arts dits « premiers » ne s’est jamais démenti, de l’expressionnisme allemand

à Joseph Beuys, de Picasso à Barnett Newman, de Pollock à Cameron Jamie, on a eu tort de n’y voir qu’un enrichissement de l’histoire des formes. La fréquentation avérée, continue, des poètes, des écrivains, des essayistes et des peintres avec les ethnologues du XXe siècle, le mélange des genres et des activités des uns et des autres, éclaire de manière éloquente le sens profond, la responsabilité dont se charge ainsi l’art depuis presque deux siècles. La quête que conduisent ces grands artistes est une recherche sur l’humain, une traversée des significations de l’expérience individuelle ou collective, bref, selon une procédure particulière, une anthropologie. C’est à ce titre qu’une exposition dans un musée d’« art premier » peut-être nourrie par l’intervention des artistes d’aujourd’hui. C’est dire que leur présence dans ce projet, où ils accompagnent la présentation d’objets rituels de cultures pour la plupart apparentées à l’animisme, n’est pas convoquée parce qu’ils seraient des sortes de mages ou de chamanes contemporains. Absolument pas. Ils sont présents en tant qu’ils explorent, comme des chercheurs, comme des poètes, les thèmes constitutifs de la conscience humaine.

De Loisy poursuit, à propos des bouffons, des clowns sacrés, de Paul MacCarthy et de Jacques Lizène :

Dans la thermodynamique cosmique du couple infernal ordre-désordre, ce tandem indissociable, odieux dès qu’il se déséquilibre, morbide, totalitaire par excès d’ordre, furieux destructeur, entropique par excès de désordre, toute l’organisation psychosociale de la vie des communautés doit traiter de cet équilibre nécessaire. L’effroi, la sensation du chaos, qui désorientent celui qui se soumet à la cure et permettent par le désordre de rétablir peut-être l’ordre du corps, a aussi à dire, à faire dans les rites sociaux qui revitalisent l’organisation collective. Si les rites religieux concourent à créer de la cohésion entre les fidèles, les rites cycliques, qui instaurent des périodes d’inversion, montrent comment la création est une recréation, comment le désordre régénère l’ordre et le rend supportable à nouveau.

Le grand charivari est une ruse d’hiver qui se développe à l’intérieur du système rituel et symbolique de la société. Les délires, les excès, le grotesque ou l’absurde sont une inversion mais pas une subversion. De fait, une remise en mouvement de l’ordre qui, comme la succession des saisons, ne manquera pas de se réinstaller.

Demeure au plus près du pouvoir médiéval une figure de transgression institutionnalisée du désordre, un envoyé du monde  l’envers, un personnage présent dans de très nombreuses sociétés hiérarchisées, le bouffon, le pitre. Différent du trickster, dérisoire et burlesque parfois, redouté car porteur de vérité, libre de sa parole, incarnation de la nécessité du politiquement incorrect, personnage à la formidable fortune littéraire et picturale, il reste un modèle structurel encore présent dans nos sociétés sous des formes évidemment très laïques que certains humoristes endossent, mais aussi dans le rôle le plus éminent de certains artistes. Notons déjà, que d’une manière plus générale, à un niveau magique ou parfois mystique particulier, ces turbulents qui incarnent la possibilité du désordre apparaissent dans de nombreuses sociétés traditionnelles. Leurs conduites qui semblent aberrantes ont une vertu cathartique et permettent aux insultés de supporter des critiques ou des moqueries qui, si elles venaient d’autres, seraient des offenses terribles. On les appelle ici les contraires, clowns sacrés, fous de Dieu, bouffons rituels. Ces noms désignent des réalités diverses, les uns sont au-dessus de tout, les autres déploient des efforts pathétiques pour être à la hauteur, ainsi que les distingue Jean-Paul Colleyn.

Certains artistes aujourd’hui, Jacques Lizène ou Paul MacCarthy par exemple, endossent un rôle semblable. Grotesques, triviaux, ils tendent au regardeur le miroir dans lequel se reflètent les travers de la société. L’indécence ne les gêne pas puisque c’est la nôtre, ils sont les personnages libres qui déjouent les tentatives coercitives du consensus. Ce sont les nécessaires figures transgressives qui réaniment le jeu sans fi n du chaos et de la règle. Ils permettent à l’art contemporain de remplir l’une de ses fonctions majeures dans notre société moderne : mettre en turbulence les convictions, rejouer ce qui paraît acquis, élargir notre champ de conscience, faire exploser les règles convenues.