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URBAN CREATURES

 

Le titre de cette série de photographies d’Aglaïa Konrad apporte un sens tout particulier à cette série non exhaustive. D’abord parce qu’une créature est un être vivant. Chicago, Basel, Pekin, Créteil, Lisbonne, Mexico ou Sao Paulo sont donc peuplées de créatures. L’artiste donne ainsi vie à ces tours, ces édifices qu’elle fixe par l’image, tout comme l’architecte les a extraites du néant. Car l’étymologie est précise : qui dit créature suppose un créateur. Ces créatures ne sont pas de nulle part, elles sont de l’imaginaire d’un architecte, d’un urbaniste. L’artiste, leur conférant ce statut leur donne vie et même les personnifie. Ne parle-t-on pas d’une créature excentrique ? « Adieu créature, je m’en vais dans la nature » chantait Serge Gainsbourg. Ces tours ne sont plus des objets ; elles ont leur propre personnalité, sont individuelles sur l’échiquier urbain. Elles sont à la fois autonomes, mais inscrites dans une topographie précise où elles occupent chacune une place stratégique en fonction des déplacements ou de leur environnement. Les plus singulières de ces tours, ne les baptise-t-on pas, d’un nom très officiel ou d’une appellation commune ?

 

Qui dit créature, de plus, en appelle à l’imaginaire, au fantasque. Étrange créature, dit-on, hybridité d’un monde fantastique, singularité hors du commun, déclassification dans l’ordre des espèces, êtres mythiques conservant leur mystère suscitant l’inquiétude ou l’appréhension ou le respect. Certaines de ces tours n’atteignent elles pas au mythe de la modernité ? Aglaia Konrad, parcourant les métropoles du monde dresse une sorte de bestiaire de ces tours toutes singulières. « Dans l'oeuvre d'Aglaia Konrad, écrivait Willem Orebeek, la ville est représentée comme un concept où nous nous trouvons et où nous projetons toujours notre ombre sur notre image. Masse, substance, question de connaissance et d'expérience; la profondeur matérielle de tout ce que nous percevons va au-delà de notre perception; nous percevons en images. Lorsqu’Aglaia Konrad évoque ces tours comme des créatures me vient à l’esprit l’image de la drag queen. Peut-être à cause des talons hauts, de l’hybridité du genre entre élancement phallique et appellation féminine, sans doute parce que cela participe d’un spectacle urbain, certainement en fonction de la parure et de l’ornement. Ou a contrario du pur refus moderne de celui-ci.

 

L’image urbaine, dans l’œuvre d’Aglaia Konrad, est délibérément pauvre. Elle n’a pas de support précis, pas de surface fixe, ne se revendique d’aucun des canons de l’acte photographique tel qu’habituellement codifié. Son œuvre est un vaste corpus interrogeant la ville, ses signes, sa modernité. L’image peut être argentique ou simple scan à jet d’encre, photocopie numérique, projection de diapositive, épreuve négative, etc. La valorisation critique de l’image intervient en son utilisation ponctuelle, contextuelle, comme une scénographie au sens où l’entendait Vitruve. Ces «urban creatures» n’échappent pas à cette règle de relecture. Cette fois, Aglaia Konrad présente neuf images, toutes prises la même année, en 2003. Elles sont présentées en damier, trois par trois. On pensera évidemment aux planches typologiques de Bernd et Hilla Becher, planches regroupant chaque fois neuf clichés rigoureusement identiques, suivant un protocole strict neutralisant l’objet photographié. Aglaia Konrad n’adopte pas du tout le même point de vue que le couple de photographes allemands, mais cette présentation typologique renforce sans aucun doute tant le côté non exhaustif de la série que cette image de classement d’étranges… créatures.

 

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016