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Tokonoma, diary (3)

24 mai

En 2005, pour cette exposition « Iconocity », Aglaia Konrad produit un ensemble de nouveaux travaux qu’elle nomme « platenbild ». De ses archives, elle a extrait des images urbaines prises au quatre coins du monde. Photocopies surdimensionnées, elles sont étalées et marouflées, en bandes, sur des panneaux de bois de dimensions identiques et standardisées (110 x 220 cm). Aglaia Konrad pose ces panneaux contre les murs de l’espace d’exposition mais elle ne les juxtapose pas dans le but de reconstituer les images, elle les agence librement, les superpose partiellement et mixte les panneaux marouflés. Elle constitue ainsi de nouvelles réalités urbaines, fictionnelles puisqu’associant différents espaces urbains. Etrangeté de l’image, ces ensembles de panneaux posés contre les murs confèrent à la ville une force et dimension plastique très singulière. C’est une photographie prise à Pekin qu’Aglaia Konrad a confié à Suchan Kinoshita. Celle-ci pose les panneaux dans le dispositif, régulièrement, parallèlement, dans un même plan. Entre les panneaux, on devine, on perçoit, la présence des images en perspective. Seule, la dernière, est frontalement visible dans son intégralité. Elle constitue le plan vertical le plus haut de la diagonale. On y découvre, dans un entrepôt, une empilement de caissettes en cartons, des conditionnements de cigarettes de diverses marques. Ces boîtes sont posées en équilibre instable sur une petite table bancale. L’instabilité de édifice, la construction verticale de l’image, cette tranche de panneau de bois peint, ou de porte, qui semble soutenir les empilements de boîtes renvoient à la stabilité du dispositif diagonal de l’installation et lui donne ainsi une singulière perspective.

Suchan Kinoshita a ramené une œuvre originale de Marcel Broodthaers. Une lettre ouverte, un feuillet in 4°. Impression noire sur fond blanc. Recto. Daté « Ostende, le 7 sept. 1968 », à en-tête « cabinet des Ministres de la Culture ». Intitulé : « Ouverture ». Le bord supérieur est légèrement défraichi.  Marcel Broodthaers écrit : « Nous avons le plaisir d’informer la clientèle et les curieux de l’inauguration du « Département des Aigles » du Musée d’Art Moderne. Les travaux sont en cours : leur achèvement déterminera la date à laquelle nous espérons faire briller, la main dans la main, la poésie et les arts plastiques. Nous espérons que notre formule « désintéressement plus admiration » vous séduira. Pour l’un des Ministres, signé : Marcel Brodthaers (sic) ». Sous la lettre proprement dite, et sur une dizaine de lignes, s’aligne une répétition de trois mots, tapés en majuscules : OBJET METAL ESPRIT.

Conférant une officialité ministérielle à sa missive, en termes fort choisis, s’adressant aux curieux et clients, Broodthaers annonce l’ouverture de ce « Département des Aigles du Musée d’Art Moderne », dès lors comme si ce dernier, le Musée d’Art Moderne, existait déjà. En fait, il annonce une œuvre en processus qui l’occupera quatre ans, jusqu’à la Faillite du musée en 1972. Les notions de musée et de processus sont bien évidemment présentes dans le dispositif de « Tokonoma ». Nous avons le plaisir d’informer la clientèle et les curieux de l’inauguration de « Tokotoma ». Les travaux sont en cours, pourrait-on écrire. Je me rappelle que  Johannes Cladders, qui inaugura le Musée broodtharcien, écrit qu’ « il est l’irréel des artistes, des poètes et des aigles ». En fait, un espace mental, un espace de pensée, constitué d’une succession de manifestations réunissant un certains nombre d’objets choisis pour leur contenu et non pour leur aspect formel. Lors de l’inauguration de la Section XIX e siècle, vingt jours exactement après la lettre d’Ostende, le musée était composé d’un jardin, d’une tortue, de caisses portant des indications de galeries, de marques d’envoi et de destination, et d’une série de cartes postales. On y repensera bien sûr devant la caisse du « Black Out Screen » de Willem Oorebeek. Suchan Kinoshita n’a pas encore décidé de la place qu’elle assignera à cette « ouverture » broodtharcienne, mais la lettre ouverte rejoindra le dispositif. C’est certain.