Jacques Lizène, sondage de l’extérieur

Sondage de l’extérieur, quand un artiste fait la démarche d’un sondage… c’est un pas en arrière, hop ! (la pièce est inspirée par un sondage de Daniel Meyer, réalisé dans le ministère où il travaillait à l’époque, un sondage de l’Intérieur donc). Jacques Lizène présente : Sondage… Allo ! Par le Petit maître liégeois, artiste de série Z, pitre en art et membre élu de l’Institut d’art stupide, également dit « art de la stupidité » Lieu : une sortie d’usine à Ougrée (banlieue industrielle liégeoise). Question posée : Êtes-vous pour le sacrifice et la contrainte contre la jouissance ? Suite de textes et photographies, 1976. 18 pages 21 x 27 cm, textes imprimés et photographies NB, tirage argentique.

  

  

 

 Travail (évité, aïe, aïe).

‘Le travail doit être maudit, comme l’enseignent les légendes sur le paradis, tandis que la paresse doit être le but essentiel de l’homme. Mais c’est l’inverse qui s’est produit. C’est cette inversion que je voudrais tirer au clair.’ Kazimir Malevitch.
Une civilisation dont le but n’est pas la supression du travail (contrainte) et le dépassement du modèle de la « compétition spermatozoïque », doit être sapée.’ Jacques Lizène.

Beaucoup de choses ont été dites déjà, écrites aussi, sur le sort que l’art d’attitude de Jacques Lizène a réservé au sexe et à la génétique (l’avant-garde de ce dernier comme il dit) depuis ses premiers dessins minables (aux personnages parfois ithyphalliques) réalisés dans les années 1960 et les multiples performances ou déclarations d’intention qui s’en suivirent (Extinction de l’œuf, Sexe Marionnette, Vasectomie, etc.). Par contre, il est un autre sujet que le Petit Maître a tout autant abordé durant sa carrière, également essentiel pour comprendre ce qui le fait courir aujourd’hui encore, mais auquel on porta une attention moindre car il implique le corps  de façon moins sensible et affective; je veux parler du travail (industriel et prolétaire) auquel fait référence, à la manière du Monument an X (1967) de Marcel Broodthaers, une sculpture de 1969 associant un pinceau et une truelle (Sculpture). Le motif du mur de briques, récurrent déjà  chez son aîné (voir l’ensemble, sur ce thème, des pièces montrées à l’exposition L’Angélus de Daumier, Paris 1975), intervient aussi à de multiples reprises dans l’œuvre du « Petit maître » comme une métonymie (d’ailleurs il s’agit presque toujours de  fragments) du travail considéré comme contrainte, à moins d’y voir la métaphore de son évolution carcérale : le camp de travail (genre fascisme ordinaire). C’est en effet un mur (l’enceinte de l’usine sidérurgique de Cockerill en face de la clinique d’Ougrée) qui aurait été, selon son auto-biographie fictive, le premier élément visuel marquant, à la limite traumatisant, qu’aurait perçu inconsciemment en 1946, l’année de sa naissance, le futur artiste, et qui l’aurait poussé à devenir ce peintre de paysages industriels qu’il est aujourd’hui. Le mur donc, qui apparaît régulièrement à partir du début des années 1970 comme fond de plusieurs oeuvres (Travelling de gauche à droite sur un mur (1971), Contraire le corps à s’inscrire dans le cadre de la photo (1971), etc.), est devenu assez logiquement un des leitmotivs sur lequel Jacques Lizène ne cessera de revenir, notamment par sa pratique du remake, comme sur une image obsédante, mieux aliénante du travail, au sens où celui-ci est perçu comme un déni de l’individu libre, comme le révélateur aussi de sa condition d’homme frustré : ‘Derrière n’importe lequel des détails du paysage urbain, il y a la présence de la fatigue d’un ou de plusieurs individus. Et pour certains d’entre eux (peut-être) une certaine misère sexuelle à vivre… aieaieaieaie !’ (Regard au bas des murs (1971) réutilisé comme perçu et non-perçu). Ce n’est peut-être pas un hasard non plus s’il choisit pour sa présentation d’un document sur la vie comme « camp de travail » (dans le contexte de l’exposition Mémoire d’un pays noir (1975) au Palais des Beaux-Arts à Charleroi, avec le groupe CAP notamment) de s’attacher à un ouvrier littéralement aliéné : ‘Lizène entreprit de raconter, écrivait Jacques Lennep dans le catalogue, L’histoire de la misère de Marc W., apprenti d’usine à Ougrée (plus précisément le cas d’un déséquilibré) en présentant, à la cimaise, des photos et texte sur ce personnage mais aussi un drap de lit maculé de sperme. Un enregistrement diffusait les cris de l’aliéné.’ La description de cette pièce caractéristique de l’art relationnel de CAP témoigne de ce que la problématique sexuelle, en l’occurence misérablement onaniste, n’est en réalité pas séparé (comme le suggéraient déjà les actes manqués commis, tels des lapsus révélateurs, par une main-d’oeuvre forcée) de la problématique du travail, ici dramatiquement oppressante, pour ne pas dire violemment obscène. C’est que la libération des travailleurs aliénés (au sens marxiste) passerait, si on veut, par une révolution où l’acte sexuel ne serait plus subordonné à la procréation mais dédié seulement au plaisir érotique. Dans ce même catalogue toujours, la décision de l’artiste de se faire stériliser (Non procréation, 1970) se trouve d’ailleurs justifiée par son refus, finalement plus politique qu’on ne l’imagine a priori, de ne pas produire de « viandes à travail » (dixit). Ce lien entre misère sexuelle et misère sociale se retrouve à nouveau sous-entendu, sinon établi, dans la formulation tendancieuse de la question que Lizène tentera en vain (art de l’échec) de poser, sous la forme (parodique) du sondage (Sondage… Allo !, 1976), à des ouvriers sortant de l’usine : ‘Etes-vous pour le sacrifice et la contrainte, contre la jouissance ?’ Enfin, on ne peut manquer d’évoquer aussi le Mur à la matière fécale ou Mur des défécations (1977) où le scatologique, comme on l’a dit aussi du sexuel, n’est nullement séparé de la critique du travail, puisqu’il s’agit d’accéder à l’autonomie de peintre-travailleur en étant son propre tube de couleur, c’est-à-dire survivre en vendant sa merde ; toucher l’argent ; se payer à boire et à manger ; déféquer ; repeindre avec sa matière fécale ; vendre à nouveau et… ainsi de suite. En conclusion, j’imagine volontiers les différentes postures de circuit fermé (onanisme, vasectomie, scatologie) empruntées ou citées par Jacques Lizène, comme relevant du plus pur dandysme en ce qu’il s’agit finalement d’opposer à la tyrannie du travail obligatoire, sinon son oisiveté, du moins ses facéties d’homme libre. En ce sens n’est-il pas symptomatique que Jacques Lizène se soit toujours posté aux sorties d’usine, et jamais à l’intérieur, optant pour ce moment de la vie moderne où la masse prolétaire est libérée chaque jour de la contrainte du travail et se disperse à travers la ville pour s’employer individuellement, comme le montre Harun Farocki dans La Sortie des usines (1995) (documentaire sur le film des Lumière), à son temps libre, à ses loisirs,….   (Denis Gielen, dans Jacques Lizène, Tome III)

Work (avoided, aïe, aïe).

“Work must be cursed, as the legends about paradise teach us, while indolence must be man’s essential goal. But the opposite happened. It is this opposite that I would like to sort out.” Kazimir Malevich.
“A civilisation whose goal is not the abolition of (forced) work and the transcendence of ‘spermatozoan competition’ must be undermined.” Jacques Lizène.

Much has already been said and written about the fate reserved for sex and genetics (the avant-garde of genetics, as he says) in Jacques Lizène’s Attitude Art, from his first Pathetic Drawings (with their sometimes ithyphallic figures) executed in the 1960s and the multiple ensuing performances and declarations of intent (Killing the Egg, Penis Puppet, Vasectomy, etc.). There is, however, another subject that the Minor Master tackled just as frequently throughout his career and which also plays an essential part in understanding what makes him tick today, but we pay less attention to it because it involves the body in a less sensitive and affective way: I am talking about work (industrial and proletarian), to which a sculpture from 1969 combining a paintbrush and a trowel (Sculpture) refers, in the manner of Marcel Broodthaers’s Monument to X (1967). The brick wall motif – already recurrent in the work of his elder (on this theme, see the set of pieces shown at the exhibition L’Angélus de Daumier, Paris, 1975) – also intervenes on several occasions in the “Minor Master’s” work as a metonym (indeed, the walls are nearly always fragments) of work seen as a constraint, unless it is a metaphor for its incarcerating evolution – the labour camp (ordinary fascism). According to his fictional autobiography, it was a wall (the one around the Cockerill steel factory opposite the clinic in Ougrée) that supposedly formed the first striking, almost traumatic visual element the artist-to-be unconsciously perceived when he was born in 1946 and drove him to become the industrial landscape artist he is today. The wall that regularly crops up as the background to several works from the 1970s onwards (Tracking from Left to Right on a Wall, 1971, Forcing the Body to Fit Itself into the Frame of the Photograph, 1971, etc.) has quite logically become one of the leitmotivs to which Jacques Lizène keeps returning (notably through his remakes), like an obsessive or even alienating image of labour, i.e., where it is perceived as a denial of the free individual and revelatory of his condition as a frustrated man: “Behind any detail of the urban landscape is the presence of the tiredness of one or more individuals. And for some of them a certain sexual deprivation to be experienced (perhaps)… aieaieaieaie!” (View along the Bottom of the Walls (1971) Re-used as Perceived and Not-Perceived). It is perhaps also no coincidence that, when presenting a document on life as a “labour camp” (in the context of the exhibition Mémoire d’un pays noir (1975) at the Palais des Beaux-Arts in Charleroi, notably with the CAP group), he chose to focus on a worker literally stricken by alienation: “Lizène set about telling the story, wrote Jacques Lennep in the catalogue, L’histoire de la misère de Marc W., apprenti d’usine à Ougrée (more specifically a mentally disturbed case) by presenting photos and text on this character, but also a bed sheet stained with sperm. A recording played the insane man’s cries.” The description of this characteristic piece of CAP’s relational art shows that the sexual problematic, here pitifully onanist, is not (as the subconscious gestures or revelatory Freudian slips of a forced workforce suggested) actually separate from the problematic of labour – here dramatically oppressive, if not to say violently obscene. It is as though he were saying that the liberation of alienated workers (in the Marxist sense) would come through a revolution where the sexual act would no longer be shackled to procreation but dedicated solely to erotic pleasure. In this same catalogue, the artist’s decision to have a vasectomy (Non-Procreation, 1970) is justified by his refusal – actually more political than one could have thought – to produce “meat for work” (as he put it). This link between sexual deprivation and social deprivation is again implied, if not established, in the tendentious formulation of the question that Lizène tried, to no avail (the art of failure), to put to workers coming out of a factory in the form of a (parodic) survey (Survey… Hello!, 1976): “Are you for sacrifice and constraint and against pleasure?” Lastly, we cannot fail to also evoke the Faecal Matter Wall or Defecation Wall (1977), where the scatological, like the sexual, is not separated from the criticism of work, for the idea is to become an autonomous painter-worker by becoming your own tube of colour, i.e., survive by selling your shit; get paid for it, pay for your food and drink; defecate, paint again with your faecal matter, sell again and… so on.
In conclusion, I can easily imagine the different closed circuit postures (onanism, vasectomy, scatology) borrowed or cited by Jacques Lizène as being pure dandyism, for they are all about confronting the tyranny of obligatory labour, if not with idleness, at least with the facetiousness of the free man. In this sense, is it not symptomatic that Jacques Lizène always stood outside factories, never inside, choosing the moment in modern life when the proletarian masses are freed from the constraint of work and head into the town to individually live their free time and leisure, as Harun Farocki showed in Workers Leaving the Factory (1995, a documentary on the film by the Lumière brothers)…?