Archives par étiquette : Valérie Sonnier

Valérie Sonnier, Arco Madrid, preview (2)

Valérie Sonnier,
Fantasmagories,
photographies argentiques et photogrammes sur transparents dans cadres anciens, 2021

L’Histoire avec un grand H est effectivement très présente dans le château, à travers des peintures et des objets. Xavier Branicki acheta Montrésor en 1849 et en fit un refuge et un lieu de retrouvailles pour des générations de polonais. Pendant la seconde guerre mondiale, Anna Potocka  s’engagea à l’âge de 77 ans dans la résistance et joua un rôle important en accueillant au  château  les  résistants  et les juifs qui voulaient franchir la ligne de démarcation pour échapper aux nazis. J’ai aussi découvert la complexité de l’histoire de la Pologne en m’intéressant à Montrésor. Je n’ai pas choisi d’en faire l’axe principal du projet mais dans la salle de billard dans laquelle deux grands tableaux d’Histoire se font face, une pièce montrera les différents états du territoire polonais. Quant à l’histoire de la famille, elle sera présente dans le film et dans l’histoire du fantôme. Des photographies viendront se mêler aux photographies de famille. L’histoire du château est aussi une histoire  de   femmes.   Xavier  Branicki  en fit l’acquisition sur les conseils de sa mère. Anna Potocka, évoquée précédemment, a été une figure emblématique de la famille. Dans une des salles du château sont exposés exclusivement des portraits de femmes. J’y installerai une pièce qui évoquera la transmission grâce à la participation des trois filles de Georges et  Geneviève Szerauc, la dernière génération des femmes de Montrésor (Valérie Sonnier)

Valérie Sonnier
Le fantôme du Grand Salon,
photographie argentique sur transparent, 2021

J’aime rendre hommage aux personnes qui ont traversé un lieu, imaginer leur présence, dit l’artiste hantée par la mémoire individuelle et collective. Les apparitions sont à l’œuvre dans ses extraordinaires dessins comme dans ses films Super 8 en noir et blanc et ses photographies argentiques au grain accentué, dans la lignée de la photographie spirite de la fin du XIX’ siècle. Mes pratiques se nourrissent  les unes des autres et me permettent de m’approprier les lieux. (Myriam Boutoulle dans Connaissance des Arts) 

Valérie Sonnier
Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm
2020
Valérie Sonnier
Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm
2020
Valérie Sonnier
Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm
2020
Valérie Sonnier
Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm
2020
Valérie Sonnier
Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm
2020

« Montrésor » est une vaste installation (dessins, film, photographies, son) que le spectateur est amené à découvrir au fil de sa déambulation dans l’espace intérieur du château. Les dessins se mêlent aux objets du château, s’ajoutent aux photographies de famille encadrées et posées sur des commodes. Le dessin permet à l’artiste d’établir « un portrait » du lieu en l’explorant dans ses moindres détails. Le film et les photographies poursuivent la description des lieux et rendent hommage aux vies les ayant traversés sous la forme d’un fantôme. Une forme blanche fidèle à la  première idée que l’on peut se faire d’un fantôme dès l’enfance, et qui représente tous les fantômes du lieu. Valérie Sonnier s’attache, non seulement, à évoquer la mémoire de lieux, mais également à lier intimement mémoire individuelle et mémoire collective.

Valérie Sonnier, Arco Madrid, preview (1)

Valérie Sonnier,
Ouija,
ensemble de mains en plâtre céramique, 2020

Tout grand esprit fait dans sa vie deux œuvres: son œuvre de vivant et son œuvre de fantôme, notait Victor Hugo dans Le Livre des tables, lors d’une séance de spiritisme en exil à Jersey. Au château de Montrésor, des moulages de mains de femmes sont posés sur une table tournante dans la bibliothèque, sous le portrait de La Dame d’or et celui d’Anna Potocka, qui s’engagea à 77 ans dans la Résistance et cacha ici même juifs et résistants. Près d’une relique conservant le cœur d’un descendant du chambellan du roi Imbert de Batarnay, une installation sonore fait entendre un extrait du film les Visiteurs du soir de Marcel Carné :  Ce cœur qui bat, qui bat …  Invitée à habiter le château tourangeau à l’occasion d’une résidence, la plasticienne Valérie Sonnier a investi les lieux de ses étranges dessins, photographies, sons et films que peuplent des fantômes. (Myriam Boutoulle dans Connaissance des Arts) 

Valérie Sonnier
Galerie Huguier, série
Tirage argentique sur papier baryté, 44 x 61 cm, 
2008 – 2019
Valérie Sonnier
Galerie Huguier, série
Tirage argentique sur papier baryté, 44 x 61 cm, 
2008 – 2019
Valérie Sonnier
Galerie Huguier, série
Tirage argentique sur papier baryté, 44 x 61 cm, 
2008 – 2019

Galerie Hugier

Aujourd’hui plus que jamais la galerie Huguier fascine tel un cabinet de curiosités où s’entassent depuis plus de 150 ans, à des fins pédagogiques, moulages, fragments, mannequins, squelettes, ossements, écorchés et momies. Habitée par ses propres fantômes, Valérie Sonnier trouve matière en ce théâtre des vanités. En marge des cours de dessin qu’elle y dispense, dans sa poursuite sans cesse renouvelée lancée contre l’insaisissable Esprit des lieux, l’artiste l’espère cette fois-ci dans l’entrelacs fragmenté des mains de la galerie. (Anne-Marie Garcia)

Valérie Sonnier
Galerie Huguier, série
Tirage argentique sur papier baryté, 44 x 61 cm, 
2008 – 2019
Valérie Sonnier
Galerie Huguier, série
Tirage argentique sur papier baryté, 44 x 61 cm, 
2008 – 2019

Du tragique au parodique en fonction des évolutions de la société et de ses moeurs, des convictions religieuses comme des découvertes scientifiques, le sujet : « souviens-toi que tu vas mourir » parcourt l’art et la littérature. Depuis les fameuses danses macabres apparues au XVe siècle, il n’a cessé d’interpeler publics et créateurs tout en subissant des transformations profondes. Contemporaine du célèbre cabaret du néant installé en 1892 boulevard de Clichy (Paris 18e) et qui donne son titre à l’exposition, la notion du néant connaît une autre interprétation, une autre vision d’un même abîme, pas moins terrible mais plastiquement inverse ; celle qui, dans le sillage de Mallarmé, conduit à considérer la vie humaine comme « de vaines formes de la matière (…) s’élançant forcément dans le rêve qu’elle sait n’être pas (…) et proclamant, devant le Rien qui est la vérité, ces glorieux mensonges ! ». Le rôle du poète et donc de l’art consisterait ainsi, selon Mallarmé, à tirer l’homme de ce « Rien », comme du fond d’un naufrage, par le jeu suprême de la création. (Jean de Loisy à propos de l’exposition Le Cabaret du Néant)

Valérie Sonnier
Montrésor, 2020
film 8 mm numérisé, couleurs, son, 10:11 min.
Valérie Sonnier
Montrésor, 2020
film 8 mm numérisé, couleurs, son, 10:11 min.

Ces trois séjours (au château de Montrésor) m’ont permis de filmer et de photographier les intérieurs et extérieurs du château. Certaines idées de plans s’imposaient déjà dès la première visite mais beaucoup d’autres sont venues au fur et à mesure en passant du temps sur place. Je filme en super 8 et envoie mes films à Berlin pour le développement. Il se passe deux à trois semaines entre l’envoi et le moment où je peux voir les images. J’avais donc besoin d’espacer ces trois séjours pour filmer en fonction des résultats obtenus. Je pensais à l’idée de l’or, du trésor de Montrésor (il existe une « salle du trésor » dans le château) et j’ai commencé des dessins en utilisant des pigments dorés. Finalement l’or est apparu en visionnant la version négative des films couleur, ce qui a déterminé ma façon de filmer pendant les deux derniers séjours. Parallèlement aux séances de prises de vues j’ai pu rencontrer des descendants du Comte Xavier Branicki. Ils ont généreusement accepté de répondre à mes questions, de me raconter l’histoire de la famille et de la Pologne et j’ai pu enregistrer des sons lors d’une soirée de Noël, occasion de retrouvailles familiales autour de chants polonais. (Valérie Sonnier)

Valérie Sonnier, ARCO Madrid 2022, 23-27 février

La galerie Nadja Vilenne a le plaisir de vous annoncer sa participation à ARCO Madrid 2022 et consacrera son stand aux œuvres de

Valérie SONNIER

Du 23 au 27 février 2022

Valérie Sonnier,
Ouija, ensemble de mains en plâtre céramique, 2020

Accès professionnel : Mercredi 23 février de 11 à 20h – Jeudi 24 février de 12 à 20 h – Vendredi 25 février de 12 à 15h

Accès public: Vendredi 25 février de 15 à 20h. Samedi 26 février de 12 à 20h. Dimanche 27 février de 12 à 18h

IFEMA MADRID – Recinto Ferial, Av. Partenón 5, 28042 Madrid. Pabellón 7, Pabellón 9

Valérie Sonnier, Habiter le lieu, château de Montrésor, les images (2)

Le grand salon

Le Grand Salon, vue d’exposition
Valérie Sonnier, Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm , 2020
Valérie Sonnier, Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm , 2020
Valérie Sonnier, Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm , 2020
Le Grand Salon, vue d’exposition
Valérie Sonnier, Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm , 2020
Le Grand Salon, vue d’exposition
Valérie Sonnier, Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm , 2020
Valérie Sonnier, Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm , 2020
Le Grand Salon, vue d’exposition
Valérie Sonnier, Montrésor, crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 31,5 x 43,5 cm , 2020
Le fantôme du Grand Salon, photographie argentique sur transparent, 2021
Le fantôme du Grand Salon, photographie argentique 2021

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Valérie Sonnier, Habiter le lieu, Montrésor, revue de presse (2)

Lu sur le site de l’Officiel des galeries et musées : 

(…)

La présence fantomatique et la régénérescence de Montrésor par Valérie Sonnier.

L’artiste, également professeure de morphologie aux Beaux Arts de Paris, a étudié dans ce lieu hugolien la trace laissée par des générations d’occupants, êtres évanescents et insaisissables qui constituent l’histoire de ce château de village. Les vestiges de leurs présences résonnent dans les salles et couloirs qui se succèdent, la neige des alentours redessine les contours de la bâtisse en autant de traces saisies par le crayon précis de l’artiste.

Confrontant son regard amusé et amoureux du lieu, Valérie égrène ses œuvres en disséminant son intervention dans les recoins du château, d’une chambre intimiste à l’âtre du foyer de la cheminée du grand salon. Elle revisite les portraits de famille noir et blanc en colorants leurs transfert fantomatiques sur des négatifs amplifiant l’étrangeté de leur apparence fragile. En négatifs retravaillés pour pousser les couleurs en lumières saturées, elle dit “avoir cherché et trouvé l’or de Montrésor”.

Elle utilise des filtres passéistes et contemporains reprenant aussi des peintures du domaine qui traduisent autant de scènes de vie de l’époque. Les carnages de la chasse comme les lieux de guerres passés ici, les moulages de mains des femmes qui y vivent encore, sculpturales et fantomatiques déposées sous les yeux tutélaires de leurs aïeules comme une séance de spiritisme convoquant le souvenir des âmes restantes, incarnent la présence subtile de Valérie dans cette familière étrangeté.

Son expérience esthétique convoque la mémoire des êtres qui ne disparaissent jamais vraiment et l’on découvre son rapport à l’image et sa maîtrise du dessin. Disposés en livres séquences de son storyboard d’un film de famille muet en super 8 où seuls les rares bruits de la nature ultra présente comme cette pluie d’orage dans une nuit de vent ou les derniers rires de silhouettes disparues en ombres portées ne forment plus que les relents évocateurs des présences passées.

 

Valérie sonnier, Habiter le lieu, chârezau de Montrésor

Lu sur le site ArtsVisions, à propos de l’exposition collective Le Regard du Temps:

Anne Kerner : Que présentez-vous à l’exposition ? 

Valérie Sonnier : Je montre trois « photographies de fantômes » à l’exposition Le Regard du temps. Deux sont issues d’une série intitulée Rue Boileau, la troisième d’une série en cours de réalisation sur le site des Beaux-arts de Paris, dans la Galerie Huguier, véritable cabinet de curiosités qui abrite la collection du département de Morphologie.

J’ai commencé Rue Boileau en 2002, dans la maison que nous habitions avec ma grand-mère et que nous avons dû quitter. Je l’ai filmée meublée, puis vide de tout meuble, avant d’entreprendre d’y fixer sur pellicule des apparitions fantomatiques, formes blanches et floues symbolisant tous les êtres ayant habité le lieu. Je voulais faire sentir que, là, on avait joué, aimé, souffert, vécu en somme. J’ai repris pour une image le cadrage d’un célèbre cliché de Jacques-Henri Lartigue, Mon frère Zissou en fantôme, Villa Les Marronniers, 1905 et j’ai intitulé ma photographie Palou en fantôme, rue Boileau, 2005.

A.K. : Comment votre oeuvre s’inscrit dans Le Regard du Temps ? 

Je filme en super 8 pour la qualité particulière du grain, pour la matière de l’image, et je photographie avec des pellicules argentiques pour les mêmes raisons : ces techniques sont datées et évoquent un passé qui est aussi le sujet de mon travail. Il s’agit de convoquer le temps, les mémoires individuelles et collectives, d’invoquer ce qu’on appelle les esprits, les souvenirs… Je me sens naturellement proche de la thématique proposée par Brigitte Saby, commissaire de l’exposition Le Regard du temps, à laquelle je suis très heureuse de participer.

 

Valérie Sonnier, le Fantôme des Beaux Arts

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Un automne à dess(e)ins, les images (1)

David Polzin, Unfolded Chair, 2017 – Walter Swennen, Cercles, 1998, huile sur toile, 58 x 55 cm
Davis Polzin, Walter Swennen, Loic Moons
Loic Moons – Sans titre, technique mixte sur toile, 2020, 140 x 124 cm
Valérie Sonnier
Sans titre (de la série Badeschloss) 2015 – 2017
Crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 33,5 x 41,5 cm
Valérie Sonnier
Sans titre (de la série Badeschloss) 2015 – 2017
Crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 33,5 x 41,5 cm
Valérie Sonnier
Valérie Sonnier – Loic Moons
Loic Moons
Sans titre, technique mixte sur toile, 2020 190 x 140 cm
Loic Moons – Hannah Kalaora
Hannah Kalaora
Hannah Kalaora, Ange 2020. Huile sur toile, 25 × 15cm
Hannah Kalaora, Veste 2020, Huile sur toile, 63: × 53 cm
Hannah Kalaora, 2020, Malette flamand rose. Huile sur toile 33: ×26 cm
Hannah Kalaora, Grenade sur tabouret 2020. Huile sur toile

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Valérie Sonnier. L’Hôtel Badeschloss, fantôme de lui-même

Valérie Sonnier
Sans titre (de la série Badeschloss) 2015 – 2017
Crayon, crayons de couleur et cire sur papier, 33,5 x 41,5 cm

Bâti entre 1791 et 1794 d’après les plans de l’architecte salzbourgeois Wolgang Hagenauer, pour le compte du prince archevêque de Salzbourg Colloredo, l’hôtel Badeschloss, situé tout à côté de la cascade de Gastein à Bad Gastein n’est plus que le fantôme de lui-même lorsque Valérie Sonnier le découvre en 2015. Ce château des Bains de plan quadrangulaire, quatre étages et sept travées de style classique, a pourtant eu longtemps fière allure. Surélevé, on y accède par deux monumentales volées d’escaliers. Son élégant portail est bordé de pilastres aux décors serpentins conçus par l’architecte Anton Högl. Etablissement thermal dès 1807, reconstruit en partie en 1857, caserne à l’époque de la première guerre mondiale, ce petit palais redevient grand hôtel où se croisent élégantes et aristocrates dès le début des années 20. L’empereur allemand Guillaume Ier le fréquenta régulièrement pour une bénéfique et annuelle cure estivale. Élisabeth de Wittelsbach, mieux connue sous le nom Sissi, chère au cinéaste Ernst Marischka, séjourna également à Bad Gastein.

Ces figures impériales ne sont pas les seuls fantômes qui hantent cette station alpine que l’on a parfois surnommée la Monte Carle des Alpes. L’hôtel Badeschloss, le Grand Hôtel de l’Europe, colosse néo – renaissance de dix étages inauguré en 1909 qui rappelle inévitablement le Grand Hôtel Budapest du cinéaste Wes Anderson, la Villa Excelsior, l’Hôtel Straubinger sont encore hantés par bien des artistes et célébrités. Le philosophe Arthur Schopenhauer y a séjourné. Franz Schubert y compose sa Gasteiner Symphonie en 1825. Thomas Mann y écrit L’Elu, cette histoire d’une généalogie pervertie, avec secrets d’alcôves, scandales étouffés, transgressions de tous ordres et accumulations d’incestes. Sigmund Freud fut un invité régulier de l’hôtel Villa Excelsior entre 1916 et 1923. L’hôtel dispose encore aujourd’hui de sources d’eaux chaudes riches en radon qui semblent favoriser une vie sexuelle saine. En plus d’écrire et de profiter des eaux curatives, il semble que le Docteur Freud se soit enfermé dans la chambre 18 pour faire l’amour avec Minna Bernays, la jeune soeur de sa femme. Après l’Anschluss, Bad Gastein est devenu le nouveau spa de luxe des élites du troisième Reich. Joseph Goebbels venait y exfolier ses peaux mortes. Ses camarades nazis, alors qu’ils assistent à des représentations théâtrales, ont détruit les fresques dites dégénérées que Gustav Klimt avait peintes au Grand Hôtel de l’Europe. On raconte que la mère du cinéaste autrichien Michael Haneke, actrice respectée, enceinte en 1942, perdit les eaux alors qu’elle était en pleine représentation sur la scène du Grand Hôtel devant une suite de fonctionnaires et dignitaires nazis. Il fallut trouver d’urgence une voiture afin de traverser cette vallée des Alpes et rejoindre une maternité munichoise. Oui, bien que de nationalité autrichienne, Michael Haneke est en effet né à Münich.

Albert Einstein, Alfred Nobel, Franklin D. Roosevelt, Billy Wilder, tant d’autres, ont également séjourné dans la vallée de Bad Gastein. Il se murmure même que le pape Jean Paul II soit venu profiter incognito des magnifiques pistes de ski voisines.(1)

Oui, mais voilà, il n’y a pas de miracle. Aux grandeurs de quelques décennies féériques, effrénées ou décadentes succèdent de longues années de vicissitudes. Malgré quelques tentatives de relance, dont la construction d’un grand Centre de Conférence de style brutaliste imaginé à l’aube des années 70 par l’architecte salzbourgeois Gerhard Garstenauer, les bâtiments historiques de Bad Gastein se vident et sont bientôt abandonnés. C’est le cas de l’hôtel Badeschloss, laissé pour compte durant de nombreuses années, racheté en 1999 par un riche investisseur viennois, Franz Duval, qui met la main sur plusieurs bâtisses anciennes de la station alpine. Celui-ci promet d’investir mais rien ne change : Duval laisse l’hôtel se dégrader. Jusqu’à cette funeste date du 27 mars 2013. L’imposante charpente de l’hôtel s’embrase vers 5h30 du matin, l’incendie est ravageur. Dès l’après midi, la police confirme l’origine criminelle du sinistre. L’incendiaire a voulu mettre le feu dans le hall d’entrée, mais il a échoué. Puis il a bouté le feu à quelques vieux draps de lit qu’il a trouvé sous les combles et la charpente s’est embrasée. Le porte-parole des autorités ne s’étonne même pas : de nombreuses vitres du bâtiment sont brisées depuis longtemps : on rentre dans l’hôtel comme dans un moulin.(2)

Deux ans plus tard, Valérie Sonnier a visité l’hôtel de la même manière, incognito, magnétisée sans aucun doute par tous ces fantômes qui errent depuis si longtemps dans la vallée, comme les fantômes familiers de l’enfance hantent la maison familiale de Versailles, ce petit Trianon provincial, comme celui de Jean Cocteau qui accompagne la Belle et la Bête au château de Raray près de Senlis. Cette visite initiatique l’amènera à revenir à diverses reprises à Bad Gastein afin de nous livrer des suites de dessins, de photographies et, enfin, un film super huit. Oui, les trois mediums sont définitivement et intrinsèquement liés dans la pratique de l’artiste, en rebonds, déplacements du plan fixe et de l’image en mouvement, mouvement cyclique des dessins tracés comme plans et cadres d’un synopsis, mouvances fantomatiques hantant les tirages noirs et blancs. Le film super huit mêle intérieurs et extérieurs, jour et nuit, la neige et l’eau noyant le feu, les lueurs et halos fugitifs. Parmi ces lueurs étranges, dansantes et incertaines, apparaissent les scintillantes pampilles de verre d’un lustre d’apparat. Sissi esquisse un pas de valse, le temps d’une image quasi subliminale. Les travellings sont lents, épousant les forêts, cascades et flancs de montagnes du parc national des Hohe Tauern; ils frôlent et glissent le long des façades de la bâtisse. Et le grain de la pellicule sert à merveille une sorte d’atemporalité, de suspension dans le temps et l’espace. Nous sommes entre chien et loup. Non pas que Valérie Sonnier ait privilégié ces moments où surgissent l’aube ou l’obscurité pour filmer, mais bien dans l’acception de l’expression, quand l’homme ne peut distinguer le chien du loup, le chien guide diurne et le loup, symbole de la nuit, des peurs et cauchemars qu’elle convoque et provoque.

Bon nombre de dessins sont comptables de l’incendie de la toiture, un embrasement que l’artiste réinvente, la survivance d’un moment, la survivance de l’image dans une énergie fluente. « Faire une image, c’est s’adresser à la perte de quelque chose », écrit Georges Didi-Huberman. Oui, au-delà de la perte d’une charpente, Valérie Sonnier a compris toute l’urgence de la survivance par l’image, de la survivance de l’image elle-même. Ses dessins témoignent ici d’une minutieuse énergie à fixer l’éphémère, tandis qu’évoquant l’incendie du bâtiment, elle convoque également l’imaginaire et l’anachronisme, une polyrythmie de l’image. Tout s’interpénètre, en effet, dans cette expérience mnémonique. Et l’on pourrait se demander si les fantômes eux-mêmes ne sont pas les seuls habiles –et habilités – à conserver cette mémoire, à l’unir à l’imaginaire. Ils sont gardiens oniriques, suaires d’inquiétudes, porteur visionnaires de l’imagination et de ce qui fait image. Ils ont la part belle dans la suite de photographies que Valérie Sonnier a produite. Renouant une fois encore avec l’expérience fondatrice de Jacques Henri Lartigue, ce cliché que le futur photographe prend en 1905 alors qu’il n’a que onze ans, Mon frère Zissou en fantôme, Villa Les Marronniers, Château Guyon, Valérie Sonnier témoigne de leurs immatérielles apparitions dans les couloirs de l’hôtel. Ils errent dans un hôtel fantomatique, ils hantent les images, ils font et sont l’image elle-même, ils en sont les intercesseurs, partagent une mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective. Car les fantômes, je vous l’assure, sont aussi les gardiens des propensions hybrides, agitées, inspirées, inquiètes ou angoissées de tous les créateurs d’images.

Jean-Michel Botquin, 2020

1 Lire a ce sujet David Granda, Bad Gastein: así es ahora la ciudad balneario de Sissi, Freud y Einstein, Revista Condé Nast Traveler, janvier 2020

2 Divers articles de la presse régionale, dont Salzburg ORF.at. Ajoutons, pour être complet, qu’un groupe hôtelier munichois a racheté l’ancienne poste, l’hôtel Badeschloss et l’Hôtel Straubinger en novembre 2018 et développe un important projet hôtelier. Ouverture prévue en 2023.

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