Emilio Lopez-Menchero, "Trying to be Ensor", photographie couleurs marouflée sur aluminium, 76,5 x 61,5 cm, 2010. Ed. 10/10.

Concept & performance : Emilio López-Menchero, photo : Emilio López-Menchero & Carmel Peritore. costume et maquillage : Carmel Peritore.

TRYING TO BE JAMES ENSOR

 

« Tout artiste vrai est un héros ingénu » Émile Verhaeren, à propos de James Ensor.

 

Camper Picasso torse nu en culotte de boxeur, s’approprier son regard. Habiter Rrose Selavy. Se substituer à Harald Szemann. Incarner les quelques minutes de célébrité wharolienne façon Russell Means. Mettre à nu le monumental Balzac de Rodin. Changer de sexe et composer une Frida Kahlo qui, elle-même, se met en scène. Prendre la pose hiératique de Raspoutine. Conquérir la face christique du Che Gevara. Coiffer le keffieh d’Arafat. Renouer avec la figure de Cindy Sherman… Ce «Trying to be James Ensor», si je compte bien, est le quatorzième autoportrait, la quatorzième incarnation que tente Emilio Lopez Menchero. James Ensor, lui, s’est auto-portraituré cent douze fois… «II serait surprenant qu'Ensor, aimant avant tout au monde son art et par conséquent chérissant surtout celui qui le fait, c'est à dire lui-même, n'eut multiplié à l’infini sa propre effigie», écrit le poète et critique Émile Verhaeren en 1908 dans sa monographie consacrée à l'artiste. Et de poursuivre : «Ajoutons qu'en se regardant, en un miroir, il a toujours a portée de main, de brosse et de palette, un modèle complaisant et gratuit. Des ses tout premiers débuts, aux temps lointains et maudits ou il s'égarait a l'académie, il traduit ses traits (1879) ; en 1880 il se repeint ; en 1883 encore et en 1884 il se dessine. En 1886 il fixe au crayon quatre fois son image ; en 1888 il se déguise et se reproduit au pinceau. Dans Ecce Homo, c'est lui qui apparaît flanqué de ses deux bourreaux MM. Fetis & Sulzberger ; en 1891 parmi ses dessins fantasmagoriques il prend place ; en 1899 il s'entoure de masques et dans nombre de compositions son visage tantôt hilare, tantôt mélancolique, tantôt angoissé et piteux, s'impose. II est en quelque sorte la figure centrale de tous ses rêves. Et c'est logique et c'est humain qu'il en soit ainsi. On pourrait serrer de près sa psychologie, rien qu'en analysant ses portraits aux différentes saisons de son art et l'être insaisissable qu'il est se dévoilerait peut - être mieux, grâce a cette méthode, que par l'examen de ses gestes quotidiens dans la vie». De fait, commente Laurence Madeline, jamais Ensor n'a cessé de se représenter. «Jeune, fringant, plein d'espoir et de fougue, triste mais somptueux parfois, ainsi apparaît-il dans ses premiers tableaux. Bientôt cependant il laisse exploser sa rancœur en soumettant son image à de multiples métamorphoses. Il est un hanneton, il se déclare fou, il se "squelettise"... Il s'identifie au Christ puis à un pauvre hareng saur. Il se caricature, se ridiculise... Il est l'auteur et la marionnette de comédies ou de tragédies dans lesquelles il invite de temps en temps ses détracteurs pour de cruels règlements de compte. (…)Par leurs styles – réaliste, onirique, sardonique, caricatural, macabre –, ils traduisent les mouvements de son humeur changeante. Pourtant, c'est bien par l'autoportrait qu'Ensor s'applique à démontrer "l'unité" de son œuvre. Se représentant chez lui, au milieu de ses masques, de ses fantômes et de ses tableaux, il classe, organise, hiérarchise sa production, aussi foisonnante, brillante qu'hétéroclite. Il peint, longuement, sa mythologie, prépare sa place dans l'histoire de la peinture».

 

De toutes ces auto - représentations, Émile Verhaeren préfère la première. «En veston havane, sa palette à la main, à l'atelier, il se campe devant son chevalet. II est jeune, l’œil clair, fêlure attentive et naïve. La vie hostile ne l'a point encore touché. L'oeuvre est comme joyeuse ; de belles taches claires s'y rencontrent. On y devine le coloriste qu'il est». Emilio Lopez Menchero a préféré l’autoportrait au chapeau fleuri de 1883-1888 et à même obtenu de Xavier Tricot, spécialiste de l’œuvre ensorienne, de pouvoir se coiffer du chapeau d’origine afin d’incarner le baron ostendais. Et le choix est, on ne peut plus logique. James Ensor n’est-il pas lui-même «déguisé» ? Ne se mesure-t-il pas à Pierre-Paul Rubens, s'inspirant de l'un de ses autoportraits pour réaliser le sien. Mais il a ironiquement troqué le chapeau –avec panache- du maître, contre un bibi à fleurs et à plumes. Une sorte de «Trying to be» avant la lettre… Nous l’avons déjà écrit : Emilio Lopez Menchero initie par ces citations une réflexivité et une recréation, mêlant le familier et l’inédit, la reconnaissance et la surprise, l’érudition et la farce. Chacun de ses «Trying to be» est une aventure particulière, une construction existentielle, composée d’éléments autobiographiques, d’une mise en scène de soi-même, d’une réflexion sur les signaux émis par l’icône mise en jeu. C’est une permanente réflexion sur l’identité et ses hybridités. Visitant quelques mythes, leurs mensonges et vérités, l’artiste déambule entre exhibition, travestissement et héroïsme domestique. Un héroïsme ingénu, pour reprendre Les mots d’Émile Verhaeren. Et celui ci précise : «En ce temps-ci ou chacun est tout le monde, le poète, le peintre, le sculpteur, le musicien ne vaut que s'il est authentiquement lui-même. C'est le plus réel des privilèges que la nature, sans aucune intervention autre que celle de sa puissance, confère et maintient a travers les siècles et seul le poète, le peintre, le sculpteur, le musicien en peut jouir pleinement». Notons au passage que si Ensor a incarné la figure christique, Emilio Lopez Menchero a, déjà dirais-je, incarné les figures du bon et du mauvais larron. Pour l’étape suivante, il suffira d’envoyer Emilio Lopez Menchero s’inspirer chez Jacques Lennep. Dans le «Musée de l’homme» de celui-ci figure Yves Somville, celui-là même qui incarna le Christ dans le Jeu de la Passion de Ligny. Ecce homo. (Jean-Michel Botquin)

 

 

 

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optimisé pour safari, chrome et firefox  |  propulsé par galerie Nadja Vilenne  |  dernière mise à jour  06.02.2016