JACQUES LIZENE - ARNAUD LABELLE-ROJOUX : FRONTIÈRE CORDIALE

JACQUES CHARLIER : ZONE ABSOLUE

CAPITAINE LONCHAMPS : COURANTS D'AIR

 

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Aux dernières nouvelles, Jacques Lizène n’est pas dans un trou (hou-hou), il est même comme un train qui sort d’un tunnel andalou (hou-hou). Il le chante dans son dernier clip médiocre présenté en avant-première parisienne, aujourd'hui intégré à une installation qui pourrait être le remake d’un tas de dessins réalisé pour le récent Tas d’esprit de Ben Vautier, combiné avec une autre oeuvre, une «sculpture nulle en référence aux sculptures génétiques, et à l’art syncrétique et involontairement à Duchamp, Magritte, Dali, Franquin, Picasso, Les Égyptiens, et la mythologie grecque, et les hindous aussi». Et hop, encore une oeuvre de faite, dirait Jacques Lizène, aussitôt installée en cette exposition “frontière cordiale” qu’il partage avec Arnaud Labelle-Rojoux, exposition dont le point de départ est assurément cette frontière, toute cordiale, tracée dans l’espace.

Amateur d’art, collectionneur virtuel, Jacques Lizène a en effet voulu, divisant la galerie en deux, rendre hommage à Jacques Charlier et son œuvre «zone absolue» réalisée à l’Apiaw en 1970. Cette frontière d’un usage rigoureusement sinueux entre les œuvres des deux artistes, démarcation matérialisée au sol et sur les murs, s’inscrirait donc dans le droit chemin d’un art de la citation que Lizène, grand pratiquant de l'auto-historicité, n’appliquerait, en ce cas précis, pas à lui-même. Quelques rétroactes s’imposent donc ici.

 

JACQUES CHARLIER, ZONE ABSOLUE

 

1968. Alors qu’il poursuit sa collecte de photographies professionnelles, légitimant les conditions dans lesquelles elles ont été faites et l’environnement non artistique dans lequel elles fonctionnent avant qu’il ne les déplace dans un contexte artistique, Jacques Charlier réfléchit le tout béton et l’établissement de «zones absolues». Aujourd’hui il qualifie ce travail de satire totale ou de délire mystique collectif. Charlier envisagea en effet une urbanisation béton, se proposant «de résoudre de manière sauvage et radicale le problème de l’habitat et de la circulation dans les cités», reflet certes d’une «imagination contrainte, fumeuse et irréaliste», mais radicale à tout le moins: remplir systématiquement les égouts et raccordements à l’aide de béton à prise rapide, bétonner les monuments classés, établir des murs de béton sur les axes routiers desservant les villes afin de les isoler, recouvrir les cours d’eau, bref couler une chape de béton sur la ville et sur le paysage, pour ne pas dire une chape de plomb. Remblayons la ville, établissons ces «zones absolues» que Charlier annonce d’ailleurs à l’aide d’une signalétique conventionnelle : «ici bientôt, zone absolue». Des saignées autoroutières percées jusqu’au cœur de la cité au tout béton envisagé place Saint Lambert, la politique Lejeune à Liège, inspire visiblement Charlier, tout comme la plage sous les pavés, dans un singulier retournement de situation, lorsqu’il envisage le recouvrement de ses chapes bétonnées de «bonne terre» et la plantation par-dessus d’une «zone verte, fleurie et giboyeuse, non edificandi».

 

1969. Tandis que Marcel Broodthaers, insincère comme il se doit, conseille à Charlier de plutôt peindre des blocs de béton sur toiles, ce qui se négocie infiniment plus facilement qu’une installation conceptuelle, les responsables de l’Apiaw jettent l’éponge et, puisque le temps est à la contestation, renvoient la programmation des expositions de l’association aux artistes eux-mêmes. Ceux-ci, réunis en collectif dans une brasserie de la ville, et en deux tours de votes, le premier bien naturellement contesté, envoient Jacques Charlier au front : à lui d’assurer la prochaine exposition.

 

D'UN COTE, JACQUES LIZENE

 

Arnaud Labelle-Rojoux et Jacques Lizène ont donc absolument tout divisé en deux, y compris le carton d’invitation de l’exposition. Le premier a décidé de rééditer la photographie du tatouage –sa signature – qu’il s’est apposé sur la plante du pied lors d’une performance réalisée… à Liège au Cirque Divers en 1994. Le second y vit comme une sculpture externe et y répondit dès lors par une photographie de ses propres pieds, chaussés, « socle de la sculpture interne, la Vasectomie, 1970 », ce qui les mit donc pied à pied.

 

Leurs rencontres multiples ne datent pas d'hier. Déjà en 1995 à Avignon, ils planchaient conjointement, avec Houellebecq, Jouannais, Bérard et d'autres, sur une "théorie et pratique de la parodie", le ratage en point de mire. Depuis, on les retrouva au Public à Paris (2000), au cabaret Schpountz (2003) à Marseille, à Bayonne pour "quelques choses en place" (2005) ou tout récemment dans le cadre de "Notre Histoire" au Palais de Tokyo. “A deux – ou a plusieurs- on est plus égos” a l’habitude d’énoncer Labelle- Rojoux, grand pratiquant des collaborations multiples.

 

Si Lizène cite Charlier, de façon tout aussi immédiate, il rend un même hommage au Capitaine Lonchamps et à ses photographies de courant d’air. Une part essentielle de sa contribution à cette exposition consiste en effet, outre le dépôt de deux placards à tableaux dont certaines peintures à la matière fécales, en l’installation de plusieurs fenêtres monumentales et en plein-cintre, grandes comme celles du musée, telles celles qu'il dessinait il y a un an sur les murs de la chapelle romane de Geneteil dans la Mayenne, cintres bordés de sculptures génétiques dessinées sur enveloppes de papier, résidus des courriers reçus jour après jour. Toutes portent le titre d’ "interrogation génétique en art syncrétique façon dessins médiocres, 1964, 1965, remake 2006". Installations quasi matissiennes, « comme le bleu de la révélation de Raymond Roussel sur la Croisette, tragique entre la mort et la vie », ces interrogations génétiques sont comme un bestiaire et une galerie de portraits de croisements les plus divers, fantasques même, démultipliant cette question fondamentale qui parcourt l'oeuvre lizénienne depuis son refus de procréer et qu'il développa de toutes manières, concevant, y compris, des musiques génétiques.

 

DE L'AUTRE, ARNAUD LABELLE ROJOUX

 

Empêcheur de penser en rond, hybride duchampien mâtiné d'esprit Fluxus et "d'ésotérisme troupier", selon Jouannais, comique, complexe, trivial, Arnaud Labelle-Rojoux fait feu quant à lui de tout médium, peinture, performance, vidéo, sculpture, écriture. Adepte du burlesque, du grotesque, L.R déclare en 1993 que l’acte poétique par excellence réside selon lui au cœur du gag burlesque ou de toute chose qui plastiquement ou dans le langage s'en rapproche. Agissant comme un performer qui refuserait l’enfermement dans la discipline performance, il dit aussi que quant à faire sens et générer de la pensée, c’est le processus créateur tout d’abord qui l’intéresse "fait de jeux de sens, de glissements, d’une ribambelle d’associations d’idées, de non maîtrise" C'est ce qu’aujourd’hui il tisse et recompose, comme il l’a fait au Palais de Tokyo pour «Notre histoire», puisant dans ses cartons, slogans, dessins, collages, toiles et autres détournements dont il déconstruit patiemment la sérialité au fil des installations afin d’élaborer une fresque aux média divers, décapante, intempestive, drôle, actuelle, impertinente, tendre, vulgaire, cultivée, effrontée, impudente, intelligente, cruelle et drôlement juste. «Foutu, pour foutu, lisez Schopenhauer», «tirez sur lepeniste», «pâleur de la mine, malheur de la pine», «L’hypothèse selon laquelle la tête de veau aurait des effets sur l’art français est complètement absurde». Vraiment, Hyde et Jekill ne sont pas loin de Mr Broccoli et mister Hulk.

Auteur de l'incontournable "Acte pour l'art" (1998), bible de la performance, Arnaud Labelle-Rojoux a entre autres publié "Twist dans le studio de Vélasquez", "Récits de la vie de Michelangelo Merisi, dit le Caravage" ou encore, chez Yellow Now cette fois, "Leçons de Scandale", ce qu'il pratique lui-même avec assiduité. Revendiquant haut et fort ses sources d’inspirations rock ‘nd roll, fasciné par Elvis qu'il envisage comme une sorte d'ange du bizarre, gros bébé de son époque, à l'innocence tissée de perversité, l'impuissance trouble, image incarnée du refoulé américain, il vient de publier “Elvis + Il est vivant”.

 

EN PRÉSENCE DU SULTAN DE BOUILLON

 

Labelle Rojoux et Lizène en étaient, Antaki aussi. Il y a quelques semaines, pour le Tas d'Esprit cité plus haut, Antaki installait sur le trottoir de la rue de Seine à Paris, son trône de Sultan de Bouillon, proposant au quidam et passant de s'y installer pour un moment photographique, roi ou reine d'un cliché, d'un royaume singulier le sien, celui qu'on se choisit. Lizène s'y fit, par exemple, photographier en roi des médiocres. Antaki s'est effectivement auto-proclamé Sultan de Bouillon, comme il est également Grand Jardinier du Paradoxe et du Mensonge Universel, limonadier, directeur du mensuel C4, explorateur syrien, poète de l'opportunité, chevalier de de la Taste Fesse (démissionnaire), inventeur du Canon à beurre et du métaphone. Il installe donc son trône de sultan à la galerie, durant la soirée de vernissage.

 

CAPITAINE LONCHAMPS, EN COURANTS D'AIR

 

Enfin, les courants d'air de Capitaine Lonchamps. "Un vent chasse un autre vent", écrivait-il en guise d'aphorisme dans son récent "Boum". Et il va de soi qu'un courant d'air se photographie. C'est là une façon d'établir par l'imaginaire une phénoménologie poétique. Deleuze lui-même n'a-t-il pas énoncé que la pataphysique était annonciatrice de la phénoménologie ? Capitaine Lonchamps montre donc, d'une fenêtre à l'autre, une longue théorie de ses courants d'air qu'il expose également à la Fondation Boris Vian à Paris dans le cadre d'une collective abordant la thématique de l'invisible. Cela tombe sous le sens.

 

Bref, dirait Jacques Lizène : "on ne s'ennuie pas un seul instant" .

 

 

 

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016