Archives de catégorie : Sophie Langohr

Sophie Langohr, Glorious Bodies, les images (2)

Sophie Langohr

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Saint Philippe par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Olivier Langendries par Max Zambelli pour Boglioli, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (55 x 40 cm), 2013 -2014.

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Saint Paul par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Spyros Christopoulos, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, (38 x 32) et (38 x 27 cm), 2013 -2014.

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Saint Jude par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Jeff Bridges par Mario Sorrenti, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (100 x 75 cm), 2013 -2014.

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Saint Jacques majeur par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Julien Doré par Yann Rabanier, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (57 x 46 cm), 2013 -2014.

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Saint Barthélemy par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Mariano Ontanon par Mert&Marcus pour Givenchy, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (45 x 33 cm), 2013 -2014.

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Saint Matthieu par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Dimitris Alexandrou par Errikos Andreou, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (33 x 45cm), 2013 -2014.

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Jésus par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Justin Passmore par Kai Z Feng pour Horst Magazine, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (52 x 41 cm), 2013 -2014.

 

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Sophie Langohr, Glorious bodies, les images (1)

Sophie Langohr

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Saint André par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme un sans abri par Lee Jeffries, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, (33 x 33) et (33 x 31cm), 2013 -2014.

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Saint Jacques le mineur par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Aiden Shaw par Kalle Gustafsson pour Uniforms for the dedicated , de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (80 x 53 cm), 2013 -2014.

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Saint Simon par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Jeremy Irons par Michaël Muller, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, (26 x 17) et (26 x 18 cm), 2013 -2014.

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Saint Pierre par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Philippe Crangi pour Giles&Brother, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (60 x 45 cm), 2013 -2014.

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Saint Mathias par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Ricky Hall, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (55 x 44 cm), 2013 -2014.

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Saint Jean par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Gaspard Ulliel par Martin Scorcèse pour Chanel, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (37 x 52 cm), 2013 -2014.

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Jacques Charlier, Sophie Langohr, IKOB, Nuit européenne des musées ce 17 mai & revue de presse

Glorious bodies IKOB (photo Laurence Charlier)

Dans le cadre de la Nuit européenne des musées.

Le 17 mai, l’ikob vous accueille chaleureusement de 13 à 22h et vous propose un programme à ne pas manquer.

16h. Traversée guidée de l’exposition Glorious Bodies par la curatrice et directrice Maïté Vissault.
19h. Projection en grand format du film Jacques Charlier « Pirate de l’art » suivie d’une discussion avec les artistes Jacques Charlier et Sophie Langohr.

Glorious Body

Cette soirée sera également l’occasion de découvrir la publication qui accompagne l’événement.
« Jacques Charlier – Sophie Langohr, Glorious Bodies », une publication sous forme de magazine.
64 pages, format 31,5 x 21,5 cm, nbr ill couleurs, texte : Jean-Michel Botquin. Français / English. Disponible à la galerie et à l’IKOB. Prix public : 12 euros.

A propos de l’exposition, Jean-Marie Wynants écrit dans LE SOIR de ce mercredi 14 mai :

A ma gauche, la Vierge au visage doux, apaisé, au regard extatique tourné vers le ciel. A ma droite, Morgane, sanglée dans son armure, entourée de corbeaux, le regard fier, l’épée à la main dans un inquiétant paysage brumeux. Deux visages, deux corps, deux images ayant traversé le temps. Deux personnalités au cœur de l’exposition de Sophie Langhor et Jacques Charlier à l’Ikob d’Eupen. Un parcours riche en œuvres mais particulièrement aéré et agréable dans sa circulation.

Au cœur du propos, ces Glorious Bodies qui donnent son titre à la manifestation. « Depuis toujours, explique Jacques Charlier, l’obsession première de l’homme est de durer, de défier la mort et de se donner une assurance contre celle-ci. C’est le sens de bon nombre d’images issues de notre tradition judéo-chrétienne. » Se sachant mortel, l’homme cherche de petits arrangements pouvant le mener vers une vie éternelle. Même par procuration. « On trouve la consolation par les images, poursuit Jacques Charlier. Aujourd’hui comme hier. La communion des people a juste remplacé la communion des saints. Mais c’est le même principe. Les people ont des fans, donc il y a un acte de foi et ils ont leurs martyrs comme Marylin Monroe ou James Dean. » Et plus récemment Kurt Cobain, Amy Winehouse ou Paul Walker.

Et chez les people comme chez les saints, on parle de transfiguration, même si les supposés événements miraculeux d’hier ont été remplacés par Photoshop et la chirurgie esthétique. C’est ce que montre magistralement le travail de Sophie Langhor. « Dans un premier temps, explique-t-elle, j’ai découvert dans les caves du musée Curtius, à Liège, une série de statues de la Vierge confiées au musée par les fabriques d’Eglise. Je les ai photographiées en gros plan, à la manière des images publicitaires pour les cosmétiques. Ensuite, j’ai recherché sur internet des images se rapprochant le plus possible de mes Vierges. J’ai ainsi constitué des diptyques et remis une couche en traitant les images de façon similaire. »

L’effet est saisissant. Dans un premier temps, le visiteur croit voir des portraits reproduits deux fois. Puis en s’approchant, on note les légères différences mais aussi et surtout l’incroyable similitude entre les icônes d’hier et les people d’aujourd’hui. Sophie Langhor a ensuite fait le même type de travail avec les hommes, photographiant une quinzaine de statues de saints de l’église Saint-Nicolas d’Eupen et leur trouvant des correspondances dans les célébrités masculines d’aujourd’hui. Un travail de longue haleine, aussi fascinant et déroutant que révélateur. « Il y a plusieurs dizaines d’années de différence entre ces portraits, constate l’artiste, mais les codes de l’image n’ont guère changé. »

De son côté, Jacques Charlier mêle pièces anciennes (sa sainte Rita ou sa Jeanne d’Arc revisitées, bien loin de celle du Front national) et récentes comme sa Morgane, pour montrer une autre facette plus noire, plus agressive de ces corps glorieux qui servent aussi ceux qui les manipulent. « Les gens ont besoin de mythes, conclut-il, et ceux qui s’approprient et manipulent le mythe, cherchent à s’en approprier la force et l’impact sur le public. » Une manipulation ayant existé de tout temps mais que l’on peut aujourd’hui décoder grâce au travail superbe et profond d’artistes tels que Jacques Charlier et Sophie Langhor.

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Sophie Langohr, Glorious Bodies, IKOB, Eupen (2)

Sophie Langohr

The pretty faces of apostles

I think of Ludwig Feuerbach, disciple and critic of Hegel, of this passage which Guy Debord did not hesitate to highlight in his “Société du Spectacle” (Society of the Spectacle) in 1967: “No doubt our time prefers the image to the thing, the copy to the original, representation to reality, appearance to being, writes the philosopher. What is sacred to him, is only illusion, but what is profane, is the truth. Better still, sacredness grows in his eyes as truth decreases and illusion increases, so that the highest degree of illusion comes to be the highest degree of sacredness.” Sophie Langohr has perfectly perceived this dialectic, this dichotomy – and confusion – between illusion and sacredness, even to the point of profanation, I would say, in the full sense of the term: to make the holy and pious image even more profane than it is, to reduce this image, while sublimating it, into an image of desire and happiness than can only be desired without ever attaining it. This glorious body, the body of the Blessed, the resurrection of the flesh, would it be that of the Christian resurrection or of a rampant ageism, a starified ideal, an iconizing paradigm, arty, crowned with both the glory and mystery of creation and transfiguration?

The question arises in the context of the new series of images produced by Sophie Langohr. After having transfigured the muses of fashion in virgins and saints, here she reverses the process and revamps the Fathers of the Church! And this time, it is a homogeneous set of fourteen polychrome sculptures of the 17th century, the happy compromise between a late Gothic and a measured Baroque style, that the artist appropriates. Sophie Langohr uses all the artifices of professional shooting and studio work to transfer all the glory and fame of the models, celebrities and models of today to these saints carved by Jeremias Geisselbrunn in around 1640 for the church of the Miners in Cologne, now standing at the pillars of the church of Saint Nicolas in Eupen. Here are the icons of the Apostles, posing for this unexpected second (of) eternity. The casting is rather curious, to say the least.

Apart from the apostle John who is, of course, the youngest, all these apostles are bearded, wise and in the fullness of life. Sophie Langohr has, in this respect, fashion and trends to thank for: thanks to the hipsters, advertising today is full of bearded and hairy men. Shaggy hair is all the rage. The hipster is actually “trendy”, his look is stylishly neglected, he sports a dishevelled hairstyle; hirsuteness is actually essential, to the point where some get hair implanted at great expense. The hipster is an “early adopter” who buys quickly and turns away even faster, from the moment he finds that what he consumes has become too common. Hipsters are therefore well known to the marketers who sell them what they think they invent. This is a target which advertising presents as an icon of modernity. As a phenomenon of the new century, the hipster is about to be dethroned. The webzines and social networks announce – and orchestrate – the arrival of “Normcore” in the fashion world. The phenomenon, whose name derives from the contraction of the words normal and hard-core, is based on the “non-style”; the aim is to express specialness to the point of sameness. Be crazy, be normal, look like a teenager from the early 90s or, if you are fifty or more, like Steve Jobs himself. This will make the heyday of black turtlenecks and straight-legged and faded blue jeans .

But back to our bearded men of advertising which Sophie Langohr has tracked on the net. The issues are not the same as with the muses of New Faces. Here, there is no question of smoothing the image down to the pixel; everything has to do with the expression, an artificial natural air corrected under the lights of the shoot and during the postproduction of the images. The care of the self, to use the terms dear to Foucault, the ego business, the staging and eroticisation of the appearance, the self esteem, hedonism, tribal fusion, the rational and the passionate: the male icons of advertising must above all be charismatic. These are style icons. This time, Sophie Langohr, confronting the apostles with the icons of fashion, sought similarities, affinities in the traits and attitudes, and photographed the faces of statues as if they were stars and models. The shooting has since taken over the infographical treatment; the artist only gave the pretty faces of these apostles some basic facial care. From that point on, blur, grain and backlight are all that is needed. Advertising has since long understood: “the starting point is absolute blackness, wrote Gérard Blanchard already in 1968 in Les Cahiers de la Publicité about the eroticisation of advertising, because the myths are more or less laced with shreds of night. The artifices of photography, soft focus, lighting and backlight are all ways to give the image an ambiguous air of interpretation. The Amphitrite of advertising is born at night.” The recipe still works.

So here we have St. Peter, as the false fraternal twin of Philip Crangi, a New York jeweller who uses historical quotes, ancient artefacts, Japanese armour, baroque silverware in his urban, punkish and ethnic creations. St. Matthew, the dark introverted one, has only to get a tattoo of a living dead on the shoulder or a Christ-like face crowned with thorns on the arm to fully resemble the Greek model Dimitris Alexandrou. Largely forgotten despite his prestige in the early church, James the minor was the leader of the Church of Jerusalem and wrote one of the apocryphal gospels. In life, we need to be able to bounce back, revive ourselves, says Aiden Shaw, writer and composer turned model after scouring the gay porn studios in Los Angeles, a route that has enabled him to enact the figure of the old dandy whose experiences make for a great face. He apparently enjoys cult status and his latest music video is called « Immortal ». Martin Scorsese has directed St. Paul while shooting the short film for Blue Channel, a veritable turnip by the way. Simon the Zealot and Jeremy Irons will have to choose: all that is needed is a cosmetic surgery on a nasal appendage for the one to pass as the other. Lee Jeffries photographs the faces of the homeless in major cities: his features are a perfect match with those of Saint Andrew. Model Mariano Ontanon has the look of the Latin lover, even if he just grew his beard for Givenchy’s Fall/Winter 2013 campaign. And now he looks like Saint Bartholomew. Among these diptychs, there is one particular exception to the rule of the portrait: Sophie Langohr has appropriated a profile photograph of Thomas Medard, a young singer from Liège, photographed by Gilles Dewalque. From the front he looks like Saint Thomas, you have to see it to believe it.

Sophie Langohr profaner? Yes, in the sense that – without secularising them, quite the contrary – she desacralizes the faces of saints by placing them under the lights of the current media illusions. Yes, since she appropriates their use, abolishing all separations through a subjective photographic practice that is quite opposite to the usual documentary truth when it comes to photographing works of art. Sophie Langohr somehow takes the works of Jeremias Geisselbrunn out of the museum.

By confronting works of the past, distant auratics in the sense understood by Walter Benjamin, with immediate, virtual images, gleaned on the Internet, her works make us aware of the collapse of distance and the intense proximity within which we live. Undoubtedly, the works of art of the past are no longer seen by artists as a repertoire of subjects or models to imitate or rebel against; “they appear under the guise of an “already there”, a familiar environment whose components are just as real and current as any everyday object.” The artist, and this is good, experiences them as material, interacts with them, uses them as tools. Indeed, he rediscovers their use.

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Sophie Langohr, Glorious bodies, IKOB, Eupen

Sophie Langohr

Saint Matthieu par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Dimitris Alexandrou par Errikos Andreou, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (33 x 45cm), 2013 -2014

DE BELLES GUEULES D’APôTRE

Je repense à Ludwig Feuerbach, disciple et critique de Hegel, à cet extrait que Guy Debord n’hésita pas à placer en exergue de sa « Société du Spectacle » en 1967 : « Et sans doute notre temps préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être, écrit le philosophe. Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi le comble du sacré ». Sophie Langohr, a parfaitement perçu cette dialectique, cette dichotomie – et cette confusion – entre illusion et sacré, jusqu’à la profanation, dirais-je, dans le plein sens du terme : rendre l’image sainte et pieuse plus profane encore que ce qu’elle est, réduire cette image, tout en la sublimant, à une image du désir et du bonheur que n’on ne peut que désirer sans jamais l’atteindre. Corps glorieux, corps du Bienheureux et de la Bienheureuse, celui de la résurrection de la chair, serait-ce celui de la résurrection christique ou celui d’un jeunisme effréné, d’un idéal starifié, d’un modèle égériaque, « arty », auréolé de toute la gloire et du mystère de la création comme de la transfiguration ?

La question se pose devant la toute nouvelle série d’images produites par Sophie Langohr. Après avoir transfiguré les égéries de la mode en vierges et saintes, voici qu’elle renverse le processus et relooke les Pères primitifs de l’Eglise ! Et cette fois, il s’agit d’un ensemble homogène de quatorze sculptures polychromes du 17e siècle, heureux compromis entre le gothique tardif et un baroque mesuré que l’artiste s’approprie. Sophie Langohr use de tout l’artifice du shooting et du travail en studio afin d’imposer toute la gloire et la célébrité des mannequins, stars et modèles actuels aux saints sculptés par Gérémie Geisselbrunn vers 1640, destinés à l’église des Mineurs de Cologne et aujourd’hui campés aux piliers de l’église Saint-Nicolas d’Eupen. Voici les icônes des apôtres posant pour cette inattendue seconde (d’)éternité. Le casting est pour le moins singulier. A part l’apôtre Jean, bien sûr, le plus jeune, tous sont barbus, sages et dans la plénitude de la vie. Et Sophie Langohr peut, à ce sujet, rendre grâce à la mode et la tendance : grâce aux hipsters, la publicité est aujourd’hui pleine de barbus et chevelus. Le poil en bataille à la cote. Le hipster est effectivement « tendance ». Son look est faussement négligé, sa coupe de cheveux est déstructurée, le port du poil est indispensable, quitte même à se le faire implanter à grands frais. C’est un « early adopter », qui achète vite et se détourne encore plus vite, dès le moment où il juge que ce qu’il consomme devient trop commun.
Les hipsters sont bien connus des marketeurs qui leur vendent ce qu’ils croient inventer. C’est donc une cible que la publicité présentera comme une icône de la modernité. Phénomène de ce début de siècle, le hipster est en passe de se faire détrôner. Les webzine et réseaux sociaux annoncent – et orchestrent – l’arrivée du « Normcore » dans la sphère fashion. Contraction des mots normal et hardcore, le phénomène se base sur le « non-style », l’objectif étant d’être tellement différent qu’on en devient normal. Soyez fou, soyez normal, vous ressemblerez à un ado du début des années 90 et, pour les quiquas ou plus, à Steve Jobs, soi-même. Cela fera les beaux jours des cols roulés noirs et des jeans bleus, droits et délavés.

Mais revenons-en à nos barbus de la pub que Sophie Langohr a traqué sur le net. Les enjeux ne sont pas les mêmes que pour les égéries des «New Faces ». Ici, il n’est plus question de scruter le lissage de l’image au pixel près ; tout se joue dans l’expression, un faux naturel corrigé sous l’éclairage du shooting et lors de la postproduction des images. Le souci de soi pour reprendre les termes chers à Foucault, l’égo business, la mise en scène et l’érotisation de l’apparence, le self estime, l’hédonisme, la fusion tribale, le rationnel et passionnel : les icônes masculines de la publicité se doivent d’être avant tout charismatiques. Ce sont des icônes du style. Cette fois, Sophie Langohr, confrontant les apôtres et les icônes de la mode a recherché les ressemblances, les affinités dans les traits et les attitudes et a photographié les visages des statues comme s’il s’agissait de stars et mannequins. Le shooting a dès lors pris le dessus sur le traitement infographique ; l’artiste a juste dispensé quelques soins du visage à ces belles gueules d’apôtre. Floutage, grain, contre-jour sont dès lors parfaitement efficients. La publicité l’a compris depuis longtemps : « Il faut partir du noir absolu, écrivait déjà Gérard Blanchard en 1968 dans « Les Cahiers de la Publicité » à propos de l’érotisation de la publicité, car les mythes sont plus ou moins entremêlés de lambeaux nocturnes. Les artifices de la photographie, le flou artistique, l’éclairage en faisceau, le contre-jour sont autant de manière de donner à l’image une marque équivoque d’interprétation. L’Amphitrite publicitaire nait la nuit ». La recette fonctionne toujours.

Voilà donc saint Pierre faux jumeau de Philip Crangi, un orfèvre new-yorkais qui use de la citation historique – artefacts antiques, armures japonaises, orfèvrerie baroque –, dans ses créations urbaines, punk et ethniques. Saint Matthieu, l’introverti ténébreux, n’a plus qu’à se faire tatouer une morte vivante sur l’épaule ou un visage christique couronné d’épines sur le bras pour s’identifier totalement au mannequin grec Dimitris Alexandrou. Grand oublié malgré son prestige dans l’Eglise primitive, Jacques le Mineur fut chef de file de l’Eglise de Jérusalem et écrivit l’un des évangiles apocryphes. Dans la vie, il faut pouvoir rebondir, renaître de soi-même, tel Aiden Shaw, écrivain, compositeur, reconverti dans le mannequinat, après avoir écumé les studios de porno gay à Los Angeles, un itinéraire qui lui permet aujourd’hui de camper la figure de l’old dandydont le vécu vaut la tête bien faite. Il est culte paraît-il et son dernier clip s’appelle « Immortal». Martin Scorsese a dirigé saint Paul lors du tournage du court-métrage pour Bleu de Chanel, un navet soit dit en passant. Simonle Zélote et Jérémie Irons devront choisir : il ne manque qu’une opération de chirurgie esthétique de l’un ou l’autre appendice nasal, pour que l’un puisse se faire passer pour l’autre. Lee Jeffries photographie les visages des sans domicile fixe des grandes villes : le mimétisme est parfait avec le visage de saint André. La mannequin Mariano Ontanon a le look du latin lover, mais c’est juste pour la campagne automne/hiver 2013 de Givenchy qu’il s’est laissé pousser la barbe. Ainsi ressemble- t-il à saint Barthélémy.

Parmi ces diptyques, l’un déroge de façon singulière à la règle du portrait : Sophie Langohr s’est approprié une photographie de profil de Thomas Médard, ce jeune chanteur liégeois, photographié par Gilles Dewalque. De face, c’est saint Thomas qui apparaît, il faut le voir pour le croire. Sophie Langohr serait-elle profanatrice ? Oui, dans le sens où, sans les séculariser, bien au contraire, elle désacralise ces visages de saints, les plaçant sous les feux des actuelles illusions médiatiques. Oui, puisqu’elle s’en octroie l’usage, abolissant toutes les séparations par la mise en oeuvre d’une pratique photographique subjective opposée à la vérité documentaire usuelle lorsqu’il s’agit de photographier des oeuvres d’art. Sophie Langohr « démuséalise », en quelque sorte, les oeuvres de Gérémie Geisselbrunn. Confrontant des oeuvres du passé, lointaines auratiques, au sens où Walter Benjamin l’entend et des images immédiates, virtuelles, glanées sur internet, ses travaux nous font prendre conscience de cet effondrement de la distance et de l’intense proximité dans laquelle nous vivons. Sans aucun doute l’oeuvre d’art du passé n’est plus aujourd’hui perçue par les artistes comme un répertoire de sujets ou de modèles à imiter ou à combattre ; « elle apparaît sous les traits d’un ‘déjà-là’, d’un environnement familier dont les composantes s’avèrent tout aussi réelles et actuelles que tout objet du quotidien ». L’artiste, et c’est tant mieux, les éprouvent comme matérielles. Il dialogue avec elles, il les utilisent comme outils. En fait, il en retrouve l’usage.

Sophie Langohr

Saint André par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme un sans abri par Lee Jeffries, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, (33 x 33) et (33 x 31cm), 2013 -2014.

Saint Jacques le mineur par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Aiden Shaw par Kalle Gustafsson pour Uniforms for the dedicated , de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium, 2 x (80 x 53 cm), 2013 -2014.

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Sophie Langohr, New Faces, Glorious bodies, IKOB Eupen (2)

Sophie Langohr

The “Art Make-up” series illustrates the increasing influence exerted on the cultural sphere by the fashion and advertising industries, which have emptied it of all content, only to impose their imperatives, while at the same time expressing their pretension to be elevated to the level of artistic creation. Sophie Langohr has unearthed from the reserves of a museum, the museum of Fine Arts in Liège in this case, a couple of Marian statues in the Sulpician tradition, which today seem to represent the purest form of religious kitsch and the beginnings of a semi-industrial art. The artist confronts their antiquated faces to those gleaned on the Internet of current muses that embody the major brands in the luxury industry. Presented as diptychs, these transfigurations plunge us into the illusion of a particularly daunting cinema-photo-digital aesthetic. These are her “New Faces”, and the resemblance is astonishing. These polychrome Virgins have been put under a digital scalpel of extreme precision. To my left, some fifteen figures of statues of the Virgin or saints: close-ups of an equal number of angelic and antiquated faces. To my right, the same figures, in much more fleshy incarnations, with painted lips and sophisticated makeup under controlled lighting. These are mirror portraits that evidence a disturbing mimicry, as if reality was made to reflect the image of art. Reality, indeed, because we are not entirely unfamiliar with these portraits of women. We may recognize Anouck Lepere or Marion Cotillard, Emily di Donato or Sacha Pivovarova, these actresses and models whose faces of glossy paper occupy the front of the media scene.

This time, they are not anonymous models, but the Muses of a series of major brands of perfumes, cosmetics or leather goods, new faces of advertising, which she confronts with the physiognomy of one of the probably most mediatised faces in the history of art, that of the Virgin Mary, the Immaculate. With a consummate art of retouching, the same, moreover, as the one practiced in the world of fashion photography, she has highlighted the similarities to the point where the faces blend together, models and actresses now transfigured into Virgins, leaving, here and there, like a careful restorer, some clues as to her multiple interventions. Transfiguration and miracles here originate, in keeping with the times, in image processing software, in a graphic palette.

« By itself, notes Mona Chollet evoking these “fatal beauties” , the term “muse « that has emerged in recent years, is symptomatic of the shift that has taken place: an actress is no longer the inspirer of an artist – which, by confining women to the silent role of muses, reducing them to their mere photogenic and sensual qualities, could already be annoying –, but of a brand or a product, whose aim is thus ennobled, as it basks in the glory and mystery of creativeness. And advertising is no longer a scourge that we suffer and flee from, but rather a full-fledged cultural production that we are supposed to look for and await.” Indeed, advertising for luxury and beauty has to be “arty”. Advertising clips for perfume, cosmetics, or luxury leather products must have a branded editorial content, a “brand content”; they combine advertising and entertainment. The creation of these clips, moreover, is entrusted to creators, and not the least important ones, rather than creatives. When Marion Cotillard appears for Dior, it is to Olivier Dahan, for whom she played La Môme Piaf, or to David Lynch, John Cameron Mitchell, Eliott Bliss or Jonas Akerlund that Dior turns for the production of these films that have acquired the status of both full-fledged short films and super productions. By transforming these muses into Virgins, Sophie Langohr takes this logic further: who better than the Virgin Mary to incarnate the glory and mystery of creation, transcendence and ascension (or rather assumption)? She is definitely timeless, embodying reference, code, standard, affect, guardian figure, history, ritual and cult, all of them notions the current fashion communicators obsessively pursue. So here we have Kate Moss for Rimmel, Barbara Palvin for Chanel, Raquel Zimmerman for Shiseido, Adriana Lima for Maybelline, these fashion icons, new faces of the great Icon, of which Mary, Mother of God, is in fact the most perfect embodiment.

Cult object on the one hand, object of worship on the other, Sophie Langohr has not selected just any Marian statues. These sculptures are all fairly recent; they date from the late nineteenth century to the early twentieth. They are all in the Sulpician tradition, the oh so discrediting moniker for this confused blend between widely distributed reproduction and authentic sacred art, inspired by the lessons of the German Nazarenes, the English Pre-Raphaelites, or the teachings of Ingres. In the literal sense, the art of Saint-Sulpicius refers to the objects that are sold in specialty shops which adjoin the eponymous church in Paris; it is in some way a forgery of artistic creation, an industrial and economic art, of poor quality, whose mawkish and bland style in some way reassure and bear the mark of an official, canonical and modest art. Is this far removed from the current situation? “Meanwhile, without anyone noticing it, notes Marie Cholet, our vision of femininity is increasingly reduced to a handful of mawkish and conformist clichés. The hardness of the times surely bolstering the temptation to fall back on traditional vocations: being a mother and being beautiful”. ”The stars that emerge, she adds, are now all calibrated on the same model: extreme thinness – or tolerable curves – diaphanous complexion, sophisticated wardrobe … Once their transformation into smooth, bland and interchangeable coat hangers is successful, they can hope to arouse the interest of one or several brands of cosmetics or clothing. The game is worth the candle: if they succeed, they hit the jackpot, both financially and in terms of media exposure.”

The Sulpician art develops at a time when the Catholic religion aims to be accessible and popular. It glorifies Joseph, The Magdalene and contemporary saints. The role given to Marian piety, following the apparitions of Lourdes and La Salette, the establishment of the dogma of the Immaculate Conception, enacted in 1854 by Pope Pius IX, is exemplary. All these devotions, such as for instance the one of the guardian angel, all these traits of religiosity have obviously marked the Sulpician iconography. It aims to inject hedonism into religion, to make it pleasant; Paradise is well within reach. The parallels that can be drawn with the consumerist logic whose “New Faces” by Sophie Langohr are the real muses, rather than the products they represent, are therefore striking. It is but a step from the one devotion to the other. Outside of the standards dictated by the hedonism promoted by the fashion and beauty industry, there is no salvation.

Finally, there is this cut of the digital scalpel, this cosmetic surgery of the image. It obviously evokes the imposition of a stereotyped feminine image, the trivialisation of a surgical transfiguration, the sufferings and abuses that are its corollary, the violent maintaining of unattainable standards. With precision, Sophie Langohr points outs this obsessive sublimation and ruinous spiral, this dark and devastating sense of guilt, the mortification of the body that is seen as disenchanted. Beyond the “arty” claims of the beauty industry, these pairs of icons stand for a fundamental ideological questioning of the image of women in our society, subject to the obsession of appearance. The topic, set against these Virgins with clear eyes and swooning air and these sophisticated muses, seems subtly trenchant, it must be said.

Sophie Langohr

Sophie Langohr

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Sophie Langohr, New Faces, Glorious bodies, IKOB Eupen

Sophie Langohr

Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège, nouveau visage à partir de Emily di Donato pour Maybelline, de la série New Faces 2011-2012, photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm

La série « Art Make-up » illustre l’emprise croissante exercée sur la sphère culturelle par la mode et la publicité qui la vident de tout contenu pour lui imposer leurs impératifs, en même temps qu’elles font valoir leur prétention à accéder elles-mêmes au rang de création artistique. Sophie Langohr a ainsi exhumé des réserves d’un musée, celui du Grand Curtius de Liège en l’occurrence, une quinzaine de statues de tradition saint-sulpicienne, coupables aujourd’hui de représenter la plus pure bondieuserie kitsch et les débuts d’un art semi-industriel. L’artiste confronte leurs visages surannés à ceux, glanés sur internet, d’actuelles égéries qui incarnent les grandes marques de l’industrie du luxe.

En diptyques, ces transfigurations nous plongent dans l’illusion consommée d’une esthétique ciné-photo-numérique particulièrement redoutable. Ce sont ses « New Faces » et la ressemblance est sidérante. Ces Vierges polychromes sont passées sous un bistouri digital des plus précis.
A ma gauche, une quinzaine de figures de statues de Vierges ou de saintes : close-up sur autant de visages doux et surranés. A ma droite, les mêmes, aux incarnats bien plus charnels, lèvres peintes, maquillages sophistiqués sous des éclairages contrôlés. Ce sont là des portraits en miroir, au mimétisme troublant, comme si la réalité se devait d’être à l’image de l’art. La réalité, oui, car ces portraits de femmes ne nous sont pas totalement inconnus. On reconnaîtra peut-être Anouck Lepere ou Marion Cotillard, Emily di Donato ou Sacha Pivovarova, ces actrices et mannequins dont les visages de papier glacé occupent le devant de la scène médiatique.

Cette fois, ce ne sont donc pas des modèles anonymes, mais bien les égéries d’une série de grandes marques de parfum, de cosmétique ou de maroquinerie, nouveaux visages publicitaires qu’elle confronte aux physionomies de l’un des visages sans doute les plus médiatiques de toute l’histoire de l’art, celui de la Vierge Marie, l’Immaculée. Avec un art consommé de la retouche, la même que celle pratiquée dans le monde de la photographie de mode d’ailleurs, elle a accentué les ressemblances jusqu’à confondre les visages, ces mannequins et actrices dès lors transfigurés en Vierges, laissant d’ailleurs ça et là, telle une restauratrice précautionneuse, quelques indices quant à ses multiples interventions. La transfiguration et le miracle tiennent ici, signe de temps, à un logiciel de traitement de l’image, à une palette graphique.

« A lui seul, constate Mona Chollet évoquant ces ‘beautés fatales’ 4, le terme ‘égérie’ qui s’est imposé depuis quelques années, est symptomatique du glissement qui s’est opéré : une actrice n’est plus l’inspiratrice d’un artiste – ce qui, cantonnant les femmes au rôle muet de muses, en les réduisant à leur photogénie et à leur sensualité, pouvait déjà être agaçant –, mais celle d’une marque ou d’un produit, dont la démarche se trouve ainsi anoblie, auréolée de toute la gloire et tout le mystère de la création. Et la publicité n’est plus un fléau que l’on subit et que l’on fuit, mais au contraire une production culturelle à part entière, que l’on est censé rechercher et attendre ». Oui, la publicité pour le luxe et la beauté se doit d’être « arty ». Les clips publicitaires pour un parfum, un cosmétique, un produit de maroquinerie de luxe doivent avoir un contenu éditorial de marque, un « brand content » ; ils marient la publicité et le divertissement. On confiera d’ailleurs ces clips à des créateurs, et non des moindres, plutôt qu’à des créatifs. Lorsque Marion Cotillard tourne pour la maison Dior, c’est à Olivier Dahan, pour lequel elle fut la môme Piaf, à David Lynch, John Cameron Mitchell, Eliott Bliss ou Jonas Akerlund que Dior fait appel pour autant de films qui ont le statut de courts métrages à part entière et, en même temps, celui de super production en série.
En transformant ces égéries en Vierges, Sophie Langohr pousse cette logique au plus loin : qui donc mieux que la Vierge Marie peut incarner gloire et mystère de la création, transcendance et ascension (ou plutôt assomption) ? Celle-ci est assurément indémodable, incarnant référence, code, norme, affect, figure tutélaire, histoire, rituel et culte, toutes notions que les communicateurs actuels de la mode vivent, aujourd’hui, comme des obsessions. Voici donc Kate Moss pour Rimmel, Barbara Palvin pour Chanel, Raquel Zimmerman pour Shiseido, Adriana Lima pour Maybelline, ces icônes de la mode, nouveaux visages de l’Icône majuscule ; la Vierge Marie, mère de Dieu, l’est en effet, par excellence.

Objet culte d’une part, objets de culte de l’autre, Sophie Langohr n’a pas choisi n’importe quelles statues. Ces sculptures sont toutes assez récentes ; elles datent de la fin du dix neuvième siècle au début du vingtième. Elles sont toutes de tradition saint-sulpicienne, appellation ô combien discréditante, confusion entre un art de reproduction à grande diffusion et la recherche d’un art sacré authentique, inspiré par la leçon des Nazaréens allemands, des Préraphaélites anglais, ou par l’enseignement d’Ingres.
Au sens propre, l’art de Saint-Sulpice désigne les objets que l’on vend dans les boutiques spécialisées qui avoisinent l’église du même nom à Paris, en quelque sorte une contrefaçon de la création, un art industriel et économique, de médiocre qualité, où la mièvrerie et l’affadissement du style rassurent et portent en quelque sorte le cachet d’un art officiel, canonique et sans excès. Serions-nous si loin d’une situation actuelle ? « Pendant ce temps, sans qu’on y prenne garde, constate Marie Cholet, notre vision de la féminité se réduit de plus en plus à une poignée de clichés mièvres et conformistes. La dureté de l’époque aidant, la tentation est grande de se replier sur ses vocations traditionnelles : se faire belle et materner ». « Les vedettes qui émergent, écrit-elle encore, sont dorénavant toutes calibrées sur le même modèle : extrême minceur – ou rondeurs tolérables –, teint diaphane, garde robe sophistiquée… Une fois réussie leur transformation en portemanteaux lisses, fades et interchangeables, elles pourront espérer susciter l’intérêt d’une ou de plusieurs marques de cosmétiques ou de vêtements. Le jeu en vaut la chandelle : si elles y parviennent, ce sera le jackpot, à la fois sur le plan financier et sur celui de l’exposition médiatique ».

L’art saint-sulpicien se développe à une époque où la religion catholique se veut accessible et populaire. Elle magnifie Joseph, La Madeleine et les saints contemporains.
Le rôle donné à la piété mariale, suite aux apparitions de Lourdes et de la Salette, à l’établissement du dogme de l’Immaculée Conception, édicté en 1854 par le pape Pie IX est exemplaire. Toutes les dévotions, comme celle de l’ange gardien, tous ces traits de la religiosité ont évidemment marqué l’iconographie sulpicienne. Il s’agira d’hédoniser la religion, de la rendre plaisante ; le paradis est ainsi à portée de main. Les parallèles que l’on peut établir avec la logique consumériste dont les « New Faces » de Sophie Langohr sont les véritables égéries, bien plus que des produits dont elles sont les ambassadrices, sont dès lors saisissants. D’une dévotion à l’autre, il n’y a qu’un pas. Hors normes dictées par l’hédonisme promu par l’industrie de la mode et de la beauté, point de salut.

Enfin, il y a ce coup de bistouri digital, cette chirurgie esthétique de l’image. Il évoque bien sûr cette imposition d’une image féminine stéréoptypée, cette banalisation d’une transfiguration chirurgicale, les souffrances et dérives dont celle-ci est le corollaire, cet entretien par le matraquage de normes inatteignables. Sophie Langhor pointe de façon précise cette sublimation obsessionnelle et spirale ruineuse, ce sentiment de culpabilité obscur et ravageur, cette mortification du corps perçu comme désenchanté.
Au-delà des prétentions « arty » de l’industrie de la beauté, ces icônes en binôme posent un questionnement idéologique fondamental, celui de l’image de la femme dans notre société, soumise à l’obsession des apparences. Face à ces Vierges à l’œil blanc et l’air pâmé, face à ces égéries sophistiquées, le propos est subtilement incisif. C’est le cas de le dire.

Sophie Langohr

De gauche à droite :
Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège, nouveau visage à partir de Barbara Palvin pour Chanel de la série New Faces 2011-2012,photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm
Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège,nouveau visage à partir de X pour Clinique, de la série New Faces 2011-2012,
photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm
Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège, nouveau visage à partir de Adriana Lima pour Maybelline, de la série New Faces 2011-2012, photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm
Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège, nouveau visage à partir de Sacha Pivovarova pour Armani, de la série New Faces 2011-2012, photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm

Photos : Laurence Charlier

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Art Brussels, les images (3)

Art Brussels

John Murphy

John MURPHY
On the silky lining of the voyage, 2008
Picture post card, pen and ink on board, 85,5 x 63,5 cm

Sophie Langohr

Sophie Langohr

Sophie LANGOHR
Saint Matthieu par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660) photographié comme Dimitris Alexandrou par Errikos Andreou, de la série Glorious Bodies, photographies noir et blanc marouflées sur aluminium,
2 x (33 x 45 cm), 2013 – 2014

Emilio Lopez Menchero

Emilio LOPEZ-MENCHERO
Trying to be Cadere, de dos (avec barre index 04 code B 12003000 – d’après « André Cadere 1974 », de B.Bourgeaud), photographie NB marouflée sur aluminium, 82 x 130 cm, 2013

Suchan Kinoshita

Suchan Kinoshita

Suchan KINOSHITA
Archive diagonale, 2014
Technique mixte

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Sophie Langohr et Jacques Charlier, Glorious bodies, la publication, sortie de presse

Glorious Bodies

A l’occasion de l’exposition « Jacques Charlier – Sophie Langohr, Glorious Bodies », une publication sous forme de magazine.
64 pages, format 31,5 x 21,5 cm, nbr ill couleurs, texte : Jean-Michel Botquin. Français / English. Sortie de presse imminente. Disponible à la galerie et à l’IKOB. Prix public : 12 euros.

glorious bodies

glorious bodies

glorious bodies

glorious bodies

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Sophie Langohr et Jacques Charlier, Glorious bodies, IKOB Eupen, vernissage ce dimanche 20 avril

A l’IKOB, Museum für Zeitgenössische Kunst (Eupen), du 20 avril au 13 juillet 2014 :
Sophie Langohr – Jacques Charlier, Glorious Bodies

Vernissage ce dimanche de Pâques, 20 avril, à 15h

Sophie Langohr

Sophie Langohr
Saint Matthieu par Gérémie Geisselbrunn (1595 – 1660), conservé en l’église Saint-Nicolas à Eupen, photographié comme Dimitris Alexandrou par Errikos Andreou. De la série Glorious Bodies, 2014.

Jacques Charlier

Jacques Charlier
Sainte Rita, priez pour l’art, 1991, détail, installation, mixed media, 210 x 600 cm.

À sa manière, l’ikob célèbre Pâques… et fait dialoguer dans ses espaces les oeuvres de deux générations d’artistes liégeois, Sophie Langohr (*1974) et Jacques Charlier (*1939), proposant deux points de vue sur l’iconographie des images sacrées et mythiques, d’hier et d’aujourd’hui.

« Et sans doute notre temps préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être. Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi le comble du sacré » (Feuerbach cité par Guy Debord dans La Société du spectacle, 1967)

« Corps glorieux, corps du Bienheureux et de la Bienheureuse, celui de la résurrection de la chair, serait-ce celui de la résurrection christique ou celui d’un jeunisme effréné, d’un idéal starifié, d’un modèle égériaque, arty, auréolé de toute la gloire et du mystère de la
création comme de la transfiguration ?
Des réserves d’un musée, Sophie Langohr a exhumé une quinzaine de statues mariales de tradition saint-sulpicienne, coupables aujourd’hui de représenter la plus pure bondieuserie kitsch et les débuts d’un art semi-industriel. L’artiste confronte leurs visages surannés à ceux, glanés sur internet, d’actuelles égéries qui incarnent les grandes marques de l’industrie du luxe. En diptyques, ces transfigurations nous plonge dans l’illusion consommée d’une esthétique ciné-photo-numérique particulièrement redoutable. Plus profanatrice encore, elle use de tout l’artifice du shooting et de la photographie de mode, afin d’imposer toute la gloire et la célébrité des mannequins, stars et modèles actuels aux Saints sculptés par Jérémie Geisselbrunn vers 1640, destinés à l’église des Mineurs de Cologne et aujourd’hui campés aux piliers de l’église Saint Nicolas d’Eupen. Voici les icônes des Pères et Apôtres glacés dans cette inattendue seconde (d’) éternité. Le casting est pour le moins singulier.

Jacques Charlier, sonde lui aussi, et depuis longtemps, cet idéal factice de la transsubstantiation, observateur des théologies de l’art, de l’objet d’art considéré comme rédempteur, de son appropriation par le marché, capable, dit-il, de transformer le moindre courant d’air en objet transfiguré, sous l’oeil stratège d’une Curie globale. Se souvient-on de cet ange et de son double, qu’il traça pour « Total’s Undergrund » à la fin des années 60 ? « Total’s energetic », ces anges sont la réplique l’un de l’autre dans un l’univers monozygote qui ne peut refléter que lui-même et qui se complait, comme Narcisse, face à son double physique. Jacques Charlier, déjouant le style, privilégiera toujours cette esthétique du simulacre. De Léda, aux jumelles de la Doublure du Monde, de Sainte Rita, patronne des causes désespérées –et l’art ne serait pas la moindre, à Mélusine ou Morgane, l’art est ici un reflet physique désenchanté, le signe que le passé pourrait succéder au présent, angoisse même née du sentiment mélancolique. L’image de Sainte Rita, le trouble, bien plus que celle de Marylin ou de Tina Turner, déclare-t-il. Comme un dernier recours face à une société en crise, ajoute Sergio Bonati, c’est cette image saint sulpicienne que Jacques Charlier évoque souvent ironiquement, en regard d’un marché et d’une histoire de l’art de plus en plus instrumentalisés. Retour aux dévotions, l’art pourrait-il dès lors agir comme ex-voto ? »

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