JACQUES LIZÈNE
DÉSASTRE JUBILATOIRE (COMMISSAIRE : JEAN DE LOISY)
JACQUES LIZÈNE
DÉSASTRE JUBILATOIRE
RAPIDE RÉTROSPECTIVE 1964 - 2011
Passage de Retz, Paris
16.10 - 26.011. 2011
Jacques Lizène, autoproclamé "petit-maître liégeois", se définissant lui même comme artiste de la médiocrité pris en 1966 le parti de "l'art sans talent". Depuis cette période , sa position délibérément iconoclaste sabote les emphases du grand art et, se situant délibérément du côté de la part maudite de la création qu'est la médiocrité casse les postures autoritaires du jugement. Sa démarche qu'il qualifia en 1965 d'art d'attitude le conduit à utiliser tous les supports à la disposition de l'art moderne, body art, vidéo, installations, peinture, chansonnettes, non sans corrompre par l'absurde ou la dérision l'esprit et le potentiel de chacun de ces moyens, les faisant basculer dans le ratage ou la trivialité.
Pourtant après plus de quarante ans de cette obstination a explorer la banlieue de l'art, comme malgré lui, son oeuvre radicale circonscrit un territoire absolument singulier où prime l'expression d'une liberté absolue et dont l'influence sur les générations suivantes ne cesse de croître. Jacques Lizène, soutenu sans faille depuis des années par des regardeurs aussi divers que Jean Yves Jouannais, Ben, Arnaud Labelle-Rojoux, Guy Scarpetta ou Harald Szeeman, rejoint par son attitude, la lignée des scandaleux qui des cyniques à Jarry, de Dada à Cravan ou Picabia, résistent à toutes les récupérations, déjouent les scénarios de la critique et les panthéons préfabriqués.
L'exposition présentée par le passage de Retz sera la première occasion en France de découvrir l'ensemble de cette oeuvre libre, burlesque, désespérée, bruyante et très souvent à la pointe de l'invention dans l'art de son époque. Ainsi, depuis ses premières oeuvres d'attitude dans les années 60, les vidéos dès 1970, la vasectomie comme sculpture intérieure en 1970, les photographies perçues-non-perçues commencées en 1972, les peintures à la matière fécales de 1977 ou ses nombreuses performances et réalisations musicales jusqu'aux peintures et sculptures génétiques d'aujourd'hui, ses oeuvres tracent un sillage énergumène dans lequel se mêlent l'art et la vie et qui en dépit des dénégations de l'artiste, constitue in fine un corpus majeur exceptionnel. (communiqué de presse)
JACQUES LIZENE, LES BANLiEUES DE L'ART
Celui qui s'est autoproclamé depuis 1970 "le petit maître liégeois de la seconde moitié du XXe siècle", artiste de la médiocrité et de la sans importance' révèle ici ce que l'on pressentait : la grande cohérence de son oeuvre et son caractère visionnaire. Pendant plus de quarante ans, Jacques Lizène, a exploré les marges de l'art, mais, comme le disait Jean-Luc Godard, "la marge, c'est ce qui fait tenir les pages ensemble". Et c'est dans cet espace singulier qui fait cohabiter nonchalance et détermination, dans une extraordinaire fidélité à lui-même, que l'artiste a accompagné et/ou initié les dernières avant-gardes. On pourrait même avancer qu'il en est une à lui tout seul. Si l'exposition accorde une grande place aux travaux des années septante, elle est moins chronologique que thématique - la pratique du 'remake' l'impose -, avec des contrepoints judicieux qui maintiennent la tension de la totalité de l'oeuvre.
Les premières salles mettent l'accent sur la maladresse, mais ce défaut est tellement assumé qu'il en devient qualité, une manière somme toute élégante de dépasser les limites. Les salles suivantes s'attachent au 'conceptuel comique', dont il est sans doute l'initiateur et le seul représentant convaincant. Elles réunissent des projets, des travaux photographiques des années 70 et leurs remakes plus récents jusqu'à l'évocation (presque une reconstitution) des premières expositions de l'artiste à la galerie Yellow Now de Liège. Enfin, si l'art syncrétique se glisse partout, il domine la dernière salle avec les portraits croisés, les instruments de musique modifiés, les sculptures génétiques, les chaises. La mezzanine est occupée par un 'partage de cimaise', une pratique qu'il reproduit régulièrement depuis 1974, on y trouve des interventions de Capitaine Lonchamps, Michel Boulanger, François Curlet, Marie Zolamian, etc.
En associant les travaux anciens (qui ne sont parfois que des projets) et les pièces récentes, l'exposition éclaire la continuité de l'oeuvre. Les premières manifestations de l'art syncrétique datent de 1964, on en trouve ici des remakes et tout le déploiement : les accouplements de chaises qu'il nomme 'Chaises découpées et croisées', les portraits croisés, les instruments de musique modifiés, les sculptures génétiques et, par un dispositif vidéo en circuit fermé, la possibilité de croiser son propre visage avec celui de Picasso.
Une thématique émerge particulièrement de l'exposition : celle du cadre. D'abord fenêtre et volet ('Volet clos hommage à la non procréation - expo Yellow Now 1969, remake'), il devient exploration photographique et vidéo (les séries de photos de 1971, les deux vidéos 'Tentative de dressage d'une caméra' et 'Tentative d'échapper à la surveillance de la caméra'), les peintures titrées 'Tentative de cadrage', mais aussi les photos trouées, le 'bord de corps' (1973) - 19 photographies reconstituant une jeune femme en ne laissant voir que les limites de son corps.
Ne marquant aucune limite entre l'art et la vie, Lizène a pratiqué l'art conceptuel, urbanisé le land art, étendu le body art ('Vasectomie, sculpture interne' et le 'Grand mur à la matière fécale, toile annaliste'), initié l'art vidéo. Sur le mode de la dérision et de l'absurde, il use et abuse de tous les supports. Mais n'y voir que du désordre et du je-m'en-foutisme témoignerait d'un regard trop superficiel ou hypocrite. Ce serait oublier l'importance du rôle du bouffon et ignorer que le burlesque est la forme la plus subtile et la plus virtuose du désespoir. (Colette Dubois, dans H.ART)