Jacqueline Mesmaeker, Ah Quelle Aventure!, BOZAR (1) Déchirure, 17 Doutes

photo Caroline Lessire

L’œuvre de la Bruxelloise Jacqueline Mesmaeker (1929) s’est développée à partir du milieu des années 1970. Une même vision l’anime encore aujourd’hui : elle ne voit pas l’art comme une collection d’objets (artistiques) statiques, mais comme une cristallisation temporaire de la forme et du contenu. Il lui arrive ainsi souvent de revisiter ses propres œuvres via des ajouts subtils, des déplacements d’éléments ou l’utilisation d’autres médias, mis au service d’une présentation renouvelée. 

Jacqueline Mesmaeker s’est fait connaître dans les années 70 par ses expériences pionnières, avec des installations filmiques riches en images. Elle est parvenue à insuffler une incroyable poésie dans des œuvres magistrales sur papier et dans des constellations sculpturales à la fois simples et subtiles, parfois aussi via des interventions, tantôt précises, tantôt aléatoires, dans son environnement de travail et son cadre de vie.

La mer, la littérature (du monde), l’histoire de l’art, ses nombreuses collections, des performances et des observations qui prennent naturellement vie ou forme… autant d’approches et de leitmotivs qui expliquent la fascination que son œuvre continue d’exercer.

Sa production artistique symbolise le mouvement de flux et de reflux – l’apparition et la disparition d’images et de pensées dans une tentative expérimentale de matérialiser la poésie des choses et de la vie dans une œuvre artistique protéiforme.

« Ah, Quelle Aventure ! » est le second volet de l’exposition « Enkel Zicht Naar Zee, Naar West » organisée au début de l’année au CC Strombeek. De très nombreuses œuvres de l’artiste sont aujourd’hui exposées à BOZAR, dans une scénographie qui les rassemble selon leurs affinités.

Il ne s’agit pas d’une rétrospective mais d’une exposition conçue comme une promenade inédite au travers de son œuvre. La puissance de l’image est ici indissociable du contenu qui fait découvrir des influences culturelles merveilleusement diversifiées et aux ramifications multiples qui témoignent d’un réel engagement empreint d’une profonde empathie.

Jacqueline Mesmaeker, Déchirure, 2020, photo Philippe De Gobert

The oeuvre of Brussels artist Jacqueline Mesmaeker (1929) began to develop in the mid-1970s, and has been driven until the present day by a permanent desire for her art to be perceived not as a collection of static artefacts, but as a temporary crystallisation of form and content. Her works are often revised over time through subtle additions, repositioning or through adapted presentations with other media.

 In the 1970s, Jacqueline Mesmaeker was a pioneer of complex, imagery-rich film installations and created peerless poetry in masterful works on paper, in simple and subtle sculptural constellations and in precise, sometimes coincidental interventions in her working and living environment.  

 The sea, world literature, art history, her countless collections, and her performances and observations, developed and brought to life with simplicity, make her work an oeuvreof lasting wonder. Her artistic output reflects the movement of ebb and flow – images and thoughts are made present and then absent in a tentative attempt to materialise the poetry of things and of life in a wide range of art. 

 The exhibition “Ah, quelle Aventure !” follows the first part, “Enkel Zicht Naar Zee, Naar West”, which took place earlier this year in CC Strombeek. Today in BOZAR, a large number of works of art are brought together in affinity-sensitive ensembles.

This is not a retrospective but a broad, unseen promenade along her undiscovered art, which links the power of the image with far-flung and beautifully diverse cultural influences, founded on a deep empathic engagement with life.

photo Philippe De Gobert

Déchirure

Déchirure est un agrandissement d’une situation concrète dans l’appartement de Jacqueline Mesmaeker, à savoir une déchirure dans le papier peint blanc causée par un technicien venu contrôler l’humidité du mur.

« La meilleure preuve du caractère profond et vécu de toute l’œuvre de Jacqueline Mesmaeker, écrit Michel Verlinden dans Bruzz magazine, c’est son appartement d’Ixelles qui la donne. Depuis la moitié des années septante, c’est au sixième étage d’un immeuble s’élevant sur huit niveaux que la Bruxelloise déploie le territoire qui est le sien. La majesté du bâtiment donne le vertige. Les abords impressionnent, notamment l’entrée qui découvre d’imposants pilastres rangés sous une corniche finement cintrée. La réalisation est un fleuron d’inspiration Art Déco dessiné en 1929 par l’architecte Henri Jacobs. Paradoxalement, à aucun moment celui-ci ne laisse présumer sa fonction : il s’agit en réalité d’un logement à vocation sociale. Dans le cas de la plasticienne, la béquille immobilière va au-delà de la question économique. C’est à partir du moment où elle peut s’établir dans un logement à elle que Jacqueline Mesmaeker se met à imaginer des œuvres conceptuelles et inspirées par la littérature, notamment Stéphane Mallarmé et Lewis Carroll. (…) « En emménageant ici, une nouvelle disponibilité s’est offerte… sans compter que le rapport à l’architecture, qui est très important pour moi, s’est intensifié », résume celle qui reconnaît « la résolution des problèmes visuels » pour vocation. On rappellera ici, de manière adéquate, A Room of One’s Own, la célèbre nouvelle de Virginia Wolf, pour faire comprendre la nécessité émancipatrice d’un « espace à soi » qui a permis à la plasticienne de « déclencher son œuvre ». (…) L’étrange faille est désormais une pièce à part entière métaphoriquement chargée. On peut y lire l’introspection, le temps qui passe ou pourquoi pas la sexualité’.

Jacqueline Mesmaeker
17 doutes 1982
Encre sur papier, Olivetti Tippewritter Edition 1/1

17 Doutes

Cette œuvre simple mais dactylographiée avec précision sur une superbe feuille de papier blanc encadrée se veut un jeu complexe et raffiné sur les variations infinies de la langue et son incroyable mobilité qui donne à 17 doutes toute sa poésie. En y glissant une référence sonore à une date (17.08) qui, additionnée (1+7) donne 8 – un chiffre représenté dans le symbole de l’infini – l’artiste associe le temps à des doutes fondamentaux. Le texte, isolé et perdu dans un environnement (espace) blanc et vide, renvoie à une année spécifique dans la vie de l’artiste. Cette œuvre n’est conceptuelle qu’en apparence : elle transporte le spectateur, en douceur et en émotion, lui faisant découvrir les multiples strates de la musicalité de l’art et du vécu.

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