Dans le cadre de la 9e biennale de la photographie à Liège, BIP 2014, Pixels of Paradise, Capitaine Lonchamps et Pol Pierart participent à l’exposition : Vue de l’Esprit.
Présentée à la Maison Renaissance de l’Emulation et au Cercle des Beaux-Arts voisin, l’exposition Vues de l’Esprit est un projet de l’asbl Les Brasseurs – Art Contemporain (commissariat : Emmanuel d’Autreppe, Dominique Mathieu, Yannick Franck).
Outil par excellence, depuis ses origines, de la retranscription du réel – ou du moins de la transcription du visible –, la photographie a toujours entretenu une fascination et mêmes d’évidentes affinités avec ce qui la dépassait, lui échappait : l’invisible. La photographie a d’emblée oscillé entre deux pôles, finalement moins contradictoires que complémentaires : le positivisme et certaines formes, parfois élaborées, de « pensée magique ». Voir mieux, voir « entre », voir plus loin, plus près, au travers ou au-delà : la soif de voir de la photographie était inextinguible et, en soixante ans d’existence (1840-1900), elle accompagnait sans cesse de nouveaux usages, des perfectionnements techniques, des croyances inédites. La fin du XIXe siècle cherchera à capter les auras et les fluides, les ondes et les pensées, les états-limites, le paranormal, les images mentales
Surfant sur le succès crédule et mondain du spiritisme et de l’occultisme, la photographie spirite, quant à elle, profitera des accidents du hasard et des imprévus de la technique pour entretenir avec l’au-delà des liens prétendument privilégiés, faisant apparaître les fantômes, s’élever les tables et les âmes, s’allumer les ombres…
Nombre de travaux actuels, qu’ils réfèrent explicitement ou non aux essais historiques en la matière, continuent de s’intéresser à cet invisible qui toujours bordera la photographie, à ces croyances obscures ou lumineuses qu’elle perpétue en son sein, à la capacité de l’image, par transfert argentique ou numérique, à nous mettre en contact avec « l’âme humaine » ou avec les mystères du magnétisme psychique… Il s’agit alors d’envisager la photographie aussi et peut-être avant tout comme image mentale, comme l’expression visuelle d’une forme de pensée, comme le dévoilement du monde par-delà ses « simples » apparences : instrument privilégié d’une introspection ou d’une rêverie, aire de déploiement d’un imaginaire et d’une poésie dont les contours mal définis, de raison en déraison, d’illusion en hallucination, ne cessent d’être repoussés.
A propos de la contribution du Capitaine Lonchamps :
– J’ai le sentiment qu’il y a comme un rituel dans bon nombre des travaux que vous menez. Je pense à cette vidéo que vous avez mise en scène dans une clairière à la tombée de la nuit. Vous y apparaissez assis à même le sol, cagoulé, habillé de noir, mais couvert de neige. Devant vous, une couette enneigée sur le sol et une marmite dans laquelle vous allumez un feu. Et vous semblez prononcer des incantations tandis que le feu grandit. Vous appelez la nuit. Fait extraordinaire, la nuit tombe en effet au fur et à mesure que le temps passe. C’est comme un sorcier indien qui, dansant, réussirait à faire tomber la pluie.
– C’est à peu près cela. (Rires.) Mais je n’ai pas créé ce personnage de Snowman, cagoulé et enneigé, pour me glisser dans la peau d’un chaman ! Au contraire, il y a un côté comique à la chose. Je me souviens d’ailleurs qu’au moment du tournage, j’ai failli prendre feu : mon costume était synthétique et j’étais trop proche de la marmite de feu. Cette vidéo fait partie d’une préoccupation plus ample : ce sont les litanies qui m’intéressent, le fait de répéter sans cesse ce mot « nuit » comme si j’invoquais la nuit elle-même. Il existe aussi une œuvre, seulement sonore, de cette même « nuit », un simple enregistrement sur bande magnétique. Comme j’ai également psalmodié le mot « plâtre » de toutes les façons. C’est assez étonnant ; le mot évoque le blanc, le son va jusqu’à évoquer les croassements de quelque rapace nocturne. Il y a comme une angoisse qui surgit.
Extrait de : Capitaine Lonchamps, Ne Neige pas qui veut, édition L’Usine à Stars, 2008
Nuit, DVD 13.50″. couleurs, son. 1994-96 – 2004
A propos de Pol Pierart :
(…) Très singulières, ces photographies le sont tout autant. Ce sont, la plupart du temps, de petites mises en scène, appariant des mots et des objets. Des cartons, des écriteaux, parfois des inscriptions interagissent avec les objets posés dans le champ, voire, lorsque l’artiste quitte l’atelier, avec le paysage urbain ; ils donnent à lire de courtes phrases qui fonctionnent comme des énoncés aphoristiques, des petites sentences péremptoires ; ces courtes phrases résonnent comme des slogans, des lieux communs, des phrases de routine, des truismes proverbiaux ou des annonces publicitaires. Pol Pierart substitue une lettre, un phonème pour un autre, il remplace un mot par un autre qui lui est proche, phonétiquement ou sémantiquement. Il bouscule les isotopies, il cherche une efficacité toute perlocutoire, il détourne et modifie le sens ; plus simplement, il considère le langage comme une pâte à modeler, en toute irrégularité.
Bon nombre de ces courtes affirmations sont en effet des calembours, ces jeux de mots fondés sur une similitude de sons recouvrant une différence de sens. Je repense aux aphorismes de Paul Nougé. « On sait ce que parler veut rire ». « A l’humour à la mort ». « Le jeu des mots et du hasard ». « Il faut penser à travers tout ».
Paul Nougé, en effet, n’est assurément pas loin. Je retrouve dans ses « Notes sur la poésie », publiées dans « Les Lèvres Nues », ce passage sur le langage. Les œuvres de Pol Pierart m’en semblent, en effet, fort proches : « Le langage, estime Nougé, et particulièrement le langage écrit (est) tenu pour un objet, un objet agissant sans doute, c’est à dire capable à tout instant de faire sens, mais un objet détaché de qui en use au point qu’il devient possible dans certaines conditions de le traiter comme un objet matériel, une matière à modifications, à expérience. D’où l’intérêt, tout particulier des jeux qui ont pour élément principal le langage : jeux de mots, devinettes, charades, papiers pliés ; l’intérêt des démarches qui tendent à situer le langage en tant qu’objet, à l’analyser : grammaire, syntaxe, sémantique ; l’intérêt de ses manifestations naïves les plus détachées que puisse admettre le commun des esprits : réclames, anecdotes, fables, apologues ; ou pour mieux dire, là où le commun des esprits en use avec le plus de liberté, avec le seul souci, indépendamment de toute préoccupation d’expression ou de véracité, d’un effet à produire ». Oui, dans l’œuvre de Pol Pierart, le langage est un objet modifiable à la manière d’un objet matériel, un objet très concret, un carton, un écriteau, que Pol Pierart met d’ailleurs en relation avec d’autres objets matériels, un ours en peluche, un petit squelette, un crucifix, des espadrilles, une main, des clous, une mappemonde, un gant, une commode, un miroir, des objets courants et sans prestige, l’effet produit, créateur de sens, n’étant d’ailleurs pas sans conséquences.
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