Benjamin Monti, Sans tambour ni trompette, Le Lieu Unique, Nantes

Sans tambour, ni trompette
Michael Dans, Erik Dietman, Benjamin Monti, Mrzyk & Moriceau,
Daniel Nadaud, Roland Topor et Didier Trenet.
30 mai – 11 août 2013

Admirateur de l’oeuvre protéiforme de Roland Topor, le commissaire d’exposition et directeur de centre d’art Bertrand Godot propose au lieu unique un projet collectif réunissant sept artistes autour de cette figure tutélaire, qui en est à la fois l’invité d’honneur et le huitième artiste.
Sensible à la bêtise, figure de l’excès et de la jouissance, personnage subversif et provocateur, Topor se moque du genre humain comme de lui-même. Explorant les envers de décor, les travers de l’espèce humaine et l’érotisme, les artistes invités, à l’image de Roland Topor interrogent ici ces notions.
Sans tambour, ni trompette présente dans la cour du lieu unique plus de 200 oeuvres, créées pour l’exposition ou déjà existantes, comme autant de prétextes à (re)découvrir l’univers des artistes invités : l’absurdité vitale des pièces de Michael Dans, les oeuvres insolentes mais non moins élégantes d’Erik Dietman, le corpus iconographique hybridé de Benjamin Monti, l’entre « rêve et réalité » de Mrzyk & Moriceau, les jeux de construction de Daniel Nadaud et le goût de Didier Trenet pour les arts libertins du XVIIIe siècle. Dans le sillage de Topor, ces artistes contemporains continuent ainsi d’explorer les interstices, les marges, ce qui existe (ou non) «de l’autre côté de la page».

Une introduction par Patrick Gyger, directeur du lieu unique scène nationale de Nantes:

Les enfants qui dessinent dans leurs cahiers de littérature ne finissent probablement pas tous instituteurs ou grammairiens, bien heureusement. Leur vision n’est pas construite sur des adverbes, ni des règles syntaxiques. Mais parfois le texte, s’il est particulièrement libre, n’en fait qu’à sa guise, et sourd entre leurs doigts tâchés sous d’autres formes.
Les quadrillages ne retiennent pas leur trait dans leur rigidité; au contraire, ils les appellent à tracer dans les marges, puis au-delà de la page, sur leur table, les murs de l’école, le monde. Les blancs poussent à des révolutions quotidiennes et sans violence, à retourner la prose de l’intérieur pour en présenter les coutures.

Dans le sillage d’encre de Roland Topor, singulier et trop onirique pour opérer réalistement, sept artistes continuent d’explorer les espaces entre les lignes, pour en faire émerger comme de rien, décidément sans tambour ni trompette, des univers intimes observés par réfraction.
Car, loin d’être un hommage rétrospectif à Topor, l’exposition s’intéresse à des processus de création qui lui étaient chers, à l’inintelligible par les mots, à l’émergence de la forme. Bertrand Godot (qui cite comme inspiration Le geste et la parole d’André Leroi-Gourhan) s’émeut du parcours d’images tirées des circonvolutions les plus primitives des cortex, pour venir naître des mains, sans même le passage par le verbe.

Cette interrogation sur le glissement mystérieux de la vision intérieure à l’image extérieure explique une scénographie sous forme symbolique de corps humain: vitrine double à l’entrée fonctionnant comme meurtrière sur l’intérieur, main triomphante de Didier Trenet, tête d’Erik Dietman, boyau de Mrzyk et Moriceau. Les cimaises viennent former une trame stricte, telle un chantier de fouilles archéologiques, permettant de faire apparaître progressivement, comme par strates, des artefacts qui se présentent comme des miroirs de l’esprit.

Le lien avec Roland Topor n’est pas celui de la filiation directe (même si les accoitances paraissent légion). Un projet autour de cette grande figure du décalage ne pouvait d’ailleurs que prendre une approche tangentielle. Topor apparaît comme une figure tutélaire, porteuse d’une belle liberté de ton, d’une pratique ludique, anarchisante et pataphysique, à la technicité souvent marquée. Les artistes présentés ici ont donc été choisis pour la route particulière qu’ils ont empruntée, sinueuse au point d’être presque invisible parfois, qui lie leur pratique aux mondes du dedans.

Il ne faudra donc pas s’étonner des croisements sur les motifs évoqués, les schémas mentaux explorés: érotismes grotesques, vanités magnifiées, souvenirs distendus, fragments et collages improbables, la plupart issus d’envies et de besoins fondamentaux, mais sublimés, faisant de l’ensemble un vaste cabinet de curiosités personnelles, d’histoires fantasmées, de pulsions vénéneuses et d’imaginaires viscéraux.
Et si le visiteur ressent quelque nostalgie face à ce corps géant et gris, qui n’est autre que celui de l’Artiste, c’est qu’il y voit par intermittence des portes dérobées sur une ère de liberté révolue, le monde de l’enfance, où il se laissait encore aller aux dessins dans la marge.

Roland Topor
Sans tambour, ni trompette est une exposition collective conçue autour de la figure de Roland Topor.

Topor a développé un univers personnel à travers les nombreux médiums qui s’offraient à lui, laissant une oeuvre foisonnante. Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris en 1964, Roland Topor se fait connaître dès le début des années 60 par l’éclectisme de sa production artistique. Alors qu’il participe en tant que dessinateur à la revue Bizarre, Topor publie son premier conte, L’amour fou. En 1962, il se lance dans un croisement expérimental des arts plastiques, du théâtre et du cinéma, en co-créant le groupe Panique avec l’écrivain Arrabal, le cinéaste Jodorowski et le romancier Sternberg.
Après une quarantaine d’années de carrière, Topor est aujourd’hui célèbre pour ses milliers de dessins, ses centaines de livres, ses films et dessins animés (La planète sauvage avec René Laloux en 1973), ses émissions de télé (Téléchat et Palace dans les années 80) et ses mises en scène de pièces de théâtre (Ubu roi avec Jérôme Savary en 1992).

Ce dessinateur, écrivain et cinéaste était aussi graveur, illustrateur, auteur de BD, dessinateur d’affiches, créateurs de chansons et de comptines, créateur de décors et de costumes pour le théâtre et l’opéra, acteur de cinéma, nouvelliste, dramaturge, romancier, peintre… Étonnant artiste, son catalogue raisonné l’est tout autant.
Un illustrateur inclassable

L’oeuvre dessinée de Topor n’est rattachée à aucun courant artistique de la deuxième moitié du XXe siècle, même si l’artiste suivait l’art de son temps avec un oeil avisé et aiguisé. Ainsi, dans ces années où le Nouveau Réalisme* et Fluxus* vivaient leurs plus belles heures, le jeune étudiant aux Beaux-Arts préférait le dessin à l’objet ainsi que la technique de la gravure* (notamment l’eau-forte*) à l’affiche sérigraphiée.
De cette pratique de la gravure, il en a hérité l’une de ses caractéristiques stylistiques et graphiques : la technique des hachures. Ses premiers dessins sont de petits formats réalisés à l’encre de chine. Le trait raide de ses oeuvres en noir et blanc, se transforme dans les années 70 par l’utilisation de crayons de couleur, d’aquarelle* et d’acrylique*. Habitué à ces techniques mixtes*, il expérimente l’aérographe* et les bombes de couleur pour s’attaquer dans les années 80 à de très grands formats.
Même si Topor a travaillé de nombreuses fois pour la presse (Le Monde, L’Express, Le Canard enchainé, Charlie Hebdo, The New York Times, Die Zeit…), il ne s’est jamais considéré comme un véritable dessinateur de presse, encore moins comme un dessinateur de satire politique. Ce qui a piqué l’appétit de ce fou de littérature, c’est l’illustration des ouvrages de grands auteurs comme Georges Sand, Les frères Grimm, Charles Perrault, Carlo Collodi…

De son parcours personnel (inscrit aussi dans l’histoire du XXe siècle) Topor en aurait tiré son goût pour un rire décalé, critique, parodique et corrosif.
« Parce qu’il a des origines juives polonaises, parce qu’il est issu d’une famille de « pogromés », l’humour a été pour lui un exutoire crématoire, marquant son temps et ses époques au rythme de ses hantises. Si l’horreur est absurde, elle est donc risible. Il en fait son condiment, sulfureux. »
Tomi Ungerer, à l’occasion de l’exposition Roland Topor à la Galerie Martel, 2010
En effet, fils du peintre et sculpteur Abram Topor, Roland Topor est né en 1938 à Paris. Emigrés de Varsovie au début des années 30 en France, ses parents échappent aux rafles durant l’Occupation et protègent leur fils en l’envoyant dans une ferme en Savoie.
En 1961, Topor reçoit le grand prix de l’humour noir pour la parution de son premier album de dessins, Les Masochistes. Puis, de 1961 à 1966, il collabore au magazine satirique Hara-Kiri, dont il partageait le culte de l’humour noir, décapant et cynique.
De Roland Topor, on retient l’image d’un homme qui rit fort et s’amuse à traiter avec humour les thèmes de la sexualité et de la mort.

Dans les années 60, Roland Topor fréquente de nombreux artistes surréalistes, comme Arrabal avec qui il a co-fondé le groupe Panique ou André Breton, père fondateur du Manifeste du Surréalisme*. Comme à son habitude, il gardait une certaine distance et maintenait un regard critique : « Je suis rapidement sorti m’acheter des Kleenex. J’étouffais ! Tu comprends, il ne fallait pas éternuer quand Breton prophétisait, les conneries étaient sévèrement punies, on n’avait pas le droit de choisir ses amis. Breton, c’était le seul juge du bien et du mal, un vrai proviseur ! » (Roland Topor, Actuel, 1973)
Pourtant, son oeuvre témoigne d’une extrême sensibilité à l’univers du Surréalisme : l’omniprésence de l’érotisme, de l’imaginaire, du rêve et des métamorphoses… Caractéristiques contradictoires pour un artiste qui défendait sa singularité. Myriam Boucharenc, professeur à l’université de Nanterre, a qualifié ses rapports avec ce courant artistique de « mi-voleur, mi-volage à l’héritage » Dans son article En Topor dans le texte, elle explique que Topor était un artiste entretenant des relations d’attraction / répulsion avec le Surréalisme et aimant « butiner » selon ses envies artistiques. Topor s’est aussi intéressé au Surréalisme belge, qui remontait selon lui à Bruegel en passant par Ensor et qui serait une tradition populaire locale « où la folie est ordinaire et toujours chargée d’humour ». « L’art de Topor participe de cette tradition : faire surgir, par de petites inversions, le merveilleux du quotidien, sans jamais émettre de jugement moral, en accompagnant les constats les plus cruels d’un grand éclat de rire ». (Vincent Simon, texte critique à l’occasion de l’exposition Roland Topor à la Galerie Martel, 2010).

Le commissaire :

Commissaire de l’exposition Sans tambour, ni trompette, Bertrand Godot est aussi responsable artistique de la Chapelle du Genêteil. Rattaché au Carré, scène nationale de Château-Gontier en Mayenne, ce centre d’art contemporain a pour vocation d’être un lieu d’expérimentation et de production artistique. Admirateur de l’oeuvre protéiforme de Roland Topor, Bertrand Godot a réuni sept artistes contemporains autour de cette figure tutélaire.
Pour Bertrand Godot, la présence à Nantes de Roland Topor ainsi que les artistes invités était évidente. Elle prend place dans une ville célébrée par André Breton dans son récit autobiographique Nadja en 1928, où sont nés des grands noms du Surréalisme comme Pierre Roy, Jacques Vaché, Claude Cahun ou Julien Gracq et où une importante exposition a été présentée en 1994, Le Rêve d’une ville, Nantes et le surréalisme.
Le titre de cette exposition, Sans tambour, ni trompette est emprunté à un dialogue du film de François Truffaut, Domicile conjugal, dans lequel l’acteur principal cherche un titre pour son roman et propose celui-ci.

Le corpus iconographique hybridé de Benjamin Monti

Benjamin Monti est un collectionneur d’images, de curiosités imprimées, de copies et d’oeuvres originales. À partir de ce corpus iconographique, il crée des oeuvres hybrides au carrefour des écrits littéraires, des arts graphiques et des arts plastiques.
Très actif dans la sphère du fanzinat, Benjamin Monti a participé à une centaine de publications pour des fanzines ou pour des petites structures éditoriales.
Depuis une dizaine d’années, il expérimente sans cesse de nouveaux dialogues entre le texte et le dessin (à l’encre de chine et au crayon), notamment par le roman graphique et le journal intime.
Fort de ces techniques, Benjamin Monti présente au lieu unique des dessins de petits formats (dont certains n’ont jamais été montrés) et réalisés sur des supports tels que cartes routières ou papier millimétré.

Benjamin Monti montre une cinquantaine de dessins dans l’exposition.

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