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Suchan Kinoshita, Werfboek, BOZAR

Werfboek (2025) est un singulier tourniquet, une sorte de livre entrouvert, une colonne à classement. Suchan Kinoshita y serre l’archive matérielle de l’exposition, notes, croquis et photos, ainsi que les photographies (prises par Aglaia Konrad) d’une oeuvre dissimulée aux yeux du public. C’est son carnet de chantier. 

Dans cette entreprise de rénovation, titre de l’exposition, Suchan Kinoshita révèle et réactive des espaces dormants et généralement invisibles au public. Elle utilise également certains de ces espaces pour y dissimuler ses propres oeuvres, ne les révélant que par les photographies disposées dans Werfboek, en l’occurence ses Isofollies, une constellation de monumentales scories, des rebuts pétrifiés et serrés dans du plastique noir industriel, oeuvre conçue in situ aux Emirats arabes unis avec des matériaux rebuts de la biennale de Sharjah en 2007. Un recyclage, en quelque sorte, comme l’est cette Rénovation où Suchan Kinoshita démembre la scénographie de l’exposition qui a précédé la sienne pour reconstruire une nouvelle situation, récupérant les matériaux pour de nouvelles créations. 

photographies de l’auteur et de We Document Art

Suchan Kinoshita, 23 faces after Hokusai, BOZAR

A propos de ces vingt trois portraits d’après Hokusai se pose la question de la singularité du support, communément appelé papier de boucherie. Duplex et composé d’une feuille de cellulose et d’un film thermocollé pour une meilleure résistance aux graisses et à l’humidité, c’est un incontournable pour les bouchers, charcutiers, traiteurs et commerces alimentaires. A priori, on imagine mal un artiste s’en servir comme support à dessin. Quant à son motif, il s’agit d’un vichy, un dérivé du motif de tissu toilé en coton à carreaux tissés teints qui doit son nom à la ville française éponyme et à la filature des Grivats à Cusset, soutenue par un Napoléon III passionné par le développement industriel. Le vichy est devenu un pilier du prêt-à-porter en raison de la longévité de ses fibres, popularisé au fil du temps par Judy Garland dans Le Magicien d’Oz, Lauren Bacall dans Le Port de l’Angoisse, la robe de mariée de Brigitte Bardot, le short vichy de David Bowie, le couturier Azzedine Alaïa collaborant avec le peintre Julian Schnabel pour sa collection Tati ou Louis Vuitton qui introduit le motif vichy dans ses collections en référence aux tissus traditionnels Massaï. Loin de la haute couture, c’est aussi le carreau paysan, rustique et campagnard, foison de nappes, napperons, tabliers et rideaux de cuisine. Image d’authenticité, de qualité, de ruralité, les industriels de l’agroalimentaire s’en sont vite emparé pour toutes sortes d’emballages.

Ce n’est pas le seul papier alimentaire que Suchan Kinoshita utilise dans son exposition à BOZAR. Il y aussi des papiers tartines, ceux qui emballent nos sandwiches, ou des papiers sulfurisés, ceux que l’on peut mettre au four sans souci qu’il ne brûlent. Kinoshita n’est jamais très éloignée de réalités très quotidiennes et qui nous sont communes. Elle témoigne également ici d’un intérêt pour l’expérimentation. Quelles seront les réactions de ces papiers dès qu’elle les utilisera comme support à ses dessins ? Au coeur de sa monstration, elle a placé  deux de ces vases clepsydres qui  figurent souvent dans ses expositions, des clepsydres aux formes diverses et qu’elle emplit de liquides tout aussi divers comme s’il s’agissait de provoquer l’apparition et l’écoulement de temps différents. L’un est rempli d’encre, l’autre d’huile et d’eau, trois liquides qui évoquent bien sûr l’art du dessin ou celui de la peinture et donc, d’une certaine manière, le temps du dessin, le temps de la peinture, le temps de réaction de l’huile, de l’aquarelle, de l’encre sur des papiers qui risquent d’absorber ou de rejeter l’un ou l’autre de ces liquides.

Au Japon, le vichy a son équivalent. On l’appelle ichimatsu. Bien sûr, comme dans les autres cultures, ce motif en damier est connu depuis les temps anciens. Il prend le nom d’ichimatsu au 18e siècle car l’acteur de kabuki Sanogawa Ichimatsu aime à l’utiliser dans ses costumes hakama, contribuant à ainsi populariser le motif. On sait tout l’intérêt que Suchan Kinoshita porte au théâtre, surtout lorsque celui-ci, comme le kabuki, mélange les pratiques, la danse, le texte, la musique tout en se concentrant largement sur la vie quotidienne, un théâtre qui par ailleurs, prend tout son temps. 

Au début de sa carrière, Hokusai a porté un grand intérêt au monde du kabuki, croquant nombre de portraits d’acteurs. Il est d’ailleurs formé par Katsuka Shunsho, spécialiste du genre. Sans doute ces portraits d’acteurs sont-ils présents dans l’Hokusai Manga, cette vaste encyclopédie rassemblant 4000 croquis qu’Hokusai entreprend et destine à ceux qui veulent s’adonner réellement à l’étude du dessin. En observateur attentif de ses contemporains, il y raconte le Japon de son époque, souvent avec humour. Certaines scènes sont des expressions sur le vif, d’autres de vraies caricatures. Toutes sont réalités qui forgent la quotidienneté. En quête de ces scènes et portraits, j’ai découvert deux planches du sixième volume d’Hokusai Manga. J’y ai retrouvé l’une ou l’autre trogne patibulaire (re)dessinée par Suchan Kinoshita. Mais j’ai surtout été frappé par la mise en page de ces deux planches. Les portraits sont en vignettes bien ordonnées. Hokusai a pris le soin de tracer une grille sur sa page, un véritable damier, comme un ichimatsu, ce damier, motif des papiers de boucherie qui nous occupe ici. Et chaque portrait s’inscrit dans une case du damier.

Autant de pistes qui peuvent nourrir la réflexion quant à ces 23 portrait d’après Hokusai…

Michiel Ceulers, Something…, les images (5)

Michiel Ceulers, Something…, les images (4)

Agenda Mai 2025

Michiel Ceulers

  • Liège (B), something old, something new, something borrowed, something blue, galerie Nadja Vilenne, 17 avril – 30 juin 2025 (solo show)
  • Gent (B), Painting after painting, SMAK, 4 avril – 2 novembre 2025
  • Oudenaarde (B) Based Painting III, Gevaertsdreef 01, curated by Dieter Durinck & Dieter Ravyts, 28 mars – 1 juin 2025
  • Gent(B), “Based Painting III” Pizza Gallery, Ghent (BE) curated by Dieter Durinck & Dieter Ravyts, du 12 avril au 1er juin 2025

Suchan Kinoshita

  • Bruxelles (B), Réparation, Belgian Art Prize, BOZAR, du 23 avril au 29 juin 2025 (solo show)

Aglaia Konrad 

  • Vienna (AT), Aglaia Konrad, Autofictions in Stone, Secession, 8 mars – 18 mai 2025 (solo show)
  • Drogenbos (B), In between Space, Felix Art & Eco Museum, du 2 février au 7 septembre 2025

Jacqueline Mesmaeker 

  • Salzburg (AT), Jacqueline Mesmaeker, Secret Outlines, Museum der Moderne, Salzburg, du 7 mars au 14 septembre 2025 (solo show)
  • Namur (B), Cabane, Le Delta, du 5 avril au 20 juillet 2025
  • Rotterdam (PB), Om acht uur? Dan word ik wakker. Curated by Gerlach & Koop, Rib, du 27 mars au 27 mai 2025

Suchan Kinoshita, Renovation, BOZAR, une introduction

L’exposition Renovation de la lauréate du BelgianArtPrize 2025 Suchan Kinoshita (Tokyo, 1960) prend le parti d’utiliser comme point de départ les salles dites antichambres du Palais des Beaux-Arts, telles qu’elles se trouvaient à la fin de l’exposition précédente, pour créer une nouvelle mise en scène. Certains éléments toujours présents y ont été transformés et certains espaces dormants ou invisibles au public y ont été réactivés.

Du terme italien « anticamera », les antichambres désignent généralement des espaces d’introduction ou d’attente précédant les pièces principales d’une demeure. Elles se relient aussi au « genkan », l’espace intermédiaire d’accès à la maison japonaise, qui est régulièrement présent et questionné dans l’oeuvre de l’artiste.

Retrouvant ainsi temporairement leur entrée historique par la rue Royale, ces salles ont pu en majorité être littéralement « découvertes », débarrassées de leurs bâches qui occultaient de façon quasi permanente les verrières, afin de retrouver une lumière qui varie naturellement en fonction de l’heure et du temps.

Quelques oeuvres existantes et de nombreuses créées pour l’occasion ont émergé au terme d’un long processus de transformation de l’espace en atelier de déconstruction, d’inventaire et de création. La scénographie existante a été démembrée planche par planche, en partie recréée ou reproduite par le dessin, pour devenir une sculpture sur laquelle de nouvelles oeuvres ou traces écrites de la main de l’artiste sont venues se superposer. Ces nouvelles créations, faites de matériaux neufs ou réutilisés sont ce que l’artiste nomme des « Platzhalter » : des objets créant un pont entre leur fonction initiale et leur fonction nouvelle.

Une série de dessins inspirés par les mangas de Hokusai ont pris place dans l’unique salle où la lumière du jour ne parvient pas et où une porte menant vers une zone arrière a été réouverte. D’autres créations sur papier, soumises à la variation constante de la lumière naturelle, se déroulent et s’enroulent sur une ancienne étagère du bâtiment intégrée à une structure nouvelle ; d’autres encore trouvent leur place sur les murs ou dans la salle suivante, là où le temps météorologique et le temps philosophique se rejoignent. 

Ainsi rapportées par le dessin au graphite, au crayon ou à la gouache sur papier alimentaire, ou bien recomposées à partir de panneaux de bois, ces « oeuvres-inventaire » et les quelques traces mémorielles du bâtiment finissent par se déplier simultanément, laissant le visiteur se les approprier librement. Leur présence, construite au fil des semaines, constitue une archive concrète et sensible des lieux.

Alberta Sessa

The exhibition Renovation by the winner of the BelgianArtPrize 2025, Suchan Kinoshita (Tokyo, 1960), takes as its starting point the antechambers of the Centre for Fine Arts as they stood at the close of the previous exhibition. The artist uses them as the basis to create a new mise-enscene within the space in which elements already present are transformed and certain spaces that were dormant or invisible to the public are reactivated. 

Derived from the Italian word ‘anticamera’, the term antechamber generally refers to spaces of introduction, or spaces in which to wait before entering the main rooms of a house. They are also linked to the ‘genkan’, the intermediary space that gives access to the Japanese home, and which is a recurring theme and focus of attention in the artist’s work.

With their historic point of entry temporarily restored via the Rue Royale, it has been possible to literally ‘uncover’ the majority of these volumes from beneath the tarpaulins that were permanently blocking out the glass roofs, and to restore the natural variations of the light that depend on the time of day and the prevailing weather conditions.

A few existing works and many new ones have emerged over the course of a long period of transformation in which the space has become a temporary workshop for deconstruction, inventory, and creation. The structure of the previous scenography was dismantled plank by plank, and partly recreated, with the use of drawing, to become a sculptural entity on which new works or traces of the artist’s handwriting have been superimposed.

These fresh creations, made from entirely new or reused materials, are what the artist refers to as ‘Platzhalter’, intermediate objects that bridge the gap between an initial function and a new one. A series of drawings inspired by the manga of Hokusai have taken their place in the only room deprived of daylight, where a new doorway leading to an area at the rear has been opened back up. Other works on paper, subject to the constant variation of natural light, unfurl and unfold across a building’s old shelving—now freshly integrated into a brand new structure— or find their place on the walls or in the adjacent room, where the meteorological dimension of the weather merges with the philosophical dimension of Time.

Whether depicted in graphite, pencil, or gouache on the kind of paper normally intended for food, or recomposed from the boards, these inventory works and the remaining traces of the building end up revealing themselves simultaneously, allowing visitors the opportunity to make them their own. As the works have grown over the course of several weeks, their presence has become a concrete and sensorial archive of the space.

Alberta Sessa

Michiel Ceulers, Something…, les images (3)