Archives mensuelles : mars 2014

Jacques Lizène et la Civilisation Banlieue

Jacques Lizène

Jacques Lizène présente : L’agrandissement photographique d’une peinture (de 9 cm de haut et 12 cm de large) découverte à l’intérieur de la Civilisation Banlieue. Peinture réalisée avec précision, application et grand mérite (valeur / mérite / travail). (Haut les Coeurs). Tirage argentique sur papier baryté, texte imprimé, 50 x 40 cm, 1975 – 2011. Projet réalisé pour la Neue Galerie Aachen en 1975.

La Neue Galerie d’Aix la Chapelle organise en 1975 une exposition sur la scène jeune de l’art belge. « Belgien, Junge Künstler I. Neue Galerie ». Jacques Lizène y fait trois propositions :

1. Jacques Lizène présente : « danse de derrière le décor », art de banlieue d’un petit maître liégeois. Ballet d’entretien des lieux d’expositions (corvée en forme de danse, faire reluire le lieu écrin de l’art séductif).

2. Jacques Lizène présente : Art du creux de la vague. Facéties académiques d’un petit maître liégeois, artiste de série Z représentatif de la zone périphérique (banlieue). Facétie médiocre I : Intervention sonore sur le réseau de diffuseurs placé préalablement dans une des salles du musée (sonnerie de fermeture toutes les trois minutes, suivie d’un éclat de rire). Facétie médiocre II : intervention sur la structure de visite d’une salle de musée, projet vidéo. Promenade d’une caméra le long des bords d’une peinture exposée. Projection à l’extérieur de la salle d’exposition, celle-ci fermée. 10 minutes d’images sur 30 minutes de film projeté.

3. Jacques Lizène présente : L’agrandissement photographique d’une peinture (de 9 cm de haut et 12 cm de large) découverte à l’intérieur de la Civilisation Banlieue. Peinture réalisée avec précision, application et grand mérite (valeur / mérite / travail). (Haut les Coeurs).

Recyclage encore : cette photographie a été prise lors des « repérages pour un film sur la civilisation Banlieue ». Elle apparaît également dans un perçu non perçu. Considérant sa photographie comme reproduction d’une peinture hyperréaliste, Jacques Lizène fait référence au collectionneur Peter Ludwig, particulièrement intéressé par l’art américain, du Pop au hyperréalistes. A la Neue galerie succédera le Ludwig Forum.

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Valerie Sonnier, Distant proximity, revue de presse

Valerie Sonnier

Dans La Libre du 14.03.2014

De l’art qui évoque nos chers et troublants fantômes
GUY DUPLAT

ARTS VISUELS Art Un parcours sur l’image et ses traces émotives, à la Centrale.
Sa première exposition, « Mindscapes », à la Centrale, à deux pas de la place Sainte-Catherine à Bruxelles, avait déjà donné le ton de ce que voulait faire Carine Fol, sa nouvelle directrice : créer des parcours de découvertes et d’émotions à travers l’art contemporain, mêlé parfois à l’art brut.

L’exposition « Distant Proximity » est dans cette veine. Ce titre de « proximité distante » est un paradoxe, un oxymore, proposé comme fil conducteur possible parmi les propositions des neuf artistes présentés. Les œuvres nous parlent de notre société, de notre vie, de nos souvenirs. Elles sont chargées de tout le poids d’émotions accumulées et oubliées, et sont, en même temps, distantes et imprégnées de cette « inquiétante étrangeté » dont parlait Freud. Le philosophe Eric Clémens cite cette belle phrase de Nietzsche : « Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité ». L’art peut évoquer la réalité mais jamais y être identifié. Il reste une construction à travers nos sens et notre intelligence, d’un réel inatteignable.

Tout en poussières

Fort de cela, on découvre dans cette courte exposition quelques œuvres fortes. Comme l’ensemble des architectures folles et minuscules réalisées par des artistes d’art brut, ACM (pour Alfred et Corinne Marie). Ils reprennent des petites pièces de machines domestiques et les réassemblent en une « ville » qui nous est à la fois proche et infiniment éloignée (comme la maladie mentale). Autour de cet ensemble, on découvre les grandes photos de Nicolas Moulin qui assemble des images d’architectures vides de gens, de lieux fantomatiques, de villes utopiques devenues des déserts comme à Fukushima ou Tchernobyl.

Autour encore, une œuvre ancienne de Françoise Schein (qui bénéficie d’une grande expo pour l’instant au Civa), où elle exprime ses « Souvenirs belges », avec un nœud de veines lumineuses comme nos autoroutes éclairées la nuit, seul artefact humain visible de l’espace avec la muraille de Chine.

Le cœur de cette exposition est l’installation monumentale de Peter Buggenhout. L’artiste gantois a construit un grand objet non identifié et volontairement non identifiable, comme une trouvaille archéologique ressemblant à tout et à rien à la fois. Mélange d’avion crashé, de camion désossé et de déchets, le tout recouvert d’une couche de poussières évoquant le temps passé. A nouveau, un objet qui nous semble proche mais qui reste inaccessible. A nouveau, on peut penser à Tchernobyl ou Pompéi, quand la vie brusquement s’est arrêtée. Une œuvre imposante qui occupe pleinement les espaces difficiles de la Centrale.

Il faut encore voir, parmi les œuvres intéressantes, les dessins et la vidéo de Valérie Sonnier qui montrent l’image réelle ou rêvée de la maison où elle a grandi. Vide de ses habitants, envahie par la végétation, ouverte aux vents et aux fantômes. Fantasme ou réalité ? La vision qu’on a des choses est plus vraie que le réel qui nous échappe toujours. L’image est une manière de modéliser le monde autour de nous, selon nos affects. Une image pas moins « vraie » que la science ou une objectivité impossible.

Sur Musiq 3, le point des arts plastiques, par Pascal Goffaux

musiq3

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Jacques Lizène, Perçu, non perçu, Volets clos & Absence de sujet

Jacques Lizène

Absence de sujet. Photographie NB déchirée et texte manuscrit, 27 x 11 cm, 1972.
Il y a… Il y a un trou… un trou dans le milieu de la photo. Il y avait là, à la place de ce trou, l’image d’un passant, un homme de dos qui marchait, l’on ne sait vers où. Il vous est inconnu… et le restera. (ainsi !) (Artiste de la médiocrité et de la sans importance. Le chic de la démarche de déception).

Jacques Lizène

Jacques Lizène

Volet clos, hommage à la non procréation, 1969-1972, suite de 10 photographies NB, 24 x 24 cm, tirages argentiques

Jacques Lizène

Le perçu et le non perçu, 1973, photographies NB argentiques et texte impimé, 50 x 35 cm, 1973-2011.
Derrière ces détails du paysage urbain, il y a la présence de la fatigue d’un ou de plusieurs individus. Et pour un seul, tous ou quelques uns d’entre eux la réalité vécue de la misère sexuelle et (peut-être) une certaine détresse difficilement supportable. Le perçu et le non perçu, 1973

Jacques Lizène

Le perçu et le non perçu, 1973, 4 photographie NB, tirage argentique, texte imprimé, 50 x 35 cm 1973–2011.
8 mai 1961 – 5 novembre 1965 – 7 mai 1968 – 2 novembre 1973. Les dates inscrites en légende de ces photographies sont fausses et mensongères (aieaieaie !) puisque ces quatre volets clos ont été en fait photographiés la même année (1972), un même jour, à peu près à la même heure… hop !

Jacques Lizène

Le perçu et le non perçu, 1973. Photographie NB, tirage argentique, texte imprimé, 40 x 37 cm. 1973 – 2011.
Peut-être que ce volet clos dissimule non pas une épicerie mais une boutique de lingerie fine. Le perçu et le non perçu, 1973.

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Valerie Sonnier, Distant Proximity, Centrale for contemporary Art, Bruxelles (1)

Valerie Sonnier

Valerie Sonnier

Entre chien et loup, 2012
pierre noire et cire sur papier, 210 x 123 cm

Lorsque Valérie Sonnier entreprend son film « Des pas sous la neige » (2011) et retourne donc dans cette maison familiale de la rue Boileau à Versailles, elle a soin de laisser grand ouverts les battants de toutes les fenêtres. La maison est ainsi ouverte à tout courant d’air ou tout souffle, de quelque nature serait-il. La cinéaste a choisi la nuit tombante, la nuit tombée, le moment est incertain ; c’est un venteux soir d’orage et les rideaux, aux embrasures des fenêtres ouvertes, s’envolent. Avec ses pilastres, ses balustrades, le péristyle de la terrasse donnant sur un jardin où la nature a depuis longtemps repris ses droits, cette maison d’un autre âge, désuète et décrépie, conserve néanmoins une certaine noblesse. Sans doute, a-t-elle connu des jours fastes, une activité vivace. En fait, cette maison pourrait très certainement être un décor de film. La caméra de Valérie Sonnier explore des pièces de séjour désolément vides. L’image, naturellement dirais-je, est noire et blanche. Un fantôme apparaît dès les premiers plans du film, entré dans le champ de la caméra sur la pointe des pieds, sans doute par l’une des nombreuses fenêtres ouvertes. Ses discrètes apparitions, au détour d’un couloir, sur la terrasse, se font de plus en plus précises. Il est bien là, immatériel, intangible, impondérable. Il hante la maison et le jardin ; il hante une maison elle-même fantomatique. La neige étend son linceul sur le jardin ; le suaire du fantôme s’y confond. Celui-ci finit par disparaître derrières les frondaisons des arbres ployant sous la neige. Autant le ciel d’orage était noir, autant les dernières images du film sont blanches.
Volontairement, Valérie Sonnier renoue avec les chasses aux fantômes de l’enfance, avec cette magie illusionniste d’une apparition bien réelle qui exerce, de singuliers effets de fascination. Je repense au cinéma de Georges Mélies, à ses spectres comiques, aux fantômes évanescents et aériens qui surgissent par enchantement, ces œuvres d’une époque où la confrontation entre photographie spirite, spectacles de magie, pratiques médiumniques et celles du cinématographe laissent le spectateur littéralement sidéré, happé tant par ce qu’il voit que par la manière dont il voit, sans plus aucune mise à distance. on ne peut ici, qu’évoquer l’extrême similitude qui existe entre le film de Valérie Sonnier et cette célèbre photographie de Lartigue, prise en 1905, intitulée: « Mon frère Zissou en fantôme, Villa Les Maronniers, Château Guyon 1905 ». Il s’agit là d’une unique apparition d’un lointain, si proche soit-il », pour reprendre l’expression de Walter Benjamin. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l’aura, c’est elle qui se rend maîtresse de nous ».

Lorsque Valerie Sonnier dessine cette maison de la rue Boileau, choisissant un point de vue qui confère des allures de petit Trianon à l’austérité des arrêtes de la façade flanquée de grands arbres, elle opte pour un format panoramique proche du cinémascope. Et dès le moment où elle entreprend de dessiner la maison et le jardin sous tous leurs angles, c’est l’imaginaire d’un story-board qui la conduit. Valérie Sonnier travaille sur d’anciens cahiers de comptes, se fixant des cadrages parcimonieux ; son dessin est minutieux, précis, comme s ‘il s’agissait de consigner –et les marges comptables restent apparentes – le moindre mouvement du vent dans les broussailles. Ce que nous voyons nous est proche, comme instantané, alors que ces œuvres nous semblent lointaines et hors du temps. Qu’elle filme, dessine, ou peigne les rosiers du jardin, les images de Valérie Sonnier sont bien souvent les fantômes d’elles-mêmes. C’est là la mise à jour d’un inconscient de la vision. Comprendre une image, c’est se mettre, en la regardant, à l’écoute de sa teneur temporelle. L’image, elle-même, a sa capacité de revenance.

Née en 1967, Valérie Sonnier vit et travaille à Paris. Diplômée des Beaux-arts de Paris et licenciée en arts plastiques, elle est professeur de dessin et de morphologie aux Beaux-arts de Paris depuis 2003. Après avoir suivi le séminaire de Jeff Wall à l’université de British Columbia à Vancouver, elle a développé son travail personnel, jetant des passerelles d’un médium à l’autre. Dessins, peintures, photographies et films Super 8 tissent des liens entre souvenirs intimes et mémoire collective de l’enfance.

Valerie Sonnier

Valerie Sonnier

Neuf heures et demie du soir. Eté, 2014
pierre noire et cire sur papier, 210 x 123 cm

Valerie Sonnier

Valerie Sonnier

24 juin, 22h20.2012
pierre noire et cire sur papier, 210 x 123 cm

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Les Regardeurs, René Magritte, Le Stropiat et Jacques Lizène

A l’occasion des Regardeurs sur France Culture, Jean de Loisy, Bernard Marcadé et François Curlet abordent le Stropiat de René Magritte. A propos de la période vache, ils évoquent l’oeuvre de Jacques Lizène. Avec une petite chanson médiocre et la voix de René Magritte sur fond de boîte à rythme lizénienne !  A écouter, on ne s’ennuiera pas un seul instant.

Les regardeurs

 

Aujourd’hui nous regardons une œuvre de René Magritte intitulée Le Stropiat de 1947, peinture qui appartient à ce qu’on appelle la période « vache » de Magritte, qui ne dura que quelques mois, et donna lieu à de nombreuses incompréhensions car les huiles et les gouaches qu’il exécuta alors étaient très loin de l’aspect froid et net des peintures exécutées auparavant.
Soutenu par Louis Scutenaire,son ami écrivain et poète belge, dans cette « remise en jeu » de son propre art, il exacerbe ici son irrespect vis-à-vis des choses établies. Louis Scutenaire, notre regardeur donc, qui expérimente lui-même dans l’écriture ce massacre, ce désordre libérateur, et qui est bientôt le seul à soutenir Magritte dans ce qu’on a pris à l’époque pour une incartade. Pour en parler, nous recevons l’artiste François Curlet et Bernard Marcadé
Signalons en ce moment et jusqu’au 1er juin 2014, l’exposition « Magritte : The Mystery of the Ordinary, 1926–1938 », à la Menil Collection, Houston, USA.
Musique: Chanson minable, de Jacques Lizène.

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Jacques Lizène, une tentative de sourire, mais l’on sait le vécu quotidien de la plupart des gens

Jacques Lizène

« Et une tentative de sourire d’un petit maître liégeois de la seconde moitié du XXe siècle ». photographie argentique NB et texte imprimé. 73 x 57cm. 1974.

Janvier – février 1974, il y a donc tout juste quarante ans.  Quatrième et dernière exposition personnelle de Jacques Lizène à la galerie Yellow Now. Lizène présente ses 144 tentatives de sourire. Or plus précisément ses « 144 tentatives de sourire… mais l’on sait le vécu quotidien de la plupart des gens ». L’œuvre consiste en 144 clichés noir et blanc, en paysage, photographies du visage du Petit Maître tentant de sourire, durant une déambulation au travers des rues et quartiers de Liège. Ces 144 clichés et stations sont accompagné par une bande sonore : «  881 tentatives de rire, enregistrées sur cassette, tout d’une traite ». Pour l’occasion, la galerie publie une plaquette de huit pages, reprenant, sans commentaire aucun, un extrait des tentatives de sourire.

Quelques photographies en portrait on également été tirées durant cette déambulation souriante. Elles seront recyclées par le Petit Maître. L’une d’elle accompagne, comme une signature ou comme un contrepoint, « Documents rapportés d’un voyage au cœur de la civilisation Banlieue (Ougrée, banlieue industrielle liégeoise), par un Petit Maître pauvre pitre en art, artiste de la médiocrité, représentant de la Banlieue de l’Art » (collection Muhka, Anvers).  Voici un autre sourire solitaire, collé sur le même type de carton que celui utilisé pour « Conséquence du fait présenté ci-dessus (personnage photographié écrasant le bout de son nez contre la surface de la photo) : saignement de nez, traces récoltées sur mouchoir de poche… On ne joue pas impunément avec le mensonge et l’artifice ». Jacques Lizène colle une étiquette dont il rature les bords sous la photographie; elle agit comme un cartel sur lequel on peut lire : « Et une tentative de sourire d’un petit maître liégeois de la seconde moitié du XXe siècle »

Jacques Lizène

Jacques Lizène

Edition Yellow, 1974. 8 pages, non paginé.

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Sophie Langohr, Icones, BIP 2014, Liège

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Dans le cadre de la 9e biennale de la photographie à Liège, BIP 2014, Pixels of Paradise, Sophie Langohr participe à l’exposition « Icones » qui se tient au BAL à Liège. Elle y propose une nouvelle série de travaux intitulés « Drapery »

Sophie Langohr

Hugo Boss advertising campaign Spring/Summer 2012 de la série Drapery, photographie couleur (tirage jet d’encre), 34 x 26 cm, 2013.

DRAPERY

« Et fais peu de plis, sauf pour les vieillards en toge et pleins d’autorité » Léonard de Vinci.

Abordant cette nouvelle série de travaux de Sophie Langohr, série intituée « Drapery », me revient en mémoire cette singulière exorde de Léonard. « Et fais peu de plis, sauf pour les vieillards en toge et plein d’autorité ». Le conseil, émis par l’un des maîtres du plissé semble étonnant. Souvenons nous de cette « Draperie pour une figure assise » du Louvre, elle est en tout point remarquable. Au pinceau, à la tempera et avec des rehauts de blancs, Léonard, par le seul drapé, nous donne à voir un corps à peine indiqué, tant le peintre a étudié ce que l’on peut appeler le tombé des plis, la chute et la retenue de l’étoffe, par déploiements successifs, comme si l’impulsion du mouvement demeurait intacte même loin de sa source. Vasari lui-même en témoigne : « Léonard étudiait beaucoup sur nature, écrit-il, et il lui arrivait de fabriquer des modèles en terre glaise sur lesquels il plaçait des étoffes mouillées, enduites de terre, qu’il s’appliquait ensuite à peindre patiemment sur des toiles très fines ou des lins préparés : il obtenait ainsi en noir et blanc à la pointe du pinceau des effets merveilleux ; nous en avons des témoignages authentiques dans notre portefeuille de dessins ». Le conseil de Leonard, qui ajoute « imite autant que possible les Grecs et Latins dans leur manière de montrer les membres quand le vent presse les draps contre eux » tranche par sa singularité. C’est la reproduction de la nature des choses qui intéresse l’artiste, la nature même de la nature. Et cet art de la suggestion où le fait de cacher met en valeur, n’est pas véritablement un concept qui appartient à la nature. Il est le produit de la main humaine qui tisse. Il est artifice.

C’est bien cette notion d’artifice qui intéresse Sophie Langohr. « Drapery » s’inscrit dans une suite de recherches qui, revisitant une iconographie classique, réévalue nos perceptions d’un monde actuel, plus particulièrement celui du luxe et de la beauté. Après s’être intéressée aux Vierges, saintes et statues mariales, feuilletant « Vogue» ou tout autre revue de mode, c’est un peu comme si elle prêtait une attention particulière aux nymphes, ces divinités mineures irradiantes d’une véritable puissance à fasciner. Elles traversent l’histoire depuis l’antiquité, obsolètes, renaissantes, survivantes, nymphes drapées, souvent érotiques, parfois inquiétantes, Vénus et jeunes vierges de la Renaissance, Ménades chrétiennes, martyres baroques, nymphes hystériques de Charcot. A la suite d’Aby Warburg qui voyait dans la « Ninfa » un fantôme féminin sans cesse retrouvé, Geroges Didi Hubermann, les a poursuivies de ses assiduités, considérant au travers des siècles la draperie, ce drapé tombé, comme « un outil pathétique ». Jusqu’à jeter la robe de la nymphe, en tas, chiffonnée.

La publicité pour le luxe et la beauté, arty, sophistiquée, piochant d’ailleurs sans cesse dans les réserves des musées, happant le regard sur ce qui est rare et donc précieux a bien sûr perçu tout le potentiel de désir qu’un plissé peut contenir. Sophie Langohr a arrêté son regard sur les mains, celles qui dans l’image publicitaire retiennent un drapé prêt à tomber, qui froissent le voile, le drap, l’étoffe. Ces mains caressent, dévoilent, protègent, étreignent, retiennent, s’alanguissent ou se crispent, incarnant l’éros et le langage du corps. Et l’artiste accentue le trouble que ces images suggèrent, déroutant notre regard. Car comme Léonard plaçait des étoffes mouillées sur ses modèles de terre glaise, Sophie Langohr froisse, fripe, lisse et drape le papier glacé, singulières manipulations où chairs, draps et plis sur papier satiné finissent par se confondre dans la chute, la retenue, la crispation et l’étreinte. Entre consumation et consommation, elle renoue avec l’incarnation de l’icône et désincarne à la fois l’image de ces voiles et étoffes vides de corps, papier chiffonné, défroque de l’industrie de la consommation. Sophie Langohr entretient le trouble, l’ambigüité et l’équivoque. La frontière est en effet ténue, illustrant l’irrésistible attraction de la fabrique des images, sa force persuasive capable d’emporter notre adhésion, la publicité s’investissant de l’étoffe de l’art.

Sophie Langohr

Chopard advertising campaign de la série Drapery, photographie couleur (tirage jet d’encre), 57 x 43 cm, 2013.

Au Musée des Beaux-Arts de Liège – BAL, la programmation de BIP2014 rentrera en dialogue avec les collections permanentes du Musée. Peintures classiques et modernes, figuration et abstraction, pièces contemporaines, Trésors de la Fédération Wallonie-Bruxelles et collection Graindorge seront réorganisés pour répondre à la sélection de BIP2014 sur le mode de la distanciation, du reflet et de la résonance. La vaste question de la représentation artistique, de son champ d’action et de ses effets sur le sens donné par l’homme au monde à travers les âges, sera interrogée par la photographie. Le pictural y sera relayé par l’image mécanique et vice-versa, grâce à de subtils effets multiplicateurs et de retournements. Les catégories admises de l’histoire de l’art, les consécrations et les acquis seront revisités par le petit bout de la lorgnette.

Au 3e étage, en présence de pièces des XVIIe, XVIIIe et XIXe et d’une sélection spéciale opérée pour l’occasion, la question du portrait et du corps sera mise en perspective, à l’intersection du pictural et du photographique. Les représentations symboliques et mythiques, notamment dans leurs enjeux d’élévation spirituelle, seront également revisitées par la présence d’oeuvres contemporaines qui les réexaminent sous un angle différent, proche et lointain à la fois.

Le 2e étage, consacré aux Trésors, à la modernité et au contemporain, verra là aussi s’établir un dialogue inédit entre les occurrences actuelles de la photographie et les mouvements artistiques reconnus. Impressionnisme, surréalisme, courants abstraits et minimalistes se verront inscrits dans leur devenir, à travers des relectures et des poursuites qui s’inscrivent étonnamment au détour des évolutions de l’histoire de l’art et des techniques.

Les Trésors des Collections de la Fédération Wallonie-Bruxelles, avec parmi eux les célèbres tableaux de la vente de Lucerne, seront quant à eux présentés dans un préambule distancié où la figure de l’artiste maudit, du chef-d’œuvre, de l’original et de l’unique, seront réinterprétés, avec humour et néanmoins profondeur.

Enfin, plongée dans l’obscurité, la Salle Saint-Georges au rez-de-chaussée accueillera des installations vidéos où l’élévation et la chute, le mouvement et l’immobilité, l’image et sa disparition se croiseront en résonance.

Le parcours au BAL se terminera par l’Espace Jeune Artiste qui sera investi par de jeunes photographes sélectionnés spécialement pour l’occasion.

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Paul Pierart, Capitaine Lonchamps, Vue de l’Esprit, BIP 2014, Liège

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Dans le cadre de la 9e biennale de la photographie à Liège, BIP 2014, Pixels of Paradise, Capitaine Lonchamps et Pol Pierart participent à l’exposition : Vue de l’Esprit.

Présentée à la Maison Renaissance de l’Emulation et au Cercle des Beaux-Arts voisin, l’exposition Vues de l’Esprit est un projet de l’asbl Les Brasseurs – Art Contemporain (commissariat : Emmanuel d’Autreppe, Dominique Mathieu, Yannick Franck).

Outil par excellence, depuis ses origines, de la retranscription du réel – ou du moins de la transcription du visible –, la photographie a toujours entretenu une fascination et mêmes d’évidentes affinités avec ce qui la dépassait, lui échappait : l’invisible. La photographie a d’emblée oscillé entre deux pôles, finalement moins contradictoires que complémentaires : le positivisme et certaines formes, parfois élaborées, de « pensée magique ». Voir mieux, voir « entre », voir plus loin, plus près, au travers ou au-delà : la soif de voir de la photographie était inextinguible et, en soixante ans d’existence (1840-1900), elle accompagnait sans cesse de nouveaux usages, des perfectionnements techniques, des croyances inédites. La fin du XIXe siècle cherchera à capter les auras et les fluides, les ondes et les pensées, les états-limites, le paranormal, les images mentales

Surfant sur le succès crédule et mondain du spiritisme et de l’occultisme, la photographie spirite, quant à elle, profitera des accidents du hasard et des imprévus de la technique pour entretenir avec l’au-delà des liens prétendument privilégiés, faisant apparaître les fantômes, s’élever les tables et les âmes, s’allumer les ombres…

Nombre de travaux actuels, qu’ils réfèrent explicitement ou non aux essais historiques en la matière, continuent de s’intéresser à cet invisible qui toujours bordera la photographie, à ces croyances obscures ou lumineuses qu’elle perpétue en son sein, à la capacité de l’image, par transfert argentique ou numérique, à nous mettre en contact avec « l’âme humaine » ou avec les mystères du magnétisme psychique… Il s’agit alors d’envisager la photographie aussi et peut-être avant tout comme image mentale, comme l’expression visuelle d’une forme de pensée, comme le dévoilement du monde par-delà ses « simples » apparences : instrument privilégié d’une introspection ou d’une rêverie, aire de déploiement d’un imaginaire et d’une poésie dont les contours mal définis, de raison en déraison, d’illusion en hallucination, ne cessent d’être repoussés.

Capitaine Lonchamps

A propos de la contribution du Capitaine Lonchamps :

– J’ai le sentiment qu’il y a comme un rituel dans bon nombre des travaux que vous menez. Je pense à cette vidéo que vous avez mise en scène dans une clairière à la tombée de la nuit. Vous y apparaissez assis à même le sol, cagoulé, habillé de noir, mais couvert de neige. Devant vous, une couette enneigée sur le sol et une marmite dans laquelle vous allumez un feu. Et vous semblez prononcer des incantations tandis que le feu grandit. Vous appelez la nuit. Fait extraordinaire, la nuit tombe en effet au fur et à mesure que le temps passe. C’est comme un sorcier indien qui, dansant, réussirait à faire tomber la pluie.

– C’est à peu près cela. (Rires.) Mais je n’ai pas créé ce personnage de Snowman, cagoulé et enneigé, pour me glisser dans la peau d’un chaman ! Au contraire, il y a un côté comique à la chose. Je me souviens d’ailleurs qu’au moment du tournage, j’ai failli prendre feu : mon costume était synthétique et j’étais trop proche de la marmite de feu. Cette vidéo fait partie d’une préoccupation plus ample : ce sont les litanies qui m’intéressent, le fait de répéter sans cesse ce mot « nuit » comme si j’invoquais la nuit elle-même. Il existe aussi une œuvre, seulement sonore, de cette même « nuit », un simple enregistrement sur bande magnétique. Comme j’ai également psalmodié le mot « plâtre » de toutes les façons. C’est assez étonnant ; le mot évoque le blanc, le son va jusqu’à évoquer les croassements de quelque rapace nocturne. Il y a comme une angoisse qui surgit.

Extrait de : Capitaine Lonchamps, Ne Neige pas qui veut, édition L’Usine à Stars, 2008

Nuit, DVD 13.50″. couleurs, son. 1994-96 – 2004

Pol Pierart

A propos de Pol Pierart :

(…) Très singulières, ces photographies le sont tout autant. Ce sont, la plupart du temps, de petites mises en scène, appariant des mots et des objets. Des cartons, des écriteaux, parfois des inscriptions interagissent avec les objets posés dans le champ, voire, lorsque l’artiste quitte l’atelier, avec le paysage urbain ; ils donnent à lire de courtes phrases qui fonctionnent comme des énoncés aphoristiques, des petites sentences péremptoires ; ces courtes phrases résonnent comme des slogans, des lieux communs, des phrases de routine, des truismes proverbiaux ou des annonces publicitaires. Pol Pierart substitue une lettre, un phonème pour un autre, il remplace un mot par un autre qui lui est proche, phonétiquement ou sémantiquement. Il bouscule les isotopies, il cherche une efficacité toute perlocutoire, il détourne et modifie le sens ; plus simplement, il considère le langage comme une pâte à modeler, en toute irrégularité.
Bon nombre de ces courtes affirmations sont en effet des calembours, ces jeux de mots fondés sur une similitude de sons recouvrant une différence de sens. Je repense aux aphorismes de Paul Nougé. « On sait ce que parler veut rire ». « A l’humour à la mort ». « Le jeu des mots et du hasard ». « Il faut penser à travers tout ».
Paul Nougé, en effet, n’est assurément pas loin. Je retrouve dans ses « Notes sur la poésie », publiées dans « Les Lèvres Nues », ce passage sur le langage. Les œuvres de Pol Pierart m’en semblent, en effet, fort proches : « Le langage, estime Nougé, et particulièrement le langage écrit (est) tenu pour un objet, un objet agissant sans doute, c’est à dire capable à tout instant de faire sens, mais un objet détaché de qui en use au point qu’il devient possible dans certaines conditions de le traiter comme un objet matériel, une matière à modifications, à expérience. D’où l’intérêt, tout particulier des jeux qui ont pour élément principal le langage : jeux de mots, devinettes, charades, papiers pliés ; l’intérêt des démarches qui tendent à situer le langage en tant qu’objet, à l’analyser : grammaire, syntaxe, sémantique ; l’intérêt de ses manifestations naïves les plus détachées que puisse admettre le commun des esprits : réclames, anecdotes, fables, apologues ; ou pour mieux dire, là où le commun des esprits en use avec le plus de liberté, avec le seul souci, indépendamment de toute préoccupation d’expression ou de véracité, d’un effet à produire ». Oui, dans l’œuvre de Pol Pierart, le langage est un objet modifiable à la manière d’un objet matériel, un objet très concret, un carton, un écriteau, que Pol Pierart met d’ailleurs en relation avec d’autres objets matériels, un ours en peluche, un petit squelette, un crucifix, des espadrilles, une main, des clous, une mappemonde, un gant, une commode, un miroir, des objets courants et sans prestige, l’effet produit, créateur de sens, n’étant d’ailleurs pas sans conséquences.

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Jacques Lizène, travaux sur le cadre (2)

Jacques Lizène

Petit maître liégeois ayant accroché sa cravate au cadre de la photo, 1971. Variante : Personnage dont la cravate s’est accrochée au bord du cadre de la photo, alors qu’il s’introduisait, par un petit bord, à l’intérieur de celle-ci. Photographie NB, tirage argentique vintage, 18 x 24 cm, 1971. Avec une impression du numérique du making of comme extension du perçu – non perçu.

Jacques Lizène

Making off. Archives Yellow.

Jacques Lizène

Petit maître liégeois hésitant à entrer dans le cadre de l’une ou de l’autre photo, 1971. 2 photographies NB, tirages argentiques vintage collées ensemble 24,5 x 18 cm.

Jacques Lizène

Petit maître liégeois s’introduisant dans le cadre d’une photo depuis une autre photo, 1971. Photographie NB, tirage argentique vintage, 18 x 24 cm, 1971. Avec une impression du numérique du making of comme extension du perçu – non perçu.

jacques Lizène

le making off. Archives Yellow.

Jacques Lizène

Petit maître liégeois s’introduisant joyeusement dans le cadre d’une photo, 1971. Variante : Petit maître liégeois entrant dans les limites du cadre d’une photo. Photographie NB, tirage argentique vintage, 18 x 24 cm, 1971.

Jacques Lizène

Petit maître liégeois s’introduisant joyeusement dans le cadre d’une photo, 1971. Variante : Petit maître liégeois entrant dans les limites du cadre d’une photo. 2 photographies NB, tirage argentique, collées ensemble, 17 x 8 cm, 1971.

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Sophie Langohr, Capitaine Lonchamps, Pol Pierart, BIP 2014 Liège. Pixels of paradise

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Sophie Langohr, Capitaine Lonchamps, Pol Pierart participent tous trois à la 9e édition de la biennale internationale de photographie de Liège, BIP 2014. Le thème de celle-ci: Pixels of paradise. Image et Croyance.

Voir et Croire seront les deux mots-clés de BIP2014, la 9ème édition de la Biennale internationale de la Photographie et des Arts visuels de Liège, intitulée PIXELS OF PARADISE. L’image est en effet toujours une ambigüe source de promesses. Elle ment et dit la vérité en même temps. Son pouvoir d’envoûtement et sa puissance de preuve vont de pair. C’est ce lien indéfectible que BIP2014 tentera d’explorer à travers une sélection artistique éclectique où la mystification tout autant que le sacré auront leur place, bien souvent noués l’un à l’autre…

Le voir et le croire sont profondément inscrits dans la tradition chrétienne et ce terreau culturel a des conséquences sur notre rapport aux images, que l’on soit croyants ou non. Malgré l’interdiction du deuxième commandement de la Bible, le christianisme a ainsi produit des images qui avaient statut d’icône et qui servaient comme telle dans le culte. Néanmoins, la querelle des iconoclastes et des iconodules (aux VIIIe et IXe siècles) montre que, lorsqu’il s’agit de croyance dans l’image, la frontière entre l’eikon (l’icône, où l’image est un médium pour atteindre la divinité irreprésentable et dont le statut est symbolique) et l’eîdolon (l’idole, où l’image est vénérée pour elle-même, comme si elle incarnait la divinité en vérité et en réalité) est mince.

Dans notre culture occidentale, cet ancrage religieux et métaphysique de l’image, a imposé au fil des siècles un imaginaire de « l’image non peinte », produite par impression, transfert ou empreinte, et dont la photographie – et à sa suite le cinéma et les autres moyens de reproduction mécanique du visible – est venue révéler l’immense puissance.

Sur base de cette attirance à laquelle il est bien difficile de résister, le pouvoir, qu’il soit clairement identifié ou plus nébuleux, utilise massivement la force de persuasion visuelle pour tenter d’emporter notre consentement, conscient ou inconscient. Le fanatisme de l’image et son cortège d’effets de croyance prend en effet de nos jours une dimension qu’elle n’a jamais atteinte auparavant, peut-être en contrepoint d’une société qui se prétend être rationnelle. Industries médiatiques et de la communication, prosélytisme religieux et spirituel de toute sorte, marketing et économie comptent parmi les champs d’action des images, lourdement convoquées pour nous pousser à les suivre.

Il ne s’agit bien entendu pas de jouer au “vrai ou faux” mais, au contraire, de prendre la pleine mesure de ce flottement immuable dans notre rapport aux images et à leur « vérité ».

Le paradis est pixelisé.

BIP 2014

A Liège, du 15 mars au 25 mai 2014. Divers lieux
Sophie Langohr propose ses oeuvres au BAL dans l’exposition « Icone »
Pol Pierart et Capitaine Lonchamps exposent dans « Vue de l’Esprit » au Cercle des Beaux-Arts

A Eupen, dans le cadre du BIP Off, on découvrira l’exposition « Glorious Bodies », un duo entre Jacques Charlier et Sophie Langohr à partir du 20 avril.

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