SCULPTURES NULLES, MEUBLES DÉCOUPÉS, NAUFRAGES DE REGARD

 

Lizène découpe les meubles. Joyeusement, le mobilier sombre et vacille. Le désastre est jubilatoire. Commodes et buffets s’hybrident de la même façon, dans l’inachèvement d’une submersion, d’un engloutissement ; c’est un continuel Naufrage de regard (2003). Petit maître (1969) d’Art nul (1966), il déséquilibre le mobilier, pose sur les meubles des natures mortes dites à la maladresse (1974), les accompagne de marines chavirées (1970) et craquelées (1964), leur prescrit des décors néo déco (1987), couvre les miroirs de nouvelles abstractions nulles (1987), de motifs de style néo floral (1991), de masques syncrétiques (1964). En un saisissant système autarcique, Lizène croise les projets, les propositions, les idées nulles, tous et toutes toujours bien assignés à la date de l’idée, en des dispositifs débridés.

«Le principe du bricolage, note l’ethnologue Bertrand Hell, est ontologiquement liée à la fonction du maître du désordre. Mais ce principe ne gouverne pas uniquement la forme et l’enchaînement des rites. Il conduit à également maintenir ouvert le système de représentations de l’invisible. Celui-ci ne peut être pensé comme un monde figé, immuable ». Et Bertrand Hell ajoute : «Dans leur art du bricolage, les maîtres du désordre savent manier plusieurs ficelles. Il en est une qui détonne tout particulièrement au regard de notre conception occidentale du religieux, à savoir le rire». Le rire lizénien qui s’esquisse en ses «Tentatives de Sourire» (1973) est le redoutable moteur de son œuvre.

Ses archéologies contemporaines, traces de maisons démolies et autres buildings gondolants (1964-66), son intérêt pour la fissure et la lézarde (1964) qui donnera lieu au morcellement de cimaise (1970) en témoignent tout autant que la submersion de ses meubles découpés : Jacques Lizène réactive le Ruinisme mais il en brinquebale les concepts établis. Je repense à ces lignes écrites par Sophie Lacroix sur la fonction critique des ruines : «La ruine est alors ce grand corps qui a perdu son principe fondateur, et qui n’est plus qu’une multitude de liaisons passagères, contingentes. La ruine n’est pas le résidu laissé par une action qui a déjà eu lieu, elle est la présentation d’une action présente, car ce qui la distingue, c’est la conjonction d’un mouvement de déconstruction et l’énergie qui est à l’œuvre dans cette déconstruction, qui exclut que nous puissions penser cette tendance déconstructive comme une abstraction ou une déréalisation». Il y a dans le chaos lizénien, une imprédictibilité aussi surprenante que stimulante. (jean-Michel Botquin)

Lizène cuts up furniture. Happily, the furniture collapses and wobbles. The disaster is exhilarating. Dressers and buffets are hybridized in the very same way, in the incompleteness of a submersion, an engulfment; it is an everlasting Shipwreck of glances (2003). The small-time Master (Petit maître) (1969) of Worthless Art (Art nul) (1966), discomposes furnishings, places still lifes dedicated to clumsiness on the furniture (1974), matches them with cracked (1964) and overturned marines (1970), places them in neo-Deco settings (1987), covers the mirrors with new worthless abstractions (1987), with neo-floral style patterns (1991), and syncretic masks (1964). Operating within a startlingly self-referential system, Lizène turns projects, proposals, and worthless ideas – each and every single one always clearly connected to its date of conception – into unbridled devices. « The principle of tinkering, remarks anthropologist Bertrand Hell, is ontologically related to the function of the master of disorder. But this principle does not only govern the form and sequence of rites. It also serves to keep open the system of the representation of the invisible. This can be thought of as a frozen, immutable, world. » And Bertrand Hell adds: « In their makeshift art, the masters of disorder know how to pull several strings. There is one that particularly stands out with regard to our Western concept of religion, and that is humour « 1. The Lizènean humour as it takes shape in his «Tentatives de Sourire » (Attempts at Smiling) (1973) is the formidable engine of his oeuvre.

His «archéologies contemporaines» (contemporary archeologies) (1966), «traces de maisons démolies» (traces of demolished houses) and other «buildings gondolants » (warped buildings) (1964-66), his interest in the crack and the fissure (1964) which will lead to the «morcellement de cimaise» (fragmentation of the picture rail) (1970) make it very clear, as does his submersion of cut-up furniture: Jacques Lizène resuscitates Ruinism but jumbles its established concepts. This reminds me of what Sophie Lacroix has written on the critical function of ruins: «The ruin, then, is that great body which has lost its founding principle, and which has become nothing more than a multitude of fleeting, accidental connections. The ruin is not a residue left by an action that has already taken place; it is the representation of an actual action, because what distinguishes it is the conjunction of a deconstructive action and the energy at work in this very deconstruction, which prevents us from seeing this deconstructive tendency as an abstraction or derealisation.» There exists in the Lizènean chaos an unpredictability that is as surprising as it is stimulating. (Jean-Michel Botquin)

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016