Peindre, dessiner, filmer la vallée de la Loue : Valérie Sonnier expose en compagnie de Jérémy Liron et Raphaël Renaud au Manoir, centre d’art et de villégiature à Mouthier-Haute-Pierre. Nous ne sommes pas loin d’Ornans, terre natale de Gustave Courbet. Tout naturellement, les trois artistes sont parti sur ses traces au fil de la vallée de la Loue. Courbet s’est échappé des normes traditionnelles de la peinture en subordonnant la description de la nature à une expérience éminemment personnelle. Ses motifs furent principalement ceux de sa région natale, la Franche-Comté. La vallée de la Loue, ses grottes et ses sous-bois, furent ainsi inlassablement visités comme autant de repères nécessaires à l’équilibre de sa peinture.
Emilio Lopez-Menchero participe à la 15e édition de Art au Centre, au centre ville de la Ville de Liège. Art au Centre consiste à investir les vitrines des cellules commerciales vides pour y installer des œuvres d’artistes contemporains liégeois, belges et étrangers, afin d’offrir au visiteur un parcours artistique à travers la ville. Vernissage ce 17 octobre, départ à 18h, esplanade St-Léonard, occupation des vitrines jusqu’au 31 décembre.
Emilio Lopez-Menchero, Camarades ! Trying to be Lev & Iossif
En 2005, Emilio Lopez Menchero réincarnait Frida Kahlo. Presque 20 ans après, il rentre dans la peau de l’un des plus célèbres des amants de l’artiste mexicaine, Lev Davidovitch Bronstein, mieux connu sous le nom de Léon Trotski. Et pour ne pas faire les choses à moitié, l’artiste tente également d’être Iossif Vissarionovitch Djougachvili, Joseph Staline. Une rivalité, un duel, un face à face entre l’intellectuel juif idéaliste et le brigand géorgien taciturne, entre le flamboyant champion du communisme universel et celui d’une URSS laboratoire politique. Tout a commencé, explique Emilio Lopez Menchero, lorsque j’ai ouvert un livre hérité de mon grand-père, qui lui aussi a été exilé, une traduction en espagnol de Staline, la biographie écrite par Trotski, son dernier ouvrage avant qu’il ne soit assassiné au Mexique par Ramon Mercader, stalinien catalan et agent du NKVD . Tenter d’être, le même jour, Lev Trotski et Iossif Staline, tout cela a eu lieu l’été dernier, à l’invitation de Jordi Colomer, à Agullana en Catalogne, lieu le plus emblématique du grand exode républicain et catalan de 1939. J’ai appris à danser la Sardana, une danse traditionnelle catalane où les danseurs en cercle se tiennent par la main. Je la danse au son de l’Internationale, explique Emilio Lopez Menchero.
Pour Art au Centre, Emilio Lopez Menchero expose les films de la performance Trying to be Lev & Iossif ainsi que les dessins préparatoires.
In her photographs, films, and installations, Aglaia Konrad turns her attention, frequently and with great intensity, to architecture, the urban environment, or even space as such. During the shooting of architecture, urban space, and infrastructure, she refined her visual perception of all the inseparable individual components by necessity linked to designing, construction, but also to demolition and building anew. In recent years, she has become interested in the relation between destruction (buildings of the postwar period or entire urban districts) and reconstruction, or the new buildings arising on the same site. Her attention is concentrated on the processes often termed “retroactive building” (Rückbau), viewing “demolition as an unavoidable aspect of progress.” Rückbau, as a sculptural process, is an approach through which the artist understands demolition as an expansion of architectural practice and one where she involves physical building waste as a sculptural gesture in relation to the image.
For her Prague exhibition, Aglaia Konrad has prepared an installation compiled out of fragments—architectonic elements of facades, structures, or fittings—from demolished buildings that she has collected in her travels around around Brussels. All these fragments were found around the North Station, which has in recent years been subjected to a dynamic transformation—buildings from the 1970s 1990s are successively vanishing. Demolition follows demolition, rebuilding follows rebuilding, streets are increasingly crammed with ever more oversized luxurious office or residential blocks seen as a commodity for speculation. A building’s lifespan is shorter and shorter. At VI PER, the pieces of destroyed buildings, bent, snapped-off, or otherwise reshaped by the force of the demolition machines are grouped and positioned in a spatial installation as performative objects, ones we can walk around, we can touch and listen to the sounds they give off, perceive their shape, volume, mass, material, or watch their changes under the light in the indoor space as much as in the actual city. They create an architectural infrastructure of deformed shapes that passed through destruction and won themselves new qualities, characteristics, worth, value. This bank of materials underscores the unrelenting force of construction economics. These building-scraps preserve the character of the place and of architecture long vanished. They represent a record of space and time, a monument that materializes the memory of the architectural, social, and economic situation of one specific locality.
The central installation is supplemented with a selection of six large-format black-and-white photographs from the cycle Shaping Stones. These photographs have been taken successively since 2008 and in them, Konrad investigates the relationship between a society, its history, and the territories it inhabits or inhabited. Placed in confrontation with each other are architectures and artefacts crossing geographic borders, emerging from a variety of ages and civilizations. Their common denominator is stone, the construction material extracted from nature: carved, polished, worked, variously shaped, or even as an additive in concrete or other materials. Stone, which can be in certain instances light, fragile, yet permanent, elegant, and at the same time heavy and coarse.
Aglaia Konrad (b. 1960, Salzburg) is a photographer originally from Austria, currently living in Brussels, where she also teaches at the art academy LUCA School of Arts, Brussels. Recently, she has exhibited, e.g., at CIVA, Brussels (2024); Mu.ZEE Oostende (2023–24); Canadian Centre for Architecture, Montreal (2023–24); Austrian Cultural Forum, Warsaw (2023); Künstlerhaus, Vienna (2023). She has also published several artist’s books, such as Japan Works (2021), Schaubuch: Skulptur (2017), Aglaia Konrad from A to K(2016), Desert Cities (2008), or Elasticity (2002). Currently, Aglaia Konrad is participating in the Triennale SEFO 2024: Moments in the Museum of Art in Olomouc. In 2023, she was awarded the Austrian State Prize for Photography (Österreichischer Staatspreis für Fotografie).
« Walen buiten » : le slogan a signé jusqu’à le désigner un moment de l’histoire sociale et politique belge. Celle du mouvement étudiant à Louvain, entre mai 1966 et mai 1968, qui conduira in fine à la scission de l’Université de Louvain en deux entités linguistiques distinctes : l’une, néerlandophone, demeurant dans l’implantation l’origine ; l’autre, francophone, ouverte en 1972 dans une ville créée pour la cause, Louvain-la-Neuve. Mouvement porté par des conceptions et des organisations nationalistes, mais dont la réduction au mot d’ordre « Walen buiten » voile les complexités et contradictions internes, autant que les mutations politiques et intellectuelles dont il constitua le ferment.
Une génération s’est formée et conscientisée en son sein, en particulier un groupe qui y a vécu une radicalisation révolutionnaire, partant de conceptions démocratiques et anti-autoritaires assez diffuses pour élaborer progressivement un programme pétri de marxisme, de tiers-mondisme, de solidarité avec le mouvement ouvrier. De ce groupe naîtront les fondateurs d’AMADA – TPO (Alle Macht Aan de Arbeiders – Tout Pouvoir aux Ouvriers), qui deviendra, en 1979, le PTB / PVDA.
C’est un moment de cette mue que saisit Sandrine Morgante, la traduisant dans la transformation imprimée au titre : « Walen buiten », non plus. Bourgeois buiten désormais. Ce moment est celui de l’éclosion : après une première expérience en mai ’66, un petit groupe de « gauchistes » décide de mettre la main sur le très respectable hebdomadaire étudiant intitulé Ons Leven. Cette feuille est imprégnée de conservatisme et de nationalisme. Eux sont anars, inspirés par les Provos hollandais, nourris d’une contre-culture en pleine expansion, fascinés par le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, révulsés par l’emprise de l’Eglise sur la vie et l’enseignement, étouffés par l’autoritarisme ecclésiastique et académique…
Entre fin septembre ’66 et début mars ’67, ils s’emparent de Ons Leven, le transforment, dans les textes, les images, la forme. Le révolutionnent. Le graphisme s’anime et s’arrondit, les textes s’ensoleillent de désirs et d’insolences, l’horizon s’élargit aux luttes des Noirs Américains, des Indonésiens. S’invite le mot « révolution », la date de 1917.
Et c’est cela qui éveille Sandrine Morgante, sollicite ses préoccupations propres : comment le support imprimé se fait l’acteur et aujourd’hui le témoin d’une transformation collective des consciences aussi bien que d’une diffusion d’idées nouvelles. Idées, à savoir : formes, couleurs, verbe, langage.
Dès lors, la matière : d’abord un témoignage de première main, l’entrevue avec un acteur des événements, à savoir Herwig Lerouge, étudiant alors en philologies germaniques, devenu ensuite l’un des vecteurs de cette transformation, puis militant indéfectible, acteur de la fondation d’AMADA-TPO, puis du PTB-PVDA. C’est Herwig Lerouge qui fournit à Sandrine Morgante cette archive précieuse des numéros de Ons Levenphagocytés.
C’est lui encore qui fournit cette page du quotidien Het Laatste Nieuws du 15 novembre 1967, une entrevue avec divers leaders du mouvement étudiant en cours (parmi lesquels lui-même, mais encore Paul Goossens, Ludo Martens, Kris Merckx…). Cette page témoigne de l’écho médiatique – très ponctuel – donné aux débats internes traversant alors le mouvement étudiant, entre volonté d’unité, questionnements de l’accès à l’enseignement universitaire et de la démocratie, élargissement à des enjeux sociétaux plus vastes (l’emprise des trusts et du Capital sur l’enseignement, le lien avec le mouvement ouvrier).
De cette matière éclot ceci : les numéros de Ons Leven sont compilés en un volume de facsimilés. Une édition où Sandrine Morgante intervient de deux manières : elle dépouille les numéros de toute publicité et de tout élément non politique. Par ailleurs, elle inscrit dans les pages des dessins sommaires, sous forme de cartoons politiques sommaires, sans style. Dessins et caricatures évoquant les luttes et questions de notre temps : la Palestine, l’écologie, les luttes sociales. Manière de prolonger et d’actualiser le geste d’appropriation qui était celui de cette rédaction pirate du périodique. Manière d’affirmer une filiation et une continuité.
D’autre part, la page de Het Laatste Nieuws est agrandie et sérigraphiée, barbouillée, souillée, maculée d’aplats mouvants, libres, « pop », floraux, expansifs et invasifs. Sur ces aplats, des phrases manuscrites reprennent des fragments de l’entrevue avec Herwig Lerouge. Elles attestent d’un subjectivité personnelle et collective en pleine floraison, autant que d’une véritable stratégie de diffusion.
L’écriture simule celle du témoin, cherchant à réincarner l’expérience comme son souvenir et son actualité. Comme dans d’autres travaux, l’exercice de l’écriture est celui d’une présence charnelle, formelle, graphique[1]. Les mots, la pensée s’éprouvent. Ils s’agencent dans une conflictualité visible, entre l’archive officielle et le témoignage marginalisé par l’histoire.
L’ensemble des sérigraphies s’agence dans une composition murale, évoquant l’esthétique du mur d’affichage sauvage, du « placard ». Au total, ça « s’envague » , s’ensauvage, entache, énonce cette énergie d’une conscience en mouvement, d’une floraison d’un jeune âge en attente, entachant l’ordre présent de ses désirs débordants, des rigueurs à venir.
Ce bruissement, cette attente, ce mouvement, sans doute est-il aujourd’hui en cours sur d’autres supports que la feuille. Mais on le touche ici, dans l’assurance d’une filiation et d’une école possibles. Dans la sensation vive que toujours les consciences s’avivent…
Laurent Courtens
[1] Cette capacité comme cette nécessité mimétiques habitent d’autres travaux de Sandrine Morgante, par exemple lorsqu’elle simule et réincarne les écritures d’écoliers dans l’ensemble Taalbarrière (2021) ou dans Figliie dei Militari (2019).
À l’occasion du centenaire de la publication du premier Manifeste du surréalisme par André Breton, le Centre Daily-Bul & C° présente cet automne une exposition inédite intitulée « Ça est deux pipes » – Manifestes et contremanifestes surréalistes . L’exposition « Ça est deux pipes » – Manifestes et contremanifestes surréalistes plonge les visiteurs dans l’univers historique du surréalisme, en explorant les liens que les surréalistes belges – et en particulier les artistes louviérois – ont tissés avec le manifeste fondateur d’André Breton publié en octobre 1924 à Paris. Cette rétrospective permet de découvrir de nombreux documents et œuvres d’art dont des correspondances inédites d’André Breton et de René Magritte, ainsi que des œuvres inédites de la période surréaliste de Pol Bury.
Oeuvres de : Pierre Alechinsky, André Balthazar, André Breton, Roland Breucker, Pol Bury, Achille Chavée, Camille De Taeye, Emelyne Duval Paul Eluard, Suzy Embo, Jean-Michel Folon, Jane Graverol, Bernard Josse, Henry Lejeune, René Magritte, Marcel Mariën, Benjamin Monti, Marcel et Gabriel Piqueray, Pierre Puttemans, Roland Topor, Georges Vercheval, Robert Willems…
Sandrine Morgante participe à l’exposition Horizons, premières et dernières acquisitions d’une collection (1939-2024). Horizons met en lumière les nouvelles acquisitions (2024) de la collection de la Province de Liège, œuvres de Laeticia Bica, Vanessa Cao, Jonathan De Winter, Jacques Di Piazza, Alex Janssen, Sophie Langohr, Mathieu Litt, Thomas Mazzarella, Sandrine Morgante, Michael Nicolaï et Vincent Solheid. Ces pièces récentes sont mises en dialogue avec des œuvres plus anciennes de la collection, incluant de œuvres d’Émile Alexandre, André Blank, Auguste Donnay, Marceau Gillard, Richard Heintz, Jean Hick, Jean Julemont, Ernest Marneffe, Pol Pierart et Armand Rassenfosse.
Du jeudi 26 septembre au dimanche 1er décembre 2024 – Vernissage : Mercredi 25 septembre de 18h à 22h – Musée de la Vie wallonne, salle des expositions temporaires. Cour des Mineurs – 4000 Liège.
Le burn out pour Horizons
D’une part, la claque de quelques slogans nous enjoignant à pratiquer la performance, la prouesse, la mobilisation totale des ressources individuelles et collectives, cette optimisation qui ne peut que nous amener à la réussite, au succès, au confort et à la richesse. Make it possible, Just do it, Think big, Get rich, do more, High Speed, The beginning of a New Aventure. D’autre part, une série d’entretiens, de conversations, que l’artiste a menés avec des hommes et des femmes souffrant de ce que l’on appelle communément le burnout. Sandrine Morgante investit le champ du syndrome d’épuisement professionnel, désigné par cet anglicisme [ˈbɝnaʊt], un syndrome qui combine une fatigue profonde, un désinvestissement de l’activité professionnelle, un sentiment d’échec et d’incompétence dans le travail, résultat d’un stress professionnel chronique : l’individu, ne parvenant pas à faire face aux exigences adaptatives de son environnement professionnel, voit son énergie, sa motivation et son estime de soi décliner. Dans cette nouvelle série de dessins, intitulée You Gold, Sandrine Morgante dessine littéralement le burnout, reprenant injonctions et confidences, slogans et récits de souffrances. Je suis tétanisée, j’arrive plus à bosser, toutes ces injonctions contradictoires qui vous tombent dessus, j’ai complètement péter les plomb, plus c’est dysfonctionnel et plus vous êtes embarquée dans cette espèce de folie, J’aimerais démissionner, j’en peux plus, j’étouffe, c’est moi qui n’ait pas réussi à gérer la pression… Graphiques performatifs, bulles, trous noirs, majuscules, polices tantôt dynamiques et séductives, tantôt hachées et désordonnées, cris ou murmures, la composition de ces dessins au format d’affiche traduit le choc des mots, la perte de soi, les déflagrations systémiques et toutes ces histoires individuelles
The works of Sandrine Morgante (b. 1986 in Liège, lives and works in Brussels), which deal with writing and speech, are visual transcriptions of dialogues from interviews, audio recordings of nocturnal thoughts, or memories of spontaneous conversations. With the new project Walen bourgeois buiten, Morgante approaches political influence and historiography using a fragment of Belgian history. Besides the well-known slogan “Walen buiten”, Morgante takes an interest in the lesser-known slogan “Bourgeois buiten”, which places the language conflict within a class struggle. Through printed maber, drawings and a publication, Morgante reflects on how political ideas are communicated and disseminated. This exhibition is not taking place in a Belgian election year for nothing!
Les œuvres de Sandrine Morgante (née en 1986 à Liège, vit et travaille à Bruxelles), qui portent sur l’écriture et la parole, sont la retranscription visuelle de dialogues issus d’interviews, d’enregistrements audio de pensées nocturnes, ou de souvenirs de conversations spontanées.Pour le nouveau projet, Walen bourgeois buiten, Morgante aborde l’influence politique et l’historiographie à partir d’un fragment de l’histoire belge. Outre le slogan bien connu « Walen buiten », Morgante s’intéresse au slogan moins connu « Bourgeois buiten », qui inscrit le conflit linguistique dans un conflit de classes. À travers des imprimés, des dessins et une publication, Morgante réfléchit à la manière dont les idées politiques sont communiquées et diffusées. Cette exposition n’a pas lieu en pleine année électorale belge pour rien!
The Times They are A-changin’
« Walen buiten » : le slogan a signé jusqu’à le désigner un moment de l’histoire sociale et politique belge. Celle du mouvement étudiant à Louvain, entre mai 1966 et mai 1968, qui conduira in fine à la scission de l’Université de Louvain en deux entités linguistiques distinctes : l’une, néerlandophone, demeurant dans l’implantation l’origine ; l’autre, francophone, ouverte en 1972 dans une ville créée pour la cause, Louvain-la-Neuve. Mouvement porté par des conceptions et des organisations nationalistes, mais dont la réduction au mot d’ordre « Walen buiten » voile les complexités et contradictions internes, autant que les mutations politiques et intellectuelles dont il constitua le ferment.
Une génération s’est formée et conscientisée en son sein, en particulier un groupe qui y a vécu une radicalisation révolutionnaire, partant de conceptions démocratiques et anti-autoritaires assez diffuses pour élaborer progressivement un programme pétri de marxisme, de tiers-mondisme, de solidarité avec le mouvement ouvrier. De ce groupe naîtront les fondateurs d’AMADA – TPO (Alle Macht Aan de Arbeiders – Tout Pouvoir aux Ouvriers), qui deviendra, en 1979, le PTB / PVDA. C’est un moment de cette mue que saisit Sandrine Morgante, la traduisant dans la transformation imprimée au titre : « Walen buiten », non plus. Bourgeois buiten désormais. Ce moment est celui de l’éclosion : après une première expérience en mai ’66, un petit groupe de « gauchistes » décide de mettre la main sur le très respectable hebdomadaire étudiant intitulé Ons Leven. Cette feuille est imprégnée de conservatisme et de nationalisme. Eux sont anars, inspirés par les Provos hollandais, nourris d’une contre-culture en pleine expansion, fascinés par le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, révulsés par l’emprise de l’Eglise sur la vie et l’enseignement, étouffés par l’autoritarisme ecclésiastique et académique… Entre fin septembre ’66 et début mars ’67, ils s’emparent de Ons Leven, le transforment, dans les textes, les images, la forme. Le révolutionnent. Le graphisme s’anime et s’arrondit, les textes s’ensoleillent de désirs et d’insolences, l’horizon s’élargit aux luttes des Noirs Américains, des Indonésiens. S’invite le mot « révolution », la date de 1917.
Et c’est cela qui éveille Sandrine Morgante, sollicite ses préoccupations propres : comment le support imprimé se fait l’acteur et aujourd’hui le témoin d’une transformation collective des consciences aussi bien que d’une diffusion d’idées nouvelles. Idées, à savoir : formes, couleurs, verbe, langage. Dès lors, la matière : d’abord un témoignage de première main, l’entrevue avec un acteur des événements, à savoir Herwig Lerouge, étudiant alors en philologies germaniques, devenu ensuite l’un des vecteurs de cette transformation, puis militant indéfectible, acteur de la fondation d’AMADA-TPO, puis du PTB-PVDA. C’est Herwig Lerouge qui fournit à Sandrine Morgante cette archive précieuse des numéros de Ons Levenphagocytés. C’est lui encore qui fournit cette page du quotidien Het Laatste Nieuws du 15 novembre 1967, une entrevue avec divers leaders du mouvement étudiant en cours (parmi lesquels lui-même, mais encore Paul Goossens, Ludo Martens, Kris Merckx…). Cette page témoigne de l’écho médiatique – très ponctuel – donné aux débats internes traversant alors le mouvement étudiant, entre volonté d’unité, questionnements de l’accès à l’enseignement universitaire et de la démocratie, élargissement à des enjeux sociétaux plus vastes (l’emprise des trusts et du Capital sur l’enseignement, le lien avec le mouvement ouvrier).
De cette matière éclot ceci : les numéros de Ons Leven sont compilés en un volume de facsimilés. Une édition où Sandrine Morgante intervient de deux manières : elle dépouille les numéros de toute publicité et de tout élément non politique. Par ailleurs, elle inscrit dans les pages des dessins sommaires, sous forme de cartoons politiques sommaires, sans style. Dessins et caricatures évoquant les luttes et questions de notre temps : la Palestine, l’écologie, les luttes sociales. Manière de prolonger et d’actualiser le geste d’appropriation qui était celui de cette rédaction pirate du périodique. Manière d’affirmer une filiation et une continuité. D’autre part, la page de Het Laatste Nieuws est agrandie et sérigraphiée, barbouillée, souillée, maculée d’aplats mouvants, libres, « pop », floraux, expansifs et invasifs. Sur ces aplats, des phrases manuscrites reprennent des fragments de l’entrevue avec Herwig Lerouge. Elles attestent d’un subjectivité personnelle et collective en pleine floraison, autant que d’une véritable stratégie de diffusion.
L’écriture simule celle du témoin, cherchant à réincarner l’expérience comme son souvenir et son actualité. Comme dans d’autres travaux, l’exercice de l’écriture est celui d’une présence charnelle, formelle, graphique[1]. Les mots, la pensée s’éprouvent. Ils s’agencent dans une conflictualité visible, entre l’archive officielle et le témoignage marginalisé par l’histoire. L’ensemble des sérigraphies s’agence dans une composition murale, évoquant l’esthétique du mur d’affichage sauvage, du « placard ». Au total, ça « s’envague » , s’ensauvage, entache, énonce cette énergie d’une conscience en mouvement, d’une floraison d’un jeune âge en attente, entachant l’ordre présent de ses désirs débordants, des rigueurs à venir. Ce bruissement, cette attente, ce mouvement, sans doute est-il aujourd’hui en cours sur d’autres supports que la feuille. Mais on le touche ici, dans l’assurance d’une filiation et d’une école possibles. Dans la sensation vive que toujours les consciences s’avivent…
Laurent Courtens (critique d’art)
[1] Cette capacité comme cette nécessité mimétiques habitent d’autres travaux de Sandrine Morgante, par exemple lorsqu’elle simule et réincarne les écritures d’écoliers dans l’ensemble Taalbarrière (2021) ou dans Figliie dei Militari (2019).
Aglaia Konrad est l’invitée de Vi Per gallery à Prague en Tchéquie. Vernissage de l’exposition Shapes, Hung, Heaped ce 17 septembre 2024
VI PER Gallery focuses on architecture in the broadest sense, together with its relations and points of intersection with contemporary art, urbanism, design and media, as well as the political, legal, social, economic and ecological contexts which help to shape architecture and the built environment. The exhibition’s topics explore social issues in a broader sense and their relationship with architecture and art. Our objective is to highlight the great potential that architecture and art have within society and to generate topics that represent new connections and impulses. VI PER Gallery thus provides space for interdisciplinary research and discussion. Part of the gallery space is a bookstore focused on architecture.
Fracture(d), ville fragmentaire, ville fragmentée signifie (brisée) Et nous pourrions continuer ainsi : Hell, Help(full), Her city, c’est-à-dire l’enfer, help(n), sa ville. Ou encore Rot, Rückbaukristalle, ville en ruine, ville en ruine, ville en ruine. Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses associations de mots faites par l’artiste Aglaia Konrad en réponse à l’environnement urbain dans lequel nous nous déplaçons quotidiennement.1 Nombre d’entre elles sont également évidentes dans l’installation qu’elle réalise actuellement pour la galerie VI PER.
Dans ses photographies, films et installations, Aglaia Konrad fait souvent référence à l’architecture, à l’environnement urbain et à l’espace en tant que tel avec une grande intensité. En photographiant l’architecture, l’espace urbain et l’infrastructure, elle a affiné son point de vue sur toutes les particularités inhérentes qui sont nécessairement associées à la conception, à la construction, mais aussi à la démolition et à la nouvelle construction. Plus récemment, elle s’est intéressée à la relation entre la destruction (de bâtiments d’après-guerre ou de quartiers entiers) et la reconstruction ou la nouvelle construction qui se produit sur le site. Elle s’intéresse plus particulièrement à ce que l’on appelle le Rückbau (processus de construction inversé) qui conçoit « la démolition comme un aspect inévitable du progrès ». Le Rückbau en tant que processus sculptural est une approche par laquelle l’artiste comprend la démolition comme une pratique architecturale étendue, impliquant des déchets de construction physiques en tant que geste sculptural en relation avec l’image. Le terme Rückbaukristalle, mentionné dans l’introduction, combine à la fois la démolition, la disparition et la croissance (les cristaux grandissent, se réarrangent).
Pour l’exposition de Prague, Aglaia Konrad a préparé une installation composée de fragments – éléments architecturaux de façades, de structures ou de mobilier – de bâtiments démolis qu’elle a collectés au cours de ses voyages à Bruxelles. Cette installation est accompagnée d’une série de photographies. (Curator: Irena Lehkoživová, Barbora Špičáková)
Benjamin Monti participe à l’exposition Le petit Musée du bizarre éphémère, au centre culturel de Marchin et à la galerie Juvénal à Huy. Commissaire : Manu d’Autreppe.
Communiqué :
L’art actuel — dans toute la diversité de ses expressions, qui finalement ne renvoient à rien de bien précis — se retrouve bien souvent, délibérément ou malgré lui, pris dans un tourbillon de questionnements voire d’incompréhensions, de débats voire de controverses. Celles-ci ont souvent trait à la « valeur » de l’art, ou de telle œuvre en particulier. S’il n’est pas question de son prix, on se demande alors « d’où ça vient et où ça va » (et c’est donc la question de son sens qui se voit posée), ou encore de ce qui attribue et distribue la reconnaissance, la légitimité, la visibilité (ou simplement la lisibilité). Que veut-on me dire, ou d’où vient cette chose étrange ? Où est le moche, où est le beau ? De qui se moque-t-on, et ne ferais-je pas mieux ? Qu’est-ce qui distingue l’artiste professionnel de l’amateur ? Et même, l’artiste de l’artisan ? Quelle est la part de la maîtrise et quelle est celle du hasard, quelle est celle de l’intention ou de l’impulsion, dans le cas d’une réussite comme dans celui d’un « échec » ? Est-ce bien moi qui ai fait cela — sinon, qui ?! Est-ce que je garde ou est-ce que je jette ? Pire : est-ce que j’offre, ou est-ce que… je prête — par exemple dans le cadre d’une exposition, une exposition comme, par exemple, celle-ci !Que d’interrogations autour de ces formes et de ces apparences, qui toujours nous dépassent et nous échappent, se marient bien ou mal, vivent leur vie propre, petite ou grande destinée. Ces objets sont parfois sans objet, ces sujets semblent demeurer sans réponse, du moins sans réponse nette et définitive, sans réponse meilleure que par l’exemple et la confrontation, la plus libre possible. Car enfin tout est, si l’on en croit les plus courantes conclusions, question de contexte et de sensibilité, question de point de vue et de rapprochement (voire de rapprochement des points de vue), question somme toute de goûts et de couleurs, dont on n’en finit pas de ne pas vouloir discuter.Eh bien, parlons-en ! Depuis plusieurs semaines, les portes d’un appel à propositions se sont ouvertes, à double battant (Marchin, Modave Clavier et alentours, d’une part, mais aussi Huy et les environs, d’autre part) et en vue d’une exposition en deux déclinaisons, l’une à Oyou, l’autre à la galerie Juvénal, à Huy, en collaboration avec la Fondation Bolly-Charlier. La récolte est en cours et l’aboutissement dépend encore de vous, qui avez jusque début août pour nous soumettre vos propositions ! Outre la joie de découvrir, en bout de course, un cabinet de curiosités copieusement nourri et fort varié, l’exposition espère, sans se prendre au sérieux, avec gourmandise et modestie, de coups de cœur en coups de bluff en coups de génie, apporter sa contribution au désordre des idées. En outre l’exposition s’inscrira, à Huy, dans le cadre du parcours d’artistes qui cette année suivra le fil, certes un peu emmêlé, « des fêlures et des fêlés ».
Jacqueline Mesmaeker participe à l’exposition A Public Affair, Oeuvres de la collection Frédéric de Goldschmidt, sous commissariat de Bayo Hassan Bello à Coud Seven, Bruxelles. Du 12 septembre 2023 au 29 mars 2024
L’exposition soulève des questions sur les espaces que nous utilisons souvent, tels que les églises, les terrains de jeux et les cinémas. Sont-ils vraiment publics ou appartiennent-ils à la sphère privée ? L’exposition examine également la manière dont les personnes et les communautés naviguent dans des systèmes plus vastes tels que le travail, la propriété et l’économie. Enfin, elle réfléchit au contrôle que nous exerçons réellement sur nos pensées et nos actions lorsque nous sommes confrontés aux règles et à l’autorité de ceux qui détiennent le pouvoir.
A Public Affair, organisée par Bayo Hassan Bello, présente des œuvres de Helena Almeida, Reza Aramesh, Éric Aupol, Younes Baba-Ali, Aline Bouvy, James Casebere, Laurie Charles, Aleskandra Chaushova, David Claerbout, Margaret Courtney-Clarke, Tacita Dean, Dries Depoorter, Romuald Hazoumè, Jan Henderikse, Hideyuki Ishibashi, Sven ‘t Jolle, Kapwani Kiwanga, Maria Kley, Michel Mazzoni, Jacqueline Mesmaeker, Terrence Musekiwa, Sophie Nys, Camille Orso, Michael Patterson-Carver, Carmen Reátegui, Hiroshi Sugimoto, Barthélémy Toguo, Isaac van Nikelen, Nico Williams, Ulla-Stina Wikander, Wiktoria Wojciechowska et Yunyao Zhang.
Heures d’ouverture : du mardi au vendredi, de 14h00 à 18h00. Ouvert le samedi en septembre et octobre 2024. Dimanche 15 septembre : ouvert pour le week-end Rendez Vous. Vendredi 20 septembre : visite guidée avec le commissaire d’exposition à 19h00.