Archives mensuelles : janvier 2012

Benjamin Monti, à la galerie Saint-Luc Liège

A la galerie de l’école supérieure des Arts de Saint Luc à Liège, une exposition intitulée  « Des galeries à la galerie », dans l’idée d’évoquer le passage du milieu scolaire vers la vie professionnelle.
Les artistes participants : Jean-Marc Chapa, Michiel Ceulers, François Curlet, Michaël Dans, Lara Gasparotto, Benjamin Monti, Pol Pierart, Nicoline Van Stapele, Joël-Peter Witkin.
Et des galeries partenaires :  Espace galerie Flux (Liège) , galerie MAES & Matthys ( Anvers), galerie Micheline Szwajcer (Anvers), galerie Nadja Vilenne (Liège)

Exposition accessible du 20/01/2012 au 17/02/2012 du mercredi au vendredi de 14h à 18h. Vernissage ce jeudi 19 janvier à 18h

Benjamin Monti, sans titre, Encres de chine, sur papier « Perspecta », papier millimétré bicolore pour dessin en perspective. Déposé. Formulaire pour la vue isométrique, 29, 7 x 21 cm, 2010

 

Jacqueline Mesmaeker, Les Lucioles

Les lucioles

Les lucioles sont à mi-chemin entre les Charlottes et les Introductions Roses. Je veux dire par là que, dans l’exposition, l’œuvre que Jacqueline Mesmaeker appelle « Lucioles » est, à la fois, voisine des « Charlottes » et des « Introductions Roses ». Elles agissent comme une ponctuation, une œuvre en mouvement qui entretient des relations avec des deux voisines, comme un trait d’union entre elles.  Avec les « Introductions Roses », les lucioles partagent cette notion de surgissement de l’espace dans notre regard. Tout comme les « Charlottes », ce sont des photocopies, cette fois bien plus récentes. Et ces lucioles sont tout aussi fantomatiques que la présence de l’Archiduchesse. Nous ne connaissons pas leur nature, leur composition, elles sont démesurées, nous ne savons même pas si elles nous sont proches ou lointaines ; peut-être ne sont-elles pas plus grandes que des têtes d’épingle. Ce sont d’étranges objets stellaires, des lueurs parfois ceintes de légères nébuleuses qui apparaissent dans l’éther noir. Elles ne sont jamais de la même forme, elles ne sont jamais à la même place.

Jacqueline Mesmaeker nous dit que ce sont des lucioles. « C’est en repensant aux serres que les lucioles sont réapparues, nous dit-elle. Du côté de la Hulpe, en été, lors de nuits chaudes et noires, les lucioles étaient là, dansant en huit avec leur lumière, si brillantes qu’elles éclairaient les plantes alentour. Peut-être qu’aujourd’hui les pesticides les auraient fait disparaître ».

Je repense bien évidemment à la « Survivance des lucioles » de Georges Didi-Huberman, cet essai sur l’organisation du pessimisme selon Walter Benjamin. Dans les années 30, Benjamin fait remarquer qu’une des raisons de la catastrophe qu’il est en train de vivre est l’incapacité dans laquelle nous nous trouvons d’échanger des expériences. La destruction des savoirs traditionnels ne conduit pas à la construction de nouveaux savoirs. Le passé ne survit que dans des restitutions passagères, des images fragiles et intermittentes. Quand on ne voit plus les étoiles apparaître et disparaître dans le ciel, l’aura disparaît. Dans la lignée de ce constat benjaminien, Georges Didi-Huberman émet l’hypothèse que le non-savoir peut, lui aussi, devenir puissance. Il réagit, en fait, contre le pessimisme excessif de Pasolini qui, dans un article publié quelques mois avant sa mort, avait constaté la disparition des lucioles. Cet écrit éthique et politique, ce diagnostic désespéré, paru le 1er février 1975 dans le Corriere della Serra, se réfère à un texte plus ancien, une lettre de 1941, que Pasolini adresse à son ami Franco Farolfi. Pier Paolo Pasolini n’a pas tout a fait dix-neuf ans quand il écrit :

« Il y a trois jours, Paria et moi sommes descendus dans les recoins d’une joyeuse prostitution, où de grasse mamans (…) nous ont fait penser avec nostalgie aux rivages de l’enfance innocente. Nous avons ensuite pissé avec désespoir (…) La nuit dont je te parle nous avons dîné à Paderno, et ensuite dans le noir sans lune, nous sommes montés vers Pieve del Pino, nous avons vu une quantité énorme de lucioles qui formaient des bosquets de feu dans les bosquets de buissons, et nous les enviions parce qu’elles s’aimaient, parce qu’elles se cherchaient dans leurs envols amoureux et leurs lumières, alors que nous étions secs et rien que des mâles dans un vagabondage artificiel. J’ai alors pensé combien l’amitié est belle, et les réunions de garçons de vingt ans qui rient de leurs mâles voix innocentes, et ne se soucient pas du monde autour d’eux, poursuivant leur vie, remplissant la nuit de leurs cris. Leur virilité est potentielle. Tout en eux se transforme en rires, en éclats de rire. Jamais leur fougue virile n’apparaît aussi claire et bouleversante que quand ils paraissent redevenus des enfants innocents, parce que dans leur corps demeure toujours présente leur jeunesse totale, joyeuse. »

Puis, presque immédiatement après : «  Ainsi étions-nous cette nuit-là : nous avons ensuite grimpé sur les flancs des collines, entre les ronces qui étaient mortes et leur mort semblait vivante, nous avons traversé des vergers et des bois de cerisiers chargés de griottes, et nous sommes arrivés sur une haute cime. De là, on voyait très clairement deux projecteurs très loin, très féroces, des yeux mécaniques auxquels il était impossible d’échapper, et alors nous avons été saisis par la terreur d’être découverts, pendant que des chiens aboyaient, et nous nous sentions coupables, et nous avons fui sur le dos, la crête de la colline. »

En fait, dans son essai, Georges Didi-Huberman nous dit que les lucioles n’ont disparu qu’à la vue de ceux qui ne sont plus à la bonne place pour les voir émettre leur signaux lumineux et que les images, pour peu qu’elles soient rigoureusement et modestement pensées, pensées par exemple comme images – lucioles, ouvrent l’espace pour une telle résistance. L’expérience est indestructible, quand bien même elle se trouverait réduite aux survivances et aux clandestinités de simples lueurs dans la nuit. Même dans un monde de destruction, on peut se retirer hors du monde, travailler à une lueur, à la persistance d’une liberté de mouvement. On peut agir, malgré tout, sans se replier, raconter une histoire, envoyer des parcelles d’humanité, ne pas nous contenter de dire non à la lumière aveuglante, mais dire oui dans la nuit. C’est assurément une attitude que partage Jacqueline Mesmaeker. Ses lucioles restent proches de nous, fragmentaires et mouvantes, comme une échappée fragile, elles nous effleurent, elles ne font que passer, intermittentes. Ce sont des apparitions uniques qui ne citent qu’un instant, de sont des instantanés, de courts moments, investis par la pensée.  Elles déclineront peut-être, mais ne disparaîtront pas. Peut-être seront-elles aperçues plus tard, par un autre, elles survivront dès lors d’une autre façon. Ouvertes, inachevées et mobiles. Des expériences se transmettent, des formes s’inventent ou réapparaissent comme des lucioles.

 

 

 

 

 

 

Jacqueline Mesmaeker, Les Charlottes (1977)

« Il n’y a pas d’histoire… Le bonheur d’utiliser le verre… ». Ces quelques mots  griffonnées sur un carnet Moleskine à la fin des années 70, résument à eux seuls l’esprit des Charlottes, cette œuvre que Jacqueline Mesmaeker réalise en 1977 et qu’elle montrera aux Ateliers du Grand Hornu en 1980, dans le cadre d’une exposition intitulée « Une archéologie dans une autre archéologie ».  Il n’y a pas d’histoire et pourtant tout en procède, dans le but d’en imaginer de multiples autres.

A la fin des années 70, le paysage vallonné du Brabant, au sud de Bruxelles,  est en pleine transformation. La culture intensive du raisin en serre ne cesse en effet de décroître. Depuis un siècle, elle assure la prospérité des communes de Hoeilart, Overijse ou La Hulpe. Par un paradoxe qui défie le climat mais qui procède d’esprits ingénieux, on y fournit du raisin de table toute l’année et on y cultive du Gros Colman, cette variété tardive de raisins violets à la peau fine, un fruit agréable, sucré, qui fond littéralement en bouche. Aux alentours de 1930, les coteaux de la vallée de l’Ijse sont couverts de serres aux reflets d’argent. On en compta jusqu’à vingt et un mille. L’importation de raisins bon marché provenant de pays méridionaux, l’augmentation du prix du combustible auront raison de cette effervescence : dès les années 60, on détruit les serres avec la rage du désespoir. Désormais, le paysage change ; tandis qu’on abat aussi les pommiers, on lotit les terrains des serristes et horticulteurs. « J’ai récupéré un certain nombre de ces verres soufflés, m’écrit Jacqueline Mesmaeker, je les ai recoupé afin d’en faire une serre impénétrable. D’autres verres, aux bords noirs de moisissure, rejoindront les Charlottes ».

Jacqueline Mesmaeker érige, en effet, en 1977, une serre dans un jardin de la rue de l’Hôpital à Bruxelles. La serre est haute, étroite, tellement étroite qu’on ne peut la pénétrer. « Elle fonctionne comme un souvenir, écrit Thierry Smolderen. C’est un aquarium aux facette disjointes où évoluent des petits poissons – lumières immobiles. Elle me fait aussi penser à un kaléidoscope reproduit par des Aborigènes avec des éléments de fortune, ou à une machine exposée dans les jardins de Raymond Roussel. Le fil de fer tresse autour des plaquettes de verre des noeuds lâches qui ne font que ralentir leur bris inévitable : car la serre se desserre, laisse échapper la chaleur et la lumière. De toute façon, la mémoire avait tué le souvenir aussi sûrement que l’étanche tue la vie. La serre ronronne et bruisse, dérive lentement vers une mort éventuelle, une mort par ventilation, pas une mort par étouffement écologique, c’est-à-dire sereine ». Durant l’exposition Jacqueline Mesmaeker projettera des films de Mickey sur les vitres de la serre. Cette serre, elle la nommera : « La Serre de Charlotte et Maximilien ».

Je me souviens qu’à l’âge où je regardais des Mickey (j’en regarde encore, mais j’évoque là cette période de l’enfance), j’ai souvent été me promener avec ma mère, le mercredi après midi, dans le parc du château de Bouchout. Au cœur du domaine, on y visite les serres du Jardin Botanique de Belgique. Quant au château, vide à l’époque et qu’on ne visitait pas, on y cacha, pendant plus de quarante-cinq ans, la folie de Charlotte, princesse de Belgique, fille de Léopold Ier, épouse de Maximilien d’Autriche.  Ma mère m’avait conté par le menu le destin de l’Archiduchesse et de son mari, ces « archidupes mexicains ». Quelle histoire fascinante pour un gamin que le destin de cette princesse de chez nous, impératrice éphémère du Mexique, ses voyages, son retour d’Amérique, sa folie paranoïaque (prétendue folie, vitupérait ma mère), et son enfermement, de 1881 à 1927, cet emprisonnement sans fin, solitaire, jusqu’à la mort, au château de Bouchout. Sur mon vélo, j’ai souvent fait le tour des douves du château, mais en contournant la cour d’honneur, sans m’approcher dès lors des hautes façades néo – médiévales du château, tant il me semblait que Charlotte était encore là, errante et fantomatique, derrières les vitres sales, les tentures poussiéreuses. Une seule fois, j’ai osé coller mon nez à la vitre d’une fenêtre du rez-de-chaussée, découvrant  ainsi, dans la pénombre, ces lieux abandonnés. Sans connaître les « lettres de la folie », ces neuf cent missives que Charlotte rédigea durant ses années d’enfermement, il me semblait que planait là un souffle grave et inquiétant ; impressionnant. Charlotte avait-elle été enfermée parce que folle ou est-ce l’enferment qui était responsable de ses errements ? « Les malentendus procèdent aussi de ces enfermements, me confie Jacqueline Mesmaeker, à qui je raconte, bien sûr, ce souvenir d’enfance. Cette situation à la fois si humaine et si oppressante, cette impossibilité de communiquer qui se dégage de la conjoncture de Charlotte, est un symbole récurent ». « Parmi les illustrés conservés dans la cave de mes parents, continue-t-elle,  il y en avait un qui ne pouvait que capter l’attention, un « Patriote illustré » relatant avec textes et photos cette tragédie tant Impériale que Royale. Il me semblait qu’il fallait donner une seconde vie à ce portrait photographique. Le port de tête indiquait une éducation rigoureuse, le rappel constant du maintien et du redressement du corps.  L’hebdomadaire était imprimé en sépia marron sur un papier très ordinaire. Après lecture, de cette lourde destinée je devinai que cette Princesse Charlotte avait dû subir tous les isolements possibles. Aucune écoute, aucun crédit, aucune bienveillance. Elle a été enfermée dans la folie au propre comme au figuré ; jusqu’à l’inexistence. »

         

 

Il me semble que les œuvres de Jacqueline Mesmaeker procèdent souvent de ces rebonds du sens. Un paysage de coteaux, les serres d’un jardin botanique, d’autres serres disparues, l’image imprimée d’un portrait, l’histoire, qu’elle soit proche ou lointaine ; tout sous-tend la nécessité de transmettre, d’évoquer de petites ou grandes choses singulières et, dans un même temps, tout est dispositif de récit et de figuration ouvert sur la possibilité d’autres perspectives; rien en effet n’est étanche. Le rebond peut même  sembler, à première vue, complètement saugrenu. Ainsi, lorsque j’évoque le miroitement des verres des encadrements posés sur les Charlottes, reflets et éclats qui dès lors parasitent les images, Jacqueline Mesmaeker me répond que ceci, finalement, participe – et le mot est précis – d’un « feuilletage ». « Ces reflets sont une couche de plus », me dit-elle.  Et c’est vrai : au fil des planches, l’œuvre se feuillette comme un livre, alors que les images sont constituées de feuilles de verre récupérées au travers desquelles, au hasard des recouvrements, apparaît et disparaît Charlotte. Jacqueline Mesmaeker conclut alors, me délivrant cette réflexion elliptique : « J’ai une pensée pour Claude Gellée, dit Le Lorrain ». Me voici, du coup et de façon inattendue, devant l’étal d’un pâtissier, puisqu’on attribue à Claude Gellée l’invention de la pâte feuilletée, tandis que resurgit de mes souvenirs ce tableau conservé au Louvre, peint par Le Lorrain, intitulé « Ulysse remet Chryséis à son père », un tableau qui m’a toujours fasciné, tant le sujet, l’intitulé de l’œuvre, ne compte guère.  Le Lorrain y fait bien peu de cas des héros homériques, discrets et insignifiants dans un coin de la toile. Le tableau n’est qu’éblouissement ocre et doré d’un soleil couchant, invisible, sur un port de mer à l’antique. Il est poème d’eau, de lumière, d’arbres et de colonnes, une architecture de songe, un port aux vaisseaux fantômes. Toutes les lignes de la composition, hormis les verticales classiques, fuient vers l’horizon, très loin derrière le navire qui entre dans ce port mythique. On en oublierait Homère, Ulysse, Chryséis et son père.  Au fil de ma lecture des « Charlottes », j’ai repéré cette petite phrase écrite par Jacqueline Mesmaeker, comme une sorte d’avertissement : « Parfois il faut brouiller les pistes. Le spectateur croit avoir trouvé un chemin, il s’y enfonce, mais la fascination est ailleurs ».  D’évidence, ceci prend ici tout son sens.

Il faudrait un jour écrire une histoire de l’usage de la photocopie dans la création contemporaine. Les « Charlottes » en participent singulièrement. En 1977, c’est une toute nouvelle expérience pour Jacqueline Mesmaeker, qui me précise qu’elle réalise les Charlotte sur un « vieux (l’était-il déjà l’époque ?) photocopieur à couvercle en caoutchouc souple ».  Au delà du principe même de la copie, c’est la spécificité du photocopieur lui-même, cette sorte de chambre noire à tambour, qui mobilise l’artiste. La vitre du photocopieur est telle une feuille transparente, c’est un verre en effet,  une couche du feuilleté du Lorrain, sur laquelle Jacqueline Mesmaeker posera d’autres verres, ceux des serres, des livres, des documents, des reproductions photographiques, ce portrait de Charlotte découvert dans le Patriote Illustré, sévère et hiératique, qui, au fil des copies, apparaît, disparaît, en fonction des recouvrements des verres de serre et des documents, captive dès lors de ces plaques de verre comme elle le serait d’une antique émulsion au gelatino-bromure d’argent. « Fin d’une destinée douloureuse, l’Archiduchesse Charlotte, princesse de Belgique est morte le 19 janvier 1927 », devine-t-on en légende du portait.  Ailleurs, sur une autre planche, je lis : « Seulement dans les lieux clos, on tolère notre délire. La folie dans un temps infinisimal et non visible. Nous sommes tous clandestins dans nos vêtements officiels ». Le texte, cette fois, est tapé à la machine à écrire.

Plus fondamentalement encore, c’est cette potentialité du médium à reproduire ce qui ne serait reproductible que par l’imaginaire, qui intéresse Jacqueline Mesmaeker. « Le bonheur d’utiliser le verre »… écrit-elle. Non pas seulement  le bonheur de réhabiliter ces verres soufflés des anciennes serres qui ont rythmé son paysage familier,  mais bien le bonheur de pouvoir les considérer comme support de toute émulsion. Car tout ici, est question de déplacement, de répétition, de continuité et de discontinuité, de projection, d’impressions, au sens propre comme au sens figuré, afin de révéler les images dans de nouveaux régimes de perception et d’intelligibilité. « Ce sont les astuces des Charlottes », me dit Jacqueline Mesmaeker, Au fil des planches apparaissent et disparaissent des images de tout ordre, une reproduction des terrasses supérieures du mausolée d’Akbar le Grand à Sikandra, au nord d’Agra, sur la route de Dehli, la plaine branbançonne, un édicule à la toiture en coupole caché derrière un bosquet d’arbres, une salle de séjour, deux chaises à accoudoirs devant des fenêtres, une demeure princière perchée tout au haut d’une butte – je pense reconnaître le château de La Hulpe. Tout se superpose, se reproduit. Un jardin transparaît au travers de la fine grille d’un papier millimétré, les paysages se renversent, la plaine hivernale (mais l’est-elle ? ou est-ce un effet des noirs et blancs photocopiés ?) se transforme en lac miroitant dans lequel se reflète la longue façade au tours d’angles de ce château que je pense avoir reconnu. Ces images, tout comme le portrait de Charlotte, reviennent, se répètent, resurgissent, des textes imprimés leur répondent, les recouvrent. Il y a toute sortes de textes, des légendes imprimées en times, des textes tapés à la machine, ce sont des tapuscrits, des citations peut-être, des textes de Jacqueline Mesmaeker certainement.  Ils indiquent, ils font image. Les lignes serrées de ce texte-ci dessinent un écran dans le cadre de cette fenêtre, chaque ligne est à l’image d’une lamelle de persienne, et pourtant, ces phrases ouvrent le champs sur d’autres « ailleurs », sur : « des allées souterraines, des montagnes très élevées, sur lesquelles il y a des pagodes, des antres, des précipices, des rivières souterraines, des fontaines, des statues, des figures, des prairies de fleurs  de toutes les saisons, des tombeaux, des ruines, des bancs rustiques, turcs, chinois, etc… ». Jacqueline Mesmaeker nous projette dans des paysages de songe. Elle transfigure le paysage visible. L’édicule à coupole caché derrière le bosquet d’arbre devient « une toiture en forme d’ananas, de pomme de pin. Arbres en pierre, fausses ruines, grotte en coquillage, buvette comme un clocher d’église ». Les visions se cumulent, n’en font plus qu’une, ou se diffractent. Tantôt apparaît « une barque dans laquelle se trouve une table de jardin ronde,  une chaise. Un petit chien dessus pose ses pattes sur la table », tantôt dans cette même pleine hivernale, on n’entend plus que la toux du roi, ou un « Te Deum pour un rhume de Louis XIV ». J’entends la musique de Lully, sa messe pour la santé du roi,  tandis que l’image que je scrute me projette dans cet autre ouvrage de Jacqueline Mesmaeker, « Versailles avant sa construction », une œuvre qu’elle bâtira quatre ans plus tard, un  paysage de labours, trois masses d’arbres dont la plus lointaine, presque fantomatique, pourrait figurer l’emplacement d’une bâtisse royale, d’un château, d’un palais. C’est là une manière de voir le paysage, de le transfigurer, de lui donner un titre, avant de fixer son image, comme à rebours ou comme pourrait le faire Le Lorrain.

Les images défilent une à une, la répétition structure l’œuvre dans une sorte de continuum, un ressassement qui enrichit l’image, le récit s’y introduit, ou plutôt les récits, tout se joue dans une sorte de simultanéité où les lieux, les situations se superposent, s’associent, par touches ponctuées, dans les strates de la mémoire, en images d’origines diverses, entre les verres posés sur une vitre de photocopieur. « Vienne me plait et je me porte bien. C’est en tout cas ce que je dirai. N’en demandez pas d’avantage ». A qui donc Vienne plaît ainsi ? N’en demandons pas d’avantage, les images se fondent : Charlotte de Belgique est l’épouse de Maximilien d’Autriche. « Hansi la juive, l’amie de Heinrich, se baignait dans le Danube en 1933 parce qu’elle était socialiste ». Les histoires se rencontrent, se répondent, s’entrechoquent, elles sont diffuses et nous sautons d’une image à l’autre. « La fin d’une destinée douloureuse ». « Sur la colline. Par dessus les toits, les tueurs ont disparu. Les fusillés de Karl Marx Hof se sont fondus en plaques commémoratives ».  Les histoires ricochent : de la folie des hommes, universelle, à la folie de Charlotte, si singulière. Le portrait commémoratif de Charlotte, lui, est fondu entre deux plaques de verre de serre.  Assurément les images se révèlent en un renouvellement de ce que nous en percevons, dans un continuel élargissement de leur intelligibilité.  Défilement, projection mentale, récit, répétitions de l’image, montage et collage, ce sont, en fait, les données fondamentales de l’expérience filmique. Je comprends mieux dès lors ce qui a pu pousser Jacqueline Mesmaeker  à considérer les larges fragments de verre qu’elle a assemblé en serre impénétrable comme écran de projection pour des films de Mickey.  Tout, en effet, est question de projection.

La dernière planche des « Charlottes » répète pour la troisième fois cette salle de séjour, ces deux chaises à accoudoirs qui invitent à la conversation. Cette fois, la fenêtre est occupée par un petit texte italique, que l’on devine d’ailleurs dans d’autre planches, mais à l’envers ou sous-jacent à d’autres strates d’images : « le premier jour de chaque mois, régulièrement, elle tenait à mettre le pied dans le canot amarré à l’appontement des fossés du château. C’était comme un rite dont on n’a jamais pu perçu le mystère ».
C’est de Charlotte à Bouchout, bien sûr, dont il s’agit. Et l’on imagine aisément ses désirs d’embarquement. « Le premier jour de chaque mois,… ». Voilà qui m’éclaire quant au titre de l’actuelle exposition des Charlottes et d’autres œuvres de Jacqueline Mesmaeker : « Le premier jour du mois,… ».  Comme elle peut souvent l’être, l’image, ici, est indicielle.

Jacques Lizène, Burlesques à Bagneux

La Maison des Arts de Bagneux, dans les Hauts de Seine, offre à un collectif de neuf artistes contemporains, héritiers des Dadaïstes, une possibilité d’expression jubilatoire et transgressive, à travers Burlesques, une exposition concoctée par Nathalie Pradel, directrice des lieux. Peintures, photos et vidéos, installations et performances, se caractérisent par un joyeux décalage entre la réalité et sa représentation.

Jacques Lizène y proposera quelques contraintes et contorsions. Côté photos, un Contraindre le corps d’une jeune fille à s’inscrire dans le cadre de la photo,  suite de photographies accompagnées de la photographie de Louise, refusant de subir la contrainte des limites du cadre de la photo. (1971-73). Côté vidéo, une compilations de contraindre de diverses époques, avec ou sans promenade d’un côté à l’autre de l’écran, avec ou sans mouvements  gymniques superflus, en barrant  ou en ne barrant pas le film à la main, image par image, afin de le disqualifier, avec ou sans cadre doré et tombé de l’image.

Les contraindre le corps de Jacques Lizène participent tous de ce vaste corpus entamé dès 1971 et intitulé : « Œuvre à vocation inachevée : contraindre toutes sortes de corps, nus, habillés, y compris des corps de policiers, à s’inscrire dans le cadre de la photo. Projet abandonné » Rappelons ici le sens du remake lizénien : 

Anglicisme. Il est vrai que le remake a d’abord et avant tout concerné le cinéma américain. Il désigne un film adapté d’un film existant précédemment, au contenu plus ou moins fidèle à l’original. Lorsque Jacques Lizène parle de remake à propos de ses œuvres, il effectue donc un déplacement sémantique, appliquant un terme du jargon cinématographique au domaine des arts plastiques. Il s’agit bien ici de refaire ses propres œuvres, non pas de puiser dans l’héritage de l’art afin de réactualiser une œuvre historique. Le remake lizénien, ancré sur les principes d’auto-historicité précisément mis en place par l’artiste, est l’un des principaux moteurs de l’œuvre entière, une machine puissante qui fonctionne en parfait circuit fermé, une implacable logique autarcique et endogène, un épuisement complet de l’idée mené de façon idiote, l’artiste répétant inlassablement les mêmes gestes, jusqu’à l’absurdité. Fondé sur l’attitude de l’artiste, le remake cultive donc le rebours, la systématisation, la répétition, l’inachèvement que l’artiste tente – en vain – d’achever. Au réel rebattu sur lui-même répondent des œuvres et des idées en permanence ressassées. S’il frise le rabâchage, l’artiste, qui a délibérément choisi de ne pas séduire, y trouvera une certaine satisfaction et en rira très fort. « Dans le domaine de la littérature, la redondance est du plus mauvais goût, fait-il remarquer : donc la redondance m’intéresse. » 

Au côté de Jacques Lizène, on découvrira des oeuvres de  : Eric Dizambourg, Michel Guilbert, Mary Sue, Pierre Meunier, Olivier O. Olivier, Marie Amélie Porcher, Alain Snyers, Mathieu Simon.

Exposition du 17 janvier au 23 mars.
Maison des Arts, 15 avenue Albert Petit, 92220 Bagneux.

 

Jacques Lizène, Contraindre le corps d'une jeune fille à s'inscrire dans le cadre de la photo, 1971, Suite accompagnée d'un personnage refusant de subir la contrainte des limites du cadre de la photo, 1971-73. photographies NB, tirages numériques.

Jacques Lizène, Contraindre le corps à s'inscrire dans le cadre de l'image en promenade d'un côté à l'autre de l'écran. 1971, couleurs, sans son, 8 mm, projet vidéo transféré sur DVD, 4'28. Ed. Yellow. Un film barré à la main, 1972. 1971-1972, NB, sans son, 16 mm transféré sur DVD, 1'31, Ed.Yellow. Quelques séquences d'art sans talent 1979. Couleurs, son, U-matic transféré sur DVD, 9'11, production RTBF. Contraindre le corps à s'inscrire dans le cadre de la photo, 1971, remake 1996-97. 1996, son, vidéo sur DVD, en rushes 5'02. Produit par la RTBF

Jacqueline Mesmaeker, les Introductions roses, 1995

Notes pour une introduction rose

« Qu’il s’agisse d’une couleur, d’un tableau, d’un fragment littéraire, d’une archive, d’une anecdote historique ou d’un scintillement du quotidien, les travaux dont il est question sont le lieu d’un partage, écrit Olivier Mignon, en introduction du tout récent ouvrage consacré aux œuvres et au parcours de Jacqueline Mesmaeker. Il s’y dépose une expérience dont l’artiste n’est pas le titulaire mais le témoin fervent et le passeur habile ; il s’y conjugue l’ascèse de l’admiration et l’élan de la transmission ».

Qu’il s’agisse d’une couleur,… note Olivier Mignon. Dans le cas de Jacqueline Mesmaeker, on pensera au rose, et de suite, dans la foulée, à cette dimension qui consiste à vivre dans l’expérience de la perception, là où, si l’on évoque l’héritage de Barnett Newman, la perception, encore plus que l’objet à percevoir, devient le sujet principal d’œuvres où l’objet de la représentation a disparu. En fait, il s’agirait, ici, de s’immerger dans la couleur, dans l’ici et maintenant de l’expérience de l’espace, tout comme dans le champs du souvenir, dans l’étendue d’autres expériences perceptives, passées et revivifiées, soit un sublime au présent – « the sublimis is now », déclarait Barnett Newman, – mais dans la perspective d’une suite de moments dont on conserverait, secrètement, l’émotion éprouvée.

Ainsi, le rose peut être le seul souvenir d’un rose. « La couleur rose, écrit Jacqueline Mesmaeker, se réfère aussi à deux tableaux : Le Jeune Homme au Crâne de Franz Hals et L’Enseigne de Guersaint de Watteau. La plume rose et les tonalités roses du tableau de Franz Hals et les robes roses du tableau de Watteau, où comme un jeu de cartes, les tableaux se jouent, se déploient, se combinent, se coupent, se corrigent. Ainsi sont accrochés les tableaux chez le marchand : on propose, on remplace, on change ». Ce pourrait être le rose, presqu’imperceptible, des encadrements des « Charlottes ». « Les Charlottes figurent parmi mes premières recherches sur la photocopie, me confie l’artiste. J’étais désireuse de leur conférer un statut plus noble, nous les avons encadrées de cette manière, à domicile, grâce au secours de Jean Pierre de Roo, un artiste belge, originaire du Portugal. Il voyageait beaucoup et m’avait confié un petit flacon de teinture rouge exotique, dont j’ai imprégné le bois des cadres ; de là cette teinte légèrement rosée ». Ce pourrait être, si je plonge dans le « Salon des placards », le rose de cette invitation à une exposition de Rebecca Horn, le rose de « This Book like a book » de Joëlle Tuerlinckx. Ce pourrait même être la blancheur de cette rose ramenée du cimetière de Picpus à Paris, posée à côté d’un cœur rouge de Jim Dine, « Red design for satin heart ».

Lorsqu’elle évoque les « Introductions Roses », Jacqueline Mesmaeker évoque aussi ses « Portes roses », parce que, justement, les « Introductions » se réfèrent à la couleur et à la légèreté des matériaux de  ces « Portes » qu’elle dessina en 1975. C’est une suite de dessins, des rectangles roses, de plus en plus grands, jusqu’à occuper toute la surface de la page, des rectangles au rose de moins en moins dense, jusqu’à la page blanche, des pages égrenant mot à mot, le récit d’Alice, plus précisément l’épisode des portes. Je ne résiste pas à l’envie de le citer : « il y avait des portes tout autour de la salle, mais toutes verrouillées; et quand Alice l’eut parcourue de haut en bas et de bas en haut, en essayant porte après porte, elle s’en fut tristement vers le milieu, en se demandant comment, mais comment, elle en ressortirait jamais.  Soudain, elle tomba par hasard sur une petite table à trois pieds, tout en verre massif : il n’y avait rien dessus, à l’exception d’une minuscule clef d’or; première idée d’Alice: elle appartenait peut-être à l’une des portes de la salle; mais, hélas! De deux choses l’une : ou bien les serrures étaient trop béantes, ou la clef trop petite, toujours est-il qu’il n’y eut pas moyen d’ouvrir une seule porte. Cependant, entreprenant une deuxième tournée, Alice tomba sur une portière qu’elle n’avait pas encore remarquée; et derrière, une petite porte de quarante centimètres environ ; elle essaya d’introduire la petite clef d’or dans la serrure, et à sa grande joie, elle s’ajustait! ».  Oui, je m’en souviens maintenant, le lapin  blanc d’Alice a les yeux roses. Le  rose véhicule ici d’oniriques vagabondages, tout comme le fait qu’il faut parfois, souvent même, s’y reprendre à deux fois pour voir ce que l’on n’avait pas remarquer, pour regarder ce que l’on avait à peine entraperçu. C’est, là, une porte ouverte sur d’autres voyages.

C’est vingt ans plus tard, en 1995, que Jacqueline Mesmaeker réalise ses « Introductions roses ». L’artiste œuvre à domicile, chez elle, l’intervention est quasi clandestine. Elle bourre de fragments de tissu rose des fentes et des trous qu’elle décèle dans la maison. Une fente entre le mur et l’arrière du montant d’une étagère de cuisine, des rainures de chambranles de porte, un interstice entre la plinthe et le plancher, une craquelure dans la peinture, la confluence de deux moulures de plâtre au dessus de l’embrasure d’une baie.  Des trous aussi. Dans cette planche, les trous sont réguliers, ils s’étagent par paires. Jacqueline Mesmaeker ne les emplit pas tous de rose ; certains restent vides. A la béance de l’un d’eux, l’artiste préfère même la petite éraflure voisine, dès lors, consciencieusement pansée de rose.  Il y a ces pierres trouvées, ce galet éponge dont Jacqueline Mesmaeker emplit certains pores, ce poudingue battu par les marées et désormais ponctué de rose.  Les interventions sont on ne peut plus minimales, économes, elles occupent, au propre comme au figuré, l’interstice et l’infra mince. Je repense aux « espaces perdus » de Guy Mees, aux lignes de pastel qu’il posa  sur les photos de la maison de Verlus, suivant les plinthes, au bas des murs, soulignant celles-ci comme d’un trait de rouge à lèvres. Légèreté d’une apparition, la plinthe, dès lors, ne montre pas l’espace tel qu’il est, mais bien le surgissement de l’espace dans notre regard.  A propos de ses « Introductions roses »,  Jacqueline Mesmaeker écrit : « on bourre de fragments de tissu rose quelques fentes ou quelques trous qui se comparent, ainsi parés, au vide, au noir, au gris. Le rose révèle le gris et le noir. Evoquer le rose, le gris, le noir. Un nouveau programme. Et voici l’écriture qui provoque la vision ». Le rose révèle l’espace, le rose est affirmation de l’autonomie de la couleur, le rose évoque le gris, le noir, et d’autres roses aussi. Discrètes, mais entêtantes, ces « introductions roses » sont incarnation, cela me saute aux yeux.

Evoquant ses « Introductions roses », Jacqueline Mesmaeker se réfère à un autre de ses travaux, si semblable et si différent, ce chandelier invisible coulé dans un parallélépipède de béton, une œuvre réalisée en 1989. La stèle est à l’image d’un monument minimal ; son titre se réfère à ses dimensions : « stèle 29 x 29 x 165 » ; ses côtés mesurent en effet 29 centimètres, sa hauteur 165 cm, la taille de l’artiste. Cinq gammagraphies l’accompagnent ; celles-ci rendent visible ce qui désormais ne l’est plus, le chandelier enchâssé, coulé dans cette statue pilier. « L’œuvre, écrira Anaël Lejeune, montre (ce) qu’elle s’évertue à enfouir dans sa nuit ».  A ce titre, elle engendre du sens selon une logique purement visuelle. Ce qui est vu, ce qui ne l’est pas, ce que l’œuvre rend visible, ce que révèle l’œuvre, ce qui  la révèle.  « Les Introductions roses » renvoient à cette stèle en béton, écrit Jacqueline Mesmaeker, parce que cet ouvrage a été la source de tels problèmes de transport et d’entreposage que, tout naturellement, il ne pouvait engendrer qu’un parti pris opposé : un rejet de tout ce qui a du poids, qui est encombrant, qui est péremptoire ».  A l’une ou l’autre exception près, « Les introductions roses » sont disparues. Ou plutôt non, elles ont été photographiées ; il existe une diapositive de chacune de ces interventions.

La dernière d’entre elles, dernière du moins dans le carrousel de diapositives qui vivifie cette œuvre, agit presque comme une introduction à cette suite… d’Introductions. Ou une conclusion. Un exergue. Un avertissement. Voici en effet deux petits rectangles roses, glissés au haut et au bas d’un pli de page de livre, un livre, sans aucun doute pas n’importe quel livre. Il s’ouvre à gauche sur un nouveau chapitre, intitulé « Note pour un coquillage ». « Un coquillage, lit-on, est une petite chose, mais je peux la démesurer en la replaçant où je la trouve, posée sur l’étendue du sable. Car alors, je prendrai une poignée de sable, et j’observerai le peu qui me reste après que par les interstices de mes doigts, toute la poigné aura filer, j’observerai quelques grains, puis chaque grain, et aucun de ces grains de sable à ce moment ne m’apparaîtra plus une petite chose, et bientôt le coquillage formel, cette coquille d’huitre ou cette tiare bâtarde, ou ce « couteau » m’impressionnera comme  un énorme monument, en même temps colossal et précieux, quelque chose comme le temple d’Angkor, Saint Maclou, ou les Pyramides, avec une signification beaucoup plus étrange que ces trop incontestables produits d’hommes ».

Le carrousel de diapositives poursuit sa course circulaire. Les « Introductions roses » me paraissent démesurées. Il faut que j’aille revoir les coquillages.

Jacqueline Mesmaeker, les introductions roses, suite de 12 diapositives, 1995.

 

Eleni Kamma, Enlever et entretenir, Chapter L, Casino Luxembourg

Il ne reste que quelques jours, jusqu’au 8 janvier, pour (re)découvrir l’installation « Enlever et entretenir » d’Eleni Kamma, invitée par Emmanuel Lambion pour l’exposition « Found in translation, Chapter L ».

Le Communiqué du Casino Luxembourg, forum d’art contemporain :

Citation antonymique d’une locution anglaise bien connue (« lost in translation »), le titre de l’exposition joue sur l’ambivalence et la polysémie du mot en anglais. Celui-ci peut en effet se traduire en français autant par « traduction » que par « translation ». Le dénominateur commun de ces deux « traductions » réside dans l’approche étymologique du terme même de « translation », qui se réfère dans son origine latine à l’action de porter / conduire quelque chose, quelqu’un ou soi-même au-delà de son contexte usuel (de transfero, translatum).
C’est ainsi que, par delà toute utilisation sémantique restrictive, le concept de translation est ici à appréhender dans un sens plus large, métaphorique, comme le déplacement subtil délibéré, d’un être, d’un signe, d’une pratique, d’une discipline ou d’un champ de connaissance, s’ouvrant à de nouvelles perspectives d’investigation, de recherche, de transmission et de perception.
Par ce simple basculement d’une perspective ou d’un contexte donné à l’autre, s’opère en général un phénomène implicite et subtil de remise à plat, de questionnement de normes, de codes et de langages, de pratiques consacrés. Un phénomène qui, à notre sens, rend compte et caractérise bien des pratiques et recherches de l’art actuel. Par-delà toute approche générationnelle, nous nous trouvons en effet à une époque où le sens se love souvent dans l’interstice. Tout se passe comme si l’artiste créait et instillait le sens de son travail dans l’espace subtil et critique libéré par une sorte de « translation », dans le renversement, la citation, détournée ou non, la réappropriation ou le simple glissement de l’un des paramètres de l’oeuvre, tant au niveau du processus de création que des dispositifs de présentation, communication ou encore de réception de celle-ci.
Loin de se restreindre donc à une approche simplement « linguistique » du terme, c’est dans un foisonnement d’axes d’interprétations du concept que l’exposition se déploie : techniques, disciplines, contexte institutionnel, media, supports, codes et langage se voient, directement ou de façon plus médiatisée, tour à tour questionnés par les oeuvres des artistes invités.

Found in Translation, Chapter L est le troisième volet d’un concept curatorial initié en janvier 2010 par Emmanuel Lambion. Chaque chapitre, identifié par une lettre index choisie de façon associative plutôt qu’alphabétique, s’intègre à un cycle qui, autour de cette problématique polymorphe, articule autant de déclinaisons spécifiques en fonction de contextes, lieux et formats différents.
The title of the exhibition, an antonymous quotation of a well-known English idiom (“lost in translation”), plays on the ambivalence and polysemy of words in English. This can, in fact, be translated into French as “traduction” or “translation”. The common denominator of these two “interpretations” lies in the etymological approach of the term “translation” itself, whose Latin origins refer to the action of carrying/taking something, somebody or oneself out of its normal context (from transfero, translatum).
Thus, the concept of translation here, goes beyond any restrictive semantic use, to be apprehended in a wider, metaphorical meaning, like the subtle deliberate shifting of a being, a sign, a practice, a discipline or an area of knowledge, opened up to new perspectives of investigation, research, transmission and perception. Through this simple deviation from one perspective or from one given context to another, an implicit and subtle phenomenon of sending something back to the drawing board generally takes effect, of questioning norms, codes, languages, and accepted practices.
A phenomenon which, in our meaning, understands current art practices and research and characterises them well. Beyond any generational approach, we find ourselves in an age where the meaning often coils up into the interstice.
Everything occurs as though the artist were creating and instilling the meaning of their work in the subtle and critical area freed by a sort of “translation”, the quotation, reversed, whether changed or not, the reappropriation or a simple shift in meaning of one of the work’s parameters, as much at the level of the creative process as at that of how it is presented, communicated or even received.
Therefore, far from being restricted to a simply “linguistic” approach to the term, the exhibition unfurls through an expansion of the axes of the concept’s interpretation: in turn, the techniques, disciplines, institutional context, media, supports, codes and language find themselves, directly or in a more mediatised way, questioned by the works of the guest artists.
Found in Translation, Chapter L is the third part of curator Emmanuel Lambion’s exhibition series initiated in January 2010. Each chapter, identified by an index letter selected associatively rather than alphabetically, becomes part of a cycle which links specific declensions to different contexts, places and formats around this polymorphic subject.

Artistes : Lara Almarcegui, Juan Arata, Wojciech Bakowski, Pierre Bismuth, Aline Bouvy & John Gillis, Lucia Bru, Liudvikas Buklys, B-1010, be-DIX_TIEN, Francisco Camacho, Ludovic Chemarin ©, Koenraad Dedobbeleer, Edith Dekyndt, Simona Denicolai & Ivo Provoost, Agnès Geoffray, gerlach en koop, Jos de Gruyter & Harald Thys, Sofie Haesaerts, Saskia Holmkvist, Hedwig Houben, Ann Veronica Janssens, Eleni Kamma, Ermias Kifleyesus, Gabriel Kuri, Adrien Gary Lucca, Jani Ruscica, Robert Suermondt, Simon Starling, Pieter Vermeersch, VVORK, Freek Wambacq.

Revoir l’ensemble de l’installation d’Eleni Kamma, telle que présentée au Wiels à Bruxelles : sur le site de la galerie

Agenda janvier 2012

Orla Barry


– Mons (B), Le modèle a bougé, BAM, musée des Beaux Arts de Mons, du septembre 2011 – 5 février 2012.

Olivier Foulon

– Bruxelles (B), Dépendance, « Stehimbiss », du 7 janvier au 14 février 2012

Honoré d’O


– Antwerpen (B), Cinq siècles d’images à Anvers, exposition inaugurale du Museum aan Stroom, 12 mai – 31 déc. 2012

– Tarbes (F), No polliplan Tic Tac Space (si la langage remplace le titre), le Parvis de Pau, jusqu’au 11 février 2012 (solo)
– Gent (B), résidence in Casa Argentaurum : « if language substitutes the title », Brabantdam 68.

Eleni Kamma


Luxembourg (L), Casino, Found in translation, Chapter L, jusqu’au 8 janvier 2012.

Suchan Kinoshita


– Mons (B), Le modèle a bougé, BAM, musée des Beaux Arts de Mons, jusqu’au 5 février 2012.

Jacques Lizène


– Antwerpen (B), Cinq siècles d’images à Anvers, exposition inaugurale du Museum aan Stroom, 12 mai – 31 décembre 2012.

– Ljubiana (Slo), Museum of Affects, Museum of Contemporary Art Metelkova, jusqu’au 29 janvier 2012
– La Louvière (B), CAP 40 ans, images réelles et virtuelles, Centre de la gravure et de l’image imprimée, 28 janvier – 29 avril 2012
– Bagneux (F), Maison des Arts, « Burlesques », du 14 janvier au 23 mars 2012.
– La Louvière (B), Escargots à gogo, Daily-Bul & Co, jusqu’au 29 janvier 2012

 Capitaine Lonchamps
– La Louvière (B), Escargots à gogo, Daily-Bul & Co, jusqu’au 29 janvier 2012 

Jacqueline Mesmaeker


– Liège (B), galerie Nadja Vilenne,  Le premier jour du mois,…18 décembre 2011 – 12 février 2012

 Emilio Lopez Menchero


– Eupen (B), Check Point Charlie, IKOB, jusqu’au 8 janvier 2012

– Liège (B), Homme Bulle, Bibliothèque des Chiroux, jusque fin avril 2012
– Bruxelles (B), Duos d’artistes, un échange. Charles-François Duplain / Emilio Lopez Menchero, ISELP, du 27 janvier au 24 mars 2012

Benjamin Monti


– Liège (B), Saint Luc, école supérieure des Arts, du 12 janvier au 18 février 2012
– Angoulème (F), « François Henninger / Benjamin Monti », du 26 au 29 janvier 2012
– Bruxelles (B), Participe à l’exposition « Architexto – Architecture et littérature contemporaines » du 19.01 > 26.02.2012 CIVA hors les murs.
– La Louvière (B), Escargots à gogo, Daily-Bul & Co, jusqu’au 29 janvier 2012

Walter Swennen


– Antwerpen, Cinq siècles d’images à Anvers, exposition inaugurale du Museum aan Stroom, 12 mai – 31 dec 2012

Raphaël Van Lerberghe


– Charleroi (B), Bird’s eye of, regard sur une ville et une collection, Musée des Beaux Arts, jusqu’au 25 février 2012