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Jacques Lizène et le Capitaine Lonchamps, Désordres, extraits de la collection Antoine de Galbert, Mac Lyon

Jacques Lizène et le Capitaine Lonchamps participent à l’exposition Désordres, extraits de la collection Antoine de Galbert au Mac Lyon. 8 mars – 7 juillet 2024.

Jacques Lizène

On peut dire d’un collectionneur qu’il a un «œil » quand il achète l’œuvre d’un inconnu avant les autres, quand il parvient à définir sa propre place dans l’immensité vertigineuse de l’offre artistique, quand ses « coups de cœur » sont malgré tout étayés par des connaissances, quand il ose s’aventurer sur des terrains non encore explorés. (Antoine de Galbert)

Capitaine Lonchamps

Rester libre, ne pas se laisser influencer par le goût ou par les mots des autres, c’est peut-être la seule ligne qui a guidé et guide encore les choix d’Antoine de Galbert. L’éclectisme et l’impertinence savoureuse des œuvres de sa collection, dont l’exposition Désordres au macLYON présente des extraits, témoignent de l’œil audacieux de ce collectionneur.

Dans un désordre assumé, mais jamais complètement maîtrisé, l’exposition pose un regard sur les préoccupations, les errances, les luttes, les utopies, la violence et les rêves du monde, au fil d’un parcours divisé en une dizaine de salles sur l’ensemble du 2e étage du musée. Première œuvre de ce vaste ensemble, une courte animation en noir et blanc de
Radenko Milak voit s’effondrer la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris dans une atmosphère brumeuse qui rappelle celle des films expressionnistes allemands du
début du XXe siècle. Le ton est donné et la suite des œuvres décline les images inquiétantes de sociétés que l’on sent prêtes à s’écrouler ou à s’enflammer. Peinture, photographie, installation, dessin, assemblage et vidéo sont parmi les mediums employés par les artistes, certain·es inconnu·es et d’autres comptants parmi celles et ceux que l’on considère comme les grands noms de l’art.

Point central de cette exposition, un riche cabinet de curiosités rassemble des œuvres et objets relevant aussi bien de l’art moderne, de l’art contemporain, de l’art brut ou de l’ethnographie. Reflets de l’esprit du collectionneur, les deux vitrines qui le composent aspirent au décloisonnement, à défier l’ordre des catégories, des mouvements et des domaines qui organisent et régissent encore l’univers de l’art et les institutions muséales. Une céramique de l’artiste canadienne Shary Boyle côtoie ainsi un dessin de René Magritte, une tête marionnette du Vanuatu, une planche anatomique du XVIIIe siècle ou une petite sculpture textile de Yayoi Kusama. Dans ce même espace, l’irréversible de
la bombe atomique est présenté à côté d’un néon de Jean- Michel Alberola, L’Espérance à un fil. Si les œuvres n’hésitent pas à plonger dans les entrailles, à exposer le grimaçant,
le grotesque ou le monstrueux, on y découvre également des moments suspendus, des échappatoires surréalistes, psychédéliques ou magiques, et l’espoir de la reconstruction et de la réinvention.

Désordre d’une collection, désordre de l’art, désordre du monde, cette exposition dédiée à la collection Antoine de Galbert propose de naviguer dans la confusion et les éclats, plutôt que de prétendre à un universel lisse et peut-être utopique.

Capitaine Lonchamps s’est occulté

Nous avons appris hier l’occultation du Capitaine Lonchamps, à l’âge de 70 ans. Je republie ici cette notice que son ami André Stas a rédigé en 2011 pour le Guide de l’Irrévérence, paru à l’occasion d’une mémorable exposition au Centre Wallonie Bruxelles à Paris. Il neige en nos coeurs. Bon voyage, Capi. 

Neige, 2010, de la série Sciences et Voyages, Technique mixte sur imprimé trouvé, 15 x 16 cm
Neige, 2009, Technique mixte sur phtographie trouvée, 30 x 23 cm

Capitaine Lonchamps

par André Stas

Loger le parcours d’un tel personnage (né Philippe L. en 1953) dans une notice équivaut, mutatis mutandis, à enclore la Grande Pyramide dans une boule de neige. Proposer, en 1984, son Père Ubu (haut de 12 mètres !) pour le Prix Europe (au Musée d’Art moderne, à Ostende), relevait pour lui d’une «attitude» consistant à se présenter à tous les concours, à la seule fin de pouvoir dresser la liste des multiples refus qu’il allait essuyer. Le malheur voulut qu’il y décrocha la Merdaille d’Argent! Perturbé par cet « échec », il se prit donc à croire au bien-fondé de sa peinture libérée, adjoignant à la créature jarryque son propre héros: Max. Sa Maxification du Monde fut applaudie par tous ceux que l’art triste enquiquinait. Les délires iconiques de sa compagne de l’époque (Myriam Merch) étant présentés conjointement, le couple devint bientôt le fleuron d’une peinture sauvagement jubilatoire, aux insolences fort bienvenues. Le Hasard qui sait tout les fit croiser la route zigzagante de Stas (qui gardait un goût de trop peu de l’expérience éphémère de Frais d’Orifices). En intime connivence avec lui sur le plan de la ‘Pataphysique, démarra en 1986 l’aventure des Po$t-Zozo$, sept années de peinture collective, seule manifestation convaincante de la Figuration libre en Wallagonie (même si l’Histoire de l’Art officiel en fait fi). Galvanisé, le Capitaine pondit dans le même temps des détournements de tapis kitsch, puis nous « assit » avec ses fresques du tombeau d’Orèlie Antoine Ier, Roi de Patagonie, installations monumentales qui éberluèrent les esthètes autant que les Béotiens. Un dimanche caniculaire de 1989, le Capitaine, question de rafraîchir l’atmosphère, se prit à faire tomber la neige sur tout un pan d’une composition ravageuse des Po$t-Zozo$. Sans doute, ne se doutait- il pas de l’importance du geste pictural qu’il venait de poser. Subjugué par l’intense plaisir qu’il éprouva en multipliant ces points blancs, il clama qu’il venait d’inventer le «Neigisme», qui devint bientôt son arme froidement novatrice de Grand Perturbateur. Au fil du temps, le support de la toile d’une noirceur immaculée ne lui suffit plus et l’épidémie de flocons s’instaura partout selon une logique exponentielle, monomanie brouillant l’entendement que nous pouvions avoir de divers objets (choisis avec soin dans la mythologie du quotidien vulgaire) puis de l’image en général. Snowman (avatar « Spataphysique » de Fantômas) fit son apparition, insinuant sa mystérieuse présence dans les photographies dénichées aux puces, les chromos surannés ou les couvertures alléchantes de romans ou périodiques populaires. Le désole de ne point parvenir à commettre enfin, comme il en rêve, « la plus laide peinture du Monde » car la moindre « pauvre chose dont la laideur muette a des profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile» (Flaubert) acquiert étonnamment une certaine beauté, par la magie de sa subtile intervention nivale.

Paru dans Petit guide de l’Irrévérence, Editions Yellow Now, 2011.