Archives mensuelles : janvier 2013

Pol Pierart, de la photographie au films

Pol Pierart, photographie NB, tirage argentique sur papier baryté

De Pol Pierart, on connaît bien sûr la peinture, des acryliques sur toiles libres,  parfois aussi grandes qu’un calicot, ses travaux sur papier, ses photographies au format d’une carte postale, un médium qu’il décline dans la simplicité et l’immédiateté du noir et blanc. A ces pratiques, depuis le début des années 2000, Pol Pierart a ajouté celle du film. Il en existe aujourd’hui une trentaine. Paraphrasant Paul Nougé, dont on sait que l’œuvre est d’une importance capitale pour tout saboteur du langage, je serais tenté d’écrire qu’ainsi « L’Expérience continue »1, tant cette production filmique s’inscrit dans une pure continuité du travail, qu’il s’agisse d’envisager celui-ci sur le plan de sa finalité ou de considérer les moyens mis en œuvre. Ceux-ci sont, on le sait, des plus simples et économes.

Pol Pierart publie aujourd’hui un cinquième recueil de photographies2. Le livre est au format des œuvres ; dans son argumentaire, comme pour les quatre précédents ouvrages d’ailleurs, son éditeur qualifie ces photographies de calembourgeoises. Pol Pierart précise, il est vrai et non sans malice, qu’il n’a d’autre revendication au travers de ses créations que celle de tout un chacun : changer le monde ! « La prétention ridicule de ce dessein, ajoute-t-il, ne vous échappera pas, mais ce qui importe réellement, c’est d’aller constamment dans ce sens ». Pas question dès lors que je cale en bourgeois, le calembour est évidemment tentant.

J’ai lu, un jour, que les photos de Pol Pierart étaient « trompeuses et drôles, affichant leurs faux airs de natures mortes et leurs vraies bizarreries »3. Drôles, pas toujours, drôlement lucides, certainement. Le titre de ce cinquième opus est d’ailleurs révélateur : « Angoisse ça te regarde ? ». Très singulières, ces photographies le sont tout autant. Ce sont, la plupart du temps, de petites mises en scène, appariant des mots et des objets.  Des cartons, des écriteaux, parfois des inscriptions interagissent avec les objets posés dans le champ, voire, lorsque l’artiste quitte l’atelier, avec le paysage urbain ; ils donnent à lire de courtes phrases qui fonctionnent comme des énoncés aphoristiques, des petites sentences péremptoires ; ces courtes phrases résonnent comme des slogans, des lieux communs, des phrases de routine, des truismes proverbiaux ou des annonces publicitaires. Pol Pierart substitue une lettre, un phonème pour un autre, il remplace un  mot par un autre qui lui est proche, phonétiquement ou sémantiquement. Il bouscule les isotopies, il cherche une efficacité toute perlocutoire, il détourne et modifie le sens ; plus simplement, il considère le langage comme une pâte à modeler, en toute irrégularité.

Bon nombre de ces courtes affirmations sont en effet des calembours, ces jeux de mots fondés sur une similitude de sons recouvrant une différence de sens. Je repense aux aphorismes de Paul Nougé. « On sait ce que parler veut rire ». « A l’humour à la mort ». « Le jeu des mots et du hasard ». « Il faut penser à travers tout ».

Paul Nougé, en effet, n’est assurément pas loin. Je retrouve dans ses « Notes sur la poésie »4, publiées dans  « Les Lèvres Nues », ce passage sur le langage. Les œuvres de Pol Pierart m’en semblent, en effet, fort proches : « Le langage,  estime Nougé, et particulièrement le langage écrit (est) tenu pour un objet, un objet agissant sans doute, c’est à dire capable à tout instant de faire sens, mais un objet détaché de qui en use au point qu’il devient possible dans certaines conditions de le traiter comme un objet matériel, une matière à modifications, à expérience. D’où l’intérêt, tout particulier des jeux qui ont pour élément principal le langage : jeux de mots, devinettes, charades, papiers pliés ; l’intérêt des démarches qui tendent à situer le langage en tant qu’objet, à l’analyser : grammaire, syntaxe, sémantique ; l’intérêt de ses manifestations naïves les plus détachées que puisse admettre le commun des esprits : réclames, anecdotes, fables, apologues ; ou pour mieux dire, là où le commun  des esprits en use avec le plus de liberté, avec le seul souci, indépendamment de toute préoccupation d’expression ou de véracité, d’un effet à produire ». Oui, dans l’œuvre de Pol Pierart, le langage est un objet modifiable à la manière d’un objet matériel, un objet très concret, un carton, un écriteau, que Pol Pierart met d’ailleurs en relation avec d’autres objets matériels, un ours en peluche, un petit squelette, un crucifix, des espadrilles, une main, des clous, une mappemonde, un gant, une commode, un miroir, des objets courants et sans prestige, l’effet produit, créateur de sens, n’étant d’ailleurs pas sans conséquences.

Les mises en scènes sont simples et directes, percutantes. Tout appartient au quotidien du langage et de la vie. Très peu de choses suffisent à donner du sens, à évoquer une réflexion. Je retrouve là, encore une fois, l’esprit du poète surréaliste qui conseille en effet de « prendre les éléments de la création aussi près que possible de l’objet à créer, jusqu’à tendre à cette situation idéale où la chose souhaitée naîtrait, par l’introduction  d’une seule virgule, d’une page d‘écriture ; d’un tableau de complexe peinture, par le jeu d’un seul trait d’encre noire »5.  Escamoter une lettre dans un mot suffit parfois à changer le sens. Ou même une partie de lettre. « Je me sens bien », écrit en majuscules, se transforme en « je me sens rien » dès le moment où Pol Pierart pose simplement le doigt sur la base du tracé de la lettre B. Un doigt, qu’il se permet d’ailleurs d’écrire « je doigt » dès que celui-ci se fait injonctif.  Lorsqu’un petit tank, un jouet, écrase un petit squelette, l’expression « en chair et en os » devient « en char et en os ». Un inquiétant gant de cuir noir posé comme un rapace sur une mappemonde évoque « la loi du plus fort / la loi du plus mort ». Certaines de ces images fonctionnent comme de véritables Vanités, d’autres évoquent la difficulté d’être, l’inconvénient d’être né, l’inéluctabilité de la mort. « Un pied devant l’autre, les deux pieds devant ».  Un ours en peluche et un squelette brandissent deux pancartes : « le passé c’est mort », constate l’un, « L’avenir c’est la mort » annonce l’autre. « Bienvenue en enfer » ; ce dernier carton dissimule mal au regard une poussette d’enfant. Décidément, nous sommes « Primé / périmé », c’est écrit dans les lignes de la main.

Pol Pierart pointe toutes nos angoisses existentielles, il épingle nos contradictions. « Exceptez-moi comme je suis ».  Ses satires portent sur l’hypocrisie ou l’égarement religieux : « A quoi bon des béquilles, si c’est pour se casser la gueule de toute façon », « Prions – prisons » ; il souligne les cruautés planétaires également, les injustices sociales, – « Home street home » -,  ou la simple difficulté d’être ensemble : « haine – humaine » ; « tout seul, on est rien, ensemble on est trop ». Ainsi passe-il du registre le plus trivial, – « Même la pluie tombe de travers » -, au registre le plus grave : « tout baigne – dans le sang ».

«  Si le propre du calembour est d’être employé à des fins purement ludiques, les jeux de mots de Nougé témoignent eux d’intentions graves, écrit Geneviève Michel6. En effet, le lien qui s’établit entre l’émetteur et le destinataire du jeu de mots nougéen est censé être celui de l’éveilleur à l’éveillé : la légère distorsion éveille l’attention, la curiosité, l’intérêt du lecteur ; et le décalage de sens est sensé conduire le lecteur attentif, réceptif, à une réflexion, à une remise en question, à un enrichissement de l’esprit ». Sans aucun doute est-ce là l’esprit qui anime également Pol Pierart, pour qui la création n’est jamais une fin en soi, mais bien une « adresse » au spectateur. Le format carte postale des tirages barytés s’inscrit dans cette optique. Leur encadrement de bois noir, serré sur l’image également : il s’agit de « faire part », dans toutes les acceptions du terme.

Pol Pierart s’est toujours revendiqué des phylactères de son enfance. Les grandes grèves de la sidérurgie liégeoise l’ont également marqué : revendications, calicots, panneaux et écriteaux ont influé son imaginaire. Il y a une similitude entre le slogan, qu’il soit publicitaire, social ou politique, et l’énoncé poétique, en ce sens qu’ils utilisent les mêmes ressources de la langue, bien que leur fin pragmatiques soient différentes. Paul Nougé, encore lui, l’avait bien compris ; l’expérience de la « publicité transfigurée » est à ce sujet exemplaire. En 1927, Nougé promène dans les rues de Bruxelles un placard géant sur lequel il est écrit : « Ce boulevard encombré de morts. Regardez vous y êtes »7. Valeur d’usage et valeur d’échange se parasitent,  tout comme sphère privée, celle de la littérature, et sphère publique, lieu d’une tentative de socialisation de l’art. L’apostrophe se veut directe ; l’indifférence que suscita cette performance atteste que l’efficacité de l’art est plus facile à concevoir qu’à démontrer en pratique.

A cette pratique photographique, Pol Pierart a donc ajouté celle du film. Le médium est évidemment tentant. Il a ses qualités ontologiques, celle d’être, par rapport à la photographie, une succession de photogrammes. Dans le cas du travail de Pol Pierart, c’est évidemment capital. Pierart choisira le super 8, non par nostalgie, mais bien pour l’aspect familier, voire même familial du médium, son caractère courant et sans prestige, ce grain de l’image très particulier. Les photographies sont toutes d’un même format, les films le seront aussi. Pierart choisit, la plupart du temps, des bobines de trois minutes. En amont, ces films sont écrit d’une façon très précises ; la post production est  quasi inexistante. Elle se résume le plus souvent à l’adjonction d’une bande sonore, généralement décalée, aussi légère que le sujet sera grave. Souvent, le bruit mécanique du projecteur suffit à souligner le défilement des images. A ses films, Paul Pierart donne parfois un titre ; plus généralement, ils sont seulement numérotés. Le générique est dès lors minimal, d’autant que le scénariste, le réalisateur et l’acteur ne sont qu’une et même personne. Une seule complice prête son concours pour des scénarii en duo, aussi drôles et désopilants que graves. Pol Pierart renoue avec le cinéma muet ; ses écriteaux insérés dans l’image, comme dans ses photographies, feront office de cartons.

J’ai découvert les films de Pol Pierart lors de l’exposition ABC Art belge contemporain au Fresnoy à Tourcoing. On y projetait « Autoportrait ave ma ville » (2005). Il s’agit, du lever, (« je ne suis pas encore mort »), au coucher (« je ne suis pas encore mort »), d’une journée du cinéaste, déambulant dans Liège au gré des paysages urbains, des enseignes et inscriptions en tout genre qu’il repère et associe : Pol Pierart phrase ainsi l’espace urbain : « dans une ambiance de joie », « liquidation », « Bourgeois », « crise », « monstres », « donner sa vie », « tu dois collaborer » se succèdent au fil des plans. Pierart filme le bus qui descend de la banlieue, la ville, ses places, ses ruelles, ses friches urbaines. Deux cartons concluent la séquence: « il y a beaucoup de misère dans le monde », « et pourtant on ne peut être partout à la fois ».  On repensera bien évidemment au détournement tel qu’envisagé par les Situationnistes, détournement profondément dialectique, tout comme à la « théorie de la dérive » telle que l’énonce Guy Debord : celle-ci se définit comme « une technique de passage hâtif à travers des ambiances variées. Le concept de dérive est indissociablement lié à la reconnaissance d’effets de nature psychogéographique et à l’affirmation d’un comportement ludique – constructif, ce qui l’oppose en tous points aux notions classiques de voyage et de promenade ». Cette dimension situationniste plane sur toute l’œuvre de Pol Pierart, comme une attitude inscrite au cœur même du travail.

Trois films sont aujourd’hui à découvrir. Le premier cite et renoue avec l’esthétique des débuts du cinéma, de Feuillade en particulier. Son synopsis est simple : L’auteur, réalisateur et interprète se filme, marchant de dos dans un jardin. Un carton commente : « On part à la conquête de l’univers et on ne se connaît pas de dos ». Tandis qu’il a ainsi le dos tourné, une singulière Musidora, en bonnet et collants noirs s’introduit chez lui, fouille, dérobe un petit squelette en plastique qu’elle cache dans son giron, et est finalement surprise par le propriétaire des lieux. Querelle, l’homme lui arrache ce qu’elle considère déjà comme son bien ; l’œil mauvais, il secoue le petit squelette comme un prunier. « La mort est tellement dynamique, qu’elle doit bien avoir quelque chose de vivant ». Cependant, Musidora secoue, elle, un ours en peluche. Naître, donner la vie, vivre, mourir, autant de désespérances.

Le deuxième, cette fois en couleurs, est un diptyque, composé de deux bobines. La première est consacrée au malheur, la seconde au bonheur. Ce sont de muets instantanés, un film cousu de petites choses décousues. Défilent ainsi les images d’un couple assis sur un banc de jardin entouré de potirons et autres cucurbitacées, d’un pèse lettre posé devant un rideau flottant au gré du vent (il est vrai que Pol Pierart pèse chaque mot, chaque lettre), d’une promenade dans un chemin creux, près d’un ancien fort, d’une chute, celle littérale du caméraman. Un singulier cagoulard, présente à la caméra une série de cartons successifs. « J’ai deux nouvelles, une bonne et une mauvaise », lit-on. « Je commence par la bonne ». « Vous allez mourir ». « La mauvaise maintenant ». « Pas tout de suite ». Deux pieds masculins cachent le centre d’une inscription tracée sur le plancher, tandis que passent deux jambes féminines gainées de nylon. Le « désir » se lit sur le plancher. Les talons de la femme sortent du champ ; les espadrilles de l’homme disparaissent du côté opposé et dévoilent le mot « désunir ». Au mur, c’est « Etre et s’empêtre » qui se conjuguent. Mais, passons au bonheur : un travelling sur des haies tracées aux cordeaux sur des pavillons qui abritent autant de bonheurs conformes offre une belle transition ; les gazons sont entretenus, les pavés rigoureusement appareillés. « Ce sont des images comme on aimerait en voir tous les jours », lit-on sur un carton accroché aux buissons. Comme, peut-être, celles de ce vent d’été glissant dans un rideau de porte, celles de ces passants promeneurs entraperçus par la fenêtre, celle de cet homme qui repeint sa clôture. C’est « le bonheur pour tout le monde », insiste le scénariste. Une allée de verdure s’étire entre deux haies. « Ce qui nous manque, ce n’est pas de jouir. Mais de bander », lit-on sur deux cartons successifs. Quant aux nains de jardins, aux boîtes aux lettres les plus kitsch que piste enfin la caméra ; ce sont des « emerdveillements ». Plan final sur le même couple assis sur le même banc de jardin. Ils ont l’air préoccupés. Non, ils ont l’air de royalement s’emmerder. Finalement, je préfère les images du « malheur ».

Le troisième débute par un travelling sur un long carton manuscrit : on y lit « tête haute, profil bas ». Le ton  est grave tandis que surgissent dans le prolongement du carton, l’image de deux tours jumelles. L’auteur réalisateur et toujours interprète a d’autres préoccupations. Dans l’atelier (A te lier), il déplace de gauche à droite et de droite à gauche de grands cartons dont l’encombrement est inversement proportionnel à l’étroitesse de la pièce. Leurs textes témoignent de nos ronchonnades journalières, cœur des lamentations quotidiennes : « c’est pas une vie », « trop c’est trop », « ras le bol de tout »,  « il pleut encore » (en fait, il neige), « vie de chien ». Chaque plan est entrecoupé de très courtes séquences de promenade en extérieur. Par la fenêtre, on voit défiler quelques voitures : elles évoquent les « heures de pointe ». Non, les « heurts de pointe ». Dernière sortie en extérieur, où l’on découvre un panneau d’interdiction frappé d’une tête de mort et du mot « Halte » que Pol Pierart a détourné en toute « Hâte » ou « hate », pour les anglophones. « Demain sera pire », carton final. Depuis l’image des tours jumelles, le fond sonore est léger et jazzy.

Assurément, à la vision de ces trois œuvrettes, comme les qualifie modestement Pol Pierart, « histoire de ne pas rire, l’expérience continue ».

Pol Pierart, film n°12


1 Marcel Mariën est à l’origine des deux volumes de Nougé publiés en 1956 et 1967 (aux éditions Les lèvres nues, repris en 1980 et 1981 à l’Age d’Homme, coll. Cistre Lettres différentes) et intitulés respectivement Histoire de ne pas rire et L’expérience continue.

2 Pol Pierart, Angoisse ça te regarde ? Editions Yellow Now, 2013.

3 Philippe Dagen, « Pol Pierart, acrobate des doutes », dans Le Monde, 8 décembre 2002.

4 Paul Nougé, Notes sur la poésie, dans Les Lèvres Nues, n°3, octobre 1954.

5 Paul Nougé, Pour s’approcher de René Magritte, repris dans Histoire de ne pas rire, Les lèvres nues, Bruxelles, 1956

6 Geneviève Michel, Paul Nougé, la réécriture comme éthique de l’écriture, Université de Barcelone, 2006

7 Michel Biron, Le refus de l’œuvre chez Paul Nougé, dans Textstyles, n°8. Novembre 1991. Surréalismes de Belgique.

Pol Pierart, film n° 22

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Sophie Langohr, New Faces, les images

Sophie Langohr, New Faces

Sophie Langohr, New Faces

Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège,
Nouveau visage à partir de Marion Cotillard pour Dior, de la série New Faces 2011-2012,
Photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm

Sophie Langohr, New Faces
Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège,
Nouveau visage à partir de X pour Clinique, de la série New Faces 2011-2012,
Photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm

Sophie Langohr, New Faces

Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège,
Nouveau visage à partir de Anouck Lepere pour Shideido, de la série New Faces 2011-2012,
Photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm

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Sophie Langohr, New Faces

Vierge polychrome conservée au Grand Curtius de Liège, nouveau visage à partir de Marion Cotillard pour Dior, de la série New Faces 2011-2012, photographies couleurs marouflée sur aluminium, (2) x 50 x 40 cm

Saint Sulpice, sain supplice

La ressemblance est sidérante : ces Vierges polychromes sont passées sous un bistouri digital des plus précis. A ma gauche, une quinzaine de figures de statues de Vierge : closes up sur autant de visages doux et surranés. A ma droite, les mêmes, aux incarnats bien plus charnels, lèvres peintes, maquillages sophistiqués sous des éclairages contrôlés. Ce sont là des portraits en miroir, au mimétisme troublant, comme si la réalité se devait d’être à l’image de l’art. La réalité, oui, car ces portraits de femmes ne nous sont pas inconnus. Un regard aiguisé reconnaîtra Anouck Lepere ou Marion Cotillard, Emily di Donato ou Sacha Pivovarova, ces actrices et mannequins dont les visages de papier glacé occupent le devant de la scène médiatique.

Cette série de diptyques, ce sont les « New Faces » de Sophie Langohr. Depuis quelques années son travail éprouve et interprète les codes iconographiques ; il interroge, souvent en relation avec l’histoire de l’art, nos systèmes de représentation. Je pense à ce corpus décoratif des « Fleurs, oiseaux et fantaisies », que Sophie Langohr a librement empruntés à Jean Pillement, peintre de décoration qui œuvra notamment au Petit Trianon, corpus qu’elle a réévalué à la surface d’une pilosité masculine. Je pense également à cette réinvention anticomane de camées antiques et néo-classiques, impitoyable regard de l’infographe et de la photographe sur les signes de vieillissement et les imperfections physiques des hommes et des femmes représentés. Ses « Art Make-Up », plus récents, amènent une réflexion sur le culte du corps passé au prisme de l’art, images de modèles anonymes adoptant les codes de la mode, mais maquillés selon des procédés  propres aux Beaux Arts.

Cette fois, ce ne sont pas des modèles anonymes, mais bien les Egéries d’une série de grandes marques de parfums, de cosmétiques ou de maroquinerie, nouveaux visages publicitaires qu’elle confronte aux physionomies de l’un des visages sans doute les plus médiatiques de toute l’histoire de l’art, celui de la Vierge Marie, l’Immaculée.

Sophie Langohr a sélectionné une série de statues mariales conservées au Grand Curtius à Liège. Toutes sont en plâtre, toutes datent de la fin du dix-neuvième ou du début du vingtième, toute s’inscrivent dans une lignée saint sulpicienne. Elle a confronté ces visages de plâtre aux images de ces égéries, glanées sur internet. Avec un art consommé de la retouche, la même que celle pratiquée dans le monde de la photographie de mode d’ailleurs, elle a accentué les ressemblances jusqu’à confondre les visages, ces mannequins et actrices dès lors transfigurés en Vierges, laissant d’ailleurs ça et là, telle une restauratrice précautionneuse, quelques indices quant à ses multiples interventions. La transfiguration, le miracle, tiennent ici, signe de temps, à un logiciel de traitement de l’image.

Ces diptyques font sens bien plus loin qu’on ne pourrait à première vue l’imaginer et à des niveaux divers. « A lui seul, constate Mona Chollet évoquant ces « beautés fatales »1, le terme « égérie » qui s’est imposé depuis quelques années, est symptomatique du glissement qui s’est opéré : une actrice n’est plus l’inspiratrice d’un artiste – ce qui, cantonnant les femmes au rôle muet de muses, en les réduisant à leur photogénie et à leur sensualité, pouvait déjà être agaçant -, mais celle  d’une marque ou d’un produit, dont la démarche se trouve ainsi anoblie, auréolée de toute la gloire et tout le mystère de la création. Et la publicité n’est plus un fléau que l’on subit et que l’on fuit, mais au contraire une production culturelle à part entière, que l’on est censé rechercher et attendre ». Oui, le complexe mode – beauté a des prétentions culturelles ; la publicité pour le luxe et la beauté se doit d’être « arty ». Les clips publicitaires pour un parfum, un cosmétique, un produit de maroquinerie de luxe doivent avoir un contenu éditorial de marque, un « brand content », ils marient la publicité (advertising) et le divertissement (entertainment), ce que les communicateurs contracteront aujourd’hui en « advertaiment ». On confiera ces clips à des créateurs, et non des moindres, plutôt qu’à des créatifs. Lorsque Marion Cotillard tourne pour Dior, c’est à Olivier Dahan, pour lequel elle fut La Môme Piaf, à David Lynch, John Cameron Mitchell, Eliott Bliss ou Jonas Akerlund que Dior fait appel pour autant de films qui ont le statut de courts métrages à part entière et, en même temps, celui de super production en série.

En transformant ces égéries en Vierges, Sophie Langohr pousse cette logique au plus loin : qui donc mieux que la Vierge Marie peut incarner gloire et mystère de la création, transcendance et ascension (ou plutôt assomption) ? Celle-ci est asssurément indémodable, incarnant référence, code, norme, affect,  figure tutélaire, histoire, rituel et culte, toutes notions que les communicateurs actuels de la mode vivent, aujourd’hui, comme des obsessions. Voici donc Kate Moss pour Rimmel, Barbara Palvin pour Chanel, Raquel Zimmerman pour Shiseido, Adriana Lima pour Maybelline, ces icônes de la mode, nouveaux visages de l’Icône majuscule ; la Vierge Marie, mère de Dieu, l’est en effet, par excellence.

Objet culte d’une part, objets de culte de l’autre, Sophie Langohr n’a pas choisi n’importe quelles statues mariales. Ces sculptures sont toutes récentes, assignées à la fin du dix neuvième siècle, au début du vingtième. Elles sont toutes de tradition saint sulpicienne. L’expression est trompeuse, discréditante même, parce qu’elle confond art de reproduction et de grande diffusion et recherche d’un art sacré authentique. Au sens propre, l’art de Saint-Sulpice désigne les objets que l’on vend dans les boutiques spécialisées qui avoisinent l’église du même nom à Paris, en quelque sorte une contrefaçon de la création, un art industriel et économique, de médiocre qualité, où la mièvrerie et l’affadissement du style rassurent et portent en quelque sorte le cachet d’un art officiel, orthodoxe et sans excès. Nous serions tenté de faire un bond dans le temps, évoquant l’illusion publicitaire actuelle, ses conséquences : « Pendant ce temps, sans qu’on y prenne garde, notre vision de la féminité se réduit de plus en plus à une poignée de clichés mièvres et conformistes, constate Mona Chollet. La dureté de l’époque aidant, la tentation est grande de se replier sur ses vocations traditionnelles : se faire belle et materner ». « Les vedettes qui émergent, écrit-elle encore, sont dorénavant toutes calibrées sur le même modèle : extrême minceur – ou rondeurs tolérables -, teint diaphane, garde robe  sophistiquée… Une fois réussie leur  transformation en portemanteaux lisses, fades et interchangeables, elles pourront espérer susciter l’intérêt d’une ou de plusieurs marques de cosmétiques ou de vêtements. Le jeu en vaut la chandelle : si elles y parviennent, ce sera le jackpot, à la fois sur le plan financier et sur celui de l’exposition médiatique ».

Entre 1850 et 1920, suivant la leçon des Nazaréens allemands, des Préraphaélites anglais, au travers de l’enseignement d’Ingres, surgit un premier art sulpicien, parfaitement international. Il assumera, dès lors, successivement et trop facilement toutes les tendances artistiques et religieuses du siècle : goût des primitifs, mais aussi volonté de réalisme géographique et ethnique. La période est industrielle et matérialiste ; le catholicisme, alors même qu’il doit constamment céder de ses positions officielles, connaît un renouveau. Et la religion se veut populaire. Elle magnifie Joseph, La Madeleine et les saints contemporains. Le rôle donné à la piété mariale, suite aux apparitions de Lourdes et de la Salette, à l’établissement du dogme de l’Immaculée Conception, édicté en 1854 par le pape Pie IX dans la bulle « Ineffabilis », est exemplaire. Toutes les dévotions, comme celle de l’ange gardien, tous ces traits de la religiosité ont évidemment marqué l’iconographie sulpicienne. En fait, il s’agit en quelque sorte d’hédoniser la religion, de la rendre plaisante, le paradis à portée de main. Les parallèles que l’on peut établir avec la logique consumériste dont les Nouveaux Visages de Sophie Langhor sont les véritables égéries, bien plus que des produits dont elles sont les ambassadrices, sont dès lors saisissants. D’une dévotion à l’autre, il n’y a qu’un pas. Hors normes dictées par l’hédonisme promu par l’industrie de la mode et de la beauté, point de salut.

« Au delà des belles images, écrit encore Mona Chollet, l’omniprésence de modèles inatteignables enferme nombre de femmes dans la haine d’elles-mêmes, dans des spirales ruineuses et destructrices où elles laissent une quantité d’énergie exorbitante. L’obsession de la minceur trahit une condamnation persistante du féminin, un sentiment de culpabilité obscur et ravageur. La crainte d’être laissée pour compte fait naître le projet de refaçonner par la chirurgie un corps perçu comme une matière inerte, désenchanté, malléable à merci, un objet extérieur avec lequel le soi ne s’identifie en aucune manière ». Le coup de bistouri digital de Sophie Langohr évoque bien évidemment cette imposition d’une image féminine stéréoptypée, comme si l’on passait de Saint Sulpice au sain supplice, cette banalisation de la chirurgie esthétique, cet entretien par le matraquage de normes inatteignables. Sublimation, culpabilité et mortification, le travail de Sophie Langohr évoque, au delà des prétentions « arty » de l’industrie de la beauté, un questionnement idéologique fondamental, celui de l’image de la femme dans notre société, soumise à l’obsession des apparences. Face à ces Vierges à l’œil blanc et l’air pâmé, face à ces égéries sophistiquées, le propos est subtilement incisif, c’est le cas de le dire.

L’actuelle exposition dévoile, comme en preview, certains de ces diptyques. L’ensemble sera montré, dès le printemps prochain, au Grand Curtius.


1 Mona Chollet, Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Edition La Découverte, 2012.

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Capitaine Lonchamps, Nyctalope

Monsieur Pierre Navarre dans le rôle de Fantômas Générique de «Fantômas, à l’ombre de la guillotine» 1913. Louis Feuillade Capitaine Lonchamps Neige, 2011 technique mixte sur photographie ancienne, 18 x 24 cm

Apollinaire et Max Jacob, Blaise Cendras ou Jean Cocteau, Louis Aragon et André Breton, Julien Gracq, René Magritte, André Delvaux, Robert Desnos, auteur d’une célèbre «Complainte » dédiée à ce « spectre aux yeux gris », tous, d’une manière ou d’une autre, ont rendu hommage à Fantômas, ce voyou exemplaire. Voici dès lors le Capitaine Lonchamps en bien belle compagnie, lui qui vient, en effet, d’enneiger Fantômas. Le geste tombe à point nommé puisque on célèbre en 2013 le centenaire des « Fantômas » réalisés par Louis Feuillade, génie du cinéma muet. C’est là comme un flocon sur le gâteau ; les hasards du calendrier font parfois bien les choses.

Nul n’ignore, parmi les amateurs de l’œuvre pataphysique du Capitaine Lonchamps, la proximité qui existe bel et bien entre le personnage de Fantômas et Snowman, ce «vampire feuilladien tacheté qui s’immisce et s’impose partout » (1), écrit Dominique Païni. Et cette parentèle transcende les lointains cousinages. Le rapprochement, aujourd’hui, n’aura jamais été aussi grand, le second s’introduisant dans l’entourage du premier, comme une ombre fantomatique tachetée de neige qui, sans pour autant tomber le sien, serait bien tenté de s’approprier le masque du premier. Quoi de plus normal d’ailleurs : ces deux personnages excellent dans l’art de disposer du visible, de le façonner, de le manipuler au travers d’identité multiples. Spécialistes de l’apparition fantomatique et de l’escamotage, ils sont aussi compagnons de la nuit, nyctalopes, comme le héros du même nom, contemporain de Fantômas, créé par Jean de la Hire, alias d’Adolphe d’Espie, et dont les aventures feuilletonesques parurent dans « La Dépêche » dès 1911. Faut-il rappeler que Nyctalope, lui aussi habitué aux métamorphoses, tient sa véritable identité secrète ?

Dès le générique du premier film de Feuillade, « Fantômas à l’ombre de la guillotine » (1913), apparaît le visage à nu de René Navarre, tel qu’on n’aura que rarement l’occasion de le voir dans la fiction. En surimpression se fondent, une à une, différentes physionomies de Fantômas, le docteur Chalek, le détective américain Ted Bob, Gurn le vieux magistrat, ou ce groom d’hôtel dont Lonchamps enneige le photogramme, mouchetant de flocons la casquette et la veste d’uniforme à brandebourgs du personnage. Fantômas est ainsi coiffé de neige, et fort subtilement détourné. Ce photogramme est le premier d’une singulière série : Snowman s’introduit dans un bon nombre de films désormais cultes de Louis Feuillade. Ainsi, dans « Juve contre Fantômas » (1913), il campe « l’élégant docteur Chalek, lui-même transformé en voyou inquiétant » (2), comme il sera Fandor surgissant de sa malle en osier alors que le commissaire Juve est aux prises avec le serpent, cet « exécuteur muet » aux ordres de Fantômas. Il s’introduit chez la sœur du peintre – céramiste Jacques Dollon, talonné par Fantômas lui-même, pressé de récupérer une lettre dénonçant la machiavélique machination fantômassienne du « mort qui tue » (1913) tout en s’apprêtant, au passage, à supprimer la détentrice du document. Snowman tient là le rôle d’un Apache. Il participe à la fusillade du quai de Bercy, scène culte de « Juve contre Fantômas », amplifiant la confusion régnante : « Juve, je vous avais pris pour Snowman ! ». « Moi aussi Fandor, je t’ai pris pour Fantômas ! »(3). Dans « Le mort qui tue », il est aussi l’un des protagoniste du « rendez-vous », photogramme dont René Magritte s’inspirera pour « L’assassin menacé » (1927).

On s’en souvient, dans la première livraison de « Distances » (1928), revue fondée par Paul Nougé, René Magritte écrira : « Tout le monde lui ressemble, mais ses yeux sont attentifs à la ville comme à la campagne. Il est le maître des souvenirs, il précise les apparences. Son rêve est infaillible » (4). Cet « homme au visage sans chemin » a aussi une identité : il est à la fois Nick Carter et Fantômas, le détective et le maître du crime confondus dans un même personnage. (5)

Snowman ne se contente pas des « Fantômas » de Feuillade, le voici dans l’un ou l’autre épisodes des « Vampires ». Au théâtre, dans « La bague qui tue » (1915) il est à la fois Guérande dans sa loge et Marfa Koutiloff sur scène, la danseuse qui endosse le rôle de la Vampire, comme un envol, un geste d’encre que Lonchamps ponctue de neige. A l’occasion du neuvième épisode, « L’homme aux poisons » (1916), il assume le rôle d’Eustache Mazamette, surprenant Musidora, celle-là même qui inspira Breton et Aragon, Musidora – Irma Vep, pour une fois masquée de blanc. Snowman est sur le tournage de Judex, se prenant, entre autres rôles, pour Jacques de Trémeuse serrant Jacqueline dans ses bras. Il s’impose dans « Barrabas » (1920), il y devient assassin, étrangleur. Il se mêle aux acteurs de « Tih-Minh » (1919). Il s’assied en compagnie de «L’homme sans visage » et converse avec lui (1919). Lorsque Snowman n’apparaît pas, Lonchamps prend le relais et enneige le décor : les réverbères que croisent Elisabeth Dollon à la sortie de la pension de famille Bourrat, un rideau dans « Barrabas », grêlé de flocons contrastant l’inquiétant tatouage « b.r.a.s » que « L’infirmière au tatouage » exhibe à la caméra, un rocher au pied du château de Barrabas, ou cette trappe d’une inquiétante étrangeté dans laquelle s’introduit la ténébreuse Musidora en baigneuse.

En une vingtaine de photogrammes, images de presse et promotionnelles, de celles que l’on épinglait à l’entrée des salles de cinéma, c’est tout le cinéma de Louis Feuillade que Capitaine Lonchamps enneige.

L’œuvre de Louis Feuillade est « un agencement affirmé d’épisodes courts et répétitifs indissociables d’un interminable emportement fictionnel » (6), écrit Dominique Païni. Je retrouve, là, le surgissement de toute l’œuvre neigiste du Capitaine Lonchamps, ces épisodes courts et répétitifs, en effet, où apparaissent, dans un emportement sans fin, des « Neiges » à l’agencement affirmé. Et Dominique Païni ajoute, à propos des Fantômas de Feuillade qu’ « ils reflètent ce qui fonde ontologiquement le cinéma : la discontinuité des photogrammes et la continuité du mouvement ». Dans le cas de Lonchamps, le mouvement existe bel et bien, mais il est suspendu : la neige ne tombe pas, épousant l’ascension du vide vers la périphérie. De « Neige » en « Neige », celle-ci est un mouvement saisi sans fin, dont on ne peut imaginer la chute, un mouvement saisissant.

Oui, entre Fantômas et Lonchamps, il y a des parallèles sidérants. « Dans la prison en spirale du feuilleton et de l’éternel retour, constatent Philippe Azoury et Jean-Marc Lalanne, Fantômas aura rencontré une forme de liberté extraordinaire, celles des gestes sans conséquences, esthétiquement libres, scandaleusement libérateurs » (7). On le sait, Lonchamps considère ses « Neiges » à la fois comme un cocon sans limite et une prison fragile, comme un éternel retour où se confondent passé, présent et futur, comme un geste libérateur, celui de peindre un rien sans relâche aucune, renouant ainsi avec la révolte supérieure de l’esprit. C’est tout aussi scandaleusement libérateur.

Cette allure feuilletonnesque prend un sens plus aigu dès l’apparition de Snowman dans l’œuvre du Capitaine Lonchamps. Aux premières intrusions dans des photographies de famille chinées ça et là, substitutions insolites et incongrues, apparitions de ce personnage, imperturbable comme peut l’être un pataphysicien, ont succédé de véritables séries, tirées d’illustrés et de périodiques tels Le Bon Point (amusant et instructif), Science & Voyage, Le supplément illustré du Petit Journal, Le supplément littéraire du petit Parisien ou même de nombreux photogrammes de cinéma. Depuis, les épisodes se succèdent rapidement, la production se densifie, les situations où Snowman interagit se multiplient ; c’est l’éternel retour d’un même qui ne l’est jamais totalement, un fantôme aux « identités compulsives » pour reprendre le terme de Max Ernst.

« Dans le feuilleton cinématographique, Louis Feuillade tisse constamment l’émouvant et le comique, constate Gilbert Lascault (8), le drame et le bouffon, le terrible et le drôle, l’aventure et le cocasse ». Oui, il en va de même de Lonchamps, enneigeant tout un monde, planche de périodique après planche de périodique. Bon nombre de celle-ci, on l’a dit, proviennent du « Petit Journal » ou du « Parisien », de leurs suppléments illustrés. C’est là aussi, comme dans l’ « Intransigeant » ou le « Petit Paris » que Louis Feuillade a trouvé son inspiration imaginant les scénarii des « Vampires ». Personnellement, je ne crois pas aux coïncidences. « Dans les journaux populaires, écrit encore Lascault, les faits divers deviennent des scènes supposées réelles et fantasmées, des actes transformés, et rêvés, des obsessions, des séquences tragiques et sensuelles… Ce sont des cas qui excitent l’imagination et modifient le regard, des anecdotes qui divertissent et troublent… Le « divers » des faits est le disparate, le composite des mœurs de l’époque ». A coups de récits et d’illustrations spectaculaires cette presse diffuse, comme l’écrit Balzac dans la Comédie Humaine, « des romans autrement mieux faits que ceux de Walter Scott, qui se dénouent terriblement, avec du vrai sang et non avec de l’encre ». De tous ces faits divers qu’il s’approprie lui aussi, Lonchamps ne fera pas que des faits d’hivers.

On dira Snowman ou Lonchamps – c’est selon – proches de Fantômas, je les trouve tout aussi familiers des « Vampires », peut-être même plus. « Les Vampires, écrit encore Lascault, sont le nombre et l’innombrable. Ils sont légion. Se déguisent en notables, en hobereaux, en notaires, en religieux dévoués, en policiers, en magistrats… ». En fait, ils incarnent la violence de la modernité, ou peut-être la violence moderne. « Ils envahissent l’inconscient collectif, poursuit Lascault. Ils possèdent l’âme de l’époque, ils l’ébranlent, l’émeuvent, la surexcitent, l’agitent. Ils fascinent et menacent. Ils provoquent et séduisent. Ils égarent, ils envoûtent. Ils troublent. Ils fouillent et taraudent l’âme, ils la percent et la creusent ». Ce sont autant de sentiments qui habiteront le spectateur des « Neiges » obsessionnelles, monomaniaques, de Lonchamps. Toujours à propos des « Vampires », Gilbert Lascault a cette juste formule lapidaire : « Ce sont les frères et sœurs de l’Effroi » déclare-t-il. Ô combien s’applique-t-elle aussi à Lonchamps. Au delà du saugrenu, de l’incongru, de l’insolite, de la pensée qui se surajoute à l’image mouchetée de neige, de la poétique qui en découle, Capitaine Lonchamps, nyctalope, investit le champ de la nuit, des peurs et de l’inquiétude, de l’effroi et de la stupéfaction, ce masque qui transfigure la physionomie marquée par la surprise, l’ébahissement ou l’effarement.

Et 1915, les studios Gaumont éditent une affiche en tout point remarquable, destinée à promouvoir les « Vampires ». On y voit le visage cagoulé d’Irma Vep – Musidora. Elle porte un étrange collier, en forme de point d’interrogation. Cependant cette étrange boucle de l’étrangle pas ; c’est plutôt le spectateur qui est menacé. Le point d’interrogation ponctue quatre questions : Qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Découvrant cette affiche à la redoutable efficacité, je repense à la performance de Lonchamps filmée en 1996 sur les routes ardennaises. Cagoulé de neige, embardant sa voiture sur de petites routes, Snowman désarticule le langage, répétant sans cesse et dans une fusion tonale des mots ces trois interrogations : « Et où ? Pourquoi ? Comment ? Où ? » Le film est absurde et inquiétant. Je repense dès lors aux performances du Cabaret Voltaire, à ces quelques phrases d’Hugo Ball qui écrit dans « La Fuite hors du temps » : « Nous étions tous sur place quand Janco arriva avec ses masques et aussitôt chacun de nous s’est empressé d’en choisir un. Il s’est alors passé quelque chose d’étrange. Non seulement le masque appelait immédiatement un costume mais il dictait aussi une certaine façon de se mouvoir, prescrivant une gestuelle pathétique très particulière, frôlant même la folie. Sans avoir pu le prévoir le moins du monde, ne serait-ce que quelques minutes plus tôt, nous nous sommes mis à bouger, accomplissant les figures les plus bizarres, drapés et couverts d’objets inimaginables, chacun surpassant l’autre en invention » (9).

Monsieur Pierre Navarre dans le rôle de Fantômas Générique de «Fantômas, à l’ombre de la guillotine» 1913. Louis Feuillade Capitaine Lonchamps Neige, 2011 technique mixte sur photographie ancienne, 18 x 24 cm

« Le rendez vous ». « Le mort qui tue », Louis Feuillade, 1913. Capitaine Lonchamps Neige, 2011 technique mixte sur photographie ancienne, 18 x 24 cm

1 Dominique Païni et Jean-Michel Botquin, Capitaine Lonchamps, Le Bon Point amusant, éditions l’Usine à Stars, 2010.

2 Dans le film. Texte du carton correspondant à la scène.

3 Dans le film. D’après le texte du carton correspondant à la scène.

4 Les trois numéros de la revue Distances, parus de février à avril 1928, sont reproduits dans Marcel Mariën, L’Activité surréaliste en Belgique, Bruxelles, Lebeer Hossmann, 1979, p. 160- 174.

5 Clio Elizabeth de Carvalho Meurer, René Magritte, les proses de Distances, dans Interfaces 29, 2009-2010.

6 Dominique Païni, Fantômas nous appartient. Préface à Philippe Azoury & Jean-Marc Lalanne, Fantômas, style moderne, Centre Georges Pompidou/ Les cinémas – Yellow Now, 2002. Il nous faut remercier Dominique Païni. C’est en effet sa collection personnelles de photogrammes de Louis Feuillade que le Capitaine Lonchamps a enneigé.

7 Philippe Azoury & Jean-Marc Lalanne, Fantômas, style moderne, Centre Georges Pompidou/ Les cinémas – Yellow Now, 2002.

8 Gilbert Lascault, Les Vampires de Louis Feuillade, Yellow Now Côté films #12, 2008.

9 Hugo Ball, La fuite hors du temps, journal 1913-1921, traduit de l’allemand par Sabine Wolf, Rocher, 1993.

«Juve ! Je vous ai pris pour Fantômas Moi aussi, Fandor, je t’ai pris pour Fantômas ! Fandor, renseigné par Martialle, était venu se mettre à l’affût». «Juve contre Fantômas», 1913. Louis Feuillade. Capitaine Lonchamps Neige, 2011 technique mixte sur photographie ancienne, 18 x 24 cm

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Aglaia Konrad, l’anniversaire de l’art, Muhka Anvers

Art-birthday -Muhka

ART’S BIRTHDAY

On Thursday January 17th Klara, H ART and the M HKA are together organising a feast to honour art for the 5th time. At 7:30pm Aglaia Konrad’s new façade panels will be inaugurated; at 8pm Jan Lauwers will put in words his State of the Arts; and from 9pm onwards everyone will be able to enjoy the (birthday) cake made by Ria Pacquée with a glass of bubbly!

Le 17 janvier 1963 Robert Filliou instaurait cette date comme millionième anniversaire de l’art. L’art doit revenir au peuple, auquel il appartient. Le 17 janvier 1973 (également anniversaire de l’artiste), Robert Filliou organise dans les rues d’Aix-la-Chapelle les festivités liées à l’anniversaire de l’art, pour lequel il souhaite « vacances scolaires internationales, congés payés pour les ouvriers du monde entier et festivités spontanées et réjouissances de par le globe » . L’idée était venue à l’artiste dix ans plus tôt, lors de la rédaction de L’Histoire chuchotée de l’Art : « voici un million d’années ART était VIE, dans un million et 10 ans il le sera encore ». Ce jour de 1973, toute la ville d’Aix-la-Chapelle est à la fête : bals, orchestres, feux d’artifices, défilés, banderoles, etc. Les habitants ont pris un congé, les usines, bureaux et écoles sont fermés, et le musée de la ville a déposé les tableaux de ses cimaises : « pas d’art sur les murs », a réclamé Filliou. Robert Filliou réaffirme ainsi un principe fondamental de sa démarche et de celle des membres du groupe Fluxus auquel il appartient : l’art est la vie, et plus encore « l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». Aussi Filliou souhaite-t-il pour cette journée anniversaire des festivités « sans ART », puisque celui-ci doit se dissoudre dans la vie et dicter consciemment ou non nos agissements. Le Muhka fête l’anniversaire de l’art depuis cinq ans.

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Jacques Lizène, hommage à François Jacqmin

Jacques Lizène, art syncrétique

En 1990, Jacques Lizène réalisait un livre d’artiste avec le poète François Jacqmin : « deux chansons absolues ». Aujourd’hui, il participe à l’exposition d’hommage qui est organisée à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort du poète et qui regroupe des œuvres de ses amis artistes.

François Jacqmin (1929-1992) compte parmi les quelques deux ou trois plus grands poètes de Belgique. Toute l’écriture de celui qui a dit « la poésie sera consolatrice, ou rien » est une lutte contre les limites ou les illusions de la pensée et de la parole, une tentative de dépasser l’impuissance de la poésie à conserver trace de l’émerveillement de l’homme devant la nature. Réel et langage, désir et nihilisme sont les pôles d’une œuvre capitale. Pourtant, son œuvre publiée, dont l’étendue n’est pas grande, ne bénéfice pas encore de la reconnaissance, française ou internationale, qu’elle mérite à coup sûr. Elle comprend plusieurs plaquettes (dont cinq ont été rassemblées en 2000 dans La Rose de décembre et autres poèmes, éd. La Différence), des ouvrages à tirage limité réalisés avec des plasticiens, et trois recueils majeurs : Les Saisons (Phantomas, 1979 ; repris chez Labor en « Espace/Nord » en 1988), Le Domino gris (Daily Bul, 1984) et Le Livre de la neige (La Différence, 1990). (Noter aussi la parution posthume des Éléments de géométrie, linogravures de Léon Wuidar, Éditions Tétras Lyre, 2005, et de 30 poèmes rassemblés dans Prologue au silence, La Différence, 2010.)

François Jacqmin a fait partie du groupe Phantomas qui, dès 1950, a restauré l’esprit de dérision, de subversion et d’invention de Dada après le surréalisme, contribuant ainsi à ce que l’on a appelé « La Belgique sauvage ». Mais on s’accorde à reconnaître qu’il était, des sept membres du groupe, le plus différent des autres : son humour est plus discret, quasi secret (un humour anglais, François Jacqmin ayant grandi en Angleterre où sa famille avait émigré en 1940) ; il joue avec la pensée bien plus qu’avec les mots ; sa poésie ne porte aucune marque visible d’un héritage surréaliste ou d’un esprit surréalisant.

François Jacqmin et ses amis artistes
L’exposition de la Galerie Wittert rend hommage aux artistes qui ont participé avec François Jacqmin à la réalisation d’un livre d’artiste.
Du lundi au vendredi, de 10 h à 12 h 30 et de 14 h à 17 h.

François Jacqmin, les livres d’artistes
La Bibliothèque Ulysse Capitaine donne à voir la plupart des ouvrages dont sont tirés les poèmes de L’OEuvre du regard.
Du lundi au vendredi, de 14 h à 17 h.

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Langohr, Lonchamps, Pierart, Sonnier, quatre vernissages ce jeudi 17.01

invitations 17.01

Capitaine Lonchamps, Nyctalope

Sophie Langohr

Pol Pierart

Valerie Sonnier

exposition du 18 janvier au 03 mars 2013 – Vernissages le jeudi 17 janvier 2013 à 19h.

Ils sont quatre à exposer en ce début d’année 2013, et pourtant il ne s’agit pas d’une exposition collective. Chacune de ces expositions monographiques a été conçue comme telle, quelle que soit sa géométrie. Chacune est une appproche d’un univers singulier et bien circonscrit ; ce sont des univers particuliers, identifiés comme tels. Les proposer ensemble tient aux dialogues qui ne manqueront pas de s’établir entre les unes et les autres, aux lectures transversales qui ne manqueront pas de se dégager. Il sera question de l’image cinématographique, c’est sûr. Capitaine Lonchamps enneige le cinéma de Feuillade ; Pol Pierart réalise des films super 8, Valerie Sonnier en fait autant, toute l’écriture de son travail est teintée de cette approche cinématographique ; Sophie Langohr explore le concept d’égérie. Il sera question d’un incessant voyage entre passé et présent, dans une continuelle reconsidération de la temporalité. Il sera question d’apparitions fantômatiques, de métamorphose des physionomies, de transfiguration, de retour à l’enfance ou aux sources de la modernité. Il sera question de neige sous les pas, de massifs de roses infranchissables, du bonheur, du malheur, de la vie, de la mort, de l’angoisse, en quatre visions du monde très personnelles, quatre oeuvres charpentées, où les média se répondent, où prédomine l’immédiateté du noir et blanc, où le sens mène à une foule de réflexions.

L’exposition de Capitaine Lonchamps célèbre le centenaire des Fantômas de Louis Feuillade (1913), celle de Pol Pierart est accompagnée d’une nouvelle publication de photographies aux Editions Yellow Now, « Angoisse cela te regarde ? », celle de Sophie Langohr est une preview d’un projet ambitieux que l’artiste proposera dès le début du printemps au Grand Curtius à Liège, celle de Valérie Sonnier amplifiera le propos approché lors de sa précédente et récente exposition à la galerie, « Faire le photographe », et sera l’occasion d’aborder plus largement son univers personnel, entre souvenirs intimes et mémoire collective.

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Walter Swennen, About Waves, centre culturel Strombeek

Au Centre Culturel de Strombeek, un triptyque conçu par Luk Lambrecht auquel participe Walter Swennen

Le communiqué commun Strombeek / Gent :

Museumcultuur Strombeek/Gent is een langdurig en uniek samenwerkingsproject tussen S.M.A.K. Gent en Cultuurcentrum Strombeek.

ABOUT WAVES Een project in drie delen over schilderkunst van de jaren ’60 tot nuDeel 1: Het Ding11.01… 07.02.2013

In deze tentoonstelling ligt de focus op een beweging die begon in de jaren zestig en het schilderij als ‘ding’ centraal stelde in het denken over schilderkunst. De tentoonstelling brengt een groot aantal bruiklenen uit de S.M.A.K.-collectie samen met werken uit diverse privécollecties en geeft de toeschouwer inzicht in de manier waarop het schilderij zich in die periode letterlijk ‘in beeld’ zette. In de schilderkunst was niet langer het ‘beeld’ of de geste van belang, maar wel de aandacht voor de textuur en de tactiliteit van de verf op een drager.

In de tentoonstelling zal werk te zien zijn van Sol LeWitt, Raoul De Keyser, Dan Van Severen, Eugène Leroy, Gerhard Richter, Andy Warhol, Jan Schoonhoven, Amedee Cortier, Walter Swennen, Marthe Wéry en vele anderen. Werk van drie van deze kunstenaars zal te zien zijn in elk van de drie delen van ‘About Waves’: nl. van Gerhard Richter, Raoul De Keyser en Walter Swennen. Deze klassekunstenaars doorstaan de tijd glansrijk. Met hun werk willen we aantonen dat de beste kunst zich niet zomaar aan de tijdsgeest overlevert maar een hele carrière lang stand kan houden.

Tom Jooris ook uitgenodigd

In elk deel van ‘About Waves’ nodigen we bovendien een jongere kunstenaar uit om in een apart observatorium (in de vorm van een soort studio) picturaal te reageren op de kunst die op dat moment in de tentoonstellingshal wordt getoond.

Voor het eerste deel is Tom Jooris (°1971) uitgenodigd. Hij schildert op een heel aparte abstracte manier. Door kunstcriticus Eric Bracke wordt zijn werk als “ongekunstelde schamelheid” getypeerd. Dit eerste luik en ook alle volgende tentoonstellingen onder de noemer Museumcultuur Strombeek/Gent komen tot stand in nauw overleg met de staf van S.M.A.K. Aan de realisatie van dit eerste deel werkt ook dichter/essayist Roland Jooris mee als scherpzinnige getuige van het eerste uur.

De tentoonstelling wordt opgedragen aan Raoul De Keyser

Extra informatie

Er is de intentie om per jaar twee projecten te realiseren die respectievelijk bestaan uit twee of drie delen. Telkens zal aan de hand van kunstwerken uit de collectie van S.M.A.K. een thema in de diepte worden behandeld. Dit wordt aangevuld met ander werk en nieuwe producties.

De thema’s voor 2013 zijn een subjectief overzicht van de schilderkunst van de jaren zestig tot nu, en een project over de veranderingen van de beeldhouwkunst gelieerd aan wat zich parallel afspeelde in de dans. In 2014 volgt een driedelige tentoonstelling over hoe de evolutie van het mensbeeld zich manifesteert via verschuivingen in artistieke, tijdsgebonden uitdrukkingen.

Opening 11.01.2013 | 20:30

Grote opening op vrijdag met burgemeesters, kunstenaars, een kameel, jazz met ‘bEStiAaL’, dj SToFF en een drink!

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