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Benjamin Monti, Art on Paper, BOZAR, Brussels, une introduction

Benjamin Monti

Benjamin Monti
Sans titre, 9 mai 2015
Encre de chine sur cartes perforée de la « Courage-Organisation SA », 21 x 14,7 cm

It is the need to draw, and repeat – like a lesson, a poem, a punishment – the image, which is the falsely naive and academic driving force of Benjamin Monti. For this exhibition at the Museum, the tenth cycle of our Amateurs’ room kept for intimate works, the artist wanted to present, as a telling indicator of his obsession with drawing, three more or less identical portraits of his « grandma » which he did when he was around 7 years old; but three drawings by a child which appear disturbing when one discovers that they date from the very day on which his grandmother, clearly loved, died, thus forever disappearing from his sight. Is it in order to show that, since then, he has never stopped discharging this duty: to be a seismograph of his existence, someone who will graphically depict its shocks? However his work is not, on the face of it, the symptom of any severe trauma. His stroke is not expressionist and comes from the clear line, placed on graph paper or on the pages of old school books in which notes and drawings can be seen that are just as clean and applied. Likewise, his figures are not personal, in the sense that they are not directly produced by his imagination, but rather are extracts from the ready-made fantasy worldof obsolete encyclopaedias, children’s stories or learning manuals; namely pictures of Épinal and stereotypical models, which he applies himself to calmly copying and especially to playfully distorting. But nobody is fooled. The work of Benjamin Monti, conventional at a first glance, derives from a diversion from the right direction and the right behaviour, which is close to surrealism: consider Max Ernst’s collage-novel, like La Femme 100 têtes (1929) or Une semaine de bonté (1933). If you look closely at them, it is, moreover, this same flavour of delicate perversity which is released; the fruit of the alliance between innocence and criminality, playfulness and cruelty, pleasure and suffering. Which allows us, why not, to look at them as « desiring machines ».

Denis Gielen, The need of repetition, MAC’s Cabinet d’Amateur n°10

Benjamin Monti

Benjamin Monti
Sans titre, 15 janvier 2016
Encre de chine sur cartes perforée de la « Courage-Organisation SA », 21 x 14,7 cm

C’est la nécessité de dessiner et de répéter – comme une leçon, une chanson, une posture – telle figure, qui est le moteur de l’imagerie poétique et acrobatique de Benjamin Monti. Cette nécessité de répétition, l’artiste en repère lui-même l’origine dans une première séquence troublante : trois portraits à peu près identiques de sa « mémé » réalisés vers l’âge de 7 ans et datés du jour même où elle mourut, se soustrayant ainsi de sa vue pour toujours. Est-ce pour affirmer que, depuis, il ne cesse de remplir un même devoir : être le sismographe de son existence, celui qui graphiquement en traduira les secousses ? Pourtant son œuvre n’est, en apparence, le symptôme d’aucun trauma profond. Son trait n’est pas expressionniste, qui relève d’une ligne claire, soigneusement posées sur du papier millimétré ou des pages d’anciens cahiers d’écoliers où figurent déjà des notes et des dessins tout aussi proprement appliqués. De même, ses figures ne sont pas personnelles, au sens où elles ne sont pas produites directement par son imagination mais extraites de l’imaginaire ready-made d’encyclopédies désuettes, de contes pour enfants ou de manuels d’apprentissage ; soit des images d’Epinal et des modèles stéréotypés qu’il s’applique calmement à recopier et surtout, à détourner avec malice. Mais que personne ne s’y trompe. Les dessins de Benjamin Monti, sages à première vue, procèdent d’un détournement du bon sens et de la bonne conduite, proche du surréalisme : on songe aux romans-collages de Max Ernst, comme La Femme 100 têtes (1929) ou Une semaine de bonté (1933). A bien les regarder, c’est d’ailleurs ce même parfum de délicate perversité qui s’en dégage ; fruit de l’union entre innocence et criminalité, jeu et cruauté, plaisir et souffrance. D’où, naturellement, l’impression que ses propres dessins, couplés souvent à d’autres sources, à des dessins d’autrui ou d’un autre âge, fonctionnnent comme ces « machines désirantes » que Gilles Deleuze et Félix Guattari ont imaginées pour décrire l’inconscient non plus comme un théâtre mais comme « une usine, un lieu et un agent de production », et partant, le désir non plus comme manque mais comme « agencement ». C’est qu’il ne faudrait pas voir, par exemple dans les trois dessins d’enfant que Benjamin Monti a choisi d’intégrer à son œuvre, que le signe d’une perte et de l’absence de « mémé » perpétuellement rejouée sur la scène familiale. Car ce serait ignorer la place, évidente aujourd’hui, de ces dessins dans une vision qui inscrit, sans interruption depuis l’enfance, ses signes singuliers dans un monde, un univers ou un cosmos qui préexistent à la famille. ‘L’inconscient ne délire pas sur papa-maman, il délire sur les races, les tribus, les continents, l’histoire et la géographie, toujours un champ social’.

In : Denis Gielen, la nécessité de répétition, cycle Cabinet d’amateur n°10

Benjamin Monti

Benjamin Monti
Sans titre (de la série Perspecta), 2015
Encre de chine sur formulaire millimétré, 29,7 x 21 cm

(…) Reprise donc, et emprunts incessants. Les illustrations provenant d’almanachs et d’encyclopédies, de manuels scolaires… constituent les « curiosités surannées » dont l’artiste fait son miel. Datant de la fin du 17ième jusqu’au début du 20ième siècle, cette documentation n’a pas pour mise la nostalgie. Elle témoigne plutôt d’un certain élan moderne, de son catéchisme positiviste, de sa foi en l’objectivation souveraine d’un monde en passe d’être définitivement conquis. A grand coup de noms latins et d’organigrammes, de papiers millimétrés ou de cartes perforées, s’est peu à peu construit puis sédimenté le sol sur lequel nous évoluons. Rien de plus présent que ce passé qui, quotidiennement, sans même qu’il soit explicitement convoqué, justifie l’évidence de nos conceptions politiques et guerrières, heureuses ou viles qu’importe, pourvu qu’elles soient bureaucratiquement transfigurées. La rationalité en guise de Raison forme les entreprises et les nations, le catalogue des sciences et des techniques, notre sens pratique, et somme toute, la fermeture ou l’horizon des possibles, c’est selon.
Sur ce fond toujours agissant, Benjamin Monti colporte d’autres motifs. Très souvent celui du corps, agent et émissaire de l’ordre moral ou naturel qu’il exprime et incarne. Pas moins objectivés que l’Ascaris Méga/acéphale ou la Tige de Renoncule avec lesquels ils voisinent, les corps sont chez Monti les figures édifiantes de l’élève, du parent, du bourreau, du martyr, du soldat. Recopiés à l’encre de Chine, ces dessins ou gravures expriment d’abord l’abnégation d’illustrateurs anonymes qui, dans l’hygiénisme de leurs traits et leur suffisance académique, cachent autant qu’ils ne dévoilent la fausse humilité des Grands Educateurs, contempteurs de toutes gaucheries, failles ou désordres. Ici on dresse et on fouette, mais toujours de façon charitable. Ces choses peuvent sembler loin, mais le dégoût ou la nostalgie pour ce passé ne doit pas faire oublier que, de la gymnastique à la psychomotricité, de l’emmaillotage au « corps libéré », notre anatomie a toujours été l’enjeu de lourds prescris pédagogiques – une véritable affaire d’Etat. (…) Cette généalogie n’appelle aucune image conclusive. Il faut à l’artiste une multitude d’associations, de dessins recopiés, parfois détournés, et d’archives. Ce qui chez Monti fait image est l’infinie relance de ces motifs et objets qui, de scène en scène, constituent autant de tableaux. Pas au sens de la peinture, mais plutôt du théâtre : un enchainement de points du vue et de décors qui ne suspendrait jamais le récit et l’action.

In : Benoît Dusart, « Benjamin Monti, L’engouement pour la reprise », L’Art Même, #69, 2016.

Benjamin Monti

Benjamin Monti
Sans titre, 7 mai 2015
Encre de chine sur cartes perforée de la « Courage-Organisation SA », 21 x 14,7 cm

Ce Liégeois (1983, vit à Liège) de souche qui grandit dans une librairie entouré de parents très littéraires, ne pouvait que s’intéresser aux livres. Il les choisit anciens et toujours illustrés. Logique puisque c’est sur les dessins que son regard et son esprit se fixent. Il ne se contente pas de les observer, il les veut pour lui. Donc, il les recopie. Fidèlement, à l’encre de Chine sur des papiers trouvés et achetés. De vieux papier de préférence. Du papier opaque et cristal car il permet les transparences et le jeu des superpositions d’images, du papier millimétré, des cartes perforées de la « Courage-Organisation SA », du papier avec des dessins signés. La couleur est rare, parcimonieuse. Elle apparaît dans des cartes géographiques et des plans, sur des feuilles déchirées et déjà annotées à l’encre rouge ou au crayon bleu, dans des dessins ou ratures préalables. Lui, c’est le noir absolu. A l’exception de trois dessins de « Mémé », exécutés à l’âge de7 ans, le jour du décès de sa grand- mère.
Benjamin Monti nous plonge dans l’ancien temps. Celui qui n’a pas d’âge mais qui n’est plus le nôtre. Celui où l’on dessinait avec précisions les plantes dans des carnets de botanique. Celui où l’on accompagnait les textes d’encyclopédies de dessins illustratifs. Il ne laisse pas ces archives intactes, il intervient en dessinant d’autres sujets, il place son grain de poivre, il propose des rapprochements à interpréter, il glisse des insinuations, déplace le propos, suggère d’autres lectures qui pourraient, sait-on jamais, entretenir des liens avec notre actualité.. Le monde ne changerait-il pas autant qu’on l’imagine? Les contes pour enfants peuvent friser l’horreur, la violence actuelle n’a rien à envier à celle d’hier, les jeux sont-ils moins innocents, les comportements adaptés sont-ils modifiés en profondeur? Et si finalement Monti traversait le temps pour atteindre le nôtre?

In : Claude Lorent, Et si le temps ne faisait rien à l’affaire, La Libre Culture, mars 2016

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