Archives de catégorie : Sandrine Morgante

Talk. Sandrine Morgante en conversation avec Frank Olbrechts et Herwig Lerouge, Lichtekooi, Antwerpen

Ce 25 octobre, à 20h, le journaliste Frank Olbrechts (Apache) s’entretiendra avec l’artiste Sandrine Morgante et Herwig Lerouge, l’un des protagonistes du mouvement étudiant de gauche lors des manifestations de la fin des années 60 à Louvain.

L’exposition Walen bourgeois buiten de Sandrine Morgante met en lumière un aspect méconnu des manifestations étudiantes de mai 68 à Louvain : le rôle du mouvement étudiant activiste de gauche qui luttait pour l’égalité sociale et la lutte des classes. Ce thème reste pertinent aujourd’hui. Les jeunes d’aujourd’hui sont-ils, comme à l’époque, les fers de lance du changement social ? Et quel rôle l’art joue-t-il dans cet activisme ? Comment les idéaux de mai 68 ont-ils été balayés par la nouvelle droite et les mouvements néolibéraux ? Que nous révèle cela sur les tensions entre l’art, la politique et les structures sociales ? 

Langue : néerlandais et anglais

Sandrine Morgante – Walen bourgeois buiten
Exhibition: 21.09.2024 – 09.11.2023
Heures d’ouverture: Jeudi – samedi, de 14:00 – 18:00

Sandrine Morgante, Bourgeois buiten, la publication

La présente auto-édition de l’artiste Sandrine Morgante est liée à l’exposition personnelle Bourgeois Buiten à Lichtekooi Altspace, Anvers, septembre 2024. Il s’agit d’un fac-similé d’une sélection de numéros de Ons Leven, journal du KVHV Leuven parus entre le 30 septembre 1966 et le 2 mars 1967, revu et augmenté d’illustrations personnelles.

Le projet d’exposition est inspiré par le récit d’Herwig Lerouge, étudiant à Louvain lors des révoltes de 1966-67 et militant de gauche.

Art on paper Brussels, les images

Art on Paper Brussels, preview, Sandrine Morgante

D’une part, la claque de quelques slogans nous enjoignant à pratiquer la performance, la prouesse, la mobilisation totale des ressources individuelles et collectives, cette optimisation qui ne peut que nous amener à la réussite, au succès, au confort et à la richesse. Make it possible, Just do it, Think big, Get rich, do more, High Speed, The beginning of a New Aventure. D’autre part, une série d’entretiens, de conversations, que l’artiste a menés avec des hommes et des femmes souffrant de ce que l’on appelle communément le burnout. Sandrine Morgante investit le champ du syndrome d’épuisement professionnel, désigné par cet anglicisme [ˈbɝnaʊt], un syndrome qui combine une fatigue profonde, un désinvestissement de l’activité professionnelle, un sentiment d’échec et d’incompétence dans le travail, résultat d’un stress professionnel chronique : l’individu, ne parvenant pas à faire face aux exigences adaptatives de son environnement professionnel, voit son énergie, sa motivation et son estime de soi décliner. Dans cette nouvelle série de dessins, intitulée You Gold, Sandrine Morgante dessine littéralement le burnout, reprenant injonctions et confidences, slogans et récits de souffrances. Je suis tétanisée, j’arrive plus à bosser, toutes ces injonctions contradictoires qui vous tombent dessus, j’ai complètement péter les plomb, plus c’est dysfonctionnel et plus vous êtes embarquée dans cette espèce de folie, J’aimerais démissionner, j’en peux plus, j’étouffe, c’est moi qui n’ait pas réussi à gérer la pression… Graphiques performatifs, bulles, trous noirs, majuscules, polices tantôt dynamiques et séductives, tantôt hachées et désordonnées, cris ou murmures, la composition de ces dessins au format d’affiche traduit le choc des mots, la perte de soi, les déflagrations systémiques et toutes ces histoires individuelles. 

Les dessins ici présentés font tous partie d’une seconde série conçue par l’artiste en 2024

Sandrine Morgante, Bourgeois buiten, Lichtekooi artspace, les images

The Times They are A-changin’

« Walen buiten » : le slogan a signé jusqu’à le désigner un moment de l’histoire sociale et politique belge. Celle du mouvement étudiant à Louvain, entre mai 1966 et mai 1968, qui conduira in fine à la scission de l’Université de Louvain en deux entités linguistiques distinctes : l’une, néerlandophone, demeurant dans l’implantation l’origine ; l’autre, francophone, ouverte en 1972 dans une ville créée pour la cause, Louvain-la-Neuve. Mouvement porté par des conceptions et des organisations nationalistes, mais dont la réduction au mot d’ordre « Walen buiten » voile les complexités et contradictions internes, autant que les mutations politiques et intellectuelles dont il constitua le ferment.

Une génération s’est formée et conscientisée en son sein, en particulier un groupe qui y a vécu une radicalisation révolutionnaire, partant de conceptions démocratiques et anti-autoritaires assez diffuses pour élaborer progressivement un programme pétri de marxisme, de tiers-mondisme, de solidarité avec le mouvement ouvrier. De ce groupe naîtront les fondateurs d’AMADA – TPO (Alle Macht Aan de Arbeiders – Tout Pouvoir aux Ouvriers), qui deviendra, en 1979, le PTB / PVDA.

C’est un moment de cette mue que saisit Sandrine Morgante, la traduisant dans la transformation imprimée au titre : « Walen buiten », non plus. Bourgeois buiten désormais. Ce moment est celui de l’éclosion : après une première expérience en mai ’66, un petit groupe de « gauchistes » décide de mettre la main sur le très respectable hebdomadaire étudiant intitulé Ons Leven. Cette feuille est imprégnée de conservatisme et de nationalisme. Eux sont anars, inspirés par les Provos hollandais, nourris d’une contre-culture en pleine expansion, fascinés par le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, révulsés par l’emprise de l’Eglise sur la vie et l’enseignement, étouffés par l’autoritarisme ecclésiastique et académique…

Entre fin septembre ’66 et début mars ’67, ils s’emparent de Ons Leven, le transforment, dans les textes, les images, la forme. Le révolutionnent. Le graphisme s’anime et s’arrondit, les textes s’ensoleillent de désirs et d’insolences, l’horizon s’élargit aux luttes des Noirs Américains, des Indonésiens. S’invite le mot « révolution », la date de 1917.

Et c’est cela qui éveille Sandrine Morgante, sollicite ses préoccupations propres : comment le support imprimé se fait l’acteur et aujourd’hui le témoin d’une transformation collective des consciences aussi bien que d’une diffusion d’idées nouvelles. Idées, à savoir : formes, couleurs, verbe, langage.

Dès lors, la matière : d’abord un témoignage de première main, l’entrevue avec un acteur des événements, à savoir Herwig Lerouge, étudiant alors en philologies germaniques, devenu ensuite l’un des vecteurs de cette transformation, puis militant indéfectible, acteur de la fondation d’AMADA-TPO, puis du PTB-PVDA. C’est Herwig Lerouge qui fournit à Sandrine Morgante cette archive précieuse des numéros de Ons Levenphagocytés.

C’est lui encore qui fournit cette page du quotidien Het Laatste Nieuws du 15 novembre 1967, une entrevue avec divers leaders du mouvement étudiant en cours (parmi lesquels lui-même, mais encore Paul Goossens, Ludo Martens, Kris Merckx…). Cette page témoigne de l’écho médiatique – très ponctuel – donné aux débats internes traversant alors le mouvement étudiant, entre volonté d’unité, questionnements de l’accès à l’enseignement universitaire et de la démocratie, élargissement à des enjeux sociétaux plus vastes (l’emprise des trusts et du Capital sur l’enseignement, le lien avec le mouvement ouvrier).

De cette matière éclot ceci : les numéros de Ons Leven sont compilés en un volume de facsimilés. Une édition où Sandrine Morgante intervient de deux manières : elle dépouille les numéros de toute publicité et de tout élément non politique. Par ailleurs, elle inscrit dans les pages des dessins sommaires, sous forme de cartoons politiques sommaires, sans style. Dessins et caricatures évoquant les luttes et questions de notre temps : la Palestine, l’écologie, les luttes sociales. Manière de prolonger et d’actualiser le geste d’appropriation qui était celui de cette rédaction pirate du périodique. Manière d’affirmer une filiation et une continuité.

D’autre part, la page de Het Laatste Nieuws est agrandie et sérigraphiée, barbouillée, souillée, maculée d’aplats mouvants, libres, « pop », floraux, expansifs et invasifs. Sur ces aplats, des phrases manuscrites reprennent des fragments de l’entrevue avec Herwig Lerouge. Elles attestent d’un subjectivité personnelle et collective en pleine floraison, autant que d’une véritable stratégie de diffusion.

L’écriture simule celle du témoin, cherchant à réincarner l’expérience comme son souvenir et son actualité. Comme dans d’autres travaux, l’exercice de l’écriture est celui d’une présence charnelle, formelle, graphique[1]. Les mots, la pensée s’éprouvent. Ils s’agencent dans une conflictualité visible, entre l’archive officielle et le témoignage marginalisé par l’histoire.

L’ensemble des sérigraphies s’agence dans une composition murale, évoquant l’esthétique du mur d’affichage sauvage, du « placard ». Au total, ça « s’envague » , s’ensauvage, entache, énonce cette énergie d’une conscience en mouvement, d’une floraison d’un jeune âge en attente, entachant l’ordre présent de ses désirs débordants, des rigueurs à venir.

Ce bruissement, cette attente, ce mouvement, sans doute est-il aujourd’hui en cours sur d’autres supports que la feuille. Mais on le touche ici, dans l’assurance d’une filiation et d’une école possibles. Dans la sensation vive que toujours les consciences s’avivent…

Laurent Courtens 

[1] Cette capacité comme cette nécessité mimétiques habitent d’autres travaux de Sandrine Morgante, par exemple lorsqu’elle simule et réincarne les écritures d’écoliers dans l’ensemble Taalbarrière  (2021) ou dans Figliie dei Militari (2019).

Sandrine Morgante, You Gold & Horizons, Musée de la Vie wallonne, Liège

Sandrine Morgante participe à l’exposition Horizons, premières et dernières acquisitions d’une collection (1939-2024). Horizons met en lumière les nouvelles acquisitions (2024) de la collection de la Province de Liège, œuvres de Laeticia Bica, Vanessa Cao, Jonathan De Winter, Jacques Di Piazza, Alex Janssen, Sophie Langohr, Mathieu Litt, Thomas Mazzarella, Sandrine Morgante, Michael Nicolaï et Vincent Solheid. Ces pièces récentes sont mises en dialogue avec des œuvres plus anciennes de la collection, incluant de œuvres d’Émile Alexandre, André Blank, Auguste Donnay, Marceau Gillard, Richard Heintz, Jean Hick, Jean Julemont, Ernest Marneffe, Pol Pierart et Armand Rassenfosse.

Du jeudi 26 septembre au dimanche 1er décembre 2024 – Vernissage : Mercredi 25 septembre de 18h à 22h – Musée de la Vie wallonne, salle des expositions temporaires. Cour des Mineurs – 4000 Liège.

Sandrine Morgante
Sans titre, de la série You Gold (challenge yourself), 2024
Technique mixte sur papier, 70 x 53,5 cm

Le burn out pour Horizons

D’une part, la claque de quelques slogans nous enjoignant à pratiquer la performance, la prouesse, la mobilisation totale des ressources individuelles et collectives, cette optimisation qui ne peut que nous amener à la réussite, au succès, au confort et à la richesse. Make it possible, Just do it, Think big, Get rich, do more, High Speed, The beginning of a New Aventure. D’autre part, une série d’entretiens, de conversations, que l’artiste a menés avec des hommes et des femmes souffrant de ce que l’on appelle communément le burnout. Sandrine Morgante investit le champ du syndrome d’épuisement professionnel, désigné par cet anglicisme [ˈbɝnaʊt], un syndrome qui combine une fatigue profonde, un désinvestissement de l’activité professionnelle, un sentiment d’échec et d’incompétence dans le travail, résultat d’un stress professionnel chronique : l’individu, ne parvenant pas à faire face aux exigences adaptatives de son environnement professionnel, voit son énergie, sa motivation et son estime de soi décliner. Dans cette nouvelle série de dessins, intitulée You Gold, Sandrine Morgante dessine littéralement le burnout, reprenant injonctions et confidences, slogans et récits de souffrances. Je suis tétanisée, j’arrive plus à bosser, toutes ces injonctions contradictoires qui vous tombent dessus, j’ai complètement péter les plomb, plus c’est dysfonctionnel et plus vous êtes embarquée dans cette espèce de folie, J’aimerais démissionner, j’en peux plus, j’étouffe, c’est moi qui n’ait pas réussi à gérer la pression… Graphiques performatifs, bulles, trous noirs, majuscules, polices tantôt dynamiques et séductives, tantôt hachées et désordonnées, cris ou murmures, la composition de ces dessins au format d’affiche traduit le choc des mots, la perte de soi, les déflagrations systémiques et toutes ces histoires individuelles

Sandrine Morgante, Bourgeois buiten, Lichtekooi, Antwerpen, vernissage ce 21 septembre

The works of Sandrine Morgante (b. 1986 in Liège, lives and works in Brussels), which deal with writing and speech, are visual transcriptions of dialogues from interviews, audio recordings of nocturnal thoughts, or memories of spontaneous conversations.  With the new project Walen bourgeois buiten, Morgante approaches political influence and historiography using a fragment of Belgian history. Besides the well-known slogan “Walen buiten”, Morgante takes an interest in the lesser-known slogan “Bourgeois buiten”, which places the language conflict within a class struggle. Through printed maber, drawings and a publication, Morgante reflects on how political ideas are communicated and disseminated. This exhibition is not taking place in a Belgian election year for nothing!

Les œuvres de Sandrine Morgante (née en 1986 à Liège, vit et travaille à Bruxelles), qui portent sur l’écriture et la parole, sont la retranscription visuelle de dialogues issus d’interviews, d’enregistrements audio de pensées nocturnes, ou de souvenirs de conversations spontanées. Pour le nouveau projet, Walen bourgeois buiten, Morgante aborde l’influence politique et l’historiographie à partir d’un fragment de l’histoire belge. Outre le slogan bien connu « Walen buiten », Morgante s’intéresse au slogan moins connu « Bourgeois buiten », qui inscrit le conflit linguistique dans un conflit de classes. À travers des imprimés, des dessins et une publication, Morgante réfléchit à la manière dont les idées politiques sont communiquées et diffusées. Cette exposition n’a pas lieu en pleine année électorale belge pour rien!

The Times They are A-changin’

« Walen buiten » : le slogan a signé jusqu’à le désigner un moment de l’histoire sociale et politique belge. Celle du mouvement étudiant à Louvain, entre mai 1966 et mai 1968, qui conduira in fine à la scission de l’Université de Louvain en deux entités linguistiques distinctes : l’une, néerlandophone, demeurant dans l’implantation l’origine ; l’autre, francophone, ouverte en 1972 dans une ville créée pour la cause, Louvain-la-Neuve. Mouvement porté par des conceptions et des organisations nationalistes, mais dont la réduction au mot d’ordre « Walen buiten » voile les complexités et contradictions internes, autant que les mutations politiques et intellectuelles dont il constitua le ferment.

Une génération s’est formée et conscientisée en son sein, en particulier un groupe qui y a vécu une radicalisation révolutionnaire, partant de conceptions démocratiques et anti-autoritaires assez diffuses pour élaborer progressivement un programme pétri de marxisme, de tiers-mondisme, de solidarité avec le mouvement ouvrier. De ce groupe naîtront les fondateurs d’AMADA – TPO (Alle Macht Aan de Arbeiders – Tout Pouvoir aux Ouvriers), qui deviendra, en 1979, le PTB / PVDA. C’est un moment de cette mue que saisit Sandrine Morgante, la traduisant dans la transformation imprimée au titre : « Walen buiten », non plus. Bourgeois buiten désormais. Ce moment est celui de l’éclosion : après une première expérience en mai ’66, un petit groupe de « gauchistes » décide de mettre la main sur le très respectable hebdomadaire étudiant intitulé Ons Leven. Cette feuille est imprégnée de conservatisme et de nationalisme. Eux sont anars, inspirés par les Provos hollandais, nourris d’une contre-culture en pleine expansion, fascinés par le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, révulsés par l’emprise de l’Eglise sur la vie et l’enseignement, étouffés par l’autoritarisme ecclésiastique et académique… Entre fin septembre ’66 et début mars ’67, ils s’emparent de Ons Leven, le transforment, dans les textes, les images, la forme. Le révolutionnent. Le graphisme s’anime et s’arrondit, les textes s’ensoleillent de désirs et d’insolences, l’horizon s’élargit aux luttes des Noirs Américains, des Indonésiens. S’invite le mot « révolution », la date de 1917.

Et c’est cela qui éveille Sandrine Morgante, sollicite ses préoccupations propres : comment le support imprimé se fait l’acteur et aujourd’hui le témoin d’une transformation collective des consciences aussi bien que d’une diffusion d’idées nouvelles. Idées, à savoir : formes, couleurs, verbe, langage. Dès lors, la matière : d’abord un témoignage de première main, l’entrevue avec un acteur des événements, à savoir Herwig Lerouge, étudiant alors en philologies germaniques, devenu ensuite l’un des vecteurs de cette transformation, puis militant indéfectible, acteur de la fondation d’AMADA-TPO, puis du PTB-PVDA. C’est Herwig Lerouge qui fournit à Sandrine Morgante cette archive précieuse des numéros de Ons Levenphagocytés. C’est lui encore qui fournit cette page du quotidien Het Laatste Nieuws du 15 novembre 1967, une entrevue avec divers leaders du mouvement étudiant en cours (parmi lesquels lui-même, mais encore Paul Goossens, Ludo Martens, Kris Merckx…). Cette page témoigne de l’écho médiatique – très ponctuel – donné aux débats internes traversant alors le mouvement étudiant, entre volonté d’unité, questionnements de l’accès à l’enseignement universitaire et de la démocratie, élargissement à des enjeux sociétaux plus vastes (l’emprise des trusts et du Capital sur l’enseignement, le lien avec le mouvement ouvrier).

De cette matière éclot ceci : les numéros de Ons Leven sont compilés en un volume de facsimilés. Une édition où Sandrine Morgante intervient de deux manières : elle dépouille les numéros de toute publicité et de tout élément non politique. Par ailleurs, elle inscrit dans les pages des dessins sommaires, sous forme de cartoons politiques sommaires, sans style. Dessins et caricatures évoquant les luttes et questions de notre temps : la Palestine, l’écologie, les luttes sociales. Manière de prolonger et d’actualiser le geste d’appropriation qui était celui de cette rédaction pirate du périodique. Manière d’affirmer une filiation et une continuité. D’autre part, la page de Het Laatste Nieuws est agrandie et sérigraphiée, barbouillée, souillée, maculée d’aplats mouvants, libres, « pop », floraux, expansifs et invasifs. Sur ces aplats, des phrases manuscrites reprennent des fragments de l’entrevue avec Herwig Lerouge. Elles attestent d’un subjectivité personnelle et collective en pleine floraison, autant que d’une véritable stratégie de diffusion.

L’écriture simule celle du témoin, cherchant à réincarner l’expérience comme son souvenir et son actualité. Comme dans d’autres travaux, l’exercice de l’écriture est celui d’une présence charnelle, formelle, graphique[1]. Les mots, la pensée s’éprouvent. Ils s’agencent dans une conflictualité visible, entre l’archive officielle et le témoignage marginalisé par l’histoire. L’ensemble des sérigraphies s’agence dans une composition murale, évoquant l’esthétique du mur d’affichage sauvage, du « placard ». Au total, ça « s’envague » , s’ensauvage, entache, énonce cette énergie d’une conscience en mouvement, d’une floraison d’un jeune âge en attente, entachant l’ordre présent de ses désirs débordants, des rigueurs à venir. Ce bruissement, cette attente, ce mouvement, sans doute est-il aujourd’hui en cours sur d’autres supports que la feuille. Mais on le touche ici, dans l’assurance d’une filiation et d’une école possibles. Dans la sensation vive que toujours les consciences s’avivent…

Laurent Courtens (critique d’art)

[1] Cette capacité comme cette nécessité mimétiques habitent d’autres travaux de Sandrine Morgante, par exemple lorsqu’elle simule et réincarne les écritures d’écoliers dans l’ensemble Taalbarrière  (2021) ou dans Figliie dei Militari (2019).

Paréidolie Marseille, les images (1)

Sandrine Morgante imagine des procédés pour organiser et visualiser des informations par le biais du dessin, son médium premier et vecteur immédiat de la pensée. Elle se lance ainsi en 2015 dans l’étude exploratoire d’Infinite Jest, en anglais dans le texte. Un roman inclassable et complexe dans lequel l’auteur américain David Foster Wallace fait exploser tous les champs lexicaux et genres littéraires, toutes les règles et formes langagières. Une somme expérimentale où il est question d’addiction et de répétition pour dire un monde en déréliction et la dislocation des relations sociales dans un trop plein d’informations. Pour appréhender cette brique de mille pages (qu’elle n’a lue ni dans son intégralité ni de façon linéaire), Sandrine Morgante a opté pour une approche aléatoire et parcellaire. Elle a privilégié l’extrait pour traiter les données sur un mode obsessionnel et fragmentaire qui entre en résonance avec le roman, tant du point de vue de son signifié que de son signifiant. Ces morceaux choisis, elle leur a donné une forme visuelle, par le biais de fichiers numériques, d’animations sonores et graphiques, de dessins sur papier, d’une installation interactive. Selon une méthodologie ordonnée, elle invente des grilles analytiques et des index pour décortiquer le texte. (…)

WHERE WAS THE WOMAN WHO SAID SHE’D COME (“WWWWWSSC”) se compose d’un ensemble de grands dessins (crayon, feutre et correcteur sur texte imprimé) qui analysent le deuxième chapitre d’Infinite Jest, amorcé avec la phrase de l’intitulé (“Où était la femme qui avait dit qu’elle venait”). L’angoisse névrotique d’un personnage qui attend sa drogue est traduite par un long soliloque où les mots récursifs acquièrent une valeur générique qui convoque l’imaginaire collectif. Dans certains cas, le texte est tenu à distance, réduit à un rectangle grisé, autour duquel se déploie un espace de phantasmes stéréotypés, à l’instar de ces images dessinées (horloges, insectes), copiées sur les occurrences proposées par Google Images à la saisie de ces mots-clés. (…)

Plaçant le spectateur au cœur d’une constellation de signes, de données, de temps écoulé, ce travail monomaniaque et dense n’est pas sans évoquer celui de la conceptuelle allemande Hanne Darboven. Si ce n’est que Sandrine Morgante vit à l’ère du numérique, d’internet et de l’hyperlien illimité. Bienvenue dans l’infinie comédie de la polysémie…

Sandra Caltagirone (extraits d’un texte paru dans l’Art Même)

Dès le début des années 90, Lizène développe ses « Ahaharchitectures ». C’est évidemment le rire lizénien qui résonne ; ce pourrait aussi être une allusion pataphysique, tant ces projets sont des solutions imaginaires (bien que la ‘Pataphysique préfère Ha! Ha! à Ah !Ah!). Sur l’idée des Sculptures nulles de 1980, sur celle aussi de « Mettre sur roues n’importe quoi » ( 1974), Lizène conçoit des maisons aux styles composés et composites (Art syncrétique, 1964). Ce sont des sculptures pénétrables sur grosses roues d’avion, avec escaliers dépliants, en métal léger, plastique dur, plexiglas, dotées de panneaux solaires, de cheminées en forme de priape, de jardins suspendus, fontaines de fumée, écrans TV et écrans extra-plats en façade et bornes électroniques. Lizène résout ainsi une série de problématiques liées à la mobilité, à l’énergie, à la robotique domestique.

Paréidolie 2024, preview, Sandrine Morgante

WWWWWSSC (Where was the woman who said she’d come)

Sandrine Morgante imagine des procédés pour organiser et visualiser des informations par le biais du dessin, son médium premier et vecteur immédiat de la pensée. Elle se lance ainsi en 2015 dans l’étude exploratoire d’Infinite Jest, en anglais dans le texte. Un roman inclassable et complexe dans lequel l’auteur américain David Foster Wallace fait exploser tous les champs lexicaux et genres littéraires, toutes les règles et formes langagières. Une somme expérimentale où il est question d’addiction et de répétition pour dire un monde en déréliction et la dislocation des relations sociales dans un trop plein d’informations. Pour appréhender cette brique de mille pages (qu’elle n’a lue ni dans son intégralité ni de façon linéaire), Sandrine Morgante a opté pour une approche aléatoire et parcellaire. Elle a privilégié l’extrait pour traiter les données sur un mode obsessionnel et fragmentaire qui entre en résonance avec le roman, tant du point de vue de son signifié que de son signifiant. Ces morceaux choisis, elle leur a donné une forme visuelle, par le biais de fichiers numériques, d’animations sonores et graphiques, de dessins sur papier, d’une installation interactive. Selon une méthodologie ordonnée, elle invente des grilles analytiques et des index pour décortiquer le texte. (…)

WHERE WAS THE WOMAN WHO SAID SHE’D COME (“WWWWWSSC”) se compose d’un ensemble de grands dessins (crayon, feutre et correcteur sur texte imprimé) qui analysent le deuxième chapitre d’Infinite Jest, amorcé avec la phrase de l’intitulé (“Où était la femme qui avait dit qu’elle venait”). L’angoisse névrotique d’un personnage qui attend sa drogue est traduite par un long soliloque où les mots récursifs acquièrent une valeur générique qui convoque l’imaginaire collectif. Dans certains cas, le texte est tenu à distance, réduit à un rectangle grisé, autour duquel se déploie un espace de phantasmes stéréotypés, à l’instar de ces images dessinées (horloges, insectes), copiées sur les occurrences proposées par Google Images à la saisie de ces mots-clés. (…)

Plaçant le spectateur au cœur d’une constellation de signes, de données, de temps écoulé, ce travail monomaniaque et dense n’est pas sans évoquer celui de la conceptuelle allemande Hanne Darboven. Si ce n’est que Sandrine Morgante vit à l’ère du numérique, d’internet et de l’hyperlien illimité. Bienvenue dans l’infinie comédie de la polysémie…

Sandra Caltagirone (extraits d’un texte paru dans l’Art Même)