Archives mensuelles : juin 2020

Gaetane Verbruggen, Circuit Court, les images (1)

Gaëtane Verbruggen – Circuit Court
Gaetane Verbruggen
Sans titre, 2018,
Crayon sur papier encadré de hêtre, sous verre anti-reflet, 73,5 x 100,5 cm
Gaëtane Verbruggen – Circuit Court
Gaetane Verbruggen
Sans titre, 2019,
Noix de coco et fusain sur papier marouflé sur bois, 14 x 21 cm
Gaetane Verbruggen
Sans titre, 2019,
Huile sur bois préparé, 8,5 x 12,5 x 4,3 cm
Gaëtane Verbruggen – Circuit Court
Gaetane Verbruggen
Sans titre, 2020,
Huile sur bois préparé, 11,7 x 15,5 x 4,7 cm

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Jacqueline Mesmaeker, Ah Quelle Aventure!, BOZAR (11), La Pêche à la lumière, 1998, Les Lucioles

Les Lucioles

Les Lucioles est une série de 14 photocopies réalisées en éclairant la plaque de verre d’une photocopieuse avec une lampe de poche. À nouveau, Jacqueline Mesmaeker explore le support de reproduction de la photocopie, comme elle l’a fait dans la série Les Charlottes.

Jacqueline Mesmaeker
Les Lucioles, 2011
Technique mixte, encre synthétique sur papier, présentoir
(5) x 29,7 x 21 cm & (9) x 26 x 19 cm

(…) Les lucioles sont à mi-chemin entre les Charlottes et les Introductions Roses. Je veux dire par là que, dans l’exposition, l’œuvre que Jacqueline Mesmaeker appelle «Lucioles» est, à la fois, voisine des «Charlottes» et des «Introductions Roses». Elles agissent comme une ponctuation, une œuvre en mouvement qui entretient des relations avec des deux voisines, comme un trait d’union entre elles. Avec les «Introductions Roses», les lucioles partagent cette notion de surgissement de l’espace dans notre regard. Tout comme les «Charlottes», ce sont des photocopies, cette fois bien plus récentes. Et ces lucioles sont tout aussi fantomatiques que la présence de l’Archiduchesse. Nous ne connaissons pas leur nature, leur composition, elles sont démesurées, nous ne savons même pas si elles nous sont proches ou lointaines ; peut-être ne sont-elles pas plus grandes que des têtes d’épingle. Ce sont d’étranges objets stellaires, des lueurs parfois ceintes de légères nébuleuses qui apparaissent dans l’éther noir. Elles ne sont jamais de la même forme, elles ne sont jamais à la même place. Jacqueline Mesmaeker nous dit que ce sont des lucioles. «C’est en repensant aux serres que les lucioles sont réapparues, nous dit-elle. Du côté de la Hulpe, en été, lors de nuits chaudes et noires, les lucioles étaient là, dansant en huit avec leur lumière, si brillantes qu’elles éclairaient les plantes alentour. Peut-être qu’aujourd’hui les pesticides les auraient fait disparaître».

Je repense bien évidemment à la «Survivance des lucioles» de Georges Didi-Huberman, cet essai sur l’organisation du pessimisme selon Walter Benjamin. Dans les années 30, Benjamin fait remarquer qu’une des raisons de la catastrophe qu’il est en train de vivre est l’incapacité dans laquelle nous nous trouvons d’échanger des expériences. La destruction des savoirs traditionnels ne conduit pas à la construction de nouveaux savoirs. Le passé ne survit que dans des restitutions passagères, des images fragiles et intermittentes. Quand on ne voit plus les étoiles apparaître et disparaître dans le ciel, l’aura disparaît. Dans la lignée de ce constat benjaminien, Georges Didi-Huberman émet l’hypothèse que le non-savoir peut, lui aussi, devenir puissance. Il réagit, en fait, contre le pessimisme excessif de Pasolini qui, dans un article publié quelques mois avant sa mort, avait constaté la disparition des lucioles. Cet écrit éthique et politique, ce diagnostic désespéré, paru le 1er février 1975 dans le Corriere della Serra, se réfère à un texte plus ancien, une lettre de 1941, que Pasolini adresse à son ami Franco Farolfi. Pier Paolo Pasolini n’a pas tout a fait dix-neuf ans quand il écrit : «Il y a trois jours, Paria et moi sommes descendus dans les recoins d’une joyeuse prostitution, où de grasse mamans (…) nous ont fait penser avec nostalgie aux rivages de l’enfance innocente. Nous avons ensuite pissé avec désespoir (…) La nuit dont je te parle nous avons dîné à Paderno, et ensuite dans le noir sans lune, nous sommes montés vers Pieve del Pino, nous avons vu une quantité énorme de lucioles qui formaient des bosquets de feu dans les bosquets de buissons, et nous les enviions parce qu’elles s’aimaient, parce qu’elles se cherchaient dans leurs envols amoureux et leurs lumières, alors que nous étions secs et rien que des mâles dans un vagabondage artificiel. J’ai alors pensé combien l’amitié est belle, et les réunions de garçons de vingt ans qui rient de leurs mâles voix innocentes, et ne se soucient pas du monde autour d’eux, poursuivant leur vie, remplissant la nuit de leurs cris. Leur virilité est potentielle. Tout en eux se transforme en rires, en éclats de rire. Jamais leur fougue virile n’apparaît aussi claire et bouleversante que quand ils paraissent redevenus des enfants innocents, parce que dans leur corps demeure toujours présente leur jeunesse totale, joyeuse.» Puis, presque immédiatement après : «Ainsi étions-nous cette nuit-là : nous avons ensuite grimpé sur les flancs des collines, entre les ronces qui étaient mortes et leur mort semblait vivante, nous avons traversé des vergers et des bois de cerisiers chargés de griottes, et nous sommes arrivés sur une haute cime. De là, on voyait très clairement deux projecteurs très loin, très féroces, des yeux mécaniques auxquels il était impossible d’échapper, et alors nous avons été saisis par la terreur d’être découverts, pendant que des chiens aboyaient, et nous nous sentions coupables, et nous avons fui sur le dos, la crête de la colline.»

En fait, dans son essai, Georges Didi-Huberman nous dit que les lucioles n’ont disparu qu’à la vue de ceux qui ne sont plus à la bonne place pour les voir émettre leur signaux lumineux et que les images, pour peu qu’elles soient rigoureusement et modestement pensées, pensées par exemple comme images – lucioles, ouvrent l’espace pour une telle résistance. L’expérience est indestructible, quand bien même elle se trouverait réduite aux survivances et aux clandestinités de simples lueurs dans la nuit. Même dans un monde de destruction, on peut se retirer hors du monde, travailler à une lueur, à la persistance d’une liberté de mouvement. On peut agir, malgré tout, sans se replier, raconter une histoire, envoyer des parcelles d’humanité, ne pas nous contenter de dire non à la lumière aveuglante, mais dire oui dans la nuit. C’est assurément une attitude que partage Jacqueline Mesmaeker. Ses lucioles restent proches de nous, fragmentaires et mouvantes, comme une échappée fragile, elles nous effleurent, elles ne font que passer, intermittentes. Ce sont des apparitions uniques qui ne citent qu’un instant, de sont des instantanés, de courts moments, investis par la pensée. Elles déclineront peut-être, mais ne disparaîtront pas. Peut-être seront-elles aperçues plus tard, par un autre, elles survivront dès lors d’une autre façon. Ouvertes, inachevées et mobiles. Des expériences se transmettent, des formes s’inventent ou réapparaissent comme des lucioles.

1998

Dans 1998, nous voyons la montée et la descente d’un ascenseur industriel. Jacqueline Mesmaeker fait ainsi allusion à l’œuvre du peintre américain Barnett Newman. Très
vite, ce dernier est devenu une référence dans son travail, notamment à travers son idée du zip, une bande verticale de ruban adhésif coloré qui empêche le spectateur de se perdre dans l’espace immense.


Jacqueline Mesmaeker
1998 (La chambre claire), 1995
Réalisation: Jacqueline Mesmaeker
Prise de vue: Jacqueline Mesmaeker, Marc Hujoel
7’58’’, Hi8 numérisé, couleur, son mono
Collection Mac’s Grand Hornu et courtesy galerie Nadja Vilenne

Le travail de Jacqueline Mesmaeker se joue avec malice des cadres qui l’entourent, qu’ils aient été indifféremment imposés par un contexte ou choisis par l’artiste. C’est un travail qui passe sa tête dans l’entrebâillement des portes, qui surgit au détour d’un carrefour, qui vient souvent par surprise : pas tant par calcul ou intelligence stratégique que par conviction que dans l’inattendu se trouve le sel de la vie, ce qui nourrit sans cesse le goût du prochain épisode. Apparaissant, et disparaissant aussi, sous la forme de dessins, d’objets et d’images trouvés, de photographies et de vidéos, l’œuvre de Jacqueline Mesmaeker se fait héritière des facéties du surréalisme tout autant que de la rigueur métaphysique de l’art minimal et conceptuel.

La vidéo intitulée 1998 et réalisée non sans humour en 1995 consiste en une seule séquence tournée à l’intérieur de ce qui s’apparente à un ascenseur métallique allant et venant d’un étage à l’autre, sans jamais s’y arrêter. La caméra est orientée vers le seuil de l’ascenseur marqué d’un motif de losanges et, selon qu’on se trouve à un palier ou entre deux étages, se distinguent des rais de lumière, des fragments d’une salle dans laquelle résonnent des voix, des pas…

Ce film joue avec l’idée de métaphore comme un chat avec une pelote de laine. Il est tout à la fois simple et dense, enjoué et grave, et son sens se révèle au spectateur de la même manière qu’un tirage argentique passe progressivement des blancs aux noirs, de l’opacité à la limpidité dans le secret du laboratoire photographique.

S’il est un hommage à l’enfance, au plaisir espiègle que l’on pouvait avoir à faire monter et descendre l’ascenseur vide des vieux immeubles ou des supermarchés, c’est tout autant un film/vie : un film qui condense les étapes de clarté et d’obscurité qui rythment une existence ; un film qui parle des jours et des nuits, de la conscience et du songe, de la ville et du domicile et de la tombe aussi. Tout cela qui se superpose dans la mémoire et dont on garde au final l’essentiel souvenir d’une intensité, d’une présence au monde dont il y a toujours lieu de s’émerveiller.

Ce film parle de la pratique artistique que l’on peut mener si obstinément tandis que dehors, le temps passe, le monde se fait. Il est question de la relation entre l’image fixe et l’image mouvante. Il est question du dessin que réalise fortuitement l’ascenseur en griffant les murs. Il est question de la peinture que l’on fait et refait sans cesse, à l’égal de l’image qui affleure au-devant de cette vidéo et qui ressemble à une toile que l’on recouvrirait continûment d’une couche de noir, de gris, de blanc.

Jacqueline Mesmaeker
LA PÊCHE À LA LUMIÈRE, 2007
Réalisation: Jacqueline Mesmaeker Prise de vue et montage: Jacqueline Mesmaeker, Philippe Van Cutsem 
18’06’’, mini DV numérisé, N&B, sans son.
Courtesy galerie Nadja Vilenne, Liège

La Pêche à la lumière

La Pêche à la lumière présente l’enregistrement de la lumière incidente qui pénètre une bouteille d’eau SPA en plastique. L’image fascinante, dans laquelle deux éléments se rencontrent, maintient son mystère jusqu’à la fin.

Il arrive que l’art, lorsqu’il s’attache à faire voir avec simplicité les événements du temps qui passe, retienne l’attention à la mesure de sa résistance au désir de comprendre. C’est un art qui glisse entre les doigts comme du sable et vous laisse en tant que « consommateur » les mains vides, et vous oblige à ramasser le sable à nouveau pour le laisser s’échapper encore et encore… Cet art qui jongle et qui provoque l’esprit n’est plus conforme à notre époque de consommation instantanée et de compréhension immédiate d’une œuvre d’art. Quand l’art invite à résister, alors le refus et la négation sont des alliés. Il est rare, cet art conçu avec intelligence, assaisonné d’une logique laissée volontairement imparfaite et/ou d’images qui résistent à l’usure du temps – il est donc plus que jamais à chérir.

L’art a tendance, dans un environnement culturel donné, à s’adapter aux habitudes lisses et routinières des actes et de la pensée. Une oeuvre qui s’oppose à cela et qui tient bon face aux fluctuations des expressions culturelles de l’époque apporte une touche magistrale et durable à cette production culturelle. La production artistique de Jacqueline Mesmaeker se meut, depuis des décennies déjà, loin des vitrines officielles et commerciales pourvoyeuses d’éclat à ceux qui s’offrent de l’art pour le prestige. Elle se tient à l’écart de ceux qui tentent de soutenir un certain art, objet de transactions mercantiles, à l’aide de légitimations spéculative, critique ou historique.

L’oeuvre de Jacqueline Mesmaeker s’installe dans notre esprit ; elle s’en joue et le hante. Dans sa récente compilation de vidéos, les fils narratifs sont comme extraits des films pour aboutir à une succession d’événements qui, dans un montage répétitif, met bien souvent en évidence la liberté d’interprétation d’une oeuvre « laissée ouverte ». Ses films fascinants présentent des situations dans lesquelles défilent l’ordinaire et le banal, des situations dans lesquelles, par exemple, un enfant accomplit des actions plus ou moins avortées (Naoïse et Matthis). Des scènes particulièrement insignifiantes, qui peuvent même être mises en rapport avec des rituels rappelant la peinture ancienne, et plus précisément les poses iconiques de l’histoire de l’art, souvent inspirées de la mythologie et de la religion.

Il est étonnant de voir à quel point Jacqueline Mesmaeker parvient à combiner dans son art « le sublime du quotidien » avec des images suggestives dans lesquelles le vide « plein » procure un espace de respiration pour l’imagination du spectateur. « La pêche à la lumière » est le titre superbe d’une vidéo qui reste jusqu’au bout mystérieuse. C’est à peine s’il y a quelque chose à y voir ; les scintillements lumineux qui évoluent en douceur nous portent notamment vers les « natures mortes » de l’École hollandaise du Siècle d’or et ses peintres tels Frans Hals et Willem Hals. La pêche à la lumière est un sublime « tableau vidéo » où se révèle le désir de donner une image à un objet/sujet abject et semi diaphane produit par une lumière providentielle, rendant ainsi visible et concrète l’idée du temps présent.

Le travail de Jacqueline Mesmaeker est à situer sur le cercle le plus périphérique des événements artistiques actuels. Son art est enraciné dans un intérêt marqué pour la littérature et l’héritage d’une iconographie oubliée et perdue, une iconographie relative à l’art de « jadis », aujourd’hui totalement tombée dans les plis de l’histoire. La transmission de la pensée culturelle est éminemment dépendante du contexte de l’époque, et il est frappant de voir combien l’érosion de la mémoire culturelle est rapide. L’art de Jacqueline Mesmaeker suscite un profond sentiment élégiaque, à l’aide d’images qui s’accrochent au regard et à la pensée, invitant la mémoire à problématiser « notre » contemporanéité culturelle et à la placer dans une perspective plus large. Récemment, j’ai retrouvé une de ses publications, particulièrement belle, éditée à l’occasion d’une exposition à la Vleeshal de Middelburg en 1982. Mon attention fut attirée par la fascinante photographie d’un paysage vide, encadrée de manière classique

et accompagnée d’une mention sur le passe-partout : « Versailles avant sa construction ». Ce travail fabuleux où nature et culture se fondent en une oeuvre encadrée constitue une image suggestive où s’immiscent des allusions quant aux relations problématiques entre les deux médias que sont la photographie et la peinture. D’un côté, la possibilité de prendre un cliché de ce que l’on vit dans l’instant (apanage de la photographie) ; de l’autre le désir de fixer des moments uniques en des images tout aussi uniques (désir auquel la peinture se prête parfaitement) : Versailles avant sa construction semble bien ici le point de rencontre de son aspiration artistique. À la Vleeshal de Middelburg également, la mer et les oiseaux s’entremêlent dans un jeu plastique de projections multiples où la réalité et l’illusion se confondent, engageant dès lors un questionnement quant au statut de l’image dans le contexte de « nos » perceptions toujours changeantes et quant à la manière de vivre la réalité et d’y survivre. L’oeuvre de Jacqueline Mesmaeker associe la mémoire, le banal et le culturel au moyen d’une stratégie de récupération d’images. Ses insinuations élégantes au sein du large panorama de l’art et de la culture génèrent un langage visuel qui ne vous lâche pas. (Luk Lambrecht, 2011)

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Circuit court, Brecht Koelman, Loic Moons, Gaëtane Verbruggen, une opinion

Loic Moons
Sans titre, technique mixte sur toile, 2020
50 x 40 cm

Circuit court

Repenser sa réalité, refaçonner sa vision du monde, jouer de sa précarité, élaborer de nouveaux buts, trouver de nouveaux moyens pour y parvenir, imaginer sa vie… Le quotidien de l’artiste. Tant d’autres partagent aujourd’hui cette situation.

Circuit court, c’est la redécouverte du moi et de ses racines. Une tentative de relancer un métier en s’adaptant à un court-circuit. Résolument tournées vers l’autre et l’étranger, les galeries d’art se voient dorénavant dépossédées de leurs repères. Depuis des décennies, l’art progresse à travers un marché mondialisé, dans lequel œuvres, artistes, galeristes, collectionneurs et amateurs circulent massivement d’expositions en expositions, de foires en foires, de résidences en résidences, de commandes en commandes… Le monde aujourd’hui s’est restreint. La distanciation requiert des barrières qui imposent une réappropriation de son environnement le plus proche. Le moi, le chez soi et les à-côtés.

Brecht Koelman, Loic Moons, Gaëtane Verbruggen, trois artistes réunis autour de l’idée de Circuit court, un titre qui questionne la notion d’espace-temps autour d’une exposition, une proposition de la Galerie Nadja Vilenne pour repenser son activité dans une mobilité et un périmètre restreints, dans un monde démondialisé aux distances plus humaines.

Chacun à leur façon, les trois artistes livrent une œuvre intimiste en résonnance involontaire avec le contexte actuel. Le chaos de l’introspection/émancipation spirituelle de Loïc Moons côtoie le cadre calfeutré tout en clair-obscur des intérieurs de Gaëtane Verbruggen tandis que les peintures de Brecht Koelman renvoient inévitablement à la ruralité omniprésente de notre plat pays. Le moi, le chez-soi et les à-côtés…

Chaque trait, chaque aplat et chaque coulée résultent d’une forme de spontanéité. Les lignes et couleurs, et donc le sujet s’imposent aux artistes, telle une évidence, tel un besoin. S’exprimer et exprimer le monde rejoignent leur volonté et leur démarche artistique. Ce processus artistique débouche sur des compositions éminemment personnelles qui pourtant se font écho.

Apprendre à vivre avec soi, chez soi, loin de l’effervescence de la pluralité des expériences, distractions, labeurs et obligations d’une société pré-confinée. Vivre avec soi dans la proximité de son chez soi sans possibilité d’échappatoire si ce n’est celui de son imagination ou celle des autres. Des autres rendus inaccessibles. Réfléchir l’après dans le but de rattraper ou de changer l’avant. Penser le mieux, subir le pire… Un quotidien qui s’est récemment offert à nombre d’entre nous. L’art en « circuit court » offre une proximité de pensée, une proximité d’expérimentation, une proximité d’émancipation, en d’autres mots un moment de partage.

Texte de Thibaut Wauthion

 

Brecht Koelman
2020-05-13A
Huile sur bois, 20 x 25 cm
2020
Gaetane Verbruggen
Sans titre, 2020,
Huile sur bois préparé, 11,7 x 15,5 x 4,7 cm

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Jacqueline Mesmaeker, Ah Quelle Aventure!, BOZAR (10), Les Régentes, Bolsena. Tempête dans un lac volcanique

Jacqueline Mesmaeker
Les Régentes, 1990 – 2012 – 2020
Projections murales
Courtesy galerie Nadja Vilenne

Les Régentes

Les Régentes de 1990 est montrée pour la première fois à BOZAR sous forme de projection en deux parties. L’œuvre fait à nouveau référence à un texte de Paul Claudel sur la peinture hollandaise du Siècle d’or. Les Régentes montre une illustration du tableau Régentes de l’hospice des vieillards (1664) de Frans Hals. Mesmaeker se concentre sur l’expression des mains. Le danger du pouvoir se traduit par une composition dont les flammes correspondent exactement à la position des mains peintes. Cette image surprenante est le résultat exact d’une action audacieuse impliquant le brûlage de morceaux de feutre dans une obscurité absolue.

Haarlem, 1990. Invitée à participer à une exposition collective jumelant Anvers, ville natale de Frans Hals et Haarlem où le peintre mourut en 1666, Jacqueline Mesmaeker investit un couloir étroit de l’annexe de l’ancienne Halle aux Viandes. (1) Aux murs, de part et d’autre de cet espace long et étroit, elle accroche deux grands formats photographiques. Chacun d’eux représente une constellation singulière de feux follets surgissant de l’obscurité. (2) Plus loin, au fond de ce couloir, deux menues lampes, piquées sur deux longues tiges de cuivre, font miroiter deux plaques de cuivre, elles aussi face à face. Ces deux plaques sont gravées au nom de Frans Hals et agissent ainsi comme de singuliers cartels dont les œuvres seraient absentes, à moins qu’ils ne fassent référence aux photographies voisines, l’une et l’autre de formats légèrement différents, néanmoins fort précis. La première mesure 176,5 x 256 centimètres, la seconde 170,5 x 249,5. Quel peut bien être le lien entre ces quatre éléments, ces deux couples, cet entre deux feux habitant cet espace resserré, alors que le titre de l’œuvre fait aussi référence à Paul Claudel ?

«A Haarlem, écrit Jacqueline Mesmaeker, que ce soient les feux de brindilles des Régents et des Régentes ou les deux bancs de pierre construits dans la cour minérale, c’est au texte de Paul Claudel qu’il faut se référer. Paul Claudel face à Frans Hals, en 1935. Frans Hals devant Paul Claudel, par deux tableaux peints en 1664, les derniers». Jacqueline Mesmaeker fait allusion au chapitre que Paul Claudel consacre à la peinture hollandaise et qu’il rédige à Bruxelles en 1935, alors qu’il est ambassadeur de France en Belgique, chapitre extrait de «L’œil écoute». Ce sont de superbes pages consacrées au Siècle d’Or. Claudel y approche la peinture hollandaise d’une manière «que l’on peut qualifier d’anthropologique», constate Emmanuelle Kaës (3) dans un remarquable essai critique sur ces pages de Claudel, «au sens où le poète l’intègre à une réflexion générale sur la relation physique, intellectuelle et spirituelle de l’homme avec le monde et la situe sans privilège particulier parmi un ensemble de pratique symbolique : le travail paisible et unanime des hommes, la pensée spéculative et surtout l’économie maritime de la Hollande. Et l’auteur ajoute que Paul Claudel «saisit les tableaux comme des images mentales, relevant de la mémoire, du souvenir, de la rêverie ou de la pensée». «On voit, précise-t-elle, au fil du texte s’installer l’un des principaux dispositifs interprétatifs de la peinture hollandaise, dispositif d’ordre réflexif. La peinture hollandaise, selon Claudel, rend visible l’espace intérieur du sujet regardant. Elle permet une saisie réflexive de la vie intérieure, dans toutes ses dimensions, intellectuelle (la pensée qui possède), spirituelle (Rembrandt conduit «à l’intérieur même de l’âme»), mais aussi perceptive : c’est la vision, et plus largement le processus de perception intellection qui se découvre dans les tableaux».

Paul Claudel s’attarde longuement devant deux tableaux de Frans Hals : Le «Portrait de groupe des régentes de l’hospice de vieillards» et son pendant masculin, le «Portrait de groupe des Régents», tous deux peints, avec une implacable lucidité, en 1664. Des Régentes, Claudel, nous livre une vision sidérante, une description réaliste et frappante de ce portrait de groupe, dont il veut nous donner une représentation imagée, comme vécue au moment de son expression. «Tous les comptes sont réglés, écrit-il, il n’y a plus d’argent sur la table, il n’y a plus que ce livre définitivement fermé dont le plat a le luisant de l’os et la tranche le feu de la braise. La première des Régentes au coin de la table, celle pourtant qui d’abord nous paraissait la plus rassurante, nous dit, de ce regard oblique et de cette main ouverte qui interprète l’autre, fermée : C’est fini ! voilà ! Et quant aux quatre autres goules… Mais débarrassons-nous d’abord de celle-ci qui apporte à la présidente une fiche probablement imprégnée de notre nom. Nous avons affaire à une espèce de tribunal féminin dont ces guimpes et ces manchettes qui isolent et qui soulignent sévèrement les masques et les mains accentuent le caractère judiciaire. Il a pris session non pas devant un crucifix mais au devant d’un tableau représentant le rivage obscurci d’un fleuve funèbre. Si nous réussissons à détacher notre attention de cette patte de squelette qu’elle étale à plat sur son genou, le regard dur, les lèvres serrées, le livre sur lequel elle s’appuie nous le montrent bien, ah ce n’est pas sur cette dame que nous aurons à compter ! Et quant à la présidente au milieu avec ses gants et cet éventail qu’elle tient d’un geste maniéré, cette figure saponifiée où fait bec un atroce sourire, indique que nous avons affaire en elle à quelque chose de plus implacable que la justice, qui est le néant. C’est ce que nous affirme l’assesseur de gauche de ses deux poings solidement posés sur la table, de ces deux noirs orbites qui se creusent jusqu’à l’âme. Mais comment décrire cette émanation phosphorescente, l’aura vampirique, qui se dégage de ces cinq figures, comme d’une chair, et je serais presque tenté de dire, s’il était possible, comme d’une âme qui se décompose ?» (4).

Vision terrifiante s’il en est. «Sidération épouvantée», écrit Emmanuelle Kaës, «fascination pour des figures décrites comme des cadavres». «Même cette vision terrifiante des Régentes, écrit-elle encore, ne reste pour Claudel une expérience hors du sens. Le poète maintient tout d’abord le dispositif interprétatif global avec cette formule oxymorique, et quelque peu hétérodoxe pour un chrétien, de «l’âme qui se décompose». Il avait d’abord écrit : «les cinq dames en travail de décomposition», expression raturée et remplacée par cette comparaison avec «l’âme» qui assure in extremis l’unité symbolique de l’essai. Ensuite, c’est le dispositif chrétien du Jugement Dernier («tribunal féminin» avec «présidente» et «assesseurs», symbolique du « Liber Scriptus ») qui guide le regard sur ces deux tableaux de Hals».

Tant fascinée par le texte de Claudel que par les deux tableaux de Franz Hals, par le blanc et le noir «qui ne sont pas la négation de la lumière et de l’ombre, mais leur affirmation positive», par ces rondes de mains «judiciaires», ces «pattes de squelettes», par le luisant de l’os du plat du livre de compte et par sa tranche de braise, par l’émanation phosphorescente et l’aura vampirique de ces cinq figures, par cette décomposition de l’âme, Jacqueline Mesmaeker en traduit la substance même. «Trois ondes dominent la composition de ce tableau, écrit-elle à propos des Régentes : les visages, les collerettes et les mains. Reproduire par le feu la position de ces mains me semblait être un challenge à risquer. Les mains dessinées et coupées dans de la panne de laine, une sorte de feutre, ont été fixées sur des tiges de cuivre, dont les longueurs variables furent déterminées selon la mesure descendant de la troisième et quatrième phalange des mains des Régentes (mesures réelles du tableau d’origine) jusqu’au sol. Imprégnés de pétrole, les feutres ont été mis à feu. La photographie des flammes a été prise dans le noir absolu. Nous étions trois pour réaliser cela au plus vite. Nous avions loué un grand garage, provisoirement disponible, pour éviter les risques d’incendie». Dans le long couloir de la halle aux viandes d’Haarlem, le visiteur se trouve ainsi pris entre deux feux de brindilles, cette incandescence des mains des Régents et des Régentes, ces mains dévorées par le feu, cette braise du livre qui consume les mains, qui les embrase et les rongera jusqu’à la cendre. Feu de l’enfer qui décompose jusqu’à l’âme ? Ni dans Goya, ni dans le Greco, écrit Paul Claudel, il n’y a rien d’aussi magistral et d’aussi effrayant, car l’enfer même a moins de terreur pour nous que la zone intermédiaire».

Jacqueline Mesmaeker se met tant au diapason des deux tableaux de Frans Hals que du texte de Paul Claudel, de façon subtile, en pleine intelligence avec le poète et, plus surprenant, son style même. A ce propos, Emmanuelle Kaës écrit que Claudel «saisit la peinture abstraitement comme une activité de transsubstantiation qui transforme la matière en signe», «que l’examen du lexique des descriptions montre que Claudel ne cherche pas à faire voir les tableaux, à en proposer un double verbal. Le vocabulaire, observe-t-elle, souligne au contraire l’intellectualisation du visible, l’abstraction des données sensibles». Elle ajoute que «le style descriptif de Claudel restitue la dynamique d’une perception abstraite qui décante, dématérialise formes et couleurs, les réduit à des lignes mélodiques, des structures géométriques que la musique métaphorise». Ce sont des choses que Jacqueline Mesmaeker a singulièrement perçues dans le texte du poète. Ce feux de brindilles sont également une abstraction des données sensibles, une décantation, une dématérialisation, une ligne mélodique. Comme les descriptions de Claudel, qui ne sont pas un double verbal, les photographies de Jacqueline Mesmaeker transcendent l’œuvre de Frans Hals; elles n’en sont pas un double visuel, mais bien une activité de transsubstantiation, celle qui transforme la chair en flamme, la matière en données spirituelles.

«Frans Hals / Paul Claudel» a été conçu pour un lieu spécifique dans un contexte clairement établi. Aujourd’hui, l’œuvre prend une autre forme (5), plus modeste dans ses dimensions, tout aussi habitée par ce feu saisissant de la vie intérieure, cette image mentale, spirituelle et perceptive. Jacqueline Mesmaeker juxtapose deux photographies, celle du tableau de Frans Hals, ce «Portrait de groupe des régentes de l’hospice de vieillards» conservé à Haarlem, et celle des feux de brindille, ces mains de feutre mises à feu. Chacune de ces images est accompagnée d’une légende. Sous le tableau de Frans Hals, on lit un passage de Claudel, les premières lignes de sa description des Régentes : «Tous les comptes sont réglés, il n’y a plus d’argent sur la table, il n’y a plus que ce livre définitivement fermé dont le plat a le luisant de l’os et la tranche le feu de la braise». Sous la seconde photographie, elle ajoute : «Paul Claudel. L’œil écoute». Je vois le crépitement du feu. Il n’y a plus qu’un livre ouvert et un tableau, ces «Régentes» déjà et toujours d’outre-tombe. (Jean-Michel Botquin, 2011)

Notes :

(1) Vlaams vroeg 17de eeuwse architectuur in Haarlem eigentijds becommentarieerd : vlaamse moderne kunst op en rond de Grote Markt : 12 mei t/m 29 juli 1990, Frans Halsmuseum, Gemeente Haarlem, afdeling Culturele Zaken (Cat). (2) Jacqueline Mesmaeker, Oeuvres 1975-2011 aux Editions (SIC) & couper ou pas couper, sous la direction de Olivier Mignon, pp. 108 et suivantes. (3) Emmanuelle Kaës, Critique d’art et genre littéraire : l’«introduction à la peinture hollandaise » de Paul Claudel, P.U.F. | Revue d’histoire littéraire de la France, 2011/2 – Vol. 111, pages 369 à 385. (4) Paul Claudel, Introduction à la peinture hollandaise, extrait de « L’œil écoute », 1935. Repris dans Paul Claudel, La peinture hollandaise et autres écrits sur l’art », Idée / Arts, Gallimard, 1967, pages 59 et suivantes. (5) Jacqueline Mesmaeker, «Frans Hals / Paul Claudel. Les Régente ». Impression sur papier Hannemuhle, 55 x 90 cm (5/5), 1990 – 2012.


Jacqueline Mesmaeker
Bolsena. Tempête dans un lac volcanique
Vidéo HD, 4 :3, couleurs, sans son, 00 :03 :52
courtesy galerie Nadja Vilenne

Bolsena. Tempête dans un lac volcanique

Bolsena est un court-métrage animé dans lequel l’image d’une tempête est recomposée grâce au mouvement de diapositives scannées dans un programme informatique.

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Jacqueline Mesmaeker, Ah Quelle Aventure!, BOZAR (9), La Serre de Charlotte et Maximilien, Les Charlottes

Jacqueline Mesmaeker
La Serre de Charlotte et Maximilen, 1977-2020
Bambou, verres de serre, corde, fils de fer, projection filmique d’un film de Mickey Mouse
Photo Philippe De Gobert
photo Philippe De Gobert

La Serre de Charlotte et Maximilien

La Serre de Charlotte et Maximilien est une reconstruction d’une œuvre de 1977, aujourd’hui perdue. L’installation a été créée avec du verre de serre de récupération et du bambou. Elle est étroite et inaccessible. La structure est légère et fragile, comme si le vent pouvait l’emporter à tout moment. La serre sert de support de projection à Mickey Mouse. Le titre fait référence à la Princesse Charlotte de Belgique et à l’archiduc Maximilien, empereur du Mexique.

photo Philippe De Gobert

 UNE SERRE IMPÉNÉTRABLE

Thierry Smolderen

Tout Disneyland est bâti à l’échelle 7/8, et quoi que l’on puisse en penser, ce n’est pas seulement pour mettre les gosses à l’aise. Avant tout c’est pour donner une certaine unité à travers la diversité des univers évoqués. Et quel est le commun dénominateur de ces far-west de pacotille, de l’Amazonie en plastique, de cette préhistoire charmante ? C’est d’exister tous ensemble dans notre mémoire collective.

Bien sûr, comme ce sont des mythes, ils n’existent pas seulement dans la mémoire : toute une fantasmatique y est rattachée. Le rôle de la miniaturisation est de faire exister la rêverie et de bloquer la route au fantasme ; (ce qui ne veut pas dire : refouler ; simplement il s’agit d’établir un autre mode de désir, encore que dans ce cas précis de Disneyland il soit à peu près évident que la fonction première de l’entreprise soit d’être refoulante, démobilisante et payante).

Souvenir collectif, donc, et pas fantasme : le fantasme passe par le grossissement, le gonflement des images ; le mode du souvenir, c’est le rapetissement. Cent fois à l’ouvrage, remet ton fantasme, polis et repolis, soigne les détails surtout, pas de failles, le fantasme est lisse : surfaces glissantes, élastiques à l’infini, impénétrables ; ou brulant : extase, flammes dévorantes, orgasme.

Par rapport aux terribles exigences structurelles du fantasme, Jacqueline nous montre que le souvenir, lui, se bricole, à la va-vite : avec un peu de présent, un peu de passé, du futur simple, de l’antérieur, des fragments de temps rapiécés qui s’enroulent, se mêlent, se parasitent. C’est le monde de la porosité, de la fuite, des pénétrations lentes et des lentes florescences. Monde végétal du souvenir où les choses vont toutes leurs vitesses différentes ; constellations à chaque instant renouvelées d’événements souterrains et de surfaces, le jardin se métamorphose continuellement (émergeant lentement, le nom de Kaspar Hauser avec ses lettres de cresson, sera piétiné par la noire figure de l’amnésie : du fantasme ?).

La serre de Jacqueline fonctionne comme un souvenir: c’est un aquarium aux facettes disjointes où évoluent des petits poissons-lumières immobiles (elle me fait aussi penser à un kaléidoscope reproduit par des Aborigènes avec des éléments de fortune, ou à une machine exposée dans les jardins de Raymond Roussel). Le fil de fer tresse autour des plaquettes de verre des noeuds lâches qui ne font que ralentir leur bris inévitable : car la serre se desserre, laisse échapper la chaleur et la lumière. De toute façon, la mémoire avait tué le souvenir aussi sûrement que l’étanche tue la vie. La serre ronronne et bruisse, dérive lentement vers une mort éventuelle, une mort par ventilation, pas une mort par étouffement écologique, c’est-à-dire sereine.

Il faudrait aussi dire que le souvenir est à l’opposé de la nostalgie : celle-ci n’est que sa dérive fantasmatique : la couleur sépia, lisse, raccommode les surfaces, refoule le disparate, le sentiment nostalgique installe tout – même l’expérience immédiate – sous le signe du manque : ce que je vis maintenant est si bon, qu’est-ce que je vais pouvoir souffrir quand ce sera fini ! Le souvenir est positif, vivant : le nom de Kaspar Hauser, en lettres de cresson, astringentes sur fond de terre brute, et surtout pas les chrysanthèmes des couronnes mortuaires. (1977)

photo Philippe De Gobert

Les Charlottes

Les 16 photocopies encadrées composant Les Charlottes(1977) sont en lien étroit avec La Serre de Charlotte et Maximilien. Leur point de départ est un portrait photographique de la malheureuse princesse Charlotte atteinte de folie, tiré du magazine Le Patriote illustré. Les photocopies mêlent ses portraits à d’autres photographies et textes originaux, amplifiés par des morceaux du même verre que celui utilisé pour la serre de 1977. De cette manière, l’œuvre donne vie à un jeu complexe et narratif de superposition, de transparence, de répétition, de disparition et d’apparition, avec la photocopieuse comme moyen de production artistique.

Jacqueline Mesmaeker
Les Charlottes, 1977
Photocopies de superpositions d’images et de morceaux de verre, (16) x 42 x 29,4 cm Encadrées, (16) x 95 x 65 cm.

«Il n’y a pas d’histoire… Le bonheur d’utiliser le verre». Ces quelques mots griffonnées sur un carnet Moleskine à la fin des années 70, résument à eux seuls l’esprit des Charlottes, cette œuvre que Jacqueline Mesmaeker réalise en 1977 et qu’elle montrera aux Ateliers du Grand Hornu en 1980, dans le cadre d’une exposition intitulée «Une archéologie dans une autre archéologie». Il n’y a pas d’histoire et pourtant tout en procède, dans le but d’en imaginer de multiples autres.

A la fin des années 70, le paysage vallonné du Brabant, au sud de Bruxelles, est en pleine transformation. La culture intensive du raisin en serre ne cesse en effet de décroître. Depuis un siècle, elle assure la prospérité des communes de Hoeilart, Overijse ou La Hulpe. Par un paradoxe qui défie le climat mais qui procède d’esprits ingénieux, on y fournit du raisin de table toute l’année et on y cultive du Gros Colman, cette variété tardive de raisins violets à la peau fine, un fruit agréable, sucré, qui fond littéralement en bouche. Aux alentours de 1930, les coteaux de la vallée de l’Ijse sont couverts de serres aux reflets d’argent. On en compta jusqu’à vingt et un mille. L’importation de raisins bon marché provenant de pays méridionaux, l’augmentation du prix du combustible auront raison de cette effervescence : dès les années 60, on détruit les serres avec la rage du désespoir. Désormais, le paysage change ; tandis qu’on abat aussi les pommiers, on lotit les terrains des serristes et horticulteurs. «J’ai récupéré un certain nombre de ces verres soufflés, m’écrit Jacqueline Mesmaeker, je les ai recoupé afin d’en faire une serre impénétrable. D’autres verres, aux bords noirs de moisissure, rejoindront les Charlottes».

Jacqueline Mesmaeker érige, en effet, en 1977, une serre dans un jardin de la rue de l’Hôpital à Bruxelles. La serre est haute, étroite, tellement étroite qu’on ne peut la pénétrer. «Elle fonctionne comme un souvenir, écrit Thierry Smolderen. C’est un aquarium aux facette disjointes où évoluent des petits poissons – lumières immobiles. Elle me fait aussi penser à un kaléidoscope reproduit par des Aborigènes avec des éléments de fortune, ou à une machine exposée dans les jardins de Raymond Roussel. Le fil de fer tresse autour des plaquettes de verre des nœuds lâches qui ne font que ralentir leur bris inévitable : car la serre se desserre, laisse échapper la chaleur et la lumière. De toute façon, la mémoire avait tué le souvenir aussi sûrement que l’étanche tue la vie. La serre ronronne et bruisse, dérive lentement vers une mort éventuelle, une mort par ventilation, pas une mort par étouffement écologique, c’est-à-dire sereine». Durant l’exposition Jacqueline Mesmaeker projettera des films de Mickey sur les vitres de la serre. Cette serre, elle la nommera : «La Serre de Charlotte et Maximilien».

Je me souviens qu’à l’âge où je regardais des Mickey (j’en regarde encore, mais j’évoque là cette période de l’enfance), j’ai souvent été me promener avec ma mère, le mercredi après midi, dans le parc du château de Bouchout. Au cœur du domaine, on y visite les serres du Jardin Botanique de Belgique. Quant au château, vide à l’époque et qu’on ne visitait pas, on y cacha, pendant plus de quarante-cinq ans, la folie de Charlotte, princesse de Belgique, fille de Léopold Ier, épouse de Maximilien d’Autriche. Ma mère m’avait conté par le menu le destin de l’Archiduchesse et de son mari, ces «archidupes mexicains». Quelle histoire fascinante pour un gamin que le destin de cette princesse de chez nous, impératrice éphémère du Mexique, ses voyages, son retour d’Amérique, sa folie paranoïaque (prétendue folie, vitupérait ma mère), et son enfermement, de 1881 à 1927, cet emprisonnement sans fin, solitaire, jusqu’à la mort, au château de Bouchout. Sur mon vélo, j’ai souvent fait le tour des douves du château, mais en contournant la cour d’honneur, sans m’approcher dès lors des hautes façades néo–médiévales du château, tant il me semblait que Charlotte était encore là, errante et fantomatique, derrières les vitres sales, les tentures poussiéreuses. Une seule fois, j’ai osé coller mon nez à la vitre d’une fenêtre du rez-de-chaussée, découvrant ainsi, dans la pénombre, ces lieux abandonnés. Sans connaître les «lettres de la folie», ces neuf cent missives que Charlotte rédigea durant ses années d’enfermement, il me semblait que planait là un souffle grave et inquiétant ; impressionnant. Charlotte avait-elle été enfermée parce que folle ou est-ce l’enferment qui était responsable de ses errements ? «Les malentendus procèdent aussi de ces enfermements, me confie Jacqueline Mesmaeker, à qui je raconte, bien sûr, ce souvenir d’enfance. Cette situation à la fois si humaine et si oppressante, cette impossibilité de communiquer qui se dégage de la conjoncture de Charlotte, est un symbole récurent». «Parmi les illustrés conservés dans la cave de mes parents, continue-t-elle, il y en avait un qui ne pouvait que capter l’attention, un «Patriote illustré» relatant avec textes et photos cette tragédie tant Impériale que Royale. Il me semblait qu’il fallait donner une seconde vie à ce portrait photographique. Le port de tête indiquait une éducation rigoureuse, le rappel constant du maintien et du redressement du corps. L’hebdomadaire était imprimé en sépia marron sur un papier très ordinaire. Après lecture, de cette lourde destinée je devinai que cette Princesse Charlotte avait dû subir tous les isolements possibles. Aucune écoute, aucun crédit, aucune bienveillance. Elle a été enfermée dans la folie au propre comme au figuré ; jusqu’à l’inexistence.»

Il me semble que les œuvres de Jacqueline Mesmaeker procèdent souvent de ces rebonds du sens. Un paysage de coteaux, les serres d’un jardin botanique, d’autres serres disparues, l’image imprimée d’un portrait, l’histoire, qu’elle soit proche ou lointaine ; tout sous-tend la nécessité de transmettre, d’évoquer de petites ou grandes choses singulières et, dans un même temps, tout est dispositif de récit et de figuration ouvert sur la possibilité d’autres perspectives; rien en effet n’est étanche. Le rebond peut même sembler, à première vue, complètement saugrenu. Ainsi, lorsque j’évoque le miroitement des verres des encadrements posés sur les Charlottes, reflets et éclats qui dès lors parasitent les images, Jacqueline Mesmaeker me répond que ceci, finalement, participe – et le mot est précis – d’un «feuilletage». «Ces reflets sont une couche de plus», me dit-elle. Et c’est vrai : au fil des planches, l’œuvre se feuillette comme un livre, alors que les images sont constituées de feuilles de verre récupérées au travers desquelles, au hasard des recouvrements, apparaît et disparaît Charlotte. Jacqueline Mesmaeker conclut alors, me délivrant cette réflexion elliptique : «J’ai une pensée pour Claude Gellée, dit Le Lorrain». Me voici, du coup et de façon inattendue, devant l’étal d’un pâtissier, puisqu’on attribue à Claude Gellée l’invention de la pâte feuilletée, tandis que resurgit de mes souvenirs ce tableau conservé au Louvre, peint par Le Lorrain, intitulé «Ulysse remet Chryséis à son père», un tableau qui m’a toujours fasciné, tant le sujet, l’intitulé de l’œuvre, ne compte guère. Le Lorrain y fait bien peu de cas des héros homériques, discrets et insignifiants dans un coin de la toile. Le tableau n’est qu’éblouissement ocre et doré d’un soleil couchant, invisible, sur un port de mer à l’antique. Il est poème d’eau, de lumière, d’arbres et de colonnes, une architecture de songe, un port aux vaisseaux fantômes. Toutes les lignes de la composition, hormis les verticales classiques, fuient vers l’horizon, très loin derrière le navire qui entre dans ce port mythique. On en oublierait Homère, Ulysse, Chryséis et son père. Au fil de ma lecture des «Charlottes», j’ai repéré cette petite phrase écrite par Jacqueline Mesmaeker, comme une sorte d’avertissement : «Parfois il faut brouiller les pistes. Le spectateur croit avoir trouvé un chemin, il s’y enfonce, mais la fascination est ailleurs». D’évidence, ceci prend ici tout son sens.

Il faudrait un jour écrire une histoire de l’usage de la photocopie dans la création contemporaine. Les «Charlottes» en participent singulièrement. En 1977, c’est une toute nouvelle expérience pour Jacqueline Mesmaeker, qui me précise qu’elle réalise les Charlotte sur un «vieux (l’était-il déjà l’époque ?) photocopieur à couvercle en caoutchouc souple». Au delà du principe même de la copie, c’est la spécificité du photocopieur lui-même, cette sorte de chambre noire à tambour, qui mobilise l’artiste. La vitre du photocopieur est telle une feuille transparente, c’est un verre en effet, une couche du feuilleté du Lorrain, sur laquelle Jacqueline Mesmaeker posera d’autres verres, ceux des serres, des livres, des documents, des reproductions photographiques, ce portrait de Charlotte découvert dans le Patriote Illustré, sévère et hiératique, qui, au fil des copies, apparaît, disparaît, en fonction des recouvrements des verres de serre et des documents, captive dès lors de ces plaques de verre comme elle le serait d’une antique émulsion au gelatino-bromure d’argent. «Fin d’une destinée douloureuse, l’Archiduchesse Charlotte, princesse de Belgique est morte le 19 janvier 1927», devine-t-on en légende du portait. Ailleurs, sur une autre planche, je lis : «Seulement dans les lieux clos, on tolère notre délire. La folie dans un temps infinisimal et non visible. Nous sommes tous clandestins dans nos vêtements officiels». Le texte, cette fois, est tapé à la machine à écrire.

Plus fondamentalement encore, c’est cette potentialité du médium à reproduire ce qui ne serait reproductible que par l’imaginaire, qui intéresse Jacqueline Mesmaeker. «Le bonheur d’utiliser le verre»… écrit-elle. Non pas seulement le bonheur de réhabiliter ces verres soufflés des anciennes serres qui ont rythmé son paysage familier, mais bien le bonheur de pouvoir les considérer comme support de toute émulsion. Car tout ici, est question de déplacement, de répétition, de continuité et de discontinuité, de projection, d’impressions, au sens propre comme au sens figuré, afin de révéler les images dans de nouveaux régimes de perception et d’intelligibilité. «Ce sont les astuces des Charlottes», me dit Jacqueline Mesmaeker, Au fil des planches apparaissent et disparaissent des images de tout ordre, une reproduction des terrasses supérieures du mausolée d’Akbar le Grand à Sikandra, au nord d’Agra, sur la route de Dehli, la plaine brabançonne, un édicule à la toiture en coupole caché derrière un bosquet d’arbres, une salle de séjour, deux chaises à accoudoirs devant des fenêtres, une demeure princière perchée tout au haut d’une butte – je pense reconnaître le château de La Hulpe. Tout se superpose, se reproduit. Un jardin transparaît au travers de la fine grille d’un papier millimétré, les paysages se renversent, la plaine hivernale (mais l’est-elle ? ou est-ce un effet des noirs et blancs photocopiés ?) se transforme en lac miroitant dans lequel se reflète la longue façade au tours d’angles de ce château que je pense avoir reconnu. Ces images, tout comme le portrait de Charlotte, reviennent, se répètent, resurgissent, des textes imprimés leur répondent, les recouvrent. Il y a toute sortes de textes, des légendes imprimées en Times, des textes tapés à la machine, ce sont des tapuscrits, des citations peut-être, des textes de Jacqueline Mesmaeker certainement. Ils indiquent, ils font image. Les lignes serrées de ce texte-ci dessinent un écran dans le cadre de cette fenêtre, chaque ligne est à l’image d’une lamelle de persienne, et pourtant, ces phrases ouvrent le champs sur d’autres «ailleurs», sur : «des allées souterraines, des montagnes très élevées, sur lesquelles il y a des pagodes, des antres, des précipices, des rivières souterraines, des fontaines, des statues, des figures, des prairies de fleurs de toutes les saisons, des tombeaux, des ruines, des bancs rustiques, turcs, chinois, etc…». Jacqueline Mesmaeker nous projette dans des paysages de songe. Elle transfigure le paysage visible. L’édicule à coupole caché derrière le bosquet d’arbre devient «une toiture en forme d’ananas, de pomme de pin. Arbres en pierre, fausses ruines, grotte en coquillage, buvette comme un clocher d’église». Les visions se cumulent, n’en font plus qu’une, ou se diffractent. Tantôt apparaît «une barque dans laquelle se trouve une table de jardin ronde, une chaise. Un petit chien dessus pose ses pattes sur la table», tantôt dans cette même pleine hivernale, on n’entend plus que la toux du roi, ou un «Te Deum pour un rhume de Louis XIV». J’entends la musique de Lully, sa messe pour la santé du roi, tandis que l’image que je scrute me projette dans cet autre ouvrage de Jacqueline Mesmaeker, «Versailles avant sa construction », une œuvre qu’elle bâtira quatre ans plus tard, un paysage de labours, trois masses d’arbres dont la plus lointaine, presque fantomatique, pourrait figurer l’emplacement d’une bâtisse royale, d’un château, d’un palais. C’est là une manière de voir le paysage, de le transfigurer, de lui donner un titre, avant de fixer son image, comme à rebours ou comme pourrait le faire Le Lorrain.

Les images défilent une à une, la répétition structure l’œuvre dans une sorte de continuum, un ressassement qui enrichit l’image, le récit s’y introduit, ou plutôt les récits, tout se joue dans une sorte de simultanéité où les lieux, les situations se superposent, s’associent, par touches ponctuées, dans les strates de la mémoire, en images d’origines diverses, entre les verres posés sur une vitre de photocopieur. «Vienne me plaît et je me porte bien. C’est en tout cas ce que je dirai. N’en demandez pas d’avantage». A qui donc Vienne plaît ainsi ? N’en demandons pas d’avantage, les images se fondent : Charlotte de Belgique est l’épouse de Maximilien d’Autriche. «Hansi la juive, l’amie de Heinrich, se baignait dans le Danube en 1933 parce qu’elle était socialiste». Les histoires se rencontrent, se répondent, s’entrechoquent, elles sont diffuses et nous sautons d’une image à l’autre. «La fin d’une destinée douloureuse». « Sur la colline. Par dessus les toits, les tueurs ont disparu. Les fusillés de Karl Marx Hof se sont fondus en plaques commémoratives ». Les histoires ricochent : de la folie des hommes, universelle, à la folie de Charlotte, si singulière. Le portrait commémoratif de Charlotte, lui, est fondu entre deux plaques de verre de serre. Assurément les images se révèlent en un renouvellement de ce que nous en percevons, dans un continuel élargissement de leur intelligibilité. Défilement, projection mentale, récit, répétitions de l’image, montage et collage, ce sont, en fait, les données fondamentales de l’expérience filmique. Je comprends mieux dès lors ce qui a pu pousser Jacqueline Mesmaeker à considérer les larges fragments de verre qu’elle a assemblé en serre impénétrable comme écran de projection pour des films de Mickey. Tout, en effet, est question de projection.

La dernière planche des «Charlottes» répète pour la troisième fois cette salle de séjour, ces deux chaises à accoudoirs qui invitent à la conversation. Cette fois, la fenêtre est occupée par un petit texte italique, que l’on devine d’ailleurs dans d’autre planches, mais à l’envers ou sous-jacent à d’autres strates d’images : «le premier jour de chaque mois, régulièrement, elle tenait à mettre le pied dans le canot amarré à l’appontement des fossés du château. C’était comme un rite dont on n’a jamais pu perçu le mystère». C’est de Charlotte à Bouchout, bien sûr, dont il s’agit. Et l’on imagine aisément ses désirs d’embarquement. «Le premier jour de chaque mois,…». Voilà qui m’éclaire quant au titre de l’actuelle exposition des Charlottes et d’autres œuvres de Jacqueline Mesmaeker: «Le premier jour du mois,…». Comme elle peut souvent l’être, l’image, ici, est indicielle. (Jean-Michel Botquin, 2011)

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Jacqueline Mesmaeker, Ah Quelle Aventure!, BOZAR (8), J’ai vu que tu n’as pas vu, Le Salon des Placards

Jacqueline Mesmaeker
J’AI VU QUE TU N’AS PAS VU 
2006-2011
Réalisation: Jacqueline Mesmaeker , Prise de vue: Reggy Timmermans , Montage: Jacqueline Mesmaeker
Assistance au montage: Gérard Fenerberg, Philippe Van Cutsem, Reggy Timmermans , Photos: Luc Noël
9’25’’, mini DV numérisé, couleur, son. Collection MuZee, Ostende et courtesy galerie Nadja Vilenne
photo Philippe De Gobert
photo Philippe De Gobert
photo Philippe De Gobert

J’ai vu que tu n’as pas vu

Dans la narration filmique J’ai vu que tu n’as pas vu, nous partons pour Uzès, en France, où l’œuvre Salon des placardsfut présentée pour la première fois. Ensuite, le voyage se poursuit par le biais d’associations engendrées par des images et des textes littéraires. Jacqueline Mesmaeker considère son travail comme le fruit de « l’attention » portée à ce qui passe inaperçu ou risque d’être oublié.

Lorsqu’on interroge Jacqueline Mesmaeker sur l’une de ses œuvres, sa réponse, consiste très souvent, avant toute autre considération, à raconter une histoire, une situation, une rencontre, un contexte. Il en fut ainsi, à propos de son film «J’ai vu que tu n’as pas vu» : «En 2002, on m’a proposé, m‘écrit-elle, de réaliser une intervention dans le ville d’Uzès : c’était dans le cadre d’un festival de danse. J’imaginais quelques réponses, je pensais à un film, un défilé de génériques, mais tout cela demeurait à l’état d’idées. Je ne voulais surtout pas que mon intervention se fasse à l’extérieur. Invitée à me rendre là bas, les organisateurs m’ont montrés divers lieux; un seul convenait à la projection du film que j’avais en tête, une grande demeure, au fond d’une cour pavée. Trois pièces carrées et un escalier de part et d’autre d’un vestibule ouvert sur une terrasse de moyenne envergure et un jardin de buis. C’est là que, durant le festival, devait se tenir les colloques sur la danse. Dans l’une des trois pièces, vers le jardin, il y avait des placards. Tout est devenu dès lors évident…».

Le début de la projection du film complète ces propos ; le générique prend, en effet, cette même forme de récit ; c’est une succession de petites phrases, plan par plan, qui nous apprennent que nous sommes à Uzès au mois de juin 2002, que le centre de cette petite ville du Gard a été classé «secteur sauvegardé» selon les modalités de la loi Malraux, que tout ce patrimoine y est très éclairé et qu’il semblerait que la plupart des maisons restaurées ont été achetées par des non – autochtones. «On s’y promène ainsi que sur une scène aux multiples projecteurs, sans pouvoir échapper à la lumière et sans lieux sombres». Tandis qu’un diablotin de papier surgit de sa boîte, première image du film, Jacqueline Mesmaeker interrompt son évocation : nous nous arrêtons à l’Hôtel des Consuls, «dans le Salon des Placards, les placards sont vide, le salon est vide, il y a juste un piano, un divan et deux fauteuils».

La pièce est en effet ceinte de placards. Ils sont comme des portes feintes dans les lambris, dans les angles de la pièce, leurs portes sont bombées, ventrues d’abondance. Ils en appellent au recel, au secret tandis que la curiosité pousse à les ouvrir. Ce sont sans doute les conditions idéales pour le projet qui occupe Jacqueline Mesmaeker, rendre public, dans un rapport d’intelligence discrète, une série d’objets, de documents, d’images, surtout des images, qu’elle a conservées au fil du temps : «A l’origine de tout cela et bien avant Uzès, toutes ces images ont retenu mon attention pour l’une ou l’autre raison, explique-t-elle. Les conserver, c’était en quelque sorte les sauver. Empilées les unes sur les autres, la dernière revenant à la première place et ainsi de suite, au gré du temps, une part de cette petite collection était ainsi accessible au désir de tous. Puis il a fallu en empiler un partie dans une boîte en carton, jusqu’au moment ou sans soucis de logique elles furent glissées au hasard dans des classeurs, mais sans classement. Suivant les circonstances elles pouvaient ainsi reprendre un visibilité, pour m’étonner, me ravir. Il n’y avait pas d’idées de collection d’où l’état usé ou taché de certains documents qui faisaient partie du quotidien en attendant d’être échangés. Une chose seule me tracassait: c’était trop secret». Uzès, ce sera donc le Salon des placards. Et mettre au placard ne sera pas le fait de mettre à l’écart, mais bien, dans un subtil équilibre, l’occasion de se jouer de la double acception du mot : un placard est une armoire ou un renfoncement dans le mur servant de rangement. Un placard, c’est aussi un affichage public, une affiche, une pancarte, un écriteau, une notice, ce qui est destiné à être vu, à être lu.

Le Salon des Placards sera donc une installation de toutes ces images dans les placards ouverts ; ce sera aussi un film qui témoigne et rend compte de l’installation, tout en étant autonome ; c’est une façon singulière de visiter les placards, un regard particulier, celui de l’artiste elle-même sur sa propre collection. Dans ce décor désuet et suranné, placards ouverts, on suivra l’objectif à la découverte des images, des objets qui y sont rangés et présentés. On suivra aussi la façon dont la caméra glisse de l’une à l’autre image, la manière dont elle les révèle, dont elle les quitte. C’est un subtil phrasé où les incises, les ponctuations, les respirations ont toutes leur importance. Et le regard, sans cesse, rebondit. Le bas relief d’un lion héraldique a-t-il retenu l’attention de Jacqueline Mesmaeker ? Elle l’associe à l’image officielle de Charles et Diana publiée en regard du programme processionnel de leur mariage. Constate-t-elle que l’hôtel des Consuls n’est pas un hôtel pour voyageurs, qu’il s’agit d’un hôtel sans chambres, ni salles de bains, un hôtel où les évêques d’Uzès tenaient salon ? De suite, elle nous entraîne entre les rayonnages de livres de la Librairie La Borgne Agasse à Ixelles, là où elle a découvert «Jaune Blanc Bleu» de Valery Larbaud. Un chapitre du livre, chapitre dédicacé à Jean Paulhan est intitulé «200 chambres, 200 salles de bains». Un autre chapitre du livre porte un titre énigmatique : «RLDASEDLRAD LES DLCMHYPBGF». Le regard que Jacqueline Mesmaeker pose sur cette page cryptée nous déroute tandis que, sans attendre et suivant le fil de sa pensée, toujours en compagnie de Valery Larbaud, elle nous projette dès le plan suivant, au Musée des Fenêtre Vertes à Lisbonne, face à l’Ecce Homo attribué à l’Atelier de Nuno Gonçalves, un Christ auréolé et souffrant, un voile blanc comme un linceul recouvrant sa tête et ses yeux, surtout ses yeux. «(…) Ce Christ voilé hante l’imagination, écrit Valery Larbaud ; on se sent attiré vers le regard qu’on devine sous ce pan de manteau royal qui ressemble à un suaire, vers ce regard qu’on ne verra jamais. Je n’ai envoyé à aucun d’entre vous la carte postale où ce tableau est reproduit, tant il semble demander, à qui l’a vu, de garder le secret». Je repense à la parabole de la lampe sous le boisseau : «Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu», plus explicite encore dans son prolongement : «il n’y a rien de caché qui ne devienne évident, ni d’enseveli qui ne doive ressusciter».

Tout l’enjeu de cette installation, de ce film est là : révéler ce qui était secret, sauver de l’ensevelissement, faire resurgir ce que la mémoire enfouit, susciter le regard, et l’imaginaire qu’il peut produire. «Je vois mon travail, me dit encore Jacqueline Mesmaeker, comme une attention aux choses et aux événements journaliers, à la littérature, à la mise en évidence de choses qui pourraient être oubliées et à la grâce qu’il nous est donné de voir et d’apercevoir des choses». Dans le film, le salon est bien souvent dans l’ombre tandis que la lumière habite les placards.

Il faut lire la Lettre de Lisbonne de Valery Larbaud ; celui-ci prend possession de la ville de toutes les manières, géographique, littéraire, linguistique, tout lui délie l’imagination ou le contraint au silence. Chaque élément architectural ou musical retenu ne l’est que dans la mesure où il trouve une résonance dans sa sensibilité. Larbaud reconfigure la ville, il crée ce qu’il appelle lui-même «une collection de souvenirs acquis par les yeux». Valery Larbaud n’a pas envoyé la carte postale de l’Ecce Homo des Fenêtre Vertes à ses amis. Jacqueline Mesmaeker reçoit des cartes postales, et bon nombre figurent dans sa collection. Parmi toutes, celle reçue de Michel Assenmaker qui lui écrit : « Tu sais toi, Jacqueline, que la carte postale, et Derrida l’a écrit, c’est une histoire d’amour. Des lointains, des voyages, des êtres et des choses ».

Des êtres et des choses… «Valery Larbaud ainsi que Polichinelle, Jean Raine, Stendhal, Monsieur Hitchcok et tant d’autres se sont invités dans ce salon», commente Jacqueline Mesmaeker. Oui, il y a aussi Richard Tuttle, Sylvie Eyberg, Marcel Broodthaers, André Cadere, Walter Swennen, Ian Wilson, Bernd et Hilla Becher, Piero Manzoni, Jime Dine, Valentin Haury, Blinki Palermo, Magritte, Francis Alÿs, Lawrence Wiener, Johan Muyle… Des photos, des invitations à des expositions, des reproductions de leurs œuvres. Il y a tous ces documents qu’on ne peut identifier tandis que l’objectif passe de l’un à l’autre… Il y a un saucisson acheté au marché d’Uzès, des coques de noix transformées… en coques de noix qui naviguent sur le bois d’une étagère, un crayon ayant servi à écrire 263 mots, une pomme en cage éditée par Danese à Milan ; il y a des reproductions de tableaux anciens : un détail de Saint Luc dessinant la Vierge par Rogier Van der Weyden, «Joseph et la femme de Putifar» par Pieter Coecke van Aelst. On pourrait le mettre en parallèle avec «le Verrou» de Fragonard. Il y a des œuvres de Jacqueline Mesmaeker, Les «Marionnettes de Faulkner» entre autres. Il y a aussi des jouets, cette poule en bois sur roulettes qui pond un œuf tout rond, un polichinelle qui s’anime. Je repense aux archives de Walter Benjamin ; entre autres documents, le philosophe a rassemblé et conservé toute une série de photographies de jouets russes qu’il a collectionnés, voisinant dès lors ses carnets de notes où chaque centimètre carré est utilisé. On sait combien les techniques archivistiques ont marqué de leur empreinte son processus d’écriture. Les archives de Walter Benjamin, parfois marginales et irrationnelles mènent au centre de son œuvre. Lui aussi collectionna les cartes postales. Ce sont, écrira-t-il, des appuis mémoriels ainsi que des sources d’inspiration visuelles et textuelles». Il y a des jouets plus récents également, des dragons et des petits soldats en plastique, rassemblés en bataille, comme s’ils illustraient la guerre, des origines à nos jours. Je pense à l’Encyclopédie des Guerres de Jean-Yves Jouannais ; aux « Désastres » de Francisco Goya, à la « Kriegskarthotek » d’Aby Warburg, au «Gai savoir inquiet, œil de l’histoire» de Georges Didi-Huberman. Les dragons, pour Jacqueline Mesmaeker, sont une allusion à un texte de Lewis Carroll intitulé «Voyages, remarques architecturales sur Berlin» : «(… ) Ou alors la figure colossale d’un homme en train de tuer, ou qui vient de tuer (le passé semble l’emporter) une bête : plus le bête a de piquants, mieux cela vaut : à le vérité, c’est le dragon qui convient le mieux, même si cela est au-dessus des forces de l’artiste, il peut se contenter d’un lion ou d’un porc». Jacqueline Mesmaeker a noté ce passage dans le petit carnet, qu’elle a édité au moment de l’exposition d’Uzès et qui accompagne ses placards, une comptabilité poétique, un inventaire incomplet des documents, une suite de noms, d’opus, 177 petites références dont la dernière est un «dernier morceau d’une peau de chagrin».

Il y a, enfin, car je ne pourrai tout évoquer ici, ce tapuscrit qui occupe tout un placard : le texte complet de la conférence de Lacan à Louvain, le 13 octobre 1972. Cette chute, que j’ai relue, si puissante de sens : (…) J’y ai déjà plusieurs fois fait allusion dans ce discours, déclare Lacan : ce qui se gagne d’un côté, se perd d’un autre ; ce que nous avons acquis comme ressort, comme usage du savoir, comme mise à la question du savoir dans ses rapports avec la vérité, c’est quelque chose qui assurément existe, qui est vraiment le tampon, la marque, le saut, l’épingle, le blason de cette ère que nous vivons. Mais nous ne savons pas non plus, nous sommes bien incapables de dire par rapport même à des stades, à des époques qui nous sont proches, quel était à ce moment le savoir qui était précisément ce qui faisait l’équilibre, ce autour de quoi enfin s’apaisait cette horrible impatience ; et c’est bien parce que nous ne le savons pas que nous en sommes réduits à nos propres moyens».

J’y ai déjà fait allusion au début de ce texte : la première image du film est un diablotin (ou un clown) articulé (il jette les bras au ciel) sortant de sa boîte. Quant au livret qui accompagne les Placards en 2002, Jacqueline Mesmaeker l’intitule « La boîte à Pandore ». Non bien sûr, si l’on s’en tient au mythe, les archives de Jacqueline Mesmaeker n’ont rien d’une boîte de Pandore (bien que dans celle-ci subsiste l’espoir, dès les maux répandus aux quatre vents). Jacqueline Mesmaeker fait plutôt référence à un livre magnifique, le « Pandora’s Box » qu’Erwin Panosky écrit avec son épouse Dora. Avec une extraordinaire érudition, les auteurs y opère une coupe transversale dans l’histoire de l’art et de la culture, analysant le thème de Pandore d’Hésiode à Paul Klee et Max Beekmann, parfaite application quant des théories de l’historien de l’art, cette iconologie, terme qu’il emprunte à l’ « Iconologia » de Cesare Ripa (1593) et à Aby Warburg, qui vise à dégager le contenu des œuvres, le principe de leur unité, à la fois, leur aspect visible et leur sens intelligible. Et pour Panofsky, dans sa forme la plus élevée, l’iconologie permet de saisir «la forme générale de l’esprit humain».

Ce qui est visible, le sens intelligible : c’est là que réside l’invitation que nous fait Jacqueline Mesmaeker, disposant ses images, ses documents, cet univers personnel, singulier, en ses placards. Regarder, projeter, déceler un sens, du sens et, pourquoi pas, l’imaginer. De bonds en rebonds, l’invitation est exigeante, mais ô combien passionnante. Du coup, je me dis que Panofsky est mort trop tôt et qu’il n’a pas vu «Mulholland Drive » de David Lynch. Au début du film Rita (Laura Elena Harring), résurgence elle-même d’un mythe de cinéma, Rita Hayworth, ouvre une mystérieuse boîte bleue dont elle détenait la clé. Cette dernière, à peine ouverte, semble aspirer l’ensemble de la fiction et offre au film une plongée dans l’abîme. Le noir envahit l’image. Le film s’arrête, les personnages disparaissent et nous basculons ailleurs… vers une autre histoire, ou vers une autre face possible de la même histoire, mais qui demeurait jusque-là invisible. (Jean-Michel Botquin)

Jacqueline Mesmaeker
Salon des placards, 2002 – 2011 Technique mixte, dimensions variables
Collection MuZee, Ostende

Le Salon des Placards

L’œuvre Salon des placards est une sorte d’atlas personnel. Dans cinq vitrines sont exposés temporairement des documents rassemblés par Jacqueline au fil du temps et qui, pour l’une ou l’autre raison, ont attiré son attention. Un livret, sous forme d’inventaire, liste tous les objets exposés, entre lesquels de nombreuses associations sont possibles.

En 2002, le salon aux placards de l’hôtel des Consuls à Uzès est devenu, le temps d’une exposition, le «Salon des placards» de Jacqueline Mesmaeker, une œuvre in situ dont subsiste le film : «J’ai vu que tu n’as pas vu» que nous évoquions plus haut. Aujourd’hui, dix ans plus tard, le salon de l’hôtel d’Uzès est une galerie et les placards sont devenus vitrines. L’œuvre, ainsi revivifiée en une seconde configuration, s’appelle toujours «Le Salon des Placards». Elle est, par nature, processuelle. Veillées par les «Charlottes» qui les surplombent dans l’exposition, chacune de ces vitrines est comme une serre qui protège les images et documents conservés par Jacqueline Mesmaeker. Voisines des «Charlottes», «Les Lucioles» évoquent des images fragiles, passagères et intermittentes ; elles survolent également ces vitrines. Cette constellation de lucioles, lueurs dans l’obscurité, sont comme ces pléiades d’images et de documents que Jacqueline Mesmaeker a déposées dans les vitrines. Lorsqu’à propos des Lucioles, j’ai évoqué leur disparition et le texte de Pasolini, cette lettre qu’il adresse à son ami Farolfi en 1941, Jacqueline Mesmaeker m’a simplement répondu : «Pasolini est une luciole». De fait, il pourrait aussi habiter les vitrines, les placards de Jacqueline Mesmaeker. Quant au film «J’ai vu que tu n’as pas vu», il voisine ce «Salon des Placards» en vitrines, comme un contrepoint : surgies dans des temps différents, dans des situations distinctes, ici rassemblés pour une exposition, ces quatre travaux dialogues et se répondent.

Rien, en effet, n’est arrêté. Le Salon des Placards est en mouvement. Cette pléiade d’images et de documents peut faire l’objet de multiples agencements, susciter de nouvelles propositions en fonction de multiples facteurs, créant dès lors et sans cesse de nouveaux dialogues entre les images, sans épuisement aucun.

Je relis les premières lignes de «Atlas» de Borges, où il fait référence à ses conversations avec le poète Alberto Girri et le critique Enrique Pezzoni, tous deux à l’origine d’ «Atlas», qui assurément n’en est pas un, cette suite de très courts textes, rédigés au fil du temps et aux quatre coins du monde accompagnés de photos souvenirs, le plus souvent prises par Maria Kodama. «Ce livre, le voici. Il n’est pas le fait d’une suite de textes illustrés par des photographies ou une suite de photographies expliquées par des épigraphes». C’est, écrit Borges, «un livre savamment chaotique». Quatre ans plus tard, en 1987, son épouse, Maria Kodama, épiloguera : « Qu’était un atlas pour nous Borges ? Un prétexte pour enraciner dans la trame du temps nos rêves faits de l’âme du monde ». Les vitrines de Jacqueline Mesmaeker sont également savamment chaotiques. Elles rassemblent de petites choses disparates, qui du coup, parce qu’elles sont mises côte à côte, se mettent à dialoguer et s’éclairent mutuellement. Oui, il s’agirait bien ici d’un atlas, au sens où l’entend Didi-Huberman. Comme un atlas, sans début, sans fin, l’œuvre de Jacqueline Mesmaeker ne possède pas de forme définitive. Son agencement s’apparente à des planches, des tables. Nous feuilletons l’œuvre à loisir, laissant divaguer notre «volonté de savoir», il nous est possible d’en arpenter les bifurcations en tous sens, «moyennant quoi, précise Didi-Huberman, nous ne refermons le recueil de planches qu’après avoir cheminé un certain temps, erratiquement, sans intention précise, à travers sa forêt, son dédale, son trésor. En attendant une prochaine fois tout aussi inutile ou féconde ». Oui comme un atlas, le Salon des placards est inépuisablement généreux, c’est «une forme visuelle du savoir et une forme savante du voir». Les tableaux que l’œuvre compose, ces tables d’images, font d’emblée exploser les cadres. In n’y a là aucun axiome définitif. Nous campons dans le domaine du sensible, de la disparité et les zones interstitielles d’exploration sont nombreuses. Le principe actif, le moteur n’est autre que l ‘imagination. Tant dans sa conception que dans sa lecture, le Salon des Placards reconduit de nouveaux rapports, de nouvelles correspondances «qui, précise encore Didi-Huberman, seront elles-mêmes inépuisables comme est inépuisable toute pensée des relations qu’un montage inédit, à chaque fois, sera susceptible de manifester». Cartographie de la mémoire, assurément, le Salon des Placards laisse aux choses leur anonyme souveraineté, leur foisonnement et leur irréductible singularité.

Dans l’Atlas de Borges, cet ensemble de quarante quatre petits textes, voisinent un totem, une tour de pierre, le désert, la ruine d’un temple grec, des coins de rues à Buenos Aires, des rêves, des tables d’ardoises, des encyclopédies dont les textes ont une fin mais pas de début, l’archétype d’une brioche, un tigre vivant, Madrid, Venise, Genève, Berlin ou Epidaure. Dans cette vitrine du Salon des Placards de Jacqueline Mesmaeker cohabitent la reproduction d’ une Figure de Pablo Picasso, un envoi de Michel Angelo Pistoletto, le texte dactylographié de la conférence de Lacan à Louvain en 1972, un ouvre boîte de concentré de bœuf, la reproduction d’un rare plateau en forme de chrysanthème, une fourchette à escargot, une cuillère turque en fer blanc, des gousses de Catalpa ramassées au cimetière Picpus à Paris, non loin de la fosse commune des guillotinés de la place de la Nation, une invitation de la galerie Ugo Ferranti à Rome, une autre de la galerie Eva Menzio à Turin, un miroir de dentiste, la reproduction d’une lettre autographe d’Edward Lear, avec deux petites caricatures sous la signature, deux textes dactylographiés dont le second est une simple phrase : « Ce qui change, c’est ce que nous voyons ». (Jean-Michel Botquin, 2011)

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Jacqueline Mesmaeker, Ah Quelle Aventure!, BOZAR (7), Papier peint, Introductions roses, Passage I

photo Caroline Lessire
Jacqueline Mesmaeker, Papier peint

Papier peint

Papier peint est une reconstitution grandeur nature du papier peint de l’appartement bruxellois de Jacqueline Mesmaeker. Véritable travail d’archéologie poétique, l’oeuvre est le fruit du grattage du papier peint, couche par couche, jusqu’à parvenir à faire apparaître, à certains endroits, les motifs ludiques du tout premier papier peint d’une chambre d’enfant datant de l’époque de la construction du bâtiment. »Au fond de la salle, écrit Colette Dubois dans Flux News, on trouve Papier peint, une reconstitution photographique grandeur nature d’un mur d’une chambre de l’appartement de l’artiste. Au terme d’un lent travail de détapissage – un dévoilement, strate après strate, des traces de l’histoire d’un lieu -, le mur conservait des fragments du papier peint d’origine représentant des animaux et des jouets. Par cette oeuvre, Jacqueline Mesmaeker nous montre ce qu’elle a vu. Car, voir, regarder et partager la singularité de ce regard sont des intentions très importantes de son travail. »

Papier peint, détail. Cette image appartient à la suite Ouest-Sud-Ouest (2009-2017), une trentaine de cartons postaux, 30 x 15 x 10,5 cm
Jacqueline Mesmaeker
Introductions roses, 1995
Carrousel de 12 diapositives
Édition 5/5. Courtesy galerie Nadja Vilenne

Les Introductions Roses

La projection de diapositives Introductions roses montre 12 images, prises elles aussi, dans l’appartement de l’artiste. La série illustre la manière dont l’artiste marque, à l’aide de tissu rose, les vides de son environnement.

Notes pour une introduction rose

« Qu’il s’agisse d’une couleur, d’un tableau, d’un fragment littéraire, d’une archive, d’une anecdote historique ou d’un scintillement du quotidien, les travaux dont il est question sont le lieu d’un partage, écrit Olivier Mignon, en introduction du tout récent ouvrage consacré aux œuvres et au parcours de Jacqueline Mesmaeker. Il s’y dépose une expérience dont l’artiste n’est pas le titulaire mais le témoin fervent et le passeur habile ; il s’y conjugue l’ascèse de l’admiration et l’élan de la transmission ».

Qu’il s’agisse d’une couleur,… note Olivier Mignon. Dans le cas de Jacqueline Mesmaeker, on pensera au rose, et de suite, dans la foulée, à cette dimension qui consiste à vivre dans l’expérience de la perception, là où, si l’on évoque l’héritage de Barnett Newman, la perception, encore plus que l’objet à percevoir, devient le sujet principal d’œuvres où l’objet de la représentation a disparu. En fait, il s’agirait, ici, de s’immerger dans la couleur, dans l’ici et maintenant de l’expérience de l’espace, tout comme dans le champs du souvenir, dans l’étendue d’autres expériences perceptives, passées et revivifiées, soit un sublime au présent – « the sublimis is now », déclarait Barnett Newman, – mais dans la perspective d’une suite de moments dont on conserverait, secrètement, l’émotion éprouvée.

Ainsi, le rose peut être le seul souvenir d’un rose. « La couleur rose, écrit Jacqueline Mesmaeker, se réfère aussi à deux tableaux : Le Jeune Homme au Crâne de Franz Hals et L’Enseigne de Guersaint de Watteau. La plume rose et les tonalités roses du tableau de Franz Hals et les robes roses du tableau de Watteau, où comme un jeu de cartes, les tableaux se jouent, se déploient, se combinent, se coupent, se corrigent. Ainsi sont accrochés les tableaux chez le marchand : on propose, on remplace, on change ». Ce pourrait être le rose, presqu’imperceptible, des encadrements des « Charlottes ». « Les Charlottes figurent parmi mes premières recherches sur la photocopie, me confie l’artiste. J’étais désireuse de leur conférer un statut plus noble, nous les avons encadrées de cette manière, à domicile, grâce au secours de Jean Pierre de Roo, un artiste belge, originaire du Portugal. Il voyageait beaucoup et m’avait confié un petit flacon de teinture rouge exotique, dont j’ai imprégné le bois des cadres ; de là cette teinte légèrement rosée ». Ce pourrait être, si je plonge dans le « Salon des placards », le rose de cette invitation à une exposition de Rebecca Horn, le rose de « This Book like a book » de Joëlle Tuerlinckx. Ce pourrait même être la blancheur de cette rose ramenée du cimetière de Picpus à Paris, posée à côté d’un cœur rouge de Jim Dine, « Red design for satin heart ».

Lorsqu’elle évoque les « Introductions Roses », Jacqueline Mesmaeker évoque aussi ses « Portes roses », parce que, justement, les « Introductions » se réfèrent à la couleur et à la légèreté des matériaux de  ces « Portes » qu’elle dessina en 1975. C’est une suite de dessins, des rectangles roses, de plus en plus grands, jusqu’à occuper toute la surface de la page, des rectangles au rose de moins en moins dense, jusqu’à la page blanche, des pages égrenant mot à mot, le récit d’Alice, plus précisément l’épisode des portes. Je ne résiste pas à l’envie de le citer : « il y avait des portes tout autour de la salle, mais toutes verrouillées; et quand Alice l’eut parcourue de haut en bas et de bas en haut, en essayant porte après porte, elle s’en fut tristement vers le milieu, en se demandant comment, mais comment, elle en ressortirait jamais.  Soudain, elle tomba par hasard sur une petite table à trois pieds, tout en verre massif : il n’y avait rien dessus, à l’exception d’une minuscule clef d’or; première idée d’Alice: elle appartenait peut-être à l’une des portes de la salle; mais, hélas! De deux choses l’une : ou bien les serrures étaient trop béantes, ou la clef trop petite, toujours est-il qu’il n’y eut pas moyen d’ouvrir une seule porte. Cependant, entreprenant une deuxième tournée, Alice tomba sur une portière qu’elle n’avait pas encore remarquée; et derrière, une petite porte de quarante centimètres environ ; elle essaya d’introduire la petite clef d’or dans la serrure, et à sa grande joie, elle s’ajustait! ».  Oui, je m’en souviens maintenant, le lapin  blanc d’Alice a les yeux roses. Le  rose véhicule ici d’oniriques vagabondages, tout comme le fait qu’il faut parfois, souvent même, s’y reprendre à deux fois pour voir ce que l’on n’avait pas remarquer, pour regarder ce que l’on avait à peine entraperçu. C’est, là, une porte ouverte sur d’autres voyages.

C’est vingt ans plus tard, en 1995, que Jacqueline Mesmaeker réalise ses « Introductions roses ». L’artiste œuvre à domicile, l’intervention est quasi clandestine. Elle bourre de fragments de tissu rose des fentes et des trous qu’elle décèle dans la maison. Une fente entre le mur et l’arrière du montant d’une étagère de cuisine, des rainures de chambranles de porte, un interstice entre la plinthe et le plancher, une craquelure dans la peinture, la confluence de deux moulures de plâtre au dessus de l’embrasure d’une baie.  Des trous aussi. Dans cette planche, les trous sont réguliers, ils s’étagent par paires. Jacqueline Mesmaeker ne les emplit pas tous de rose ; certains restent vides. A la béance de l’un d’eux, l’artiste préfère même la petite éraflure voisine, dès lors, consciencieusement pansée de rose.  Il y a ces pierres trouvées, ce galet éponge dont Jacqueline Mesmaeker emplit certains pores, ce poudingue battu par les marées et désormais ponctué de rose.  Les interventions sont on ne peut plus minimales, économes, elles occupent, au propre comme au figuré, l’interstice et l’infra mince. Je repense aux « espaces perdus » de Guy Mees, aux lignes de pastel qu’il posa  sur les photos de la maison de Verlus, suivant les plinthes, au bas des murs, soulignant celles-ci comme d’un trait de rouge à lèvres. Légèreté d’une apparition, la plinthe, dès lors, ne montre pas l’espace tel qu’il est, mais bien le surgissement de l’espace dans notre regard.  A propos de ses « Introductions roses », Jacqueline Mesmaeker écrit : « on bourre de fragments de tissu rose quelques fentes ou quelques trous qui se comparent, ainsi parés, au vide, au noir, au gris. Le rose révèle le gris et le noir. Evoquer le rose, le gris, le noir. Un nouveau programme. Et voici l’écriture qui provoque la vision ». Le rose révèle l’espace, le rose est affirmation de l’autonomie de la couleur, le rose évoque le gris, le noir, et d’autres roses aussi. Discrètes, mais entêtantes, ces « introductions roses » sont incarnation, cela me saute aux yeux.

Evoquant ses « Introductions roses », Jacqueline Mesmaeker se réfère à un autre de ses travaux, si semblable et si différent, ce chandelier invisible coulé dans un parallélépipède de béton, une œuvre réalisée en 1989. La stèle est à l’image d’un monument minimal ; son titre se réfère à ses dimensions : « stèle 29 x 29 x 165 » ; ses côtés mesurent en effet 29 centimètres, sa hauteur 165 cm, la taille de l’artiste. Cinq gammagraphies l’accompagnent ; celles-ci rendent visible ce qui désormais ne l’est plus, le chandelier enchâssé, coulé dans cette statue pilier. « L’œuvre, écrira Anaël Lejeune, montre (ce) qu’elle s’évertue à enfouir dans sa nuit ».  A ce titre, elle engendre du sens selon une logique purement visuelle. Ce qui est vu, ce qui ne l’est pas, ce que l’œuvre rend visible, ce que révèle l’œuvre, ce qui  la révèle.  « Les Introductions roses » renvoient à cette stèle en béton, écrit Jacqueline Mesmaeker, parce que cet ouvrage a été la source de tels problèmes de transport et d’entreposage que, tout naturellement, il ne pouvait engendrer qu’un parti pris opposé : un rejet de tout ce qui a du poids, qui est encombrant, qui est péremptoire ».  A l’une ou l’autre exception près, « Les introductions roses » sont disparues. Ou plutôt non, elles ont été photographiées ; il existe une diapositive de chacune de ces interventions. 

La dernière d’entre elles, dernière du moins dans le carrousel de diapositives qui vivifie cette œuvre, agit presque comme une introduction à cette suite… d’Introductions. Ou une conclusion. Un exergue. Un avertissement. Voici en effet deux petits rectangles roses, glissés au haut et au bas d’un pli de page de livre, un livre, sans aucun doute pas n’importe quel livre. Il s’ouvre à gauche sur un nouveau chapitre, intitulé « Note pour un coquillage ». « Un coquillage, lit-on, est une petite chose, mais je peux la démesurer en la replaçant où je la trouve, posée sur l’étendue du sable. Car alors, je prendrai une poignée de sable, et j’observerai le peu qui me reste après que par les interstices de mes doigts, toute la poigné aura filer, j’observerai quelques grains, puis chaque grain, et aucun de ces grains de sable à ce moment ne m’apparaîtra plus une petite chose, et bientôt le coquillage formel, cette coquille d’huitre ou cette tiare bâtarde, ou ce « couteau » m’impressionnera comme  un énorme monument, en même temps colossal et précieux, quelque chose comme le temple d’Angkor, Saint Maclou, ou les Pyramides, avec une signification beaucoup plus étrange que ces trop incontestables produits d’hommes ».

Le carrousel de diapositives poursuit sa course circulaire. Les « Introductions roses » me paraissent démesurées. Il faut que j’aille revoir les coquillages. (JMB)

Jacqueline Mesmaeker
Introductions roses, 1995
Carrousel de 12 diapositives
Édition 5/5. Courtesy galerie Nadja Vilenne

Jacqueline Mesmaeker a bien évidemment introduit ses introductions roses aux creux de l’architecture d’Horta à BOZAR. « Tout aussi facétieux, écrit Michel Verlinden dans Bruzz, on pense à La Chasse au Snark de Carroll, est sa propension à signer des pièces minuscules, à la discrétion totale. Ainsi des Introductions Roses, de fins morceaux de tissu rose qu’elle utilise pour combler les plus petits interstices, une plinthe ou l’encadrement d’une porte de son logement. Transposés à Bozar, ceux-ci nécessitent la pleine attention du spectateur qui aura vite fait de passer à côté des neuf salles qui accueillent l’événement ».

Introductions roses in situ dans l’exposition Ah, Quelle Aventure! Photos Philippe De Gobert
Jacqueline Mesmaeker
Passage I, 2016
Photographie couleurs, impression sur papier chiffon, 60 x 70 cm
Collection privée

Passage I

Si, comme le pense William Kentridge, l’atelier est le portrait vivant de l’artiste, une sorte de « cerveau en plus grand », celui de la nonagénaire s’apparente à un sas de décompression au cœur duquel la vie dépose ses armes aux pieds de l’art. La pièce qu’elle utilise pour travailler affiche des contours familiers subtilement détournés.Il en va de même du papier peint d’une petite chambre d’enfant annexe. Mis à jour et conservé par fragments, il dit la fragilité des destins individuels ainsi que la dimension psychologique cruciale de l’espace. Sans oublier tous ces objets, chinés ou hérités de l’histoire familiale – tableau hollandais, buste tourné vers la cheminée, fauteuil en forme de conque – qui sont une épiphanie artistique. Celle-ci révèle une double évidence, celle d’un appartement comme une œuvre d’art et d’un don… qui veut que tout ce que Jacqueline Mesmaeker touche, elle le consacre. à l’exception notable de la récente quarantaine qui n’a pas inspiré de pistes mais bien « des inquiétudes ». Michel Verlinden, dans Bruzz Mag.

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Jacqueline Mesmaeker, Ah Quelle Aventure!, BOZAR (6), Les Péripéties, Lewis Caroll en cascade

photo Caroline Lessire

Les Péripéties

Les Péripéties est une série (ouverte) de paires de cartes postales sous cadre. sous chaque couple d’image, un cartel : Les péripéties. Ces paires sont délibérément regroupées sans explication, histoire de laisser libre cours à l’interprétation. Comme un choix de couleur sur une palette, chaque couleur, chaque image révélant l’autre. Au fil des années Mesmaeker a construit sa collection de cartes postales grâce aux envois familiaux et amicaux.

Jacqueline Mesmaeker
Les péripéties, 2014-2017, Cartes postales, cartel, 43 x 61 cm
René Magritte, L’exception, 1963
Chamonix – Mont Blanc, Tunnel du Mont Blanc
Collection privée
Jacqueline Mesmaeker
Les péripéties, 2014-2017, Cartes postales, cartel, 43 x 61 cm
Pablo Picasso, La Baignade, 1937
Orchestra concert pres. in The Hague, c. 1820
Courtesy galerie Nadja Vilenne
Jacqueline Mesmaeker
Les péripéties, 2014-2017, Cartes postales, cartel, 43 x 61 cm
Edgard Tytgat (1979-1957), 1955, Promenade forestière des quatre martyres, aquarelle sur papier Château de Versailles, galerie des Glaces
Collection privée
Jacqueline Mesmaeker
Les péripéties, 2014-2017, Cartes postales, cartel, 43 x 61 cm
Ferdinand Hodler (1853-1918), Neujahrsgruss, 1905
Frontal dedicado al Arcangel San Miguel, detalle de la santa cena. Siglos XIII – XIV (Urtx, Gerona)
Courtesy galerie Nadja Vilenne
Jacqueline Mesmaeker
Les péripéties, 2014-2017, Cartes postales, cartel, 43 x 61 cm
Trafalgar Square, London
Gand, La scène, La Byloke, réfectoire
Collection privée
Jacqueline Mesmaeker
Les péripéties, 2014 – 2017, Cartes postales, cartel, 43 x 61 cm
Olympie. La flamme olympique, l’apothéose
Edvard Munch, Aasgaardstrand. Aus dem Lebensdries für das Max Reinhardt Theater in Berlin
Courtesy galerie Nadja Vilenne
Jacqueline Mesmaeker
Les péripéties, 2014-2017, Cartes postales, cartel, 43 x 61 cm
El Greco, Fabula, h. 1600
Jan Gossaert (also now as Mabuse, fl. 1503- c 1533),
The three Children of Christian II of Denmark, oil on panel
Collection privée
Jacqueline Mesmaeker
Les péripéties, 2014-2017, Cartes postales, cartel, 43 x 61 cm
Stonehaven, Dunnottar Castle
Bruxelles, Mont des Arts
Courtesy galerie Nadja Vilenne
Jacqueline Mesmaeker
La plume et l’Ange, 2013
2 cartes postales, cartel. Raffaelo Santi dit Raphaël (1483-1520). Un putto ailé, 1510. Pierre noire, rehauts de blanc, 22,5 cm x 15,4 cm. Fragonard, L’Inspiration, 1769, Louvre Paris, 63 x 49 cm
Collection privée
Jacqueline Mesmaeker
Les péripéties, 2 cartes postales (J. A. Ingres, La Baigneuse. Kalabaka, Météores, le couvent Roussano, 2010 2 cartes postales / texte imprimé, 60 x 43 cm encadré
Collection privée
Jacqueline Mesmaeker
Les péripéties
Gerrit Rietveld (1888 – 1964), Fauteuil marron et bleu, 1919
Henri Matisse (1869-1954), Portrait de Greta Prozor, 1916, huile sur toile.
courtesy galerie Nadja Vilenne
Jacqueline Mesmaeker
Lewis Carroll en cascades
Lettrage adhésif, 2020. Courtesy galerie Nadja Vilenne.
Photo Philippe De Gobert

Lewis Carroll en cascades

Lewis Carroll en cascades est un jeu formel utilisant des mots tirés au hasard dans le prolongement littéraire de Lewis Carroll. L’œuvre libère le langage de sa fonction habituelle en prenant la forme d’une colonne de mots dont l’interprétation est laissée au pouvoir associatif de chaque lecteur. Valery Larbaud en cascades est présentée plus loin dans l’exposition.

« Au cœur de sa pratique, il faut également pointer l’humour, écrit Michel Verlinden dans Bruzz. Quand on le lui rappelle, l’artiste convoque ses jouissives Cascades, des sortes de poèmes verticaux composés de vocables apposés au mur sous forme de colonnes lexicales. « Je les ponctue de mots que j’ai plaisir à dire, des termes que je peux savourer en bouche. Je pense à ‘bigoudis’ et puis ‘ronfler’, ‘patatras’ aussi… », lance-t-elle avec l’œil malicieux d’une adolescente. »

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