Nous avons appris hier l’occultation du Capitaine Lonchamps, à l’âge de 70 ans. Je republie ici cette notice que son ami André Stas a rédigé en 2011 pour le Guide de l’Irrévérence, paru à l’occasion d’une mémorable exposition au Centre Wallonie Bruxelles à Paris. Il neige en nos coeurs. Bon voyage, Capi.
Capitaine Lonchamps
par André Stas
Loger le parcours d’un tel personnage (né Philippe L. en 1953) dans une notice équivaut, mutatis mutandis, à enclore la Grande Pyramide dans une boule de neige. Proposer, en 1984, son Père Ubu (haut de 12 mètres !) pour le Prix Europe (au Musée d’Art moderne, à Ostende), relevait pour lui d’une «attitude» consistant à se présenter à tous les concours, à la seule fin de pouvoir dresser la liste des multiples refus qu’il allait essuyer. Le malheur voulut qu’il y décrocha la Merdaille d’Argent! Perturbé par cet « échec », il se prit donc à croire au bien-fondé de sa peinture libérée, adjoignant à la créature jarryque son propre héros: Max. Sa Maxification du Monde fut applaudie par tous ceux que l’art triste enquiquinait. Les délires iconiques de sa compagne de l’époque (Myriam Merch) étant présentés conjointement, le couple devint bientôt le fleuron d’une peinture sauvagement jubilatoire, aux insolences fort bienvenues. Le Hasard qui sait tout les fit croiser la route zigzagante de Stas (qui gardait un goût de trop peu de l’expérience éphémère de Frais d’Orifices). En intime connivence avec lui sur le plan de la ‘Pataphysique, démarra en 1986 l’aventure des Po$t-Zozo$, sept années de peinture collective, seule manifestation convaincante de la Figuration libre en Wallagonie (même si l’Histoire de l’Art officiel en fait fi). Galvanisé, le Capitaine pondit dans le même temps des détournements de tapis kitsch, puis nous « assit » avec ses fresques du tombeau d’Orèlie Antoine Ier, Roi de Patagonie, installations monumentales qui éberluèrent les esthètes autant que les Béotiens. Un dimanche caniculaire de 1989, le Capitaine, question de rafraîchir l’atmosphère, se prit à faire tomber la neige sur tout un pan d’une composition ravageuse des Po$t-Zozo$. Sans doute, ne se doutait- il pas de l’importance du geste pictural qu’il venait de poser. Subjugué par l’intense plaisir qu’il éprouva en multipliant ces points blancs, il clama qu’il venait d’inventer le «Neigisme», qui devint bientôt son arme froidement novatrice de Grand Perturbateur. Au fil du temps, le support de la toile d’une noirceur immaculée ne lui suffit plus et l’épidémie de flocons s’instaura partout selon une logique exponentielle, monomanie brouillant l’entendement que nous pouvions avoir de divers objets (choisis avec soin dans la mythologie du quotidien vulgaire) puis de l’image en général. Snowman (avatar « Spataphysique » de Fantômas) fit son apparition, insinuant sa mystérieuse présence dans les photographies dénichées aux puces, les chromos surannés ou les couvertures alléchantes de romans ou périodiques populaires. Le désole de ne point parvenir à commettre enfin, comme il en rêve, « la plus laide peinture du Monde » car la moindre « pauvre chose dont la laideur muette a des profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile» (Flaubert) acquiert étonnamment une certaine beauté, par la magie de sa subtile intervention nivale.
Paru dans Petit guide de l’Irrévérence, Editions Yellow Now, 2011.