Que veut dire apprendre une langue dans un contexte de conflit linguistique et de concurrence interrégionale ? Quel imaginaire ça développe et comment ça joue sur l’apprentissage (ou son impossibilité) d’une langue étrangère jugée ennemie ? La plasticienne bruxelloise Sandrine Morgante interroge dans son projet « Taalbarrière » la manière dont est vécu le conflit linguistique belge par des élèves de secondaire qui apprennent la langue de l’autre communauté. Après recueil de leur parole, elle recouvre des feuilles de cours de langue de la retranscription d’extraits de leurs témoignages mis en dessin. On y lit des stéréotypes communautaires (battus en brèche… ou pas), les blocages dans l’apprentissage et les récits personnels de chacun·e face à la culture de l’autre. Le tout dans des tournures de phrases créatives et poétiques, propres à celui ou celle qui tente une autre langue.
Une soixantaine de ces dessins sont exposés sur un alignement de tables de classe symbolisant la barrière linguistique. Ces écrits fragmentaires dessinés sur les copies en noir et blanc de manuels scolaires, mis bout à bout, racontent un aspect de la Belgique actuelle, tellement divisée. Elle rend visible des disparités sociales, économiques et culturelles de tout genre entre les régions du pays.
Recopier les paroles des élèves sur des pages de manuels scolaires n’est pas anodin. Face à l’attente d’un parler très standardisé induit par ces méthodes des cours de langue, les gribouillages en écriture automatique qui recouvrent la feuille de cours agissent comme pour juguler l’ennui. Et introduire vie et rêverie. Il s’agit de « révéler le hors cadre de la feuille, de montrer que la mauvaise réponse scolaire est peut-être aussi finalement la bonne réponse au niveau du sens et de la motivation à apprendre une langue ». Les paroles récoltées sont aussi mises en scène dans un montage audio serré de 55 minutes. Cette création sonore fait dialoguer virtuellement les deux communautés. On passe d’une langue à l’autre, avec ses erreurs révélatrices, ses bricolages et ses belles inventions. À écouter sur SoundCloud (Aurélien Berthier)