Archives quotidiennes :

Jacqueline Mesmaeker, FIAC Online Viewer Room, les oeuvres

Jacqueline Mesmaeker
La Serre de Charlotte et Maximilien, 1977
Mixed media, bamboos, glasses, video projection
200 x 265 x 40 cm

Jacqueline Mesmaeker érige en 1977, une serre dans un jardin à Bruxelles. La serre est haute, étroite, tellement étroite qu’on ne peut la pénétrer, assemblage de bambous et de verres de serres qu’elle a collectés ça et là. Cette serre, elle la nommera La Serre de Charlotte et Maximilien en référence à l’intérêt que Maximilien portait à la botanique, en référence aussi aux château et serres de Bouchout en Belgique, là où fut enfermée Charlotte a son retour du Mexique. L’essayiste Thierry Smolderen est témoin de cette installation, il évoque « un aquarium aux facettes disjointes où évoluent des petits poissons – lumières immobiles », « un kaléidoscope reproduit par des Aborigènes avec des éléments de fortune », ou « une machine exposée dans les jardins de Raymond Roussel ».  Durant cette exposition Jacqueline Mesmaeker projette des petits films de Mickey au travers des vitres de la serre qui agissent ainsi en « feuilleté ». On a pu le constater avec la récente reconstitution de la serre : celle-ci agit comme une lanterne magique, l’image animée de Mickey traversant les couches de verre comme des lucioles, hantant les murs avoisinants à la manière de fugitives ombres chinoises. Ainsi cette première expérience filmique éprouve déjà la création d’un espace par un environnement en utilisant une pellicule préexistante.

Jacqueline Mesmaeker
Surface de Réparation, 1979
video installation on natural silk, 8mm digitized films – loop
Variable dimensions

En 1979, Jacqueline Mesmaeker capte les envols quelque peu burlesques d’amis footballeurs amateurs. Elle destine ces images à la conception d’une installation : Surface de réparation, allusion au grand rectangle situé devant la cage du gardien de but, est prévue pour une exposition qui n’aura jamais lieu, les films seront remisés au placard, reconditionnés en 2009 pour la vidéo I’m a foot fan. Ce n’est qu’en 2020 que le projet initial a pu enfin être réalisé C’est une mise en pièces du jeu de football. Sur dix écrans de tulle de soie, deux projecteurs font apparaître en boucle des ballons solitaires évoluant dans l’espace, de gauche à droite et de droite à gauche. Perpendiculaires à ces écrans feuilletés, deux écrans translucides sur lesquels sont projetés des joueurs mimant le jeu sans ballon. Les touches ne se font qu’au hasard des projections. De fait, les ballons transpercent les tulles en tous sens comme Mickey traverse les verres des serres, comme des ballons de foot fouettent les filets, tandis que les joueurs, bien maladroits, tapent dans le vide. En est-il un qui touchera le ballon au fil des mises en boucle du dispositif ? La capture cinématographique n’est finalement qu’illusoire puisque Jacqueline Mesmaeker cherche à la rendre, paradoxalement, indomptables aux travers de « péripéties », incidents imprévus, petits rebondissements qui viennent troubler l’œuvre et nos structures perceptuelles. « Filmer c’est capter, projeter c’est peindre. Captées et puis restituées dans un espace clos sur des couches vaporeuses, les empreintes, ainsi projetées et multipliées suintent de fil en fil en couches fluides comme de l’aquarelle.

 

Jacqueline Mesmaeker
Les Charlottes, 1977
copies of glasses, pictures and documents on a photocopier. 
(16) x 95 x 65 cm

Cette suite des Charlottes (1977), du nom de Charlotte de Belgique, éphémère impératrice du Mexique, a été créée sur un photocopieur, utilisé en quelque sorte comme une chambre noire à tambour. La vitre du photocopieur est telle une feuille transparente, c’est un verre, en effet, sur laquelle Jacqueline Mesmaeker posera d’autres verres, récupérés lors de la destruction de nombreuses serres brabançonnes, des livres, des documents, des reproductions photographiques, ces portraits de la princesse Charlotte, captive dès lors de ces plaques de verre comme elle le serait d’une antique émulsion au gélatino-bromure d’argent. « Le bonheur d’utiliser le verre » écrit Jacqueline Mesmaeker dans un carnet, d’ailleurs reproduit dans l’une des Charlottes. Non pas seulement le bonheur de réhabiliter ces verres soufflés des anciennes serres brabançonnes qui ont rythmé son paysage usuel et familier, mais bien le bonheur de pouvoir les considérer comme support de toute émulsion. Car tout ici, est question de déplacement, de répétition, de continuité et de discontinuité, de projection, d’impressions, au sens propre comme au sens figuré, afin de révéler les images dans de nouveaux régimes de perception et d’intelligibilité.

Jacqueline Mesmaeker
Vacillement, 1986
fil de géomètre – surveyor’s wire 
dimensions variables – variable dimension

Vacillement est l’image de l’obélisque volé, transporté vers d’autres lieux. Au déplacement de l’obélisque de Louxor sur la Place de la Condorde à Paris, symbolisant un pouvoir lui-même mouvant au gré des régimes, Jacqueline Mesmaeker aurait répondu, non sans une douce ironie, par un second déplacement, doublé par l’évocation en deux stations de sa possible mise à bas. Réalisée au moyen de fils de géomètre projetant une couleur soit verte soit noire, la hauteur ainsi que les proportions de ces vues en perspective simplifiée du monument sont pour chacune d’entre elles modifiées : plus la taille de l’obélisque diminue, plus ses proportions tendent à s’élargir, à se pencher jusqu’à être portées à un point de déséquilibre. À l’instar de certaines interventions contextuelles d’artistes post minimalistes interrogeant notre perception de l’espace (où à Sol Lewitt nous pourrions rajouter les travaux de l’artiste néerlandais Jan Dibbets), Vacillement tend à inquiéter notre appréhension de l’espace. Jacqueline Mesmaeker soumet en effet au vacillement une forme et un monument qui symbolisent dans l’imaginaire collectif la stabilité spatiale et la persistance temporelle : fiché dans le sol et dressé inébranlablement vers le ciel, l’obélisque se manifeste comme une entité stable dans l’espace, mais également comme un monument qui parvient à maintenir sa station malgré le temps et les risques de déchéance.

Jacqueline Mesmaeker
Last Shot, 2006
Réalisation : Jacqueline Mesmaeker. Prise de vue : Jacqueline Mesmaeker. Montage : Jacqueline Mesmaeker, Gérald Fenerberg., 2’53’’, super 8 et mini DV numérisés, couleur, sans son

2’53 » loop

L’ensemble de ses vidéos joue sur les mêmes lignes de force, venant troubler nos certitudes, interrogeant le cinéma et ses composantes (la captation, la projection, la lumière) en les mêlant à des éléments picturaux, sculpturaux, architecturaux. Il s’agit d’abord de s’interroger sur l’idée d’enregistrement soi-disant mécanique de la caméra.

Jacqueline Mesmaeker
Les lucioles, 2011
syntetic ink on paper
(14) x 21 x 29,7 cm

Nous ne connaissons pas leur nature, leur composition, elles sont démesurées, nous ne savons même pas si elles nous sont proches ou lointaines ; peut-être ne sont-elles pas plus grandes que des têtes d’épingle. Ce sont d’étranges objets stellaires, des lueurs parfois ceintes de légères nébuleuses qui apparaissent dans l’éther noir. Elles ne sont jamais de la même forme, elles ne sont jamais à la même place. Jacqueline Mesmaeker nous dit que ce sont des lucioles. Je repense bien évidemment à la « Survivance des lucioles » de Georges Didi-Huberman, cet essai sur l’organisation du pessimisme selon Walter Benjamin. Dans les années 30, Benjamin fait remarquer qu’une des raisons de la catastrophe qu’il est en train de vivre est l’incapacité dans laquelle nous nous trouvons d’échanger des expériences. La destruction des savoirs traditionnels ne conduit pas à la construction de nouveaux savoirs. Le passé ne survit que dans des restitutions passagères, des images fragiles et intermittentes. Quand on ne voit plus les étoiles apparaître et disparaître dans le ciel, l’aura disparaît. Dans la lignée de ce constat benjaminien, Georges Didi-Huberman émet l’hypothèse que le non-savoir peut, lui aussi, devenir puissance. Les lucioles n’ont disparu qu’à la vue de ceux qui ne sont plus à la bonne place pour les voir émettre leur signaux lumineux et que les images, pour peu qu’elles soient rigoureusement et modestement pensées, pensées par exemple comme images – lucioles, ouvrent l’espace pour une telle résistance. L’expérience est indestructible, quand bien même elle se trouverait réduite aux survivances et aux clandestinités de simples lueurs dans la nuit.

Jacqueline Mesmaeker
Tranquillement, en cascade, 2020
lettrage adhésif – adhesive lettering
dimensions variables

Cascades est un jeu formel utilisant des mots tirés au hasard. L’œuvre libère le langage de sa fonction habituelle en prenant la forme d’une colonne de mots dont l’interprétation est laissée au pouvoir associatif de chaque lecteur.  « Je les ponctue de mots que j’ai plaisir à dire, des termes que je peux savourer en bouche, explique l’artiste, Je pense à ‘bigoudis’ et puis ‘ronfler’, ‘patatras’ aussi… Dans ce cas-ci les 14 colonnes lexicales déclinent le mot « Tranquillement ». Précédemment, il y a eu « Versailles », « Fouquet », « Valery Larbaud », « Lewis Carroll ».

Jacqueline Mesmaeker
Séquences, 2020
photography, pigment printing on archival paper
(4) x 27,9 x 42 cm

Séquences. Oui, ces photographies désuètes d’un vase aux roses rouges posé dans la pénombre sur une table de cuisine fonctionne en séquences. L’objectif de la caméra de l’artiste saute et danse devant l’objet, multipliant les prises de vue. C’est lui qui est en mouvement. Souvent Jacqueline travaille en feuilleté, superposant les images. Ici, elle décompose le mouvement de la caméra et juxtapose les clichés. La photographie est à la fois filmique et picturale.

Jacqueline Mesmaeker
Couloir, 2020
Crayons de couleur sur papier à dessin. Colored pencils on drawing paper
885 x 45 cm

Couloir est une série de 11 dessins sur des rouleaux de papier. Fixés en haut des murs, ils se déroulent jusqu’au sol et se prolongent parfois sur celui-ci. Ils sont recouverts d’un quadrillage régulier réalisé aux crayons de couleur, chaque tracé est multicolore. Avec cette oeuvre, on rejoint le minimalisme singulier de l’artiste, la relation qu’elle entretient avec son appartement-atelier (le quadrillage correspond à celui des pavés de son couloir) et l’importance du dessin, le seul médium qu’elle a pratiqué tout au long de sa vie.

Jacqueline Mesmaeker
Variables, 2020
gouache and colors pencils on paper
 

Variables, une série d’un extrême liberté,  décline des dessins réalisés sur papier lambda : des feuilles quadrillées pour classeurs, du papier à lettre ligné ou du papier pour imprimante. La forme très gestuelle, presqu’un graph, est toujours faite de plusieurs couleurs et s’inscrit au milieu de chaque page ; leur ensemble constitue une frise en quinconce.

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