FIAC PARIS 2004 - PERSPECTIVES

Orla Barry, Sylvie Macias Diaz, Joëlle Tuerlinckx, Aglaia Konrad, Christoph Fink, Walter Swennen, Honoré δ'O, Jacques Lizène

Projet extérieur : Leo Copers, VIPAG.

 

exhibition view

PROJET EXTÉRIEUR

LA VIPAG DE LEO COPERS PORTE DE VERSAILLES

 

Leo Copers aime à susciter la perplexité, occulter sans véritablement escamoter, entretenir cette science du secret, non que celui-ci se doive d'être bien gardé, mais parce qu'à l'instar du mystère magritien il est absolument nécessaire, comme une méthode, comme une maïeutique. L'artiste provoque la perplexité afin de convoquer un sens pluriel. Semant la confusion, il occulte pour mieux laisser surgir. Il gère consciencieusement l'hybridation des chemins de la pensée. Il se joue de la jurisprudence du visible, invite ainsi le spectateur à s'en déjouer. Tout, en effet, dans l'oeuvre de Leo Copers est élaboré afin que le spectateur éprouve l'oeuvre, afin qu'il l'épuise en quelque sorte de ce qu'elle a d'abondance spirituelle. En fait l'artiste construit son oeuvre, au creux du jeu tentaculaire des apparences, afin de nous mettre dans le secret. Cette fois, il se propose carrément de nous mettre au secret. Derrière les barreaux. Enfermé. En prison.

 

La Vipag , dénomination abrégée qui claque comme une marque, aussi étrange et hermétique qu’Yrnomlice, texte que Leo Copers récite rituellement cagoulé de noir, est une prison volontaire, individuelle, automatique et publique. Une prison aux barreaux d'acier inoxydable, haute comme une cabine téléphonique, large comme une vulgaire sanisette. Une geôle qui se referme sur son utilisateur pour un temps donné et contre monnaie sonnante et trébuchante. Car la prison est volontaire : on n'y est pas enfermé pour payer ses crimes ou sa dette envers la société; on paie pour s'y enfermer. Nul besoin de geôlier : si l'utilisateur décide seul d'entrer en prison, usant de son libre-arbitre, il en gère seul également les modalités. La prison est automatique, s'ouvre et libère à temps et à heure tandis que l'utilisateur monnaye la durée de sa peine. Dans notre monde automatisé où les distributeurs robotiques gèrent bon nombre de nos transactions quotidiennes, en voilà une de plus, et non des moindres, puisqu'elle touche à la privation de liberté.

 

Cette fois encore, l'artiste, geôlier en l'occurrence, est absent : c'est à son habitude de se retrancher derrière son oeuvre, au sens quasi mallarméen du terme. C'est dans sa pratique d'inviter le spectateur à lui-même expérimenter, éprouver l'oeuvre, participer activement à son aboutissement.

 

C'est également de l'ordre de ses préoccupations que d'évoquer violence, conflit et mise en danger, mariant l'eau et le feu, confrontant vie et mort, sublimant même cette dernière, violences naturelles et conflits humains. Et la mise en danger est ici aussi réelle que symbolique : oser s'enfermer, franchir physiquement la herse comme on passe sous les fourches caudines, entendre le mécanisme serrurier claquer, attendre, s’exposer, espérer la libération, saisir le moment où la grille s’ouvrira afin de s’affranchir. Se dire que l’on reste durant le temps d’enfermement à la merci d’un système électronique, cadenassé au vu de tous. Cette prison volontaire est comme une attraction de fête foraine, populaire, fascinante, qui fait sensation autant qu’elle en donnera à celui qui s’y risquera, qui attire donc, impressionne et que l’on redoute à la fois.

 

Elle est en fait l’image très actuelle du pilori médiéval, une mise au ban temporaire de la société. Car l’enfermement est public. La Vipag n’est pas destinée à un lieu fermé de monstration de la création actuelle : elle doit naturellement s’exposer en public, à l’air libre, sur la place publique. C’est sa fonction. Elle s’exposera au public, loin des cénacles, comme son utilisateur s’exhibera en public. On en oublierait presque qu’il s’agit d’une œuvre d’art. Le pilori est d’autant plus actuel qu’il est doté d’un système de caméra qui, à l’heure du village planétaire, permet de projeter les images sur n’importe quel écran, amplifiant l’importance de l’exhibition, élargissant le champ des voyeurs.

 

Ce jeu du pilori serait-il destiné aux amateurs d’auto- flagellation, légendait récemment un journal français ? Leo Copers, geôlier de la Vipag, s’est naguère cagoulé de noir afin d’apparaître une heure durant à une fenêtre éclairée dans la nuit, donnant à cette figure du secret une autre signifiance, celle du pénitent, choisissant pour cette performance la nuit du Vendredi saint. La figure de l’artiste est là encore une fois intempestive, intemporelle et tragique ; celle de l’usager de la Vipag aussi et par la même occasion. De quelle faute nous chargerons-nous glissant une pièce d’un euro dans le monnayeur de la Vipag ? Copers, brassant dans son œuvre entière la symbolique universelle, toucherait-il là aux mythes d’origine ? Quel sens donner à cette proposition d’enfermement ? Celui d’une libération ? D’une repentance ? D’une rédemption ? On sait que l’artiste apprécie les antinomies… À moins que passer le pas soit justement d’enclencher cette maïeutique, de tenter d’échapper à la perplexité, d’épuiser l’œuvre et, au secret, de pénétrer le secret. (Jean-Michel Botquin)

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016