Archives de catégorie : John Murphy

John Murphy, History Tales. Fact and Fiction in History Painting, Akademie der bildenden Künste Wien

John Murphy, The Konrad Serie, Etching on offset and serigraphy, 85 x 101 cm,
2003

John Murphy participe à l’exposition History Tales. Fact and Fiction in History Painting à l’Akademie der bildenden Künste Wien 

In autumn 2023, the exhibition History Tales. Fact and Fiction in History Painting will focus on the representation of history with respect to narratives governing national identities. How is the rise and fall of civilizations presented historically? How has human hubris been allegorized in history paintings since the 17th century? And what have been the changes in depictions of myths, heroes and heroines, rulers male and female, and decisive historical events up to the present day – in the light of technological change and the invention of photography and film?

The exhibition examines the history painting with a view to the historical Art Collections – Paintings Gallery, Graphic Collection, Plaster Cast Collection – on the one hand and works by contemporary artists on the other. In so doing, it will shed light on the capacity of the history painting and its variations in the media age to oscillate iridescently between fact and fiction and its potential for focusing on historicity as an artistic theme in its own right.

Venue: Academy of Fine Arts Vienna, Paintings Gallery, Schillerplatz 3, 1010 Vienna.

27.9.2023–26.5.2024  Daily except Monday, 10–18 h

More information about the content of the exhibition can be found in the > Press Release pdf
 

John Murphy, Deep Deep Down, présentation de la collection, MUDAM, Luxembourg

John Murphy, A Clearer Conception of Vision, fig.1, fig.é, fig.3, fig.4, 1992 (photo : Remi Villaggi)

John Murphy participe à l’exposition Deep Deep Down, présentation de la collection, au MUDAM à Luxembourg. Commissaires : Shirana Shahbazi et Tirdad Zolghadr.

Soyons clairs : l’objectif n’est pas d’être critique. Ce qui est plus urgent, c’est d’essayer de transformer la collection en quelque chose que l’on peut saisir intellectuellement et physiquement. L’idée est de faire de cette invention étrange, spectaculaire, foisonnante et intimidante de la modernité européenne que nous appelons collection publique une expérience, quelque chose qui aille au-delà de l’inventaire ou du communiqué de presse.

Plus d’informations sur le site du musée. 

The Galleries Show IV, Antwerpen, les images

The galleries Show IV, Antwerpen
John MURPHY
The work of art is… A.J. J.M.
1977
John Murphy
The Joseph Conrad serie, 2003
Etching on offset and serigraphy (text),
85 x 101 cm. Ed. of 2.
The galleries Show IV, Antwerpen
Loïc Moons
Sans titre, 2023
Huile sur toile, 101 x 81 cm et 162 x 125 cm
Jacqueline Mesmaeker
Couloir, 2023
Technique mixte sur papier
Jacqueline Mesmaeker
Contours clandestins, 2022
crayon gris, feutres colorés,
crayons colorés sur papier
(9) x 29,7 x 21 cm

The galleries show IV, Antwerpen, John Murphy

John Murphy
Movement of the internal being (The Joseph Conrad serie), 2003
Etching on offset and serigraphy (text), 85 x 101 cm.  Ed. of 2.

Dans The Joseph Conrad Series (2003), John Murphy reproduit 26 fois l’image d’un trois-mâts, chaque fois avec un titre différent. Il s’agit d’une photographie trouvée que l’artiste a récupérée. À partir de l’intérêt qu’il porte à la répétition, Murphy souhaite stimuler l’ œil du spectateur à chercher des similitudes et des différences, que seuls les titres contiennent. L’artiste ouvre à notre imaginaire un espace entre le mot, l’image et l’objet. Le bateau sur la photo porte le nom de Joseph Conrad, l’écrivain polonais-anglais connu pour ses récits de voyage qui se déroulent souvent en mer et s’articulent autour de valeurs morales et de solitude. Avec des titres comme E la nave va, Movement of the internai being et North of the future, John Murphy partage les sensibilités subtiles propres à son œuvre. Avec un raffinement froid, il crée une atmosphère mélancolique qui s’apparente à la saudade des chants de marins portugais. Le sentiment de manque est vague par essence et sa viscosité fait qu’il colle à l’âme. En même temps, le voyage promet de l’aventure, un déplacement dans le temps et dans l’espace et de nouveaux horizons. (Mélanie Deboutte, dans le catalogue de l’exposition du musée Raveel)

John Murphy
Controlled Bleeding, 1993
Huile sur toile, 82 x 76 cm

John Murphy, Unreadiness, Raveelmuseum

John Murphy
…(Vella), 2002-2003
Oil on canvas, in two parts,  (2) x 230 x 169 x 3 cm

Les salles d’exposition du Musée Roger Raveel se composent d’une longue succession de pièces et de salles. Le visiteur peut découvrir les œuvres au cours d’une promenade à la fois physique et mentale. Une version miroir de l’exposition se révèle à la fin, étant donné que le visiteur doit revenir sur ses pas pour achever sa visite. Ce déplacement dans l’espace commence dans le hall d’entrée avec l’énigmatique (Vela) (2002-2003) de John Murphy, une toile d’un bleu de nuit profond. Le terme latin de vela dans le titre fait référence aux voiles d’un bateau. Une constellation illumine les heures sombres de la nuit, lorsque nos désirs et nos peurs se balancent au rythme de la mer. Notre regard suit la constellation du tableau qui, dès le début de l’exposition, nous propose une première énigme, une première halte dans le voyage.

Exhibition view

Le chien apparaît également dans les grands tableaux de Murphy, The Song of the Flesh or The Dog who Shits (Lyra) (1993), A Different Constellation (Lupus) (1994) et The Invention of the Other (Vulpecula) (1994). Sur chaque toile, on aperçoit un chien, l’un détourne le regard, un autre dort et un troisième défèque. Simplifiés en dessins au trait et isolés dans un plan de l’image de couleur brun pâle, les chiens semblent ignorer aussi bien les constellations qui se profilent au-dessus d’eux à une distance incommensurable que le spectateur qui les rencontre dans la salle du musée. Les chiens peuvent être considérés comme des métaphores de l’être humain qui, même dans une quête fébrile de réponses, est et reste lié à son propre corps et à une pulsion de (sur)vie.

John Murphy
The invention of rthe other (Vulpecula), 1994
Oil on linen, 264 x 198,5 cm
John Murphy 
The Song of the Flesh or The Dog who Shits (Lyra), 1993
oil on canvas, 264 x 198 cm
John Murphy
On the Way… Are you dressed in the map of your travels?  2003
Stuffed parrot, post card and stand. Parrot: 24 x 32 x 23 cm, stand: 83 x 73x 3,5 cm, framed postcard: 
86,5 x 74,5 x 3,5 cm.

Le texte occupe une dimension cruciale dans l’ œuvre de Murphy Le titre est une entité autonome, physiquement séparée de l’œuvre – l’image, l’objet – et les deux coexistent sur un pied d’égalité. Les titres sont des extraits de textes existants, ils sont reconnaissables, mais difficiles à situer. Prenons On the Way. Are you dressed in the map of your travels ? (2003) le titre est aussi apposé en écriture manuscrite sur l’espace blanc qui entoure l’image encadrée, une carte postale trouvée représentant une mappemonde. Un perroquet empaillé, également un élément « recyclé », observe l’image à distance, figé dans le temps et l’espace. Comme souvent, le titre exprime un certain désir, un intérêt pour la sensualité, un penchant pour le toucher physique et mental. Chiens, girafes, un perroquet empaillé, les animaux apparaissent sous diverses formes dans son œuvre. Ils témoignent de l’intérêt que Murphy porte à la zoologie, outre l’inspiration qu’il puise dans la botanique, la cosmologie et l’histoire de l’ art.

John Murphy
The Deceptive Caress of a Giraffe, 1993
oil on canvas, 264 x 168 cm
Exhibition view

Lorsque notre mémoire est activée, une expérience synesthésique se produit. Une odeur ou un son, certaines images ou des lieux spécifiques nous rappellent certaines expériences ou certains sentiments. Cette sensation nous envahit aussi quand on contemple les œuvres de John Murphy, en particulier ses peintures. Parfois, de grandes parties de la toile sont quasi entièrement monochromes, comme Nothing. Wait and See (1990-1991). La texture particulière de ce tableau lui confère un effet de voile. On regarde la couleur, la « peau » du tableau, et on prend conscience de l’insignifiance de son vide. Simultanément, nos pensées commencent à relier la couleur au bleu du ciel, à une douce journée printanière, aux fleurs qui éclosent dans le champ à côté de la maison où on a grandi. L’imagination et les souvenirs du spectateur complètent l’existence autonome du tableau sous nos yeux. La perception n’est pas uniquement actionnée par la tête, mais par le ventre et le cœur aussi. Cette expérience hautement intime gravite autour d’une réalité tangible mais énigmatique que l’on ne peut qu’entrevoir.

La surface des peintures de John Murphy fait penser à une membrane, un rideau doux et translucide qui dissimule de grandes parties de ce qu’il couvre alors que des détails subtils nous parviennent d’un autre monde. Dans The Deceptive Caress of a Giraffe (1993), un ton orange indéterminé recouvre la grande toile tandis qu’en haut, à droite, les oreilles de deux girafes émergent. Un regard attentif permet de voir que les girafes s’enlacent dans une étreinte apparente de leurs deux cous Toutefois, le mouvement en soi n’est autre qu’une tentative de domination de l’une sur l’autre. La couleur est une superposition de fines couches « tachetées ». Sa densité semble transparente, presque immatérielle, ce qui fait que l’image fantomatique de la girafe suscite l’impression qu’elle flotte dans un espace indéfinissable. (Mélanie Deboutte, dans le catalogue de l’exposition)

Exhibition view
John Murphy
Movement of the internal being (The Joseph Conrad serie), 2003
Etching on offset and serigraphy (text), 85 x 101 cm.  Ed. of 2.

Dans The Joseph Conrad Series (2003), John Murphy reproduit 26 fois l’image d’un trois-mâts, chaque fois avec un titre différent. Il s’agit d’une photographie trouvée que l’artiste a récupérée. À partir de l’intérêt qu’il porte à la répétition, Murphy souhaite stimuler l’ œil du spectateur à chercher des similitudes et des différences, que seuls les titres contiennent. L’artiste ouvre à notre imaginaire un espace entre le mot, l’image et l’objet. Le bateau sur la photo porte le nom de Joseph Conrad, l’écrivain polonais-anglais connu pour ses récits de voyage qui se déroulent souvent en mer et s’articulent autour de valeurs morales et de solitude. Avec des titres comme E la nave va, Movement of the internai being et North of the future, John Murphy partage les sensibilités subtiles propres à son œuvre. Avec un raffinement froid, il crée une atmosphère mélancolique qui s’apparente à la saudade des chants de marins portugais. Le sentiment de manque est vague par essence et sa viscosité fait qu’il colle à l’âme. En même temps, le voyage promet de l’aventure, un déplacement dans le temps et dans l’espace et de nouveaux horizons. (Mélanie Deboutte, dans le catalogue de l’exposition)

John Murphy
The Tiepolo’s Serie. In their own dark, 2015 The Tiepolo’s Serie
Photocopy, gouache, pen and ink on board, 46 x 54 cm

Dans Tiepolo Series (2015), Murphy se concentre sur Pulcinella, un personnage de la commedia dell’arte. Figure mystérieuse et pleine de contradictions, Pulcinella traverse la vie en tant qu’homrne ou femme, masqué, avec une bosse et un nez crochu. L’ample costume blanc et le chapeau conique sont les vêtements typiques d’un personnage rusé, rustre et ambigu, parfois voleur et rebelle, mais qui combat toujours les catastrophes et intervient comme le sauveur d’autres personnages. Murphy s’inspire d’une fascinante série de dessins et de fresques du XVIIIe siècle, du peintre Giandomenico Tiepolo, fils du célèbre Giambattista Tiepolo. Dans cette série, Pulcinella apparaît dans diverses scènes dans lesquelles il fait des farces à grands coups de gestes et de grimaces grotesques. Fait remarquable, dans chaque scène, plusieurs personnages jouent le rôle de Pulcinella, comme autant de clones de lui-même. Murphy isole le protagoniste des autres personnages, les retire du spectacle très animé et les transfère sur un panneau blanc à la faveur d’un stylo et de gouache. La série qui en résulte se compose de regroupements absurdes du personnage démultiplié. Ici et là, Murphy reprend aussi les chiens qui suivent la scène extravagante en tant que spectateurs

John Murphy
The Tiepolo’s Serie. Words fall like stones, like corpses, 2015
Photocopy, gouache, pen and ink on board, 46 x 54 cm
John Murphy
The Tiepolo’s Serie. For the eyes of dogs to come, 2015
Photocopy, gouache, pen and ink on board, 46 x 54 cm
John Murphy
The Tiepolo’s Serie. The Discipline of Uncertainty. 2015
Photocopy, gouache, pen and ink on board, 46 x 54 cm
John Murphy,
India Song:  . . . /Anne-Marie Stretter  1991-92 / 2021.
Huile sur lin, 228 x 128 cm

John Murphy déclare dans une interview en 1979 « J’aspire à créer du sens dans l’espace entre les mots et l’image, sans en même temps spécifier le sens [ .. ] le sujet s’apaise quelque part en dehors des simples faits établis d’une œuvre d’art ». L‘expérience humaine est au cœur de l’ œuvre, qui est à la fois très personnelle, mais revêt aussi une dimension universelle et intemporelle. Murphy, qui peint exclusivement à la lumière du jour, invoque la richesse inépuisable des couleurs. « La couleur devient une voix, un son que nos yeux entendent», écrit Barry Barker. L’artiste transforme,  il transpose la couleur en lumière voilée. La lumière de l’espace qui abrite l’œuvre suscite les nuances raffinées de la couleur. L’attention du spectateur s’aiguise, les sens sont stimulés. L’ expérience de perception visuelle prend le dessus sur la recherche d’un récit ou d’un sens. Un certain détachement règne sur les tableaux grâce à un maniement précis et contrôlé du pinceau. Les simples motifs linéaires flottent comme des « nomades magiques » dans le plan indéfini de l’image et contribuent au mystère dans lequel le spectateur peut se perdre. (Mélanie Deboutte, dans le catalogue de l’exposition)

Exhibition view
Exhibition view

Art Brussels, les images (2)

Jacqueline MESMAEKER
Couloirs
2022-23
Raphaël Van Lerberge, Amis maïs, 2023 , crayon de couleur sur papier, 21 x 29,7 cm
Page 7 (colliers et bracelets)n impression inkjet sur papier archival, 20,7 x 29,3 cm
Breloques, 2023, Trombones, perles en bois, clou, dimensions variables
Vitrine, 2021, crayon noir sur papier, 59,4 x 84,1 cm
Raphaël Van Lerberge, Amis maïs, 2023 , crayon de couleur sur papier, 21 x 29,7 cm
Page 7 (colliers et bracelets)n impression inkjet sur papier archival, 20,7 x 29,3 cm
John MURPHY
The work of art is… A.J.J.M, 1977
Lettraset and stuffed crocodile
Exhibition view
Loïc MOONS
Sans titre
2023

Art Brussels focus, John Murphy, the work of art is… A.J.- J.M.

John Murphy
The work of art is… A.J-J.M., 1977
Letraset on paper and stuffed crocodile  (text 15 x 22 cm & 132 x 32 cm)

Préoccupé par la relation entre la vision, les choses et le langage, tout en jouant sur le thème de la similitude et de la différence, John Murphy s’inscrit dans une tradition conceptuelle spécifiquement européenne, basée sur le symbolisme, qui va de Mallarmé et Jarry à Duchamp, Magritte et Broodthaers. The Work of Art is… A.J. (1977) est à cet égard singulièrement exemplative et fondatrice.

John Murphy s’approprie ici une désormais célèbre citation d’ Alfred Jarry : L’œuvre d’art est un crocodile empaillé. Le crocodile, on le sait, est animal totémique du Collège de ‘Pataphysique. Le premier numéro des Cahiers annonçait la création d’une chaire de Crocodilologie attribuée à un jeune agrégé en cette matière. Et on sait que sa Magnificence Lutembi, grand crocodile, personnage évidemment fictif, fut Satrape du Collège dès la fondation en 1948, assumant la charge de Procurateur Général du Collège pour les Afriques Équinoxiale, Capricornienne et Cancéreuse en sa résidence du lac Victoria, près de Kampala.[1] La citation néanmoins ne provient pas des Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien, curateur inamovible du Collège depuis 1947, mais bien d’un texte publié par Jarry dans la livraison du 2 août 1903 du Canard Sauvage, un hebdomadaire éphémère (mars – octobre 1903), anticlérical, antimilitariste et libertaire, considéré comme une des revues les plus anticonformistes ou les plus dérangeantes de l’époque. La livraison est thématique, consacrée à la notion de Palmarès. Jarry y signe un texte intitulé Prix Divers. Et il écrit : Il existe une connexité étroite entre les désintéressés et pensionnés et l’amateur sportif, qui ne concourt, ou qui ne court, que pour les objets d’art. L’objet d’art, par définition est le crocodile empaillé, curiosité agréable à suspendre au plancher d’une chambre, a dit Molière. Les temps ont marché depuis mais restent de l’argent toujours. L’objet d’art moderne est une curiosité agréable à suspendre au clou. Jarry cite Molière et plus particulièrement un inventaire dans L’Avare, acte , scène 2 : Plus, une peau de lézard, de trois pieds et demi, remplie de foin, curiosité agréable pour pendre au plancher d’une chambre.

Voici donc, d’une part, le collectionneur dans le rôle du sportif qui court et concourt et, d’autre part, l’œuvre d’art moderne. Objet insignifiant et inanimé, elle n’a de valeur que pour son aspect ornemental et sa rareté, une simple curiosité et une marchandise économique dans un monde régi par l’argent. Jarry s’en prend-il à l’art moderne ? Non, ses propos reflètent les inquiétudes des écrivains et des artistes de son temps face à la montée du mercantilisme. Il en jouera lui-même de façon publicitaire dans l’Almanach,  ridiculisant le discours mercantiliste et capitaliste. Les Conseils aux capitalistes y promeuvent, par exemple, l’édition de luxe d’Ubu Roi, comme une curiosité, un must-have, commercialisé non pas tant pour son contenu que pour sa rareté. L’édition est présentée comme un très beau livre dédicacé, dont il ne reste que quelques exemplaires. Les acheteurs potentiels sont donc invités à se presser (Prière de se presser).[2] La fin du texte de Jarry est, elle, cinglante. Jouant sur les homonymes de prix et de décoration, Jarry termine ainsi son paragraphe : Le prix artistique ainsi compris est moins lucratif que le prix en espèce. La différence équivalente de deux sommes est égale à la valeur marchande de l’individu. L’honneur peut être pas vénal directement, mais servir de par son prestige seul ; ainsi on utilisera avec profit une décoration pour commettre des escroqueries. Je repense ici à l’insincérité broodtharcienne, à l’art auto-publicitaire de Jacques Lizène également.

On sait que pour toute œuvre de John Murphy la relation entre le titre et l’objet est cruciale, titre faisant souvent partie du dispositif visuel. The Work of Art is… A.J. [Signé J.M.] L’œuvre d’art est trois point de suspension, l’œuvre d’art est A.J, initiales d’Alfred Jarry, donc Jarry serait l’œuvre d’art. Ou l’œuvre d’art serait… un crocodile empaillé, dès le moment où surgit l’animal. Tout est dans l’ellipse. Car, le voici, un beau spécimen naturalisé, plus petit que ceux de Panamarenko, un bon mètre à l’encolure, campant gueule ouverte, devant le titre de l’œuvre, placé à sa hauteur. L’image ou plutôt l’objet que John Murphy s’est appropriée répond au phrasé de Jarry. L’objet et le texte ne font plus qu’un. En fait, par cette dialectique entre le mot, l’objet et l’image, Murphy converse avec Jarry. Revenons un moment au chapitre 34 des Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, cette description de treize tableaux exécutés par la machine à peindre, celle-là même que Jarry confie au peintre Henri Rousseau, dit le Douanier, au chapitre 32.[3]  C’est un phénoménal catalogue raisonné d’œuvres non indentifiables qui invite à s’interroger sur les fonctions de l’image, une modalité complexe de transcription de l’image qui recourt en particulier à la mise en récit, où même l’absence est représentée. Tout y repose sur la tension entre l’impossibilité de donner à voir et un mode de vision qui se fonde sur l’évocation plus que sur la description. Entre imaginaire, représentation et référence, nous sommes là non pas dans la description de l’image, mais dans un discours autour de l’image ou encore à propos de l’image. Tout, on l’aura compris, est dans l’ellipse des trois points de suspension, signés J.M.

[1] DE ’PATAPHYSIQUE Collège, « Les 101 mots de la Pataphysique », dans : Collège de Pataphysique éd., Les 101 mots de la Pataphysique. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2019, p. 3-109.

[2] Marieke Dubbeldoer, Ubusing Culture. Alfred Jarrys’ Subversive Poetics in the Almanachs du Père Ubu, Groningen, 2009

[3] Isabelle Krzwkowski,  « Les 13 images, de l’Ecphasis comme art des œuvres imaginaires », dans Jarry et les Arts, SAAJ & Du Lérot Éditeur, 2007

Le Monde est Rond, John Murphy

Exhibition view

John Murphy entreprend en 1989 un cycle de quatre peintures monumentales. Dans chacun de ces tableaux, une surface tourbillonnante et encroûtée se noie une image insaisissable, celle d’un âne emprunté aux œuvres graphiques de Goya. Dans la première il semble tomber dans un espace monochrome indéfini, dans la deuxième, il se balance sur ses pattes arrières. Le mouvement semble suspendu. Pour la troisième, John Murphy choisit de ne représenter que l’orifice anal. La quatrième, celle qui nous occupe ici, est peau d’âne. Murphy peint le motif en forme de croix de Saint André, raie de mulet et bande cruciale  caractéristiques du dos de certaines races d’ânes. La figure se perd dans les courants denses de la peinture, omniprésente et insaisissable dans l’immensité, nous plongeant dans la béance. Chaque élément est ainsi détourné de son sens originel et placé par John Murphy dans une nouvelle relation suggestive. Celle-ci n’est jamais spécifique. La peinture n’est pas là pour résoudre les incertitudes qu’elles génèrent, mais les exacerbent, une instabilité que Murphy nomme ici Le Vertige  Silencieux, titre du tableau, nous  transmettant ainsi le vertige qui frappe une personne au bord du précipice de sa propre psyché.

On sait toute l’importance des titres que donne John Murphy à ses œuvres. A ce vertige silencieux, l’artiste associe une toile cosmogonique, trois sphères émergeantes du sfumato de l’univers : The Lure And The Truth of Painting, l’attrait – ou le leurre –  et la vérité de la peinture, nous plongeant à nouveau dans le trouble de ce que nous percevons.

Ou de ce que nous entendons. Voici le portrait de l’artiste en sourd, une impression photographique d’un des nombreux autoportraits de Sir Joshua Reynolds, l’artiste à la fin de sa vie, après avoir développé une surdité partielle.

John Murphy
Silent Vertigo, 1989
Oil on canvas, 290 x 198.5 cm
Exhibition view
John Murphy
The Lure And The Truth of Painting, 1989-96
Oil on canvas, 137,2 x 147,5 cm
John Murphy
Portrait of the Artist as a Deaf Man, 1996
Framed photographic print, 70 x 60 cm
John Murphy
Controlled Bleeding, 1993
Huile sur toile, 82 x 76 cm
Exhibition view

John Murphy, Unreadiness, Roger Raveel Museum, vernissage le 16 avril 2023

John Murphy
The Song of the Flesh or The Dog who Shits (Lyra), 1993
Oil on canvas, 264 x 198 cm

16.04.2023 10.09.2023

Unreadiness

Jan Vercruysse, Nel Aerts, John Murphy

Vernissage: dimanche 16 avril 2023, 11h-17h

Du 16 avril au 10 septembre 2023, le musée Roger Raveel réunit des œuvres de Jan Vercruysse (1948-2018), de Nel Aerts (°1987) et de John Murphy (°1945). Le titre de l’exposition, Unreadiness, est tiré de Giacomo Joyce, un texte remarquable de seize pages que James Joyce a écrit lors de son séjour à Trieste en 1914, mais seulement publié à titre posthume en 1968[1]. Dans cette histoire d’amour, Joyce exprime des sentiments de solitude, de perte et de nostalgie. Le texte se compose d’un écheveau de références dissimulées sous un voile de connotations personnelles et d’archétypes universels.

Dans une démarche analogue, les artistes de cette exposition ont développé leur propre univers en puisant dans les sentiments intimes de l’auteur tout en tenant un discours imprégné d’histoire de l’art et de la littérature, émaillé de symboles iconographiques. Nombre de motifs récurrents trahissent un double sens : le voile, le rideau ou la scène, le masque et l’autoportrait, le choix de mots poétiques pour les titres. Dans un jeu sensuel de cacher et de dévoiler, les œuvres témoignent de la création elle-même : « l’art pour lui-même et pour son propre destin »[2].

La mélancolie, qui domine l’atmosphère générale de multiples œuvres, constitue un sentiment difficile à exprimer avec des mots : une sensation de langueur, de perte et de désir indéfinissable. Tel un navire sans cap flottant sur une mer immense, l’artiste se sent enfermé dans sa solitude et pour extérioriser ces questions existentielles, il ou elle se met en scène sous la forme d’un double, d’un personnage. Regarder et être regardé vont de pair. Les œuvres de cette exposition semblent exister dans une autre dimension, repliées sur elles-mêmes, à distance du spectateur.

Chacun des artistes interroge et expérimente sa discipline de prédilection – sculpture, peinture, photographie, poésie – à la lumière de l’histoire de l’art, attentif·ve aux traditions et aux failles du média. L’un·e recherche une pureté esthétique, l’autre l’attaque au contraire. Cela permet d’exposer les structures cryptées du langage, du sens et de l’image tout en portant une grande attention à la matière, au support, au volume dans l’espace et aux formats et en évitant une dimension narrative ou anecdotique.

Unreadiness relie des œuvres d’artistes de deux générations et des œuvres d’art de différentes époques, de la début des années 1980 à 2022. Plus que jamais, la question fondamentale du statut et de la place de l’art est d’actualité aujourd’hui. L’exposition tente d’apporter une réponse à un monde à la fois inassouvi et insatiable. Repliées sur elles-mêmes comme des machines hermétiques, les œuvres d’art permettent aux visiteur·ses de les approcher et de découvrir leurs formes étranges, leurs images qui les touchent et les troublent par leur beauté sereine, parfois absurde et toujours sincère. 

[1] “Unreadiness. A bare apartment. Torbid daylight. A long black piano: coffin of music. Poised on its edge a woman’s hat, red-flowered, and umbrella, furled. Her arms: a casque, gules, and blunt spear on a field, sable.” – James Joyce, Giacomo Joyce, vert. Gerardine Franken, Uitgeverij De Bezige Bij, Amsterdam, 1969.

[2] Jan Vercruysse en conversation avec Carolyn Christov-Bakargiev, Flash Art International, n° 148, octobre 1989.

John Murphy
The Invention of the Other (Vulpecula), 1994
Oil on canvas, 264 x 198,5 cm.

16.04.2023 10.09.2023

Unreadiness

Jan Vercruysse, Nel Aerts, John Murphy

Opening: Sunday 16 april 2023, 11 am – 5 pm

From 16 April to 10 September, 2023, the Roger Raveel Museum brings together works by Jan Vercruysse (1948-2018), Nel Aerts (1987) and John Murphy (1945). The title of the exhibition, Unreadiness, is taken from Giacomo Joyce, a sixteen-page text written by James Joyce during his stay in Trieste in 1914 and published posthumously in 1968.[1] In this love story, Joyce expresses feelings of loneliness, loss and desire. The text forms a tangle of references hidden behind a veil of personal connotations and universal archetypes.

In a similar way, the artists in this exhibition have developed their own universe that draws on the private feelings of the makers. In doing so they make use of an art-historical and literary discourse full of iconographic symbols. The poetic word choices in the titles hint at double meanings, as do a number of recurring motifs, such as the veil, the stage curtain, the mask and the self-portrait. In a sensual game of concealing and revealing, the artworks bear witness to the creation itself: ‘art for its own sake, and for its own fate’.[2]

The general mood in many of the works is that of melancholy, an undefinable sense of loss and longing. Like a ship floating off course on an open sea, the artist feels stricken by loneliness and seeks to express this existential dread through a doppelganger, a character based on themselves. Watching and being watched go hand in hand. The works in this exhibition seem to exist in another, self-enclosed dimension, at a remove from the viewer.

Each of the artists questions and tests their chosen medium – be it sculpture, painting, photography or poetry – in the light of art history, paying attention to its traditions and fault lines. While one seeks an aesthetic clarity, another attacks the very notion. The encrypted structures of language, meaning and image are exposed, with a great deal of attention paid to material, carrier, volume in space and formats. A narrative or anecdotal dimension is avoided. 

Unreadiness connects works by artists from two different generations and artworks from different periods, ranging from the early 1980 to 2022. The underlying question about the status and place of art today is more topical than ever. The exhibition attempts to provide an answer to a world that is both unsated and insatiable. Turned in on themselves like hermetic machines, the artworks invite the visitor to come closer and become acquainted with their strange forms, their images whose tranquil beauty – sometimes absurd but always sincere – has the power to touch and move us. 

[1] ‘Unreadiness. A bare apartment. Torbid daylight. A long black piano: coffin of music. Poised on its edge a woman’s hat, red-flowered, and umbrella, furled. Her arms: a casque, gules, and blunt spear on a field, sable.’ – James Joyce, Giacomo Joyce, vert. Gerardine Franken, Uitgeverij De Bezige Bij, Amsterdam, 1969.

[2] Jan Vercruysse in conversation with Carolyn Christov-Bakargiev, Flash Art International, no. 148, October 1989.