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Langohr, Lonchamps, Pierart, Sonnier, finissage. Guests : Dominique Castronovo & Bernard Secondini

Capitaine Lonchamps, Sophie Langohr, Pol Pierart, Valérie Sonnier : finissage ce dimanche 3 mars de 15 à 18h.

Guests : Dominique Castronovo et Bernard Secondini, « Il n’y a plus d’histoire. Il n’y a plus rien à vivre », 389 min.

On le sait, paradoxalement, la parole investit le cinéma muet, et pas seulement parce que les acteurs nous donnent à voir de continuelles faces volubiles. La parole ne cesse d’affirmer sa présence au creux de l’image ainsi que dans son intermittence. Ainsi, les nombreuses lettres, cartes de visites, télégrammes, coupures de presse filmés en plan fixe : Louis Feuillade, par exemple, en fera grand usage afin d’expliciter les intrigues dont ses films rendent comptent. Ainsi, de même, ces inter titres, ces sous-titres, ces cartons qui jalonnent les films et qui précisent la narration. Ils consistent en l’intrusion, au cœur d’une succession d’images nécessairement en mouvement, de textes qui constituent une sorte de calligraphie spécifique, créant une alternance qui apparaît comme la transgression d’oppositions diverses : celle du geste et du mot écrit, du mouvement et de la fixité, des différentes « couleurs » du gris et des mots blancs sur un fond noir… Ces cartons anticipent, annoncent, donnent naissance. Il chuchotent et exigent du spectateur une démarche active. Avec le muet, c’est l’œil qui écoute.

Souvent, sachons le pour la petite histoire, ces cartons ont disparus ; et souvent, il a fallu dès lors les reconstituer sur base des synopsis retrouvés dans les archives des maisons de production. Sur les copies, on les a, en effet, coupé, on les a remplacé, on les a traduit en d’autres langues. Le cinéma muet s’exporte bien plus facilement que le parlant. On leur a même donné parfois des accents plus régionaux en fonction du réseau de distribution des films. Et puis surtout, pour d’inévitables raisons d’économie, les techniciens ont souvent moins chargé de nitrate ces endroits spécifiques de la pellicule. Les cartons s’estomperont dès lors plus vite que ne le fera l’image filmique.

Dans leur remake de la saga des dix épisodes des « Vampires » de Feuillade, tournés en 1915 et 1916, film que Castronovo et Secondini titrent « Il n’y a plus d’histoire. Il n’y a plus rien à vivre », les auteurs semblent résolument avoir fait le contraire. Ici, ce ne sont plus que les cartons qui subsistent, l’image s’est, elle, irrémédiablement évaporé. Ainsi, des huit premières minutes du premier épisode – La tête coupée –, il ne reste qu’une image désespérément noire, ponctuée de quatorze cartons qui commentent de façon d’autant plus elliptique une image disparue : – L’action a lieu à Paris vers 1915. – Arrivée matinale dans la place citadine de Philippe Guérande, grand reporter du Mondial. – Le dossier Vampire – On l’a volé. – Mazamette ! – Vous l’avez volé ! – Allez chercher la police ! – L’argent, je comprends, mais le dossier – pourquoi ? Pourquoi ? – Maintenant, M. Guérande, nous y sommes tous les deux, morts ou vifs ! – Monsieur Guérande, le patron veut vous voir – Courrez vite là-bas ! A vos frais ! – Madame Guérande, la mère de Philippe. – Je me souviens que ton père avait un ami d’enfance qui habitait un château près de Saint-Clément-sur-Cher. – En Sologne, au château de la Chesnaye : le docteur Nox. – Mrs Simpson, la multimillionnaire américaine qui désire le château. (…). On l’avouera, le récit touche à l’absurde. Castronovo et Secondini se sont ainsi livré à un long travail d’effacement. Ils ont remplacé les 1920 plans qui constituent l’ensemble des épisodes des « Vampires » de Feuillade par du noir, ne conservant que les 418 cartons qui en constituent la trame textuelle. Le film ne se présente plus que sous la forme de longs plans noirs entrecoupés de cartons, et ce durant 389 minutes exactement. « Des films des années 10, tous les acteurs ont disparus et les lieux aussi, constatent-ils. Il n’y a plus rien, seuls les cartons qui ne veulent plus rien dire ».

« Dominique Castronovo et Bernard Secondini semblent dévider depuis une éternité un interminable ruban : celui de la disparition ou de la dissolution du sens, celui de la mort des images et de leur éternelle renaissance, écrit Emmanuel d’Autreppe. Par leurs extrêmes, la ruine et la profusion se touchent, se confondent. (…) Tout, chez eux, est accumulation, éclatement et remembrement, tout fait farine au moulin du concept (tragique, ironique, souvent les deux), et la puissance de leur acharnement donquichottesque, subtil et monomaniaque égale assurément celle du vent lui-même. Avec la même certitude de se perdre et de perdurer, par-delà l’accumulation et la dissolution des images, par-delà les bribes de signification que nous tentions d’y glaner en plein vol ». On ne peut, vraiment, mieux dire. S’instaure en effet ici, une dialogue de sourd entre le spectateur et ce qui est projeté, parce qu’il n’y a plus rien à voir, parce qu’il n’y a plus qu’à entendre, par intermittence, ce que lit l’œil.

Les 418 cartons des Vampires de Feuillade sont à voir ce dimanche 3 mars en parallèle aux photographies de Feuillade enneigées par le Capitaine Lonchamps.

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