Marie Zolamian, Mer morte, Centrale for Contemporary Art, Bruxelles

Marie Zolamian. Mer morte.
Centrale for Contemporary Art

Centrale Box, dans le cadre de l’exposition de Johan Muyle, Indian Studio

Place Sainte Catherine, 11. Bruxelles 1000
du 7 novembre au 15 décembre
Vernissage le 6 novembre à 18h

Marie Zolamian

Mer morte

L’identité, l’accueil ou l’ostracisme, l’inscription dans une communauté, la mémoire, le déracinement, les flux migratoire, l’exil sont au cœur des préoccupations de Marie Zolamian. C’est là toute l’expérience de l’itinérance, du départ et du retour, de la temporalité vécue du voyage, de cette topographie où se mêle l’extérieur et l’intime.
D’origine arménienne, née à Beyrouth en 1975, Marie Zolamian pratique ce cheminement, cette mise en intrigue entre territoires réels et fictionnels, choisissant les medias adéquats au rythme de ses pérégrinations.

D’un séjour à Birzeit, en Cisjordanie, Marie Zolamian ramène une photographie souvenir, une singulière carte postale, trois oliviers étêtes, déracinés, ceps noueux et torchères fossiles. Leur stérilité, âpre, rugueuse, inquiétante, contraste avec la pyramide de fruits d’un étal de marché voisin. Elle ramène aussi ce film, ce long plan fixe, minimaliste et contemplatif, réalisé dans l’atelier mis à sa disposition. Devant l’objectif, il y a une tasse en verre posée devant la fenêtre ; y miroite une myriade de pigments dorés en suspension dans l’eau. « A travers le scintillement des paillettes qui composent le fluide précieux, on peut observer le coucher du soleil sur Birzeit, écrit Colette Dubois, dans le livret qui accompagne ce voyage. Les variations de la lumière déclinent toutes les couleurs de l’or et donnent au reflet qui se prolonge sur le rebord de la fenêtre tantôt des accents aigus, comme un fragment de soleil acéré, tantôt l’apparence d’une simple trace qui cherche à se fondre dans la surface ».

Certes, il n’y avait pas plus simple pour suggérer, évoquer toute la problématique de l’eau en Palestine, les planifications mises en œuvre par l’Administration civile israélienne, les enjeux vitaux, écologiques, économiques et politiques cruciaux que concentre ce bien précieux. L’eau est ici métaphore des relations entre les peuples, et bien plus encore. « La pièce réfère directement aux citernes d’eau qui se trouvent sur les toits de Cisjordanie, continue Colette Dubois. Ces cylindres noirs et massifs évoquent des éléments inquiétants : insectes géants, armes étranges ou explosifs… Figurer ces citernes comme une tasse de liqueur flamboyante dans laquelle le regard plonge avec une délectation certaine, y loger le crépuscule qui porte toujours en lui la promesse que demain sera un autre jour, tient tout autant du fantasme que de la volonté de renverser le cours des choses. »

En contrepoint du film, une longue table est recouverte de dessins. Des planches, des tables, un atlas. Nous feuilletons l’œuvre à loisir, laissant divaguer notre « volonté de savoir » ; nous arpentons cette cartographie, ces lignes en tous sens. Nous ne refermons l’atlas, le recueil de planches qu’après avoir cheminé un certain temps, erratiquement, sans intention précise, à travers son dédale, son trésor. Celui-ci est d’ocre et d’eau, nous cheminons sur des rivages d’or et, imaginons-le, sous un ciel aussi bleu que la mer. C’est là, pour reprendre les mots de Maria Kodama à propos de l’Atlas de Borgès « un prétexte pour enraciner dans la trame du temps nos rêves faits de l’âme du monde ». Les dessins sont de gouache et d’eau, certains sur Caravelle Vélin supérieur. Tous se nomment « Mer Morte ». Le sable est doré, l’or est liquide, c’est là le sel de la terre, cette alliance féconde.

Dans sa pratique artistique, Marie Zolamian collecte, juxtapose, compose les éléments mémoriels, qu’ils soient proches ou lointains, singuliers et collectifs. Ainsi occupe-t-elle ce nouveau territoire d’expérience sensible, intime et inscrit dans le monde, enrichi de sens. Et comme dans un continuum, Marie Zolamian complète ici le dispositif mis en place d’une lente procession de femmes, esquisses sur papier inspirées de miniatures orientales et persannes. Elles sont prêtresses et servantes, évoquent à la fois le don, l’altérité, l’ivresse des sens et la soumission. Il fut question de l’huile et de l’eau ; toutes, cette fois, font l’éloge et l’offrande du vin, ce rituel séculaire, qui tout comme ceux qui concernent l’eau lustrale, se situe au carrefour des cultures et des civilisations. Je repense au poème mystique d’ Ibn Al Fâridh, cet auteur du treizième siècle, à ces célèbres vers d’ « Al-Khamriya » : « Prends-le pur, ce vin, ou ne le mêle qu’à la salive du Bien-Aimé ; tout autre mélange serait coupable… ». Et devant l’or liquide de la tasse en verre de Birzeit, le cœur du poème mystique résonne singulièrement : « Notre verre, écrit Ibn Al Fâridh, était sa pleine lune, lui, il est un soleil ; un croissant le fait circuler. Que d’étoiles resplendissent au fond du verre quand on s’en abreuve ».

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