Contraindre le corps (1971-73)
Juste après son exposition Art Spécifique (1970), Jacques Lizène crée un ensemble d’œuvres filmiques et photographiques soulignant une approche spécifique au médium, des images toutes intrinsèquement liées à leurs titres qui décrivent les performances absurdes représentées dans les images. Ainsi en va-t-il de Contraindre le corps à s’inscrire dans le cadre de la photo, de Contraindre le corps d’une jeune fille dans le cadre de la photo ou de photographier un personnage refusant de subir la contrainte des limites du cadre de la photo, toutes ces œuvres participant d’un plus ample projet consistant à Contraindre toutes sortes de corps à s’inscrire dans les limites du cadre de la photo, y compris des corps de policiers. Image par image, l’appareil photo ou la caméra se rapproche de plus en plus du sujet, le forçant à se pencher de plus en plus jusqu’à ce qu’il apparaisse totalement contenu dans le cadre en position fœtale, un comble régressif pour un artiste qui adhère aux idées d’Émile Cioran dissertant de l’Inconvénient d’être né. Chantre du ratage et du fiasco, l’artiste-performer disqualifie son propre travail lorsqu’en 1972, il ne réussit pas à garder la tête et les pieds parfaitement au bord de l’image. Il barre dès lors son film à la main, image par image.

Contraindre le corps nu d’une jeune fille dans le cadre de la photo. Projet : Contraindre toute sorte de corps nus ou habillés, y compris des corps de policiers à s’inscrire dans les limites du cadre de la photo, 1973. Accompagné d’un personnage refusant de subir la contrainte des limites du cadre de la photo, 1971-73. Photographies NB, impressions numériques, 9 x 40 x 50 cm, 2011. Dimensions du dispositif : 310 x 40 cm

Personnage photographié refusant de subir la contrainte des limites du cadre d’une photo, 1973. Photographie NB, tirage argentique (1973), 16,5 x 22 cm. Encadré : 41 x 31 cm

Un film barré à la main, 1971-1972
NB, sans son, Super 8 numérisé, 1’31, réalisation Galerie Yellow.
Avec la caméra placée à différentes distances, tentative ratée , d’inscrire le corps dans le cadre de l’écran, tête et pieds parfaitement au bord. 1971. Film barré image par image, à la main, en 1972
Travaux sur le cadre (1971)
Outre ses travaux sur les Contraindre le corps, Lizène développe une série de travaux filmiques et photographiques sur la spécificité du cadre de l’image : Entrer joyeusement dans le cadre, accrocher sa cravate au bord du cadre, se promener d’un bord à l’autre du cadre, se promener autour du cadre, s’identifier au bord de cadre, s’introduire simultanément dans le cadre de deux photos, etc. L’aspect performatif exécuté par l’artiste lui-même relie ce groupe d’œuvres au canon conceptuel, plus précisément à l’art conceptuel californien dont Bruce Nauman est une figure clé, un jeu conscient de soi et centré sur soi, une nouvelle relation avec la problématique de l’image mise en scène, une relation différente avec le réel. Usant, comme Bruce Nauman l’a également fait, d’une stratégie tautologique entre titre et image, Lizène donne à son travail une dimension humoristique, absurde, éminemment subjective, une stratégie qui s’inscrit parfaitement dans la lignée de la Subversion des Images (1929-1930) du surréaliste bruxellois Paul Nougé ou de René Magritte dans ses clichés amateurs. L’artiste devient objet perturbateur de l’image qu’il manipule par ailleurs. En 1990, Lizène déclarera être l’inventeur du conceptualisme comique, rejoignant sans le savoir puisqu’il ne les connaissait pas à l’aube des années 70, William Wegman, Bas Jan Ader ou Ger Van Elk.

Petit Maitre liégeois hésitant à entrer dans le cadre de l’une ou de l’autre photo, 1971
Photographies NB, tirage argentique (1971), 18 x 24,5 cm. Encadré : 37 x 43 cm

Promenade autour du cadre de la photo, 1971
16 tirages argentiques couleurs. 44 x 48 cm. Encadré : 62 x 79 cm
Pieds (minimal body art)
Petite chanson répétitive et non séductive à placer dans les galeries et les musées
Dans sa Rapide Autobiographie (Tome II), Jacques Lizène précise qu’il devient photographe non photographiant en 1971. Il fait réaliser par un photographe professionnel, en l’occurrence son galeriste Guy Jungblut, trois photos grandeur nature : ses deux pieds chaussés, ses deux pieds en chaussettes et ses deux pieds nus. Les trois photos sont destinées à être exposées au bas d’une cimaise de galerie ou de musée. Il compose, pour accompagner ces photos une première petite chanson non-séductive et répétitive pour cassettophone. Et il chante : Mais qu’y-a-t-il sur mes souliers ? Deux lacets lacés ou délacés. / Mais qu’y-a-t-il sous mes souliers ? Deux semelles caoutchoutées. Mais qu’y-a-t-il dans mes souliers ? Deux chaussettes et deux pieds. / Mais qu’y-a-t-il au bout de ces deux pieds ? Dix doigts agités, agités, agités. Houplalala, houplalala. Le tout est chanté sur un ton nasillard et très monotone, le chanteur envahi par une grande lassitude. L’artiste précise que ce genre de chansons doit être recommencé sans cesse par l’interprète jusqu’à l’épuisement ou le dégoût. De quoi agacer les visiteurs de la galerie ou du musée. Pieds, titre de l’œuvre, a été montrée à la Neue Galerie à Aachen en 1972 à l’occasion de l’exposition Lüttich, Galerie Yellow Now, ihre Künstler im Studio. Elle a également été exposée au Palais des Beaux-Arts de Charleroi en 1971 pour l’exposition Tendances… l’art jeune en Belgique. Au catalogue, elle y figure sous un autre titre, révélant une autre dimension de l’œuvre : Petit Body Art réalisé avec les pieds. Du minimal body art, dira Jacques Lizène, où du Body Art Nul, le petit maître agitant son gros orteil dans sa chaussure, dans l’esprit du perçu non perçu (1973)

Pieds, minimal body art, 1971
4 photographies NB, 45 x 58 cm
Petite chanson répétitive, pièce de musique non séductive à placer dans les galeries et les musées, 1971