Archives mensuelles : avril 2012

Art Brussels, booth 3 A02, preview

La galerie participe à la trentième édition de Art Brussels

Booth 3 A02 – 18 – 22 april 2012

Clémentine Beaugrand & Antoni Collot – Olivier Foulon- Honoré d’O – Suchan Kinoshita – Aglaia Konrad – Jacques Lizène – Emilio Lopez Menchero –  Capitaine Lonchamps – Jacqueline Mesmaeker – Benjamin Monti – Walter Swennen – Jeroen Van Bergen -Raphaël Van Lerberghe – Marie Zolamian

Preview & Vernissage Wed 18 April (by invitation only)
From Thu 19 till Sun 22 April 2012.

Wed 18 April: Preview 12pm-4pm/ Vernissage 4pm-10pm
Nocturne: Thu 19 April 7pm till 10pm
Thu 19 – Sunday 22 April: 12pm till 7p

Les péripéties, 2010, 2 cartes postales (J. A. Ingres, La Baigneuse. Kalabaka, Météores, le couvent Roussano), 60 x 43 cm.

Raphaël Van Lerberghe, Ou bien… ou bien, technique mixte, 29,7  x 21 cm, 2012

Aglaia Konrad, Undecided frames (01), photographies couleurs, impression numérique, 54 x 41 cm, 2012.

A propos des Undecided frmes d’Aglaia Konrad, lire le billet précédent sur ce blog

Capitaine Lonchamps, Neige 2012, technique mixte sur imprimé, 19 x 30 cm

A propos d’autres Neiges sur menhirs et serpent, également montrées à Art Brussels, lire le billet précédent

Clémentine Beaugrand et Antoni Collot, Art paranoïde 2009, boite de jeu, édition 10/10, 2012

« Dimanche 25 octobre nous nous rendons à la FIAC. Aux Tuileries, entre les deux lieux d’exposition, nous arpentons les haies du jardin. Notre attention est captée par un certain nombre de traces, que nous envisageons être de possibles résidus des acteurs de la FIAC. Nous nous mettons alors en quête de ces différentes reliques de σπέρμα (semence, grain, graine) disséminées. Nous nous interrogeons sur la relation qui existe entre rétention, éjaculation et pouvoir créateur. Nous pensons aux draps bordés d’Emmanuel Kant, aux croquis d’anatomie de Léonard de Vinci, à la vasectomie de Jacques Lizène. Nous en récoltons plusieurs centaines »

Sculpture nulle 1980, instruments de musique modifiés en guise d’interrogation génétique, art syncrétique, croisement cor – clarinette, en remake 2011. Technique mixte, cor, clarinette, 120 x 50 x 22 cm
Sculpture nulle 1980, instruments de musique modifiés en guise d’interrogation génétique, art syncrétique, croiser un violon et une raquette de tennis, en remake 2011.Technique mixte, violon, raquette, 100  20 x 10 cm
Art syncrétique 1964, instrument de musique modifié, remake 2011, didgeridoo croisé tuba. Didgeridoo, tuba, 161 x 43 x 30 cm.

A propos de l’ensemble de l’installation de Jacques Lizène, lire le billet précédent. En voir d’autres images.

Jeroen Van Bergen, Boot 003. Echelle ¼.  Technique mixte, 40 x 117 x 111 cm.

Emilio Lopez Menchero, Gare au gorille ! Huile sur toile, 2012 170 x 150 cm

A propos de l’ensemble des peintures d’Emilio Lopez Menchero, lire ici, voir les images là 

Capitaine Lonchamps, Neiges, Art Brussels preview

Capitaine Lonchamps, Neiges des origines

Capitaine Lonchamps ne s’est jamais départi de  son intérêt pour les menhirs et autres mégalithes. On se souvient des trois grandes pierres dressées dans l’exposition « Je ne suis pas, je me précède », toutes noires et enneigées, derrières lesquels se cachaient deux marins sous leur costume de snowman, l’un à la barre dans la tempête, l’autre fumant la pipe. J’aime à imaginer que ces deux là sont des marins bretons, de Quiberon ou de la Trinité sur Mer, bref du golfe du Morbihan. Les menhirs, les dolmens, les allées couvertes, les cromlechs y sont nombreux, et Carnac est à un jet de pierre. Capitaine Lonchamps vient d’ailleurs tout juste d’en enneiger les alignements. Tout Carnac ou presque, menhir par menhir.

Lonchamps partage cet intérêt avec un amateur anonyme qui, visitant les sites néolithiques de Carnac et alentours, a choisi de photographier les menhirs un par un. Pas d’alignement, pas de vue d’ensemble, pas de paysages, mais une vraie typologie, pierre par pierre, rigoureuse dans les cadrages, juste accompagnée de l’un ou l’autre cliché familial qui donnent l’échelle de ces mégalithes. En noir et blanc, ce sont de petits clichés de treize sur neuf centimètres que Capitaine Lonchamps a découvert dans un album photo, rassemblés et collés quatre par quatre, comme dans un atlas ou dans la publication d’une société savante. Il en a conservé une sélection et les a enneigé avec précaution. Non pas toute la surface de chaque cliché, ni même les ciels; seuls les menhirs eux-mêmes sont tatoués par ces flocons de neige.

Capitaine Lonchamps s’est engagé dans l’aventure neigiste alors qu’il voulait, et je le cite,  détruire la peinture, repartir de rien, peindre en noir et blanc, qui, rappelle-t-il, ne sont pas des couleurs. Son geste de peindre des touches, des ponctuations blanches, de la peinture « toronienne hystérique et désordonnée » diront certains, est un retour aux origines. Il est à l’origine de ses « Neiges » et à l’origine de la peinture : souvenons-nous des ponctuations de la peinture pariétale préhistorique, ces points et bâtonnets, isolés, par paires, trios, alignés ou groupés et qui parfois couvrent des figures animalières, associés à des empreintes de mains. Magie, rituel, représentations symboliques, abstraction ou même signalétique, bien des choses ont été écrites à propos de ces ponctuations qui participent des premières manifestations de l’art. Capitaine Lonchamps, lui, a décidé de couvrir de ponctuations, de flocons de neige, les menhirs du Morbihan, ces pierres longues qui participent elles aussi des manifestations les plus anciennes de la pensée. Ainsi, il se les approprie, ainsi il les révèle. Il me revient qu’à Wéris, une tradition veut que la Pierre Haina, que l’on appelle aussi la Pierre des Ancêtre, soit blanchie à l’équinoxe d’automne par les habitants du village. En la couvrant de couleur blanche, ils la protège du diable, qui paraît-il, est susceptible de sortir de terre en la soulevant afin de se livrer à quelques œuvres maléfiques. C’est là un rituel saisonnier, comme les Neiges du Capitaines sont également rituelles.

Capitaine Lonchamps enneige aussi les serpents. Celui-ci, dernier enneigé, a singulièrement été mis en scène par le taxidermiste qui l’éviscéra, nous renvoyant, avec naturalisme, à l’image biblique, tant de fois reproduite, du serpent s’enroulant en hélice autour du tronc d’un arbre ou d’un bâton dressé.  Nous restons dans le domaine des origines : le serpent y occupe une place majeure et y revêt une dimension spirituelle forte. La neige qui, désormais, le couvre conforte son rôle de lien entre le ciel et la terre, alors qu’il s’enroule spire après spire sur l’axe du monde. Certes, ce serpent enneigé est parent de Nahash, le serpent de l’Eden, doué de parole, qui incita Eve à manger le fruit défendu de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal. Je repense à la façon dont Raymond Roussel s’empare du « Roméo et Juliette » de Shakespeare dans ses « Impressions d’Afrique », un livre culte pour le Capitaine Lonchamps, sans doute l’un des vingt-sept qui figurerait dans sa bibliothèque. On y découvre comment par l’entremise de la tragédienne Adinolfa, Roussel réinvente les amants de Vérone, dans un étrange mouvement de la trace et de l’appropriation, tout comme Capitaine Lonchamps réinvente le Serpent par ses traces de pinceau sous forme de flocons neigeux.  Le Roméo pseudo shakespearien du Raymond Roussel des Impressions d’Afrique a des visions, une cohorte de scènes hallucinantes. Parmi celle-ci, justement, celle de la tentation d’Eve apparaissant dans un nuage, une vapeur intense.

« La première apparition, écrit Roussel, surgit soudain hors des flammes, sous l’aspect d’une vapeur intense qui, moulée avec précision, représentait la Tentation d’Ève. Au milieu, le serpent, enlacé à un tronc d’arbre, tendait sa tête plate vers Ève gracieuse et nonchalante, dont la main, dressée ostensiblement, semblait repousser le mauvais esprit. Les contours, d’abord très nets, s’épaississaient à mesure que le nuage montait dans les airs ; bientôt tous les détails se confondirent en un bloc mouvant et chaotique, promptement disparu dans les combles. Une seconde émanation de fumée reproduisit le même tableau ; mais cette fois Ève, sans lutter davantage, allongeait les doigts vers la pomme qu’elle s’apprêtait à cueillir.

Roméo tournait ses yeux hagards vers le foyer, dont les flammes vertes éclairaient les tréteaux de lueurs tragiques. Une épaisse fumée minutieusement sculptée, s’échappant à nouveau du brasier, créa devant l’agonisant un joyeux bacchanal ; des femmes exécutaient une danse fiévreuse pour un groupe de débauchés aux sourires blasés ; dans le rond traînaient les restes d’un festin, tandis qu’au premier plan celui qui semblait jouer le rôle d’amphitryon désignait à l’admiration de ses hôtes les danseuses souples et lascives. Roméo, comme s’il reconnaissait la vision, murmura ces quelques mots :

— Thisias… l’orgie à Sion!…

Déjà la scène vaporeuse s’élevait en s’effiloquant par endroits. Après son envolée, une fumée neuve, issue de la source habituelle, réédita les mêmes personnages dans une posture différente ; la joie ayant fait place à la terreur, ballerines et libertins, pêle-mêle et à genoux, courbaient le front devant l’apparition de Dieu le Père, dont la face courroucée, immobile et menaçante au milieu des airs, dominait tous les groupes ».

 

– Neige, 2012, acrylique sur photographies trouvées, 90 x 60 cm
– Neige, 2012, acrylique sur photographies trouvées, 90 x 60 cm
– Neige 2011, acrylique sur objet trouvé, 210 x 50 x 35 cm

 

Aglaia Konrad, art brussels preview, undecided frames

Aglaia Konrad inaugurait, il y a quelques années, une  série de travaux consacrés à des architectures sculpturales. En filmant ou en photographiant la Maison Gilet à Angleur,  la puissance brutaliste de l’église bâtie par Fritz Wotruba à Vienne ou celle de Nevers, dessinée par Claude Parent et Paul Virilio, Aglaia Konrad met l’accent sur la plastique du béton, sa tectonique, cette force intemporelle et spirituelle d’un chaos fusionné, maîtrisé. Cela l’a tout naturellement mené à Carrare, ce lieu qui condense par excellence cette relation même entre paysage, sculpture et architecture, chaos et ordonnancement.

Tous ces travaux récents s’inscrivent dans une perspective plus large. Depuis vingt ans, inlassablement, Aglaia Konrad observe, investit, traduit la ville et son urbanité, cette métropole globale, qu’il s’agisse de Pékin ou de Sao Paulo, du Caire, de Dakar ou de Chicago. Elle en analyse le champ sociologique, les paramètres sociopolitiques, focalise son attention sur l’architecture, sa modernité générique et sa généalogie. Son travail s’inscrit au cœur même de la métropole, dont elle perçoit les pulsions, s’en échappant parfois afin d’en mieux comprendre les nœuds de circulation, l’expansion, les accès, la relation au paysage.  Cette image urbaine, dans l’œuvre d’Aglaia Konrad, est délibérément pauvre. Elle n’a pas de support précis, pas de surface fixe, ne se revendique d’aucun des canons de l’acte photographique tel qu’habituellement codifié. Son œuvre est un vaste corpus interrogeant la ville, ses signes, sa modernité. L’image peut être argentique ou simple scan à jet d’encre, photocopie numérique, projection de diapositive, épreuve négative, impressions marouflées à échelle de l’espace mis en œuvre. La valorisation critique de l’image intervient en son utilisation ponctuelle et contextuelle. Et l’image peut être exposée ou publiée car l’édition prend ici un sens tout à fait singulier, là où la mise en page de l’image est aussi et surtout une mise en perspective.

C’est justement au moment de décider d’une utilisation ponctuelle qu’est, paradoxalement, née la série des « undecided frames ». Immergée dans son sujet, Aglaia Konrad multiplie les prises de vue d’un même sujet. Certains clichés sont parfois fort proches, tellement proches et chacun si singulier, que l’artiste reste dans l’indécision quant à celui qu’il faut prélever dans l’archive. D’où l’idée d’assumer le fait de ne pas choisir, ce qui entrainera un décision : celle, dès lors, de confronter les deux clichés, juxtaposés et de les nommer « Undecided frames ».

D’Osaka à Créteil, de New York à Madrid, on se prend bien naturellement à jouer au jeu de la différence, constatant un mouvement latéral de l’objectif, une profondeur de champ distincte entre les clichés, placés côte à côte. Le regard passe, en effet, sans cesse d’une image à l’autre. Je repense bien sûr à ces quelques mots écrits par Marcel Duchamp en 1937, consignés dans ses Notes : « il existe une conception grossière du déjà vu qui mène du groupement générique, deux arbres, deux bateaux, aux plus identiques « emboutis ». Il vaudrait mieux chercher à passer dans l’intervalle infra mince qui sépare deux identiques qu’accepter commodément la généralisation verbale qui fait ressembler deux jumelles à deux gouttes d’eau ». Duchamp parlera de « semblablité » à propos de la similarité : le même, cette « approximation pratique de la similarité ». « Dans le temps, précise-t-il, un même objet n’est pas le même à une seconde d’intervalle ». Oui, avec les « undecided frames » d’Aglaia Konrad, nous nous situons dans le domaine de l’infra mince. « J’ai choisi exprès le mot mince, explique Marcel Duchamp, qui est un mot humain et affectif et non une mesure de laboratoire. Le bruit ou la musique faits par un pantalon de velours côtelé comme celui-ci quand on le fait bouger est lié au concept d’infra mince. Le creux dans le papier entre le recto et le verso d’une fine feuille… A étudier !… C’est une catégorie dont je me suis beaucoup occupé pendant ces dix dernières années. Je pense qu’au travers de l’infra mince, il est possible d’aller de la seconde à la troisième dimension ». De fait d’un cliché à l’autre, dans le cas des photographies d’Aglaia Konrad, nous sommes face au même objet ou sujet, nous en avons une perception différente, et nous sommes aussi face à des objets ou sujets différents, ne fut-ce qu’en raison de l’intervalle de temps qui existe entre deux prises de vue. Cette dimension temporelle est particulièrement perceptible dans les vues aériennes, New York, Paris, où les images, différentes en raison en raison de la perception que nous avons du vol de l’avion, pourraient partiellement se superposer. « A chaque fraction de la durée, note Thierry Davila, à propos de l’infra mince duchampien, se reproduisent toutes les fractions futures et antérieures. Toutes ces fractions passées et futures coexistent dans un présent qui n’est déjà plus ce que l’on appelle ordinairement l’instant présent, mais une sorte de présent à étendue multiple. C’est dans ces multiples étendues du temps que le sujet ici abordé circule, c’est dans leur incessante activation qu’il trouve les moyens d’une plasticité renouvelée ».  Par rapport aux clichés isolés d’Aglaia Konrad, cette plasticité renouvelée, augmentée même, réside dans l’infra mince qui sépare deux prises de vue mise côte à côte. Nous ne sommes même plus devant deux photographies juxtaposées mais bien devant une image composée de deux clichés. Dans les choix qu’elle a opéré, Aglaia Konrad décline ces points de vue de toutes les façons, jusqu’à nous proposer des objets effectivement différents mais similaires. Ainsi ces deux « épis de Créteil », qui semblent à première vue être la même tour, bien que photographiées sous des angles distincts, mais qui sont deux tours rondes différentes, même pas jumelles, puisqu’elles appartiennent toutes deux à un ensemble de dix tours bâties par Gérard Grandval. Troublantes sont ces deux prises de vue dans la banlieue parisienne, devant des bâches de chantier représentant elles-mêmes la ville à venir, clichés si graphiques que la présence et le passage d’une passante sur le seconde semble presque virtuelle.  D’autres nous rendent le mouvement particulièrement perceptible. Qu’il s’agisse de celui de l’objectif, – cette voiture dans un garage à Tokyo et sur le second cliché, la statue du bouddha qui disparaît à gauche, l’arbre qui apparaît à droite -, ou qu’il s’agisse du mouvement conjugué de l’objectif et de la circulation urbaine, comme dans cette double vue d’un coin de rue à Osaka où tout s’anime. Assurément, le choix de ne pas décider entre deux clichés nous donne à voir une réalité augmentée, une dimension supplémentaire dans la fusion des images ; cette dialectique du semblable et de la différence aiguise notre perception du réel.

 

 

 

Entrouverture du Palais de Tokyo, Jacques Lizène, les images

Entrouverture au Palais de Tokyo. 30 heures non stop de performances. 12/13 avril 2012

Cadre d’instruments de musique modifiés, en remake 2012
Position pour une exposition virtuelle 193-1993, en remake 2012, Jacques Lizène expose dans le chantier du palais de Tokyo, avant sa réouverture. Vidéo. Son. Couleurs, 9 min. 2012 (production AVCAN). Vidéo projetée derrière un ts de gravats provenant du chantier du palais de Tokyo.
Pièce pour musique à l’envers, 1979 en remake 2012, Edaneres de Giwdul Navnevohteeb. Vidéo, son, couleurs, rushes 1 et 2, 36 min, 2012. (production AVCAN)

Avec la complicité de trois instruments à cordes, Alexandre Castro Balbi (violoncelle), Maxence Grimbert Barré (alto), Héloïse Schmitt (violon). et de l’ineffable Xavier Boussiron à la pédale wawa, Jacques Lizène interpréte une œuvre de musique à l’envers, nouvelle création intitulée « Edaneres » du compositeur Giwdul Navnevohteeb.

Réécouter Jacques Lizène sur France Culture :

Le RDV au Palais de Tokyo Jean de Loisy, Jean-Philippe Vassal, Christine Angot, Jacques Lizène, Vincent Ganivet, Gwénaël Morin.
Dans la présentation de l’émission, Jacques Lizène devient : « génie de « la médiocrité » et « petit maître de Bruges ». Magnifique ! Encore raté !

 

 

 

Jacques Lizène, Les Maîtres du désordre, le petit maître en clown sacré.

Sous la fontaine de cheveux de Jacques Lizène : un masque de joie iroquois,  un masque haume  hopi ou navajo, dit Tête de boue, un masque de Kashina Koyemshi, également dit Tête de Boue ainsi qu’un masque d’Atsara (Tibet). A gauche, Arlequin de Pablo Picasso.
Parmi les hommes – limites, certains se distinguent par leur condition de clown : ce sont les bouffons rituels d’Amérique du nord, qui ont leurs homologues en Afrique et parfois en Asie. Ils ont comme fonction de rendre manifeste le censuré, le refoulé, le réprimé. Ils ne respectent rien ni personne et leurs attaques  frappent à l’occasion des cérémonies les plus solennelles.

Jaillissement d’une pensée qui déborde, la fontaine de cheveux dressée sur la tête de Jacques Lizène, le « Petit Maître liégeois » comme il se nomme, rappelle le dispositif de la houppette des clowns Auguste qui leur permet de faire jaillir un jet d’eau au sommet de leur crâne. La fontaine de cheveux est le signe d’un excès de sens, d’une outrance manifeste, le jaillissement incessant de la turbulence.
L’idiotie a cette passion d’une projection au sommet, ici gerbe capillaire, que longtemps l’on a percé pour en extraire la folie dans l’imagerie populaire, sous la forme d’un entonnoir. La houppe rappelle également celle des bouffons rituels d’Amérique du Nord, connexion avec le souffle du Grand Esprit.

Dans un entretien qu’il accorde à Sandra Adam-Couralet, Jacques Lizène précise :

« Je suis un petit maître du désordre, quasiment nul. Je ne suis pas un chaman. Beuys voulait être une sorte de chaman, un artiste social. Moi pas. Celui qui décide de ne pas procréer, ça c’est le summum du désordre. Paradoxalement, le chaman, c’est un type qui essaye de solutionner les problèmes obscurs de la société. Je n’ai pas ce rôle dans la communauté humaine. Je suis un « individualiste crasse » (…)Ou alors je suis une sorte de comédien qui joue au faux chaman, si j’en suis un.
C’est comme les gens qui croient être clown quand ils mettent un nez rouge. Eh bien moi c’est cela, je joue au clown, sans nez rouge. De faux « chamans » dans mon genre, en un sens, il en a existé avant moi, mais on ne s’en apercevait pas, on les appelait plutôt des importuns. Je joue souvent au misanthrope, mais je joue surtout à l’art, dans le rôle du petit maître d’art nul.
En vérité moi c’est l’ordre absolu qui pointe derrière mon désordre apparent. Je propose que l’espèce humaine s’éteigne gentiment, c’est l’ordre absolu, ou plutôt « la nostalgie de la perfection ». Mais c’est ironique. C’est une théorie ironique.
Toutes mes œuvres sont clownesques. Mais il n’y a pas d’humour dans ce que je fais, car mon humour consiste à ne pas en avoir.
Mes sculptures génétiques ? C’est mon côté Arlequin. La génétique c’est un peu un patchwork. Je tourne en dérision la génétique en surenchérissant, virtuellement. En montrer toutes les possibilités, burlesquement (hop !)
Comme Picasso, j’ai repris tous les thèmes classiques de l’art, le portrait, le nu, la nature morte,… systématiquement. Mais lui, il l’a fait de manière très talentueuse. C’est un peu mon parangon inversé. Moi c’est la lune, lui c’est le soleil. Dans la commedia dell’arte, peut-être encore plus qu’Arlequin, moi, je serai plutôt Pantalone, celui qui dit tout et n’importe quoi.
La Fontaine de Cheveux (1980) vient d’un souvenir d’enfance, quand on s’amusait avec mon frère, en se lavant les cheveux, à se les dresser sur la tête. J’ai repris cette idée de mèche pour le personnage du chanteur en dessous de tout et le Minable Music Hall, en 1980. Je me suis dit : cela sera ma fontaine, après celle de Duchamp. Une sculpture de soi. Le minable music-hall est une suite de clips particulièrement médiocres : de minables chefs d’œuvres vidéo interprétés par le Petit Maître à la Fontaine de cheveux. Je déclare que je suis la médiocrité et comme je fais effet de miroir, les autres ne me supportent pas, puisqu’ils se voient ! »

Jacques Lizène entrouvre le Palais de Tokyo à Paris

Jacques Lizène participe à l’entrouverture du Palais de Tokyo à Paris. 28 heures durant, il y propose une rapide rétrospective vidéo. Ces 12 et 13 avril,  il sera également en performance, un concert de musique à l’envers pour trois violons et une pédale wawa.
Jacques Lizène a virtuellement exposé dans le chantier de rénovation de l’institution, profitant des 25.000 mètres carrés du Palais. Il montrera les résultats de cette exposition sur un tas de gravas !

 

« J’aime penser que l’on fait partie d’un espace créatif et dans cet espace visuel et sonore, il faut pouvoir expérimenter une sensation : poétique, dense, éphémère… ». déclare Vittoria Matarrese, responsable des projets spéciaux et événements culturels du Palais de Tokyo.  Du jeudi 12 avril à 20h, au vendredi 13 avril à minuit, le Palais de Tokyo, désormais sous la direction de Jean de Loisy, ouvre une brèche : une intense vision accélérée et hallucinatoire de l’énergie qui va se déployer au Palais de Tokyo pendant les prochaines années.

Un foisonnement d’événements, de concerts, de performances, de conférences et de spectacles : de Christian Marclay à Olivier Saillard, de Gwenaël Morin à Hajnal Nemeth, de Matthew Herbert à Lucas Abela, le Palais de Tokyo est habité par les artistes ! La fièvre de 21h, les sursauts de minuit, l’onirisme de la nuit profonde, le charme de l’aube… Autant de moments pour découvrir le Palais de Tokyo, dans les coulisses de sa métamorphose, achevant sa mue avant d’ouvrir ses espaces d’exposition avec La Triennale « Intense proximité », alors en montage. Tous les espaces accessibles, près de la moitié du site, fenêtres, escaliers, salles de cinéma, mezzanines, Saut du loup, Little Palais, restaurant, auditoriums, agoras, déambulatoires, bureaux, salles de réunion seront investis par les oeuvres et ouverts au public.

 

Avec la complicité de trois violonistes, Adrien Boisseau, Violaine Meunier, Héloïse Schmitt et de l’ineffable Xavier Boussiron à la pédale wawa, Jacques Lizène interpréte une œuvre de musique à l’envers, nouvelles création intitulée « Edaneres » du compositeur Giwdul Navnevohteeb.
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Belle illustration de sa position de Cheyenne contraire, Jacques Lizène a l’idée de composer de la musique à l’envers dès 1979. Il la met en œuvre en 1996, avec   « Taifansie Trazom », pièce de musique à l’envers qu’interprétera le pianiste Jacques Swingedau. Avec la musique à l’envers, Jacques Lizène réinvente « n’importe quelle composition en lisant à l’envers toutes les œuvres, comme art d’attitude d’art médiocre et Music’ Minable ». Le but assigné au concept de réécriture compositionnelle n’a pas la prétention de créer de nouvelles sonorités mais bien de « lutter contre l’idée de jugement ». Jacques Lizène est donc un « compositeur non composant ».

Dans la foulée, Jacques Lizène inventera la « musique doublement à l’envers », variante plus complexe et gymnique puisqu’il s’agit de proposer à un musicien d’interpréter une partition de musique en jouant de son instrument à l’envers. Ainsi un pianiste jouera, accroupi sur la table du piano (donc clavier à l’envers), une partition existante, mais ré-écrite à l’envers. Un contrebassiste tiendra son instrument à l’envers, la touche vers le bas, la table vers le haut.  Notons que l’idée de la musique à l’envers (en effet de miroir) date de 1979 et qu’elle pourrait provenir, aux dires du Petit Maître, du souvenir du récit qu’on lui fit de l’exposition de René Magritte à Verviers, à l’invitation de temps mêlés. Magritte, son frère, André Souris (et d’autres ?) y auraient chanté la Brabançonne à l’envers.

Par ailleurs, Le Petit Maître a virtuellement exposé dans le chantier du Palais de Tokyo. Il en a fait un film qu’il présentera, penché, sur un tas de gravas.
En 1993, Jacques Lizène, Petit Maître de la seconde moitié du XXe siècle, prend position pour toute exposition virtuelle et se propose d’exposer virtuellement sur Mars (ou sur une autre planète) mais aussi dans tous les musées du monde.
C’est sur cette base qu’il concevra son documentaire fiction « Un certain Art belge, une certaine forme d’humour » en 1993. Dans ce projet dont l’idée remonte à 1983, il s’agit de « remplacer par simulation vidéo des monuments parisiens par des œuvres d’artistes belges. Position pour une exposition virtuelle ». Faire sortir de terre parisienne, afficher en incrustation ou en simulation virtuelle, c’est-à-dire en trois dimensions, des œuvres d’artistes belges dont l’irruption iconoclaste ou dérisoire donne fugacement un autre sens aux lieux. Cette fois, Jacques Lizène, sur le même principe, expose au Palais de Tokyo, mais avant sa réouverture, dans le chantier même.

 

Jacques Lizène, (petit) maître du désordre au Musée du Quai Branly

Jacques Lizène participe à l’exposition « Les Maîtres du Désordre » que Jean de Loisy a conçue pour le musée du Quai Branly à Paris.

Dans la plupart des cultures, des traditions mettent en scène des forces contraires qui se disputent le monde en un combat nécessaire et sans fin. Tout ordre, y compris l’ordre divin, est fondamentalement imparfait, limité, menacé d’implosion. Cette conscience du désordre semble être commune à toute civilisation et les forces perturbatrices, nécessaires à l’équilibre de l’univers et à sa continuité.

Articulée en trois grandes sections, l’ordre imparfait, la maîtrise du désordre et la catharsis, l’exposition analyse la notion de désordre à travers les différents modes de négociations mis en place pour le contenir.

L’exposition s’intéresse aux figures du désordre, inscrites au panthéon de nos croyances et des cultures, de Dionysos à Seth Typhon, et aux techniciens, chamanes et autres intercesseurs ici appelés « maîtres du désordre », chargés des négociations avec les forces du chaos. Dans ce compromis permanent entre turbulence et raison, les rites sont le mode privilégié de négociation avec les puissances qui gouvernent les sociétés humaines. Parallèlement à ces rituels sacrés, les fêtes, bacchanales, carnavals ou fêtes des fous semblent être l’autre moyen, profane, qui autorise le déchaînement des pulsions transgressives.

Les maîtres du désordre met en scène des objets, des costumes, des représentations issus des grandes collections anthropologiques mais aussi des oeuvres d’artistes contemporains dont Annette Messager, Jean-Michel Alberola ou Thomas Hirschhorn.

Jean de Loisy, dans l’introduction du livre qui accompagne l’exposition écrit :

L’Occident désenchanté fut confronté presque simultanément à l’éloignement des dieux anciens, à l’affaiblissement de l’irrationnel et à la découverte des arts primordiaux. Amputé en deux cents ans d’une conception du monde qui le régissait depuis le temps des cavernes, l’art moderne naissant, encore accompagné en ses débuts par les sorcières de Goya, les formes primordiales de Redon et les masques d’Ensor, se détourne d’abord, puis retrouve, capte à nouveau les intuitions et le sens des mythes de sociétés parfois révolues. Si, de l’aube du XXe siècle à aujourd’hui, l’intérêt des artistes pour les arts dits « premiers » ne s’est jamais démenti, de l’expressionnisme allemand à Joseph Beuys, de Picasso à Barnett Newman, de Pollock à Cameron Jamie, on a eu tort de n’y voir qu’un enrichissement de l’histoire des formes. La fréquentation avérée, continue, des poètes, des écrivains, des essayistes et des peintres avec les ethnologues du XXe siècle, le mélange des genres et des activités des uns et des autres, éclaire de manière éloquente le sens profond, la responsabilité dont se charge ainsi l’art depuis presque deux siècles. La quête que conduisent ces grands artistes est une recherche sur l’humain, une traversée des significations de l’expérience individuelle ou collective, bref, selon une procédure particulière, une anthropologie. C’est à ce titre qu’une exposition dans un musée d’« art premier » peut-être nourrie par l’intervention des artistes d’aujourd’hui. C’est dire que leur présence dans ce projet, où ils accompagnent la présentation d’objets rituels de cultures pour la plupart apparentées à l’animisme, n’est pas convoquée parce qu’ils seraient des sortes de mages ou de chamanes contemporains. Absolument pas. Ils sont présents en tant qu’ils explorent, comme des chercheurs, comme des poètes, les thèmes constitutifs de la conscience humaine.

De Loisy poursuit, à propos des bouffons, des clowns sacrés, de Paul MacCarthy et de Jacques Lizène :

Dans la thermodynamique cosmique du couple infernal ordre-désordre, ce tandem indissociable, odieux dès qu’il se déséquilibre, morbide, totalitaire par excès d’ordre, furieux destructeur, entropique par excès de désordre, toute l’organisation psychosociale de la vie des communautés doit traiter de cet équilibre nécessaire. L’effroi, la sensation du chaos, qui désorientent celui qui se soumet à la cure et permettent par le désordre de rétablir peut-être l’ordre du corps, a aussi à dire, à faire dans les rites sociaux qui revitalisent l’organisation collective. Si les rites religieux concourent à créer de la cohésion entre les fidèles, les rites cycliques, qui instaurent des périodes d’inversion, montrent comment la création est une recréation, comment le désordre régénère l’ordre et le rend supportable à nouveau.

Le grand charivari est une ruse d’hiver qui se développe à l’intérieur du système rituel et symbolique de la société. Les délires, les excès, le grotesque ou l’absurde sont une inversion mais pas une subversion. De fait, une remise en mouvement de l’ordre qui, comme la succession des saisons, ne manquera pas de se réinstaller.

Demeure au plus près du pouvoir médiéval une figure de transgression institutionnalisée du désordre, un envoyé du monde  l’envers, un personnage présent dans de très nombreuses sociétés hiérarchisées, le bouffon, le pitre. Différent du trickster, dérisoire et burlesque parfois, redouté car porteur de vérité, libre de sa parole, incarnation de la nécessité du politiquement incorrect, personnage à la formidable fortune littéraire et picturale, il reste un modèle structurel encore présent dans nos sociétés sous des formes évidemment très laïques que certains humoristes endossent, mais aussi dans le rôle le plus éminent de certains artistes. Notons déjà, que d’une manière plus générale, à un niveau magique ou parfois mystique particulier, ces turbulents qui incarnent la possibilité du désordre apparaissent dans de nombreuses sociétés traditionnelles. Leurs conduites qui semblent aberrantes ont une vertu cathartique et permettent aux insultés de supporter des critiques ou des moqueries qui, si elles venaient d’autres, seraient des offenses terribles. On les appelle ici les contraires, clowns sacrés, fous de Dieu, bouffons rituels. Ces noms désignent des réalités diverses, les uns sont au-dessus de tout, les autres déploient des efforts pathétiques pour être à la hauteur, ainsi que les distingue Jean-Paul Colleyn.

Certains artistes aujourd’hui, Jacques Lizène ou Paul MacCarthy par exemple, endossent un rôle semblable. Grotesques, triviaux, ils tendent au regardeur le miroir dans lequel se reflètent les travers de la société. L’indécence ne les gêne pas puisque c’est la nôtre, ils sont les personnages libres qui déjouent les tentatives coercitives du consensus. Ce sont les nécessaires figures transgressives qui réaniment le jeu sans fi n du chaos et de la règle. Ils permettent à l’art contemporain de remplir l’une de ses fonctions majeures dans notre société moderne : mettre en turbulence les convictions, rejouer ce qui paraît acquis, élargir notre champ de conscience, faire exploser les règles convenues.

Du 11 avril au 29 juillet au Musée du Quai Branly.
L’exposition sera présentée au Kunst-und Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland (Bonn, Allemagne) du 31 août au 2 décembre 2012 et à « La Caixa » Foundation (Madrid, Espagne) du 7 février au 19 mai 2013.

 

Emilio Lopez-Menchero, Eyes, les images

Eyes. Trying to be Balzac, Huile sur carton entoilé, 2011-12, 30 x 40 cm.

Eyes. Trying to be Arafat, Huile sur carton entoilé, 2011-12, 30 x 40 cm.

Green Line, Huile sur toile, 2011, 75 x 65 cm.

Eyes. Trying to be Russel Means, Huile sur carton entoilé, 2011-12, 30 x 40 cm.

In Balzac Mind , Huile sur toile, 2011, 75 x 65 cm.

Eyes. Trying to be Carlos, Huile sur carton entoilé, 2011-12, 30 x 40 cm.

Eyes. Trying to be Frida, Huile sur carton entoilé, 2011-12, 30 x 40 cm.