Walter Swennen, So far, so good, Wiels, les images (6) et revue de presse

Lu dans le Journal des Arts, Novembre 2013, sous la plume de Christophe Domino.

WALTER SWENNEN, LA PUISSANCE DU WITZ

Hors les trames obligées dans lesquelles la peinture trouve sa place, au sein du langage des critiques comme du discours des musées, l’œuvre de Walter Swennen apparaît justement avec cette qualité marginale dans l’exposition que lui consacre le Wiels à Bruxelles, sous la direction de Dirk Snauwaert. Swennen, avec son itinéraire irrégulier engagé dès ses vingt ans –artiste pour artistes, figure plutôt discrète de la scène belge, mais référence centrale pour ceux qui le connaissent – ne s’était pas donné jusque-là l’occasion de cette importance de partager son œuvre où la peinture tient une aussi grande place. C’est aussi son attitude, faite de distance vis-à-vis du rôle de l’artiste, loin de l’esprit de carrière, dans un retrait caustique et d’une indépendance entière, qui fait de lui une figure attachante.
Sous le titre « So far, so good » (soit en français, jusqu’ici tout va bien), l’exposition propose un parcours au travers d’environ 130 œuvres, très dispersées jusque-là dans un grand nombre de collections privées et publiques, et principalement constituées de tableau peints entre le début des années 80 et aujourd’hui, auxquels sont associés des dessins, des notes, et encore trois objets sculptures. La monographie publiée pour l’occasion met en perspective le parcours de Swennen, son attrait dès les années 1965 pour la poésie de la Beat Generation, l’héritage Dada, mais aussi la veine du happening. La Belgique constitue alors une scène active. En parallèle à ses études de psychologie, Swennen écrit, publie, participe à la vie de groupe, mais bientôt diplômé, il enseigne en particulier la psychanalyse et prend de la distance avec ses premières pratiques.

Un appétit d’expérience.

En 1980 pourtant, il reprend ses activités artistiques, cette fois définitivement orientées vers la peinture. Ce tournant est présent dans le parcours, au travers des œuvres où semble s’opérer le passage de l’écriture à la figure. Mais le signe écrit va rester comme une constante : la lettre est une figure, et l’image peut être récit, idée. On pensera bien sûr à Marcel Broodthaers et son détour par la poésie. D’ailleurs les deux artistes se sont côtoyés respectueusement, partageant une scène, voire un certain esprit belge. Swennen privilégie la peinture et engage une pratique délibérément modeste dans sa forme (le tableau châssis de petite ou moyenne dimension), mais très attentive au processus même de la picturalité et aux conditions d’apparition de l’image dans la peinture. L’exposition rend compte de cet appétit d’expérience dans une peinture au demeurant volontiers ironique, tant dans ses thèmes que dans son traitement. Sous l’allure d’une pratique désinvolte, directe, économe, très libre, une « bad painting » sans héroïsme, Swennen montre un emballement permanent pour les expérimentations formelles (géométrie, grille, geste, recouvrement, coulure..) menées de manière indépendante, tout en étant conscient de ce qui se joue dans les pratiques dominantes de l’art et du marché. Au gré de la grosse trentaine d’années de production que traverse l’exposition, on retrouvera cette hâte apparente de la facture, une touche à la gaucherie méditée, la réduction à des systèmes graphiques rudimentaires, sur toile ou à l’occasion sur tout support qui passe par là, couvercle de cuisinière ou panneau de récupération. La peinture se donne de manière très directe, dans une intimité de la vision non policée, mais jamais tapageuse. Un aspect très direct qui emprunte aussi au dessin d’enfant, à l’économie graphique de la bande dessinée, à la vigueur du graffiti, à l’efficacité de l’imagerie commerciale, tout cela noué à la matérialité propre de la peinture. L’artiste construit ainsi un univers de préoccupations qui traverse sa peinture, mais ne s’y limite pas : le mot, le dessin, la poésie y ont leur place, et la question des langages, des langues, des discours et des formes de savoir forme un sous-texte permanent. Mais tout autant, à côté de références à l’histoire, à l’art, à la philosophie, cohabitent la vie ordinaire, les objets du quotidien, la culture enfantine, les signes de la rue, les clichés et de nombreux personnages, humains et animaux.

Un zapping spirituel

Voilà ce qu’on peut objectivement dire et décrire de l’œuvre. Et l’on n’aura rien dit alors, tant l’œuvre se définit surtout par un esprit subtil qui circule sans y faire de hiérarchie, entre Spinoza et Disney Studio, entre Bob et Bobette et Lacan, entre culture potache et lectures savantes, entre désinvolture et maestria, au profit d’une pensée qui fonctionne volontiers par « units », par mots d’esprit, passant du visuel au langagier et retour, aussi propre dans l’attention signifiante de l’image que du mot : une convergence que la peinture mieux que tout autre sait manifester, fragile mais décisive, comme une « émulsion », dit-il, en donnant au fil des tableaux la preuve sensible, délicieuse et crue. Aussi, à ceux que retiennent l’humour noir, la lucidité critique, l’euphémisme et la litote, le goût du jeu sérieux associé à la pensée buissonnière, mais aussi la densité synthétique dont la peinture peut être le vecteur incomparable, l’œuvre de Swennen promet un plaisir rare et une densité, voire une gravité paradoxale, car aussi faite de légèreté. « Ligotés au mât, nous peignons. Et on se fout de l’heure qu’il est », note-t-il en 1986. On l’aura compris, l’exposition du Wiels est à ne pas manquer, et Walter Swennen, un artiste indispensable.

Christophe Domino dans Le Journal des Arts n°402 – novembre 2013

Walter Swennen

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