Archives de catégorie : Emilio Lopez Menchero

Emilio Lopez-Menchero, Centrale for Contemporary Art, revue de presse (3)

Lu dans Flux News, sous la plume de Catherine Callico :

Emilio Lopez-Menchero & Esther Ferrer à la Centrale for contemporary art

Le corps et l’identité

L’artiste espagnol et protéiforme Emilio Lopez-Menchero présente son oeuvre à la Centrale for contemporary art, le temps d’une rétrospective qui permet d’en palper toute la richesse, l’audace, la dérision. Celle-ci se complète d’une installation d’Esther Ferrer, pionnière de l’art performatif.

Tenue et tons sobres, marine et gris. Emilio Lopez-Menchero arrive à la Centrale for contemporary art pour une visite de sa rétrospective. Coupe standard, ni barbe ni artifice. Support neutre et lisse, prêt à toute expérimentation. Lequel tranche avec la Frida Kahlo mise en scène du communiqué de presse. Toute en couleurs et fleurie. La couleur est essentielle dans l’oeuvre de l’artiste protéiforme espagnol. De ses Trying to be (où il se met dans la peau d’une personnalité) à ses toiles, dessins, sculptures, vidéos, performances et autres interventions urbaines et architecturales.

Le corps et l’identité constituent l’ossature de son oeuvre. Dès ses débuts. Architecte diplômé de La Cambre en 1995, il mêle très vite l’architecture à l’art, influencé par la bible du milieu, le manifeste de Hans Hollein “Alles ist Architektur”, qui traite de corporalité dans l’espace. Je subdivise le corps en quatre, souligne Emilio. Le corps normé, le corps agité, le corps identifié, le corps fantasmé. Le corps normé appartient à sa “première période”. Dans la salle d’exposition du fond de la Centrale, au sol, il a agrandi un tapis à l’échelle 1/1 de la capacité maximale des corps humains dans l’espace. Soit des traces de semelles normées. 24 personnes au mètres carré, c’est la norme –tirée du fameux manuel – dans les espaces publics, ascenseurs etc. L’oeuvre réfère également à sa seconde période, qui s’attache à l’abstraction et à l’art minimal.

Personnifier pour être

Sur les murs de cette salle du fond, Emilio a disposé une sélection de ses fameux Trying to be, photographies de ses incarnations d’icônes. De droite à gauche: Marc Dutroux, Che Guevara, Pablo Escobar, Frida Kahlo, Yasser Arafat, Russel Mean, Fernand Léger, Rrose Sélavy, Carlos, Raspoutine.

Pour réaliser ces performances photographiques, l’artiste se réapproprie et vit ces personnages à partir de son propre corps. Sans postiche. Je me transforme, laisse pousser la moustache, me teins les cheveux. Cette mise en abyme permet de sortir de l’anonymat. C’est en 2001, en réponse à une invitation de participation au MAMAC de Liège ( Hommage/Outrage Picasso, sous commissariat de Lino Polegato) , qu’il se propose lui-même en personne et entame la série de photos en noir et blanc “Trying to be”.

Né en Belgique de parents espagnols républicains qui ont fui le franquisme, l’artiste évoque régulièrement Picasso et l’Espagne. Comme dans son Torero/Torpedo. En habits de torero, il harponne avec dérision son vélo, référence à notre pays et à la figure d’Eddy Merckx, mais aussi à la « Tête de Taureau » de Picasso, rencontre fortuite d’une selle et d’un guidon. Ici, il se voit le vainqueur de l’étape du col d’Aubisque, lors du Tour de France.

Au fil de l’expo, chaque pièce est placée en résonance avec les autres, traduisant la cohérence de son approche. Et cette quête inlassable d’identité. Le plus souvent avec dérision.

Porte-voix

Emilio Lopez-Menchero explore régulièrement les thèmes des migration et immigation, de l’exclusion et de l’aliénation dans ses interventions urbaines. Le porte-voix est l’un de ses medias de prédilection. De son porte-voix monumental, sa Pasionaria, sur le boulevard Stalingrad face à la gare du Midi (ce lieu de confluence évoque un épisode de la Guerre d’Espagne) au cri de Tarzan qui s’échappera toutes les 30 minutes de la Tour Sainte-Catherine, tout au long de la durée de cette rétrospective. Au sein de la Centrale même, une installation en grillages évoque un centre fermé dans l’ancienne prison des femmes à Bruges, prévu pour la détention de demandeurs d’asiles déboutés ou de gens en séjour illégal. Via quatre porte-voix, des voix féminines clament les nationalités recensées: “Mongolia”, “Bulgaria”… L’artiste souligne ici la contradiction au sein de la ville touristique, laquelle d’un côté attire les étrangers, de l’autre les rejette.

Esther Ferrer et l’identité

Pour l’occasion, Emilio Lopez-Menchero a invité Esther Ferrer, pionnière de l’art performatif depuis les années 70, également Espagnole et exilée à Paris depuis une quarantaine d’années. Son installation dénonce une Espagne à l’identité ravageuse et anthropophage. Très sobre et forte, elle est constituée d’un cercueil noir, basique, suspendu, surmonté d’une épée en forme de crucifix. Sur le mur de fond, le drapeau de la monarchie espagnole. Tandis que la voix de l’artiste reprend des textes populaires basés sur Les Chroniques de la Conquête. L’oeuvre a été réalisée en 1992, lors des commémorations du 500e anniversaire de la “découverte” de l’Amérique par Christobal Colomb, dans le cadre d’une exposition critique (qui n’a pas eu lieu). Si j’ai choisi cette pièce aujourd’hui, c’est également lié à l’identité française en déclin. Cette pièce évoque les notions de construction d’une identité nationale, la pureté de la race.

Catherine Callico

Lu Dans De Standaard, sous la plume de Sam Steverlynck

De Standaard

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Emilio Lopez-Menchero, Centrale for contemporary Art, rencontre avec l’artiste ce 4 février

Emilio Lopez-Menchero

(photo Philippe De Gobert)

Rencontre avec Emilio Lopez-Menchero dans son exposition en duo avec Esther Ferrer.
Centrale for contemporary art
Place Sainte-Catherine 44, 1000 Région de Bruxelles-Capitale
mercredi 4 février à 18:30
L’exposition reste accessible jusqu’au 29 mars 2014

Dès 19h30, vernissage de l’exposition de Roberta Gigante, Extasis. (Centrale Box – 9.02-29.03)

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Emilio Lopez Menchero, Centrale for contemporary art (9)

Emilio Lopez Menchero

Vue d’exposition (photo Philippe De Gobert)

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Fernand Léger, 2014
Photographie NB marouflée sur aluminium, 110 x 88 cm. Edition 5/5

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be American Indian (Warhol’s Russell Means), 2005
Photographie couleurs marouflée sur aluminium, 74,5 x 91,5 cm

Emilio Lopez Menchero

Vue d’exposition (photo Philippe De Gobert)

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Arafat, 2010
Photographie couleurs marouflée sur aluminium, 110 x 90 cm. Edition 5/5

Emilio Lopez Menchero

Vue d’exposition (photo Philippe De Gobert)

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Frida, 2005
Photographie couleurs marouflée sur aluminium, 105 x 128 cm. Edition 5/5

Emilio Lopez Menchrero

Emilio López-Menchero
Trying to be Pablo Escobar en Pancho Villa, 2014
Photographie couleurs marouflée sur aluminium
Edition 5/5

Emilio Lopez Menchero

Vue d’exposition (photo Philippe De Gobert)

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Che, 2001
Photographie N.B marouflée sur aluminium, 75 x 75 cm. Edition 5/5

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Dutroux, 2009
Concept & performance : Emilio López-Menchero, portrait de commande de Laurent d’Ursel, costumes, accessoires : Hélène Taquet photo : Annabelle Guetatra, Hélène Taquet & Emilio López-Menchero.
Photographie couleurs marouflée sur aluminium, 79,5 x 63,7 cm, 2009. Edition 5/5.

Since the early 2000s, Emilio López-Menchero has been regularly trying out different incarnations: appropriating the fascinating gaze of Pablo Picasso (2000); inhabiting Rrose Selavy (2005); substituting himself for Harald Szemann (2007); incarnating Warhol’s 15 minutes of fame, Russell Means style (2005); laying bare Rodin’s Monument to Balzac (2002); changing sex and composing a Frida Kahlo with herself as the subject (2005); taking on Rasputin’s hieratic pose (2007); conquering the Christ-like face of Che Guevara (2001); wearing Arafat’s keffiyeh (2009); turning himself into Carlos the Jackal, terrorist and master of cunning and disguise (2010); posing like Fernand Léger (2014), who also swapped the architect’s drawing pen for the painter’s brush. What motivated Emilio López-Menchero to attempt these successive incarnations, some 20 in all? After he shot his self-portrait of Pablo Picasso bare-chested in boxer shorts (2000), based on a photograph taken in the artist’s studio in Rue Schoelcher in 1915 or 1916, he said that the challenge was all about recreating this photographic self-celebration, of both his body and his artistic genius, which is something Picasso did regularly. The aim was not to create a pastiche of the photograph, or to imitate Picasso, but to incarnate both this ‘painter being’ and the archetype of the virile, macho Spaniard. Through these references, the artist initiates a process of reflexivity and recreation, mixing the familiar and the unfamiliar, recognition and surprise, erudition and facetiousness. A somewhat eccentric, even extravagant transformer, while changing his identity, López-Menchero finds his own. ‘Being an artist,’ he says, ‘is a way of expressing your identity; it’s the act of constantly inventing yourself.’ Each piece is unique, each Trying to be (the title of the series) is a specific adventure, an existential construction composed of autobiographical elements, references to other artworks, self-depiction, and a reflection upon the signals given out by the icon he has envisaged in detail. Ultimately it is self-construction via a continuous reflection on identity and its hybridities, exploring certain myths, their lies and their truths. The artist offers up a combination of exposure, disguise and domestic heroism. ‘Every true artist is a naive hero,’ wrote Émile Verhaeren of James Ensor, whose portrait in a woman’s hat with flowers and feathers Emilio López-Menchero revisited (2010). A naive hero is exactly what he is. On this topic I am reminded of the letter André Cadere wrote to Yvon Lambert in 1978, just before his death: ‘I would also like to say about my work and its multiple realities that there is another fact: the hero. You could say that the hero is in the midst of people, among the crowd, on the pavement. He is a man exactly like any other. But he has a conscience, maybe a way of seeing that, somehow or other, allows things to come to the fore, almost through a sort of innocence.’ This is a very accurate definition of artistic practice: it applies just as much to Emilio López-Menchero who, moreover, incarnated André Cadere (2013), carrying on his shoulder one of the Romanian artist’s round bars of wood, inspired by a now famous photograph taken by Bernard Bourgeaud in 1974. I would add that heroism can indeed be domestic: proof of this lies in the film that Emilio López-Menchero called Lundi de Pâques (Easter Monday, 2007), a ‘making of’ video of his Trying to be John Lennon, inspired by the Let it Be album cover. This film, made with a low budget, which gives it an undeniable intimacy, is a long series of almost pathetic attempts to pose as and inhabit Lennon in a private, homely setting that is strikingly realistic. Here, Trying to be becomes LET ME BE, while Easter Monday is an unusual day, a day, a new day, a regenerative metamorphosis.

Emilio López-Menchero simply had to appropriate Man Ray’s famous photo of Marcel Duchamp dressed as a woman – the identity photo of Rrose Selavy, ‘stuck up and disappointing’, the artist’s ‘alter ego’, Duchamp’s ‘Ready Maid’. Trying to be Rrose Selavy (2005) is the archetype of the genre, in this case a change of gender. Similarly, it was in some way expected, or understood, that he would also incarnate Cindy Sherman (2009). Since her earliest works over 30 years ago, the American artist has almost exclusively used herself as her model and the basis for her compositions. Examining identity, a frenetic need to reproduce her ‘me’, her work represents the ultimate challenge of deconstructing genres, using farce, theatrics and hybridisation. Emilio López-Menchero chose one of Cindy Sherman’s Centerfolds from 1981. These horizontal images, like the double-page spreads in fashion and girly magazines, were commissioned by Artforum but never published, because the editor of the famous art journal believed they reaffirmed too many sexist stereotypes. The American artist – and therefore Emilio López-Menchero as well – is depicted as a vulnerable, fragile woman with no means of escape, held captive by the gaze of others.

Like Cindy Sherman, the Trying to be compositions are mostly photographs rather than videos. Emilio López-Menchero transforms himself with make-up, costumes and accessories. He carefully monitors every aspect of the process, down to the tiniest detail. But the most important thing is the pose – to make his pose as close as possible to the icon he is referencing, but while completely reappropriating it in his own personal way. Mostly, these transformations are based on documentary research, which often guides the process of (re)creation. For example, in the portrait of Balzac in braces – photographed by Bisson in 1842 and owned by Nadar – the Napoleon of the arts has his hand on his heart. When the artist discovered it, the chance of possibly being able to reproduce his physiognomy was what motivated him. At the same time, he was looking at photos of Rodin’s Monument to Balzac taken by Edward Steichen, and various preparatory studies made by Rodin, which led him to the sculpture of Balzac itself. In fact, this duplication, of the sculpture and its photographic avatars, and of the physiognomy of Balzac and the work by Rodin, condenses the process of incarnation he is undertaking. That process ended up as the exhibitionist work that lays bare not only Rodin’s magnificent sculptural gesture, but the artist’s body as well. Exhibiting nudity and virility, López-Menchero strips back the process of synthesis conducted by Rodin, who sculpted the author’s naked body before covering it with a monk’s cowl. He is now as authentically Balzac as Rodin’s sculpture.
To personify Mexican artist Frida Kahlo, he does not choose one of her numerous self-portraits; instead he uses a photograph by Nickolas Muray, entitled Frida on White Bench, taken in 1938, which is both a frontal portrait and a composition. It is the political and cultural manifesto for an autonomous Mexican culture that interests Emilio López-Menchero. The intimate, the artistic, and social and political engagement transfigure Frida, who said that she often painted portraits of herself because she was the person she knew the best. When it was recently suggested to him that he incarnate Fernand Léger, he set his sights on a photo taken in 1950 by Ida Kar, a Russian photographer of Armenian heritage, who lived in Paris and London. Ida Kar took numerous portraits of artists and writers, including Henry Moore, Georges Braque, Gino Severini, Bridget Riley, Iris Murdoch and Jean-Paul Sartre. With a cap jammed on his head, and a salt-and-pepper moustache, Emilio López-Menchero stares down the lens, sitting astride a chair, his elbow resting on its back – a pose that Fernand Léger liked to assume. Reinhart Wolff and Christer Strömholm photographed him in the same pose. Once again, as in many of his Trying to be portraits, Emilio López-Menchero seeks to capture Fernand Léger’s gaze – a gaze full of curiosity for all forms of modernity.

Within this series of portraits – these self-portraits, these reiterated attempts to put himself inside the mind of the model – his Trying to be James Ensor (2010) occupies a unique place. Ensor painted images of himself throughout his career: he left behind over 100 self-portraits. ‘In his early paintings, he appeared young, dashing, full of hope and spirit, at times sad but still splendid,’ wrote Laurence Madeline. ‘Soon, however, he vented his rancour by subjecting his image to a number of metamorphoses. He became a May bug, he declared himself mad, he “skeletonised” himself. He identified himself with Christ, and then with a humble pickled herring. He caricatured himself, made himself look ridiculous… He was both puppet master and puppet, in comedies and tragedies.’ Among these self-portraits is one in a flowery hat from 1883–1888, in which James Ensor modelled himself on Peter Paul Rubens. James Ensor ironically swapped the master’s hat – with panache – for a woman’s hat with flowers and feathers. ‘In these times, when anyone is everyone, the poet, the painter, the sculptor and the musician is only worthwhile if he is authentically himself,’ Emile Verhaeren said of the baron from Ostend. This self-portrait in a woman’s hat is a sort of Trying to be avant la lettre: clearly, he could never have escaped the Emilio López-Menchero treatment.

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Emilio Lopez Menchero, Centrale for contemporary art (8)

Emilio Lopez Menchero

Vue d’exposition (photo Philippe De Gobert)

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Rasputin, 2007
Photographie couleurs marouflée sur aluminium, 108 x 129 cm. Edition 5/5

Emilio Lopez Menchero

Vue d’exposition (photo Philippe De Gobert)

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Engels, 2011
Photographie N.B marouflée sur aluminium, Edition 5/5

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Carlos, série, 2011
Concept & performance : Emilio López-Menchero, photo : Emilio López-Menchero, Jonathan Rosic, Annabelle Guetatra, costumes, accessoires, décor : Emilio López-Menchero, Jonathan Rosic, Annabelle Guetatra. Coiffure, maquillage : Urteza da Fonseca, Annabelle Guetatra. Technique lumière : Philippe Leclercq
Photographies couleurs et NB, marouflées sur aluminium, (9) x 22,2 x 30 cm.
Edition 5/5

Emilio Lopez Menchero

Vue d’exposition (photo Philippe De Gobert)

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Rrose Sélavy, 2005 -2006
Photographie N.B marouflée sur aluminium, 74,5 x 91,5 cm. Edition 5/5

Depuis le début des années 2000, Emilio López-Menchero tente de régulières incarnations . S’approprier le fascinant regard de Pablo Picasso (2000). Habiter Rrose Selavy (2005). Se substituer à Harald Szemann (2007). Incarner les quelques minutes de célébrité wharolienne façon Russell Means (2005). Mettre à nu le monumental Balzac de Rodin (2002). Changer de sexe et composer une Frida Kahlo qui, elle-même, se met en scène (2005). Prendre la pose hiératique de Raspoutine (2007). Conquérir la face christique de Che Guevara (2001). Coiffer le keffieh d’Arafat (2009). Se transformer en Carlos, terroriste et maître de la ruse ou du travestissement (2010). Prendre la pose comme Fernand Léger (2014) qui, lui aussi, troqua le tire-ligne de l’architecte pour les pinceaux du peintre. Quelles motivations peuvent bien pousser Emilio López-Menchero à ces tentatives d’incarnations successives, une petite vingtaine déjà au total ? Lorsqu’il campe l’« autoportrait de Pablo Picasso torse nu en culotte de boxeur » (2000), une photographie prise dans l’atelier de la rue Schoelcher en 1915 ou 1916, tout l’enjeu, dit-il, est de restituer cette autocélébration photographique, tant celle du corps que du génie artistique, dont usa fréquemment le peintre espagnol. Il ne s’agit pas de pasticher le cliché photographique, de singer Picasso, mais bien d’incarner cet « être peintre » autant que les archétypes de l’Espagnol viril et macho. Ainsi, l’artiste initie par ces citations une réflexivité et une recréation, mêlant le familier et l’inédit, la reconnaissance et la surprise, l’érudition et la facétie. Transformiste un brin excentrique, voire même extra¬vagant, López-Menchero, tout en changeant d’identité, trouve la sienne. « Être artiste, dit-il, c’est une façon de parler de son identité, c’est le fait de s’inventer tout le temps » . Chaque œuvre est singulière, chaque « Trying to be » — c’est le titre de la série — est une aventure particulière, chacun est une construction existentielle, composée d’élé¬ments autobiographiques, de renvoi à d’autres productions, d’une mise en scène de soi-même, d’une réflexion sur les signaux émis par l’icône précisément envisagée. C’est, in fine, une construction de soi au travers d’une permanente réflexion sur l’identité et ses hybridités, explorant quelques mythes, leurs mensonges et leurs vérités. L’artiste déambule entre exhibition, travestissement et héroïsme domestique. « Tout artiste vrai est un héros ingénu » écrit Émile Verhaeren, à propos de James Ensor dont Emilio López-Menchero revisitera le portait au bibi à fleurs et plumes (2010). Un héros ingénu, certes. A ce sujet me revient cette lettre d’André Cadere à Yvon Lambert, écrite quelques temps avant sa mort en 1978 : « Je veux dire aussi de mon travail et de ses multiples réalités, il y a un autre fait : c’est le héros. On pourrait dire que le héros est au milieu des gens, parmi la foule, sur le trottoir. Il est exactement un homme comme un autre. Mais il a une conscience, peut-être un regard, qui d’une façon ou une autre, permet que les choses viennent presque par une sorte d’innocence » . C’est sans aucun doute, une juste définition de la pratique artistique ; elle sied tout autant à Emilio López-Menchero qui incarnera d’ailleurs André Cadere (2013), portant sur l’épaule l’une des barres de bois rond de l’artiste roumain, s’inspirant d’une photographie désormais célèbre prise par Bernard Bourgeaud en 1974. On ajoutera que l’héroïsme peut, en effet, être domestique : j’en veux pour preuve ce film qu’Emilio López-Menchero intitule « Lundi de Pâques » (2007), making off vidéographique d’un « Trying to be John Lennon », inspiré de la pochette du LP « Let it be ». Ce film, réalisé avec les moyens du bords, ce qui lui confère une indéniable intimité, est une longue série de tentatives quasi pathétiques de prendre la pose et d’habiter Lennon au cours d’un huis clos familial d’un réalisme saisissant. Le « Trying to be » se décline ici en « Let me be » tandis que le lundi de Pâques est un jour d’exception, un jour, un nouveau jour, une métamorphose régénératrice.

Emilio López-Menchero ne pouvait que s’emparer du célèbre cliché que Man Ray fait de Marcel Duchamp déguisé en femme, cette photo d’identité travestie de Rrose Selavy, « bêcheuse et désappointante, altière égo » de l’artiste, « Ready Maid » ducham¬pienne. Habiter Rrose Selavy (2005) est l’archétype du genre, du transgenre. De même, il était en quelque sorte attendu, ou entendu, qu’il incarne également Cindy Sherman (2009). Depuis ses tout premiers travaux il y a plus de trente ans, l’artiste américaine se sert presque exclusivement de sa propre personne comme modèle et support de ses mises en scène. Regard sur l’identité, frénésie à reproduire son moi, son travail est ultime enjeu de déconstruction des genres entre mascarade, jeu théâtral et hybridation. De Cindy Sherman, Emilio López-Menchero a choisi l’un des « Centerfolds » réalisés en 1981, ces images horizontales, comme celles des doubles pages des magazines de mode et de charme, commanditées par Artforum mais qui ne seront jamais publiées, la rédaction de la célèbre revue d’art estimant qu’elles réaffirment trop de stéréotypes sexistes. L’artiste américaine — et du coup Emilio López-Menchero — incarne une femme vulnérable, fragile, sans échappatoire, captive du regard porté sur elle.

Comme dans le cas de Cindy Sherman, les mises en scène de ces « Trying to be » ne sont destinées le plus souvent qu’à la photographie, plus rarement à la vidéo. Emilio López-Menchero se transforme par le maquillage, le costume, les accessoires, il tente de surveiller son régime avec pondération, contrôle le poil, et surtout prend la pose, la pose la plus proche de l’icône de référence, mais dans une totale réappropriation person¬nelle, le plus souvent fondée sur une recherche documentaire qui bien souvent oriente le processus de (re)création. Ainsi, lorsqu’il découvre la physionomie du portrait de Balzac aux bretelles, dit de Nadar, Napoléon des lettres, main sur le cœur, photographié par Buisson en 1842, c’est la question de physionomie et le hasard d’une éventuelle ressem¬blance qui l’incite. En même temps, il abordera également les clichés du Balzac Monumental de Rodin pris par Edward Steichen, diverses études préparatoires que réalise Rodin, ce qui le mènera à la sculpture du Balzac elle-même. En fait, ce redou¬blement entre la sculpture et ses avatars photographiques, entre la physionomie de Balzac et l’œuvre de Rodin condense le processus d’incarnation qu’il entreprend. Celui-ci débouchera sur cette exhibition qui dénude le génial geste sculptural de Rodin, autant que le corps de l’artiste. Exhibant nudité et virilité, López-Menchero démonte le geste de synthèse de Rodin qui sculpta d’abord le corps nu de l’écrivain avant de le couvrir de sa robe de bure. Il est dès lors autant Balzac que la sculpture de Rodin.
Pour personnifier l’artiste mexicaine Frida Kahlo, il ne choisit pas l’un des nombreux autoportraits de l’artiste, mais bien une photographie de Nickolas Muray, « Frida on Withe Bench », datée de 1938, un portrait frontal, une mise en scène également. C’est ce manifeste politique et culturel en faveur d’une culture mexicaine autonome qui intéres¬se Emilio López-Menchero. L’intime, l’artistique, l’engagement social et politique trans¬figurent Frida qui, par ailleurs, déclare qu’elle s’auto portraiture souvent parce qu’elle est la personne qu’elle connaît le mieux. Lorsque tout récemment, on lui propose d’in¬car¬ner Fernand Léger, il jette son dévolu sur un cliché pris en 1950 par Ida Kar, photo¬graphe russe d’origine arménienne qui vécut à Paris et à Londres. Ida Kar est l’auteure de très nombreux portraits d’artistes et d’écrivains parmi lesquels Henri Moore, Georges Braque, Gino Severini, Bridget Riley, Iris Murdoch ou Jean Paul Sartre. Casquette vissée sur la tête, moustache poivre et sel, Emilio López-Menchero fixe l’objectif, assis à califourchon sur une chaise, le coude appuyés sur le dossier, une pose qu’appréciait Fernand Léger. Reinhart Wolff ou Christer Strömholm le photographièrent dans la mê¬me attitude. Une fois encore, comme dans bon nombre de ses « Trying to be », c’est le re¬gard de Fernand Léger qu’Emilio López-Menchero cherche à capter, un regard empli de curiosité pour toutes les formes de la modernité.

Au fil de cette série de portraits – autoportraits, ces tentatives réitérées de se mettre dans l’esprit du modèle, son « Trying to be James Ensor » (2010) occupe une place singulière. Jamais Ensor n’a cessé de se représenter : on lui doit plus d’une centai-ne d’autoportraits. « Jeune, fringant, plein d’espoir et de fougue, triste mais somptueux parfois, ainsi apparaît-il dans ses premiers tableaux, commente Laurence Madeline . Bientôt cependant il laisse exploser sa rancœur en soumettant son image à de multiples métamorphoses. Il est un hanneton, il se déclare fou, il se « squelettise »… Il s’identifie au Christ, puis à un pauvre hareng saur. Il se caricature, se ridiculise… Il est l’auteur et la marionnette de comédies ou de tragédies ». Parmi ces autoportraits, il y a celui au chapeau fleuri de 1883-1888 où James Ensor se prend lui-même pour Pierre Paul Rubens. James Ensor a ironiquement troqué le chapeau — avec panache — du maître, contre un bibi à fleurs et à plumes. « En ce temps-ci ou chacun est tout le monde, le poète, le peintre, le sculpteur, le musicien ne vaut que s’il est authentiquement lui-même », écrira Emile Verhaeren à propos du baron ostendais. Cet autoportrait au bibi est une sorte de « Trying to be » avant la lettre ; il ne pouvait évidemment échapper à Emilio López-Menchero.

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Emilio Lopez-Menchero, Centrale for contemporary art (7)

Emilio Lopez Menchero

(…) Il en fut de même lorsqu’Emilio López-Menchero installa son « Checkpoint Charlie » (2010) à Bruxelles, porte de Flandres, précisément entre un quartier « gentry », ses bars branchés, galeries d’art et boutiques de mode et l’au-delà du canal, là où la densité de population immigrée y est l’une des plus fortes de la capitale, ghetto émigrant d’abord pakistanais, puis marocain, plus précisément du Rif. La performance de l’artiste, dans un décor quasi cinématographique, cette reconstitution, ce déplacement de l’historique Checkpoint Charlie berlinois, met bien évidemment l’accent sur une fracture urbaine ; elle condense les constats économiques, sociologiques et urbanistiques. Elle est aussi, comme en témoigne le film réalisé durant l’événement, une intervention en contexte réel, se définissant comme un art de l’action, de la présence et de l’affirmation immé¬diate. Impeccablement sanglé dans un uniforme militaire américain, arrêtant d’un geste martial piétons, cyclistes, automobilistes, avec sérieux et un remarquable naturel, Emilio López-Menchero interpelle, explique, ouvre le dialogue, suscite les réactions les plus di¬ver¬ses. La fiction se confond au réel, le dispositif du Checkpoint Charlie est devenu à la fois un espace relationnel et un champ conflictuel, stigmatisant une problématique dé¬pas¬sant de loin une situation locale et singulière.(…)

Emilio Lopez Menchero

Emilio López Menchero
Checkpoint Charlie, 2010-2014
Ensemble de documents relatifs à la performance « Checkpoint Charlie », intervention performative organisée dans le cadre du Festival Kanal à Bruxelles du 17 au 19 septembre 2010. Production Platform Kanal et Art2work/Bellevue-Creative Brewery.
Concept : Emilio López Menchero. Performance : Emilio López-Menchero et Souleimane Benaisa. 2 tables MDF 194 x 80 X 4 cm, sur tréteaux, documents sous verre. 2 lampes de bureau, une projection vidéo

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Emilio Lopez-Menchero, Centrale for contemporary art (6)

Emilio Lopez-Menchero

Emilio López-Menchero
Lundi de Pâques, 2007
Vidéo, 4 :3, son, couleurs, 00 :22 :40

(…)« Tout artiste vrai est un héros ingénu » écrit Émile Verhaeren, à propos de James Ensor dont Emilio López-Menchero revisitera le portait au bibi à fleurs et plumes (2010). Un héros ingénu, certes. A ce sujet me revient cette lettre d’André Cadere à Yvon Lambert, écrite quelques temps avant sa mort en 1978 : « Je veux dire aussi de mon travail et de ses multiples réalités, il y a un autre fait : c’est le héros. On pourrait dire que le héros est au milieu des gens, parmi la foule, sur le trottoir. Il est exactement un homme comme un autre. Mais il a une conscience, peut-être un regard, qui d’une façon ou une autre, permet que les choses viennent presque par une sorte d’innocence » . C’est sans aucun doute, une juste définition de la pratique artistique ; elle sied tout autant à Emilio López-Menchero qui incarnera d’ailleurs André Cadere (2013), portant sur l’épaule l’une des barres de bois rond de l’artiste roumain, s’inspirant d’une photographie désormais célèbre prise par Bernard Bourgeaud en 1974. On ajoutera que l’héroïsme peut, en effet, être domestique : j’en veux pour preuve ce film qu’Emilio López-Menchero intitule « Lundi de Pâques » (2007), making off vidéographique d’un « Trying to be John Lennon », inspiré de la pochette du LP « Let it be ». Ce film, réalisé avec les moyens du bords, ce qui lui confère une indéniable intimité, est une longue série de tentatives quasi pathétiques de prendre la pose et d’habiter Lennon au cours d’un huis clos familial d’un réalisme saisissant. Le « Trying to be » se décline ici en « Let me be » tandis que le lundi de Pâques est un jour d’exception, un jour, un nouveau jour, une métamorphose régénératrice.(…)

Emilio Lopez-Menchero

Emilio López-Menchero
Ego Sumo, 2003
Vidéo, couleurs, 4:3, son, 00 :05 :03. Edition 5/5

Emilio Lopez-Menchero

Emilio López-Menchero
Ego Sumo, 2003
Vidéo, couleurs, 4:3, son, 00 :05 :03. Edition 5/5

(…) D’origine belgo-espagnole, lorsqu’il enfourche son vélo torero torpédo, revêtu du costume de lumière du toréador, les mains bien appuyées sur les cornes acérées de sa monture, le voici hybride d’Eddy Merckx et de Manolete, rendant hommage à Picasso. La performance le mènera durant l’été 2008 au sommet du col d’Aubisque , cela mérite, sur fond sonore de paso-doble, d’être salué. Le corps et son émancipation, à commencer par le sien, a toujours été au centre de ses préoccupations, qu’il s’agisse de se prendre pour un sumo dandinant, magnifique combat du lutteur contre son reflet dans un miroir (Ego Sumo, 2003), d’être, à quelques jours de la remise d’un projet, figé par le stress et le doute, sans voix et la tête prête à éclater, ce qui lui donnera l’idée de se couvrir du bonnet à poil et d’endosser l’uniforme d’un garde du Palais de Buckingham devant les Halles de Schaerbeek à Bruxelles (Garde de Schaerbeekingham, 2010), ou de s’exhiber nu, debout sur une table ronde, campant la stature de Balzac déshabillé par Rodin (Trying to be Balzac, 2002)(…)

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Torero Torpédo, col d’Aubisque, 2008
Vidéo HD, 16 :9, son, couleurs, 00 :32 :30. Edition 5/5

Emilio Lopez Menchero

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Balzac
Suite de 40 photographies N.B, 15 x 23 cm marouflées sur aluminium, 2002-2009. Edition 3/3

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
P.P.bis n°1, 2000 ou Trying to be Pablo Picasso n°1.
Photographie NB marouflée sur aluminium, 87,5 x 129 cm. Edition 5/5

(…) Lorsqu’il campe l’« autoportrait de Pablo Picasso torse nu en culotte de boxeur » (2000), une photographie prise dans l’atelier de la rue Schoelcher en 1915 ou 1916, tout l’enjeu, dit-il, est de restituer cette autocélébration photographique, tant celle du corps que du génie artistique, dont usa fréquemment le peintre espagnol. Il ne s’agit pas de pasticher le cliché photographique, de singer Picasso, mais bien d’incarner cet « être peintre » autant que les archétypes de l’Espagnol viril et macho. Ainsi, l’artiste initie par ces citations une réflexivité et une recréation, mêlant le familier et l’inédit, la reconnaissance et la surprise, l’érudition et la facétie. Transformiste un brin excentrique, voire même extra¬vagant, López-Menchero, tout en changeant d’identité, trouve la sienne. « Être artiste, dit-il, c’est une façon de parler de son identité, c’est le fait de s’inventer tout le temps »(…)

Emilio Lopez Menchero

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Balzac, 2002
Vidéo, N.B. 4 :3, son, 00:06 :38. Edition 5/5

(…) Emilio López-Menchero se transforme par le maquillage, le costume, les accessoires, il tente de surveiller son régime avec pondération, contrôle le poil, et surtout prend la pose, la pose la plus proche de l’icône de référence, mais dans une totale réappropriation person¬nelle, le plus souvent fondée sur une recherche documentaire qui bien souvent oriente le processus de (re)création. Ainsi, lorsqu’il découvre la physionomie du portrait de Balzac aux bretelles, dit de Nadar, Napoléon des lettres, main sur le cœur, photographié par Buisson en 1842, c’est la question de physionomie et le hasard d’une éventuelle ressem¬blance qui l’incite. En même temps, il abordera également les clichés du Balzac Monumental de Rodin pris par Edward Steichen, diverses études préparatoires que réalise Rodin, ce qui le mènera à la sculpture du Balzac elle-même. En fait, ce redou¬blement entre la sculpture et ses avatars photographiques, entre la physionomie de Balzac et l’œuvre de Rodin condense le processus d’incarnation qu’il entreprend. Celui-ci débouchera sur cette exhibition qui dénude le génial geste sculptural de Rodin, autant que le corps de l’artiste. Exhibant nudité et virilité, López-Menchero démonte le geste de synthèse de Rodin qui sculpta d’abord le corps nu de l’écrivain avant de le couvrir de sa robe de bure. Il est dès lors autant Balzac que la sculpture de Rodin.(…)

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Emilio Lopez-Menchero, Centrale for contemporary art (5)

Emilio Lopez-Menchero

Vue de l’exposition

Emilio Lopez-Menchero

Emilio Lopez-Menchero
Union Match, 2014
Huile sur toile, 240 x 200 cm

Emilio Lopez-Menchero

vue de l’exposition

Emilio Lopez Menchero

Emilio Lopez-Menchero
Mama
Acrylique sur toile, 2014

Emilio Lopez-Menchero

Vue de l’exposition

Emilio Lopez-Menchero

Emilio Lopez-Menchero
Teresa, 2012
Huile sur toile, 130 x 115 cm

Emilio Lopez-Menchero

Emilio Lopez-Menchero
Autoportraits, 2013
Huile sur toile, 60 x 40 cm

Emilio Lopez-Menchero

Emilio Lopez-Menchero
Me thinking being Frida , 2011
Huile sur toile, 150 x 130 cm

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Emilio Lopez Menchero, Centrale for contemporary art (4)

Emilio Lopez Menchero

Invité à Bruges en 2008, c’est la contradiction entre tourisme et immigration, hospitalité, mobilité et centre fermé qu’Emilio López-Menchero pointera du doigt (Indonésie, 2008). Il y confronte deux imposantes sculpture, un nuage d’oreillers et une maison brugeoise aux pignons en escaliers, tous les signes extérieurs d’une confortable hospitalité hôtelière. La maison est pourtant un enclos grillagé et quatre porte-voix diffusent quatre voix de femmes aux accents chinois, indien, arménien et guinéen énumérant les nationalités recensées au centre fermé installé dans l’ancienne prison pour femmes de la ville, prévu initialement pour la détention d’étrangers(ères) en séjour illégal, puis également pour celle de demandeurs(euses) d’asile débouté(e)s. Quant au nuage de coussins, il est un hommage à la demandeuse d’asile nigériane Semira Adamou, tuée à Bruxelles National par étouffement lors d’une tentative d’expulsion. Le spectateur qui glissera son corps au cœur de ces oreillers de plumes y entendra Liza Minelli chanter le « Willkommen, Bienvenue, Welcome », du film « Cabaret » (1972), un refrain en boucle, une rengaine étouffée. M, le Géant (2007), ce Monsieur Moderne sans visage et à la silhouette neufertienne, ce monsieur anonyme et hypermoderne, qu’un jour Emilio López-Menchero introduisit dans une procession de géants historiques et folkloriques, est témoin de toute l’affaire. Il a même servi de cheval de Troie à l’artiste, afin de pénétrer dans l’ancienne prison de Bruges à la rencontre des illégaux et déboutés. Il est sous diverses formes omniprésent dans l’œuvre de l’artiste.

Emilio Lopez-Menchero

Invited to Bruges in 2008, in the work Indonésie (2008), Emilio López-Menchero points out the contradiction between tourism and immigration, hospitality, mobility and detention centre. Here, he juxtaposes two imposing sculptures: a cloud of pillows and a traditional Bruges house with gables in the shape of staircases, with all the external signs of comfortable hotel hospitality. However, the house is a wire cage and from four loudspeakers come the sound of four women’s voices speaking with Chinese, Indian, Armenian and Guinean accents, reading out the different nationalities identified in the detention centre inside the city’s former women’s prison, which was initially intended for detaining illegal immigrants, then later for failed asylum seekers as well. The cloud of pillows is a memorial to the Nigerian asylum seeker Semira Adamou, who was suffocated to death at Brussels Airport during an attempt to expel her from Belgium. Viewers who stand in the centre of these feather pillows hear Liza Minnelli singing ‘Willkommen, Bienvenue, Welcome’, from the film Cabaret (1972) – a refrain on a loop, a stifled rendition of the same old song. M, le Géant (2007), a modern man with no face and a Neufert-like body, an anonymous, hypermodern man that one day Emilio López-Menchero introduced into a procession of historic and folklore giants, witnessed the whole thing. The artist even used him as a Trojan horse to get inside the former Bruges prison to meet illegal immigrants and failed asylum seekers. He is omnipresent in various forms in the artist’s oeuvre.

Emilio Lopez-Menchero

Emilio López-Menchero
Brugse Huis (part of Indonesie !), 2008
Technique mixte et dispositif sonore

Emilio Lopez-Menchero

Emilio López-Menchero
Sacs (de la série Indonésie !), 2008
Encre de chine sur papier, 185 x 150 cm

Emilio López-Menchero
Manifestation (de la série Indonésie !), 2008
Encre de chine sur papier, 185 x 150 cm

Emilio López-Menchero
Molenbeek, (de la série Indonésie !), 2008
Encre de chine sur papier, 185 x 150 cm

Emilio Lopez-Menchero

Emilio Lopez-Menchero

Emilio López-Menchero
Willkommen, Bienvenue, Welcome (part of Indonesie !), 2008
Oreillers et dispositif sonore, dimensions variables

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Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Tricot (Indonésie !), 2008
Photographie couleurs marouflées sur aluminium, 150 x 185 cm
Edition 5/5

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Trying to be Cindy, 2009
Photographie couleurs marouflée sur aluminium, 122 x 60 cm. Édition 5/5

Emilio López-Menchero ne pouvait que s’emparer du célèbre cliché que Man Ray fait de Marcel Duchamp déguisé en femme, cette photo d’identité travestie de Rrose Selavy, « bêcheuse et désappointante, altière égo » de l’artiste, « Ready Maid » ducham¬pienne. Habiter Rrose Selavy (2005) est l’archétype du genre, du transgenre. De même, il était en quelque sorte attendu, ou entendu, qu’il incarne également Cindy Sherman (2009). Depuis ses tout premiers travaux il y a plus de trente ans, l’artiste américaine se sert presque exclusivement de sa propre personne comme modèle et support de ses mises en scène. Regard sur l’identité, frénésie à reproduire son moi, son travail est ultime enjeu de déconstruction des genres entre mascarade, jeu théâtral et hybridation. De Cindy Sherman, Emilio López-Menchero a choisi l’un des « Centerfolds » réalisés en 1981, ces images horizontales, comme celles des doubles pages des magazines de mode et de charme, commanditées par Artforum mais qui ne seront jamais publiées, la rédaction de la célèbre revue d’art estimant qu’elles réaffirment trop de stéréotypes sexistes. L’artiste américaine — et du coup Emilio López-Menchero — incarne une femme vulnérable, fragile, sans échappatoire, captive du regard porté sur elle.

Emilio López-Menchero simply had to appropriate Man Ray’s famous photo of Marcel Duchamp dressed as a woman – the identity photo of Rrose Selavy, ‘stuck up and disappointing’, the artist’s ‘alter ego’, Duchamp’s ‘Ready Maid’. Trying to be Rrose Selavy (2005) is the archetype of the genre, in this case a change of gender. Similarly, it was in some way expected, or understood, that he would also incarnate Cindy Sherman (2009). Since her earliest works over 30 years ago, the American artist has almost exclusively used herself as her model and the basis for her compositions. Examining identity, a frenetic need to reproduce her ‘me’, her work represents the ultimate challenge of deconstructing genres, using farce, theatrics and hybridisation. Emilio López-Menchero chose one of Cindy Sherman’s Centerfolds from 1981. These horizontal images, like the double-page spreads in fashion and girly magazines, were commissioned by Artforum but never published, because the editor of the famous art journal believed they reaffirmed too many sexist stereotypes. The American artist – and therefore Emilio López-Menchero as well – is depicted as a vulnerable, fragile woman with no means of escape, held captive by the gaze of others.

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Emilio Lopez-Menchero, Centrale for contemporary art, revue de presse (2)

Lu dans H.ART, sous la plume de Colette Dubois

H.ART

Réécouter le Grand Charivari, sur Musiq3. Un entretien avec Pascale Seys :

 

Lu dans L’AGENDA :

L'Agenda

L'Agenda

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Emilio Lopez-Menchero, Centrale for contemporary art (3)

Emilio Lopez Menchero

Vue de l’exposition

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Le grand capital, 2012
Huile sur toile, 68 x 53 cm.
Collection privée

Emilio Lopez Menchero

Vue d’exposition

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Vu Cumpra ? 1999
Vidéo, couleurs, 4:3, son, 00:07:38. Edition 5/5

C’est à Venise que sont apparus, au cours des années 70, les premiers vendeurs à la sauvette, le plus souvent des immigrés venus d’Afrique du Nord francophone. Leur « Vous, compra ? », version franco-italienne et contraction hâtive de « Vuoi comprare, voulez-vous achetez ? » est passé dans le langage courant : on les appelle depuis les « Vucumprà ». Plus tard, ce sont des vendeurs venus d’Afrique subsaharienne qui ont pris le relais, venus du Sénégal, plus récemment, d’Erithée et enfin d’Afrique noire anglophone. Les derniers arrivés de ces camelots qui agissent en pleine illégalité viennent du Pakistan. Aux touristes qui se pressent, chaque ethnie propose des produits différents : ainsi, si les pakistanais vendent des fleurs ainsi que les fameux cadenas de l’amour, les africains sont spécialisés en contrefaçons. Ce phénomène, on le sait, a fait tâche d’huile et s’est largement mondialisé. A Paris, récemment, plus de 19 tonnes de tours Eiffel métalliques, soit 103.000 pièces, ont été saisies dans une officine tenue par un couple de Chinois. Ceux-ci alimentaient 150 vendeurs à la sauvette par jour, pour une recette de 10.000 euros par semaine. Ces vendeurs de tours Eiffel me font penser à un singulier camelot croisé à Venise en 1999, lors des journées professionnelles de la biennale. En douce, il tentait de fourguer pour quelques lires des répliques miniatures de l’Atomium aux amateurs d’art, collectionneurs du monde entier, directeurs de musées, touristes et simples badauds. Cette performance d’Emilio López-Menchero — il n’y a évidemment que lui pour baratiner les gens de cette manière — me rappelle le « Bliz-aard Ball Sale » de David Hammons. A New York durant l’hiver 1983, Hammons se mêle aux vendeurs du Cooper Square et tente de vendre aux passants un étal de boules de neige triées suivant leur diamètre (de XS à XL). Assignant une valeur à ces œuvres éphémères destinées à fondre, Hammons flirte avec l’illicite, interroge le marché de l’art et attire l’attention sur la précarité d’une part de la population new-yorkaise . « Vucumprà ? » (1999), me paraît, quant à elle, singulièrement exemplative de toute la pratique artistique d’Emilio López-Menchero. En perpétuel questionnement sur l’iden¬tité, il pose lui aussi la question du rôle, de la place de l’artiste dans la société. S’infiltrant dans le cadre officiel de l’art — car bien sûr la Biennale ne l’a pas officiellement convié —, il parasite, revendique son origine composite, évoque l’immigration et l’exclusion, se fond dans l’environnement urbain dont il analyse les symptômes sociaux, s’exalte et sort de son sac de bonimenteur un vulgaire souvenir touristique parfaitement « déplacé » dans le cadre de la Sérénissime, symbole de belgitude, de trente glorieuses perdues, de modernité, un ouvrage d’art et une image de la science, iconique bien que tout le monde ait oublié qu’il s’agit d’une œuvre collaborative imaginée par l’ingénieur André Waterkeyn, érigée par les architectes André et Jean Polak. Emilio López-Menchero, lui aussi, est architecte. Il ne pratique pas mais considère l’espace public et urbain comme un espace critique, il s’y infiltre, il y intervient, qu’il y soit ou non convié.

Emilio Lopez Menchero

Emilio López-Menchero
Déchets, 2014
Vidéo HD, 16 :9, son, couleurs, 00:13:23. Edition 5/5

A Oudenaarde, Emilio Lopez-Menchero montre une vidéo digne d’une agence de communication spécialisée en films d’entreprises. Sa caméra visite bureaux paysagers, ateliers, laboratoires et lieux de stockage de diverses firmes et enseignes de la région. Les images sont lisses et éloquentes, les plans sont larges et ouverts, les ouvriers et employés sont actifs et concentrés ; aucun comité d’hygiène ne trouvera quoi que ce soit à redire de ces divers lieux de travail. Tout cela respire un entreprenariat dynamique et bien mené, un management efficace, une bonne santé économique. D’ailleurs, ces quelques entreprises visitées, ainsi que d’autres, s’associent pour l’occasion à un projet culturel à connotation sociale : cette exposition organisée dans l’ancien cloître d’Oudenaarde, doublée d’une vente au enchères en faveur d’un lieu de ressourcement pour jeunes rencontrant des difficultés. La vente aux enchères sera bien évidemment gérée par une maison de renom. Le thème de cette exposition, confiée à Jan Hoet Junior, s’inscrit lui aussi dans l’air du temps : les artistes participants ont été invités à réfléchir à la problématique très actuelle des déchets. Ainsi, la bonne conscience sera complète et partagée.

La bande son du film réalisé par Emilio Lopez-Menchero est singulière. Une voix off égraine sur un ton monocorde des prénoms, des âges et des professions. Très vite, on se rend compte que cette longue et lente énumération ne correspond pas aux images filmées, que les personnes évoquées ne sont pas celles qui apparaissent à l’écran. Puisqu’il s’agissait d’aborder la notion de déchet, Emilio Lopez-Menchero a eu le culot de demander à ces entreprises de lui fournir la liste des employés et ouvriers licenciés ces dernières années. Certaines ont accepté. C’est la mémoire de ces travailleurs licenciés que le film évoque et celui-ci s’appelle « Déchets »

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