Le Statistic Project I de Werner Cuvelier est une analyse statistique de l’art des années 60, fondée sur un scrupuleux dépouillement de quatre publications. Celles-ci concernent deux expositions, la Documenta IV (catalogue en deux volumes), Sonsbeek buiten de perken – Arnhem, et deux collections, celles de deux industriels allemands, Karl Ströher d’une part, Peter Ludwig d’autre part. Ne seront pris en compte que les éléments objectifs concernant les artistes présents dans ces publications : le nombre d’œuvres présentes dans ces collections et expositions, les âges, les lieux de naissance et de vie, les nationalités. Ces éléments constitueront les données statistiques à exploiter, tout d’abord en listes et tableaux commentés, ensuite en dessins, tableaux sur toiles, reliefs et œuvres tridimensionnelles.
Le projet est exposé pour la première fois en 1972 à la galerie Plus Kern à Gand. Une fois de plus, annonce le communiqué de presse, Cuvelier apporte des informations sur l’art, mais la visualisation de ces informations devient à son tour un processus artistique. Les tableaux, graphiques, peintures, reliefs, objets et compositions sonores qui en résultent peuvent être considérés comme des œuvres d’art autonomes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur relation avec le matériau utilisé. La valeur statistique, cette mise en œuvres de données objectives, fonde en effet le processus. Elle est à l’origine, rappelle Werner Cuvelier, d’une importance capitale. De par la nature même du travail, mais aussi et sans doute, parce que la déferlante des artistes américains et du Pop Art en Europe, confirmée par l’exploitation de ces quatre catalogues, est de stricte actualité à l’époque, ce qui suscite bien des réactions dans les milieux artistiques. Toutefois, écrit Werner Cuvelier dans son Tekenboek I, l’importance de la valeur plastique des résultats l’a vite emporté sur la valeur statistique. Celle-ci ne reprendra de la valeur que placée entre guillemets. Ces guillemets font, en effet, référence au caractère subjectif (par opposition à objectif) de tout ce qui a contaminé le monde auparavant. J’utilise l’art, affirme Werner Cuvelier pour faire de l’art, contrairement à tout ce qui a déjà servi de modèle pour l’art. Werner Cuvelier envisage la chose comme une sorte de renonciation – le mot est fort – une renonciation à être créateur. Néanmoins, nuance Werner Cuvelier, c’est moi qui fais le travail, c’est moi qui décide des couleurs, c’est moi qui décide du format. Seules les proportions et le nombre de couleurs découlent des données statistiques. Il conclut, enfin : Ce projet peut être considéré comme une question philosophique, et donc extrême, pour les artistes, les collectionneurs, les directeurs de galeries, les critiques, les historiens et autres personnes impliquées dans l’art… une question sur le comment et le pourquoi des choses.