Maastricht 1989
Minimale, la stèle se dresse au pied du jubé de l’église Saint Augustin à Maastricht. C’est un parallélépipède de béton vibré. Les quatre fers à béton qui en émergent sont traces visibles du processus de fabrication et de son ancrage dans le réel. La stèle est accompagnée de cinq gammagraphies d’un chandelier. Elles ont été réalisées par le département Énergie de Cockerill Sambre à Seraing et sont imprimées sur un papier baryté. En fait, ce chandelier a été inclus dans la masse de la stèle, au moment où celle-ci fut coulée. Auparavant, Jacqueline Mesmaeker a eu soin de réaliser un photogramme de ce flambeau à cinq branches, une empreinte sur une longue planche noire photosensible, réalisée à la lumière d’une bougie. Cette empreinte rejoint le dispositif. L’œuvre porte un titre : Stèle 29*29*165. Ce sont les mesures de cette stèle de béton. Sa hauteur correspond à la taille de l’artiste.
Bruxelles 1990
A l’occasion de l’exposition de Stèle 29*29*165 galerie Guy Ledune, Jacqueline Mesmaeker réévalue le dispositif. La stèle fera face aux gammagraphies et au photogramme, mais celui-ci est désormais emballé dans un drap noir, un linceul en quelque sorte. Il disparait, lui aussi, aux regards.
Aalst 1990
Cette fois, l’œuvre est exposée au centre d’art De Werf, dans un grand espace ouvert et lumineux. La stèle est placée face à de larges baies vitrées. Les cinq gammagraphies sont déposées au sol, dans le juste prolongement de la stèle, comme si elles en étaient l’ombre. Exit, cette fois, le photogramme, qui n’est pas exposé. Cette exposition collective a pour titre : Tempels Zuilen Sokkel (Temples, Piliers, Socles)
Jacqueline Mesmaeker n’a jamais considéré l’art comme une collection d’objets statiques, mais comme une cristallisation temporaire de la forme et du contenu. Il lui arrive ainsi régulièrement de revisiter ses propres œuvres via des ajouts subtils, des déplacements d’éléments ou l’utilisation d’autres média, mis au service d’une présentation renouvelée. Les états de Stèle à Bruxelles et Aalst en attestent, l’évolution du dispositif enrichit le sens et multiplie les lectures.
Bruxelles 1993
Stèle 29*29*165 est à nouveau montrée, cette fois, dans une exposition intitulée Sculptures – Dessins à la galerie Camille von Scholz. A la fin de l’exposition, le transport de la stèle a été confié à un déménageur mais l’œuvre causait tant de problèmes de stockage pour l’artiste à cette époque qu’elle ne l’a jamais récupéré. Elle n’a plus été retrouvée depuis. Cet épisode correspond à une profonde réflexion : Jacqueline Mesmaeker décide de tourner le dos à tout ce qui a du poids, à tout ce qui encombre, à tout ce qui pourrait paraître trop péremptoire. Ce n’est pas un renoncement mais l’annonce d’une mutation dans sa pratique.
Paris 2019
Suite à une réflexion nourrie, avec la complicité de l’historien de l’art Olivier Mignon, Jacqueline Mesmaeker opte pour une nouvelle présentation, à l’invitation du galeriste Bernard Bouche. La colonne des gammagraphies fait face au photogramme recouvert de son drap noir. Entre les deux est présenté une petite photo polaroïd. C’est un simple document de travail, une photo de la stèle prise à Maastricht en 1989, en quelque sorte son souvenir revivifié au travers d’un support fragile, instable, dont l’image risque, elle aussi, de disparaître. Le dispositif reçoit un nouveau titre : Stèle, Bois et Drap.
Bruxelles 2020
A l’occasion de l’exposition monographique Ah quelle aventure ! à BOZAR à Bruxelles, la stèle de béton fait l’objet d’une nouvelle édition. Un chandelier similaire au premier est enchâssé dans cette stèle conforme et revisitée, coulé dans les mêmes conditions que la première et par le même opérateur. Il n’est plus permis d’utiliser la gammagraphie, technologie désormais considérée comme dangereuse. Afin de capturer l’image du second chandelier appel est, dès lors, fait à une technologie plus actuelle, le Géoradar GPR, capable d’une investigation non destructive de matériaux tel le béton.
Namur 2022
Il n’est pas question d’en finir, mais de faire évoluer le processus, en tenant compte de l’histoire et de ses péripéties. Jacqueline Mesmaeker refonde l’œuvre en fonction de ces étapes, de ce qui a été vu, de ce qui ne l’a pas été, ce qui en soi tombe sous le sens pour une œuvre qui évoque la vision, le regard, le visible, l’invisible et la disparition. Cette fois la présentation s’articule ainsi : la colonne des gammagraphies constitue l’épine dorsale de l’œuvre et de son histoire. Le photogramme restera en son linceul noir. La seconde version de la stèle s’ancre dans le réel, le polaroïd de la première stèle atteste du souvenir de l’existence de celle-ci et de sa disparition. Le présent texte consigne toutes ces péripéties. L’œuvre porte toujours son titre d’origine : Stèle 29*29*165 (1989-2022)