Archives de catégorie : Olivier Foulon

Au Comptoir du Livre, Affinités éditrices, carte blanche à l’Usine à Stars / galerie Nadja Vilenne

Exposition du 17 novembre au 15 décembre 2012

Vernissage le 17 novembre de 16 h à 19 h

En résidence au Comptoir du livre, L’Usine à Stars associe à cette exposition trois jeunes maisons d’édition avec lesquelles elle entretient des relations privilégiées, un rhizome de préoccupations communes, un intérêt constant et partagé pour quelques plasticiens, une certaine façon de concevoir une politique éditoriale.
Le Facteur humain est dirigé par Denis Gielen. Saskia Gevaert développe un catalogue de livres d’artistes exigeant. (SIC_) est une jeune plateforme éditoriale et curatoriale ; elle s’investit tant sur le plan plastique que théorique.
Chacun de ces éditeurs mène des activités singulières et se retrouve dans des intérêts partagés. Cette rencontre initiée par le Comptoir permettra de découvrir des livres, des œuvres et des livres d’artiste de Jacques Charlier, Kristien Daem, Koenraad Dedobbeleer, Edith Dekyndt, Peter Downsbrough, Olivier Foulon, Rodney Graham, Pascal Häusermann, Jacques Lizène, Bernd Lohaus, Capitaine Lonchamps, Michel Lorand, Jacqueline Mesmaeker, John Murphy, Tony Oursler, Walter Swennen, Raphaël Van Lerberghe, Peter Wächtler, Marie Zolamian.

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Tokonoma, diray (11)

20 septembre

Il y a quelques jours, Suchan Kinoshita me proposait de demander à chaque artiste les intitulés exacts de chacune des œuvres intégrées dans « Tokonoma ». De fait, bien qu’elles participent aujourd’hui du dispositif, elles conservent, toutes, leur autonomie.

Relisant les notes que j’ai prises durant ces quelques semaines, je me rend compte que toutes sont singulièrement ancrées dans le corpus personnel de chacun des participants et que leurs choix sont à cet égard particulièrement signifiants. Nous sommes surpris par la richesse de réflexions diverses qu’offre le dépôt de chacune d’elles au cœur même du dispositif. Toutes ces contributions y trouvent une énergie supplémentaire offrant dès lors un champ spéculatif élargi aux dimensions spirituelles du dispositif. Elles interagissent entre elles tout en participant de l’ensemble. Dans certains cas, elles génèrent même une lecture que l’on aurait, a priori, à peine soupçonné. Cette expérience spatio-temporelle a, en effet, multiplié les rapports, les contrastes, les conditions de perception, leur variabilité. Un visiteur, qui observait les artistes au travail, me faisait part de son admiration pour la précision des gestes ; il entendait par là, l’exactitude et la détermination du geste physique. Cette précision, me semble-t-il, est beaucoup plus fondamentale, ne laissant que peu de place au hasard. Chaque étape du travail fut en effet précise, y compris celles qui ne sont plus visibles, l’ensemble évoluant au rythme d’une mécanique interne d’autant plus troublante que jamais elle ne sembla s’enrayer. Certes, les artistes qui ont contribué à ce protocole initial se connaissent bien, parfois depuis longtemps ; ils ont une attention permanente pour leurs travaux respectifs. Certains ont déjà collaboré à des projets communs, Suchan Kinoshita prêtant sa voix à une pièce sonore d’Aglaia Konrad (Her City, 2005) ou collaborant à la mise en scène d’un film d’Eran Schaerf et d’ Eva Meyer (Pro Testing, 2011), Aglaia Konrad et Willem Oorebeek concevant une exposition de concert mise en espace par Kris Kimpe (Monolith/Life, 2011), Olivier Foulon s’appropriant une œuvre de Walter Swennen (Le Souffleur ou L’homme assis (dans le carré de) la peinture, 2008). Ces quelques exemples de connivences n’expliquent néanmoins pas tout. Il y  indubitablement, au delà des préoccupations personnelles, un sens commun, une forme d’être ensemble, entre les mots et les choses, là où l’image, dans son acception la plus large et y compris en son absence, fait sens. A ce titre, c’est ce Tokonoma, dans son entièreté, qui devient espace de pensée. Précaire, sans doute, et affirmé comme tel, dans un équilibre que d’un seul geste on peut anéantir. Il suffit pour cela d’ôter la rampe diagonale qui solidarise l’ensemble. Nous sommes ici, pour reprendre les termes qu’utilise Jacques Rancière, dans « un dispositif spatio-temporel au sein duquel mots et formes visibles sont associées en données communes ». Le problème posé, poursuit-il, « n’est pas d’opposer la réalité à ses apparences. Il est de construire d’autres réalités, d’autres formes de sens commun, c’est-à-dire d’autres dispositifs spatio-temporels, d’autres communautés des mots et des choses, des formes et des significations ». En quelque sorte créer des « configurations nouvelles du visible, du dicible et du pensable, et par là même un paysage nouveau du possible ». Ce « Tokonoma » n’a rien d’une nouvelle forme de cadavre exquis ; au contraire, chacun a réagi en connaissance de cause, informé de l’avancement des travaux, ou même de façon simultanée, en pleine compréhension de l’initiale proposition et du scénario envisagé par Suchan Kinoshita. Ce ne fut ni un network, ni un appel à participation à propos d’une préoccupation commune où chacun envisagerait l’une ou l’autre nouvelle production afin de se mettre en relation avec les autres participants. Au contraire, chacun puisa dans le corpus même de sa production, affirmant l’autonomie de l’œuvre ou des œuvres sélectionnées, tout en envisageant ce « display » comme un paysage nouveau du possible. Il me semble que tous partagent, d’une manière ou d’une autre et comme motivation première, celle qui conduit la nécessiter de créer, cette possibilité d’un ici et d’un ailleurs, d’un alors et d’un maintenant, sans pour autant anticiper le sens ou l’effet que l’œuvre produira. Y compris pour ce « Tokonoma », installation sans début, hormis bien sûr le Diagonale Dialemma de Suchan Kinoshita, catalyseur de ce statement, et sans fin annoncé car, de fait, celle-ci ne peut, de facto, être anticipée.

J’évoquais récemment avec Suchan Kinoshita l’espace investi par le dispositif, l’installation elle-même, y compris dans un sens pratique. Il faudra bien à un moment donné, et avec précaution, désolidariser la rampe de l’ensemble des plans qui s’y ancrent. Certes, ce « Tokonoma » a été dessiné aux dimensions de la nef de la galerie. Pourrait-il être installé ailleurs ? Assurément, me répond, Suchan Kinoshita, après n court temps de réflexion : l’installation crée son propre espace, physique et mental.

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Tokonoma diary (10)

8 septembre

Tokonoma a canalisé un dialogue entre les artistes ; le dispositif, de ce fait, établit également un dialogue entre les œuvres. Celui-ci s’est resserré au fil du temps, de telle sorte que l’ajout d’une contribution, même de modestes dimensions, induit qu’il faille réévaluer l’ensemble. Ainsi, cette petite œuvre qu’Olivier Foulon a confié à Suchan Kinoshita, deux petites photocopies d’un encadrement de tableau, découpées et ajourées, de telle sorte qu’il ne subsiste plus que les deux encadrement découpés. Ceci n’est pas sans rappeler les travaux qu’Olivier Foulon mena à propos de « L’Enseigne de Gersaint » de Watteau et des encadrements successifs de cette œuvre conservée à Berlin. Gersaint, on le sait, édita  entre autre des gravures de Watteau, ses arabesques, ses petits sujets ornementaux, ses gravures d’ornements. Guillaume Glorieux le rappelle dans son livre « À l’enseigne de Gersaint : Edme-François Gersaint, marchand d’art sur le Pont Notre-Dame » ; il écrit : « Très tôt, Gersaint a précisé l’usage auquel il destinait les gravures de Watteau qu’il éditait et commercialisait : « De pareils sujets peints sur des fonds blancs, conviennent à merveille aux découpures dont les dames font aujourd’hui de si jolis meubles », écrivait-il dans le Mercure de France en 1727, soit l’année où il commença à éditer des estampes avec Surugue ; toujours selon Gersaint, (…) « tous ces ornements réussissent parfaitement en découpures ».

Je ne sais si Olivier Foulon connaît ce texte, mais je constate qu’il découpe l’encadrement ornemental de l’Enseigne et que Suchan Kinoshita accroche ces découpures, comme chainées l’une à l’autre, sur le fond monochrome du mur de plâtre, central dans le dispositif. L’endroit semble aller de soi mais contraint dès lors Suchan Kinoshita à faire disparaître le dialogue précédemment établi entre le dessin de Walter Swennen, l’enchaînement des images de la « trahison » magritienne réévaluée par Eran Schaerf et ce mur banc monochrome aux arrêtes crémeuses. Qu’à cela ne tienne : l’œuvre d’Eran Schaerf fera désormais face à celle d’Olivier Foulon et le dessin de Walter Swennen émigrera. Suchan Kinoshita le décadre et le pose au sol, recouvrant une part du rectangle lumineux créé par ce projecteur de diapositives, très tôt déposé dans le dispositif mais auquel personne n’a encore dédié une image particulière. Suchan Kinoshita me fait remarquer que « quelque chose se passe », derrière le dessin de Swennen, dans l’ombre qu’il créée avec le plan vertical contre lequel il est posé ; elle constate également que l’agencement de ce petit dispositif rappelle « Le Souffleur ou L’homme assis (dans le carré de) la peinture », cette projection de diapositives qu’Olivier Foulon installa en 2008 (dans le carré) d’une peinture de Walter Swennen. Cette fois, c’est le dessin de Walter Swennen, cette superposition de plans, qui s’installe dans le carré de la projection lumineuse. On le voit, tout s’enchaîne, assurément.

Un-scene II, Olivier Foulon invite Jacqueline Mesmaeker et Walter Swennen, les images

Walter Swennen, Vetonia, huile sur toile 2007
Olivier Foulon, le souffleur ou l’homme assis (dans le carré) de la peinture, 2008, suite de diapositives.

Les œuvres de Walter Swennen s’inscrivent dans le champ d’une liberté visuelle complète, cette liberté que l’artiste saisit pleinement pour peindre au sujet de quoi que ce soit et sans souci de hiérarchie. Ainsi cette toile récente, « Véronica », représentation d’une ménagère qui étend son linge sur les cordes d’un séchoir de jardin ; des draps de toutes les couleurs et de toutes dimensions. Un tableau ordinaire, en quelque sorte.
Est-ce le titre du tableau qui a inspiré Olivier Foulon ? Peut-être. Cette femme qui étend son linge ne porte en effet pas n’importe quel prénom : Véronique est patronne des lingères. Son voile est célèbre, « vera icona », image vraie, mystère de la figure et de son apparition. Cela n’a certes pas échappé à Olivier Foulon qui a proposé à Walter Swennen de se projeter dans sa peinture, ou plutôt de projeter des diapositives sur le fond clair du tableau, dès lors voile, toile, écran. Il est vrai qu’au carrousel de diapositives correspond le sèche linge, ce manège de jardin sur lequel semblent tournicoter ces carreaux de draps colorés. La métaphore ouvre déjà d’autres perspectives, et sachant que les préoccupations d’Olivier Foulon tiennent entre autres de la lecture des images, de leur reproduction et de l’histoire de l’art ; le tableau s’enrichit de sens.
Voici donc le « Souffleur ou L’homme assis (dans le carré de) la peinture », titre de cette projection de quarante diapositives, qui souffle l’esprit de la peinture tandis que le vent souffle dans les draps de cuisine du tableau. Et le souffleur s’installe dans le « carré de la peinture », non seulement parce que le tableau est quadrangulaire, comme le sont la plupart des linges qui sèchent sur les cordes (hormis quelques petites culottes), mais aussi parce que le fond du tableau est constitué de carrés, ce jeu d’équilibre au bord de la matière, là où l’abstrait et la figuration se rencontrent dans une totale absence de perspective qui ne manque pas de profondeur. Plus précisément, le souffleur s’assoit dans le carré de la peinture, ou dans le carré de peinture, situé en bas et à droite du tableau. De carrés, de carreaux, il sera dès lors bien évidemment question dans la suite de diapositives projetées sur le tableau, des images subtilement sélectionnées et qu’Olivier Foulon, tout en chaînant cette suite de reproductions à ses travaux précédents, choisit autant pour leurs qualités intrinsèques que pour le sens, parfois sous-jacent, qu’elles ont les unes par rapport aux autres, ou en l’occurrence, par rapport au tableau de Swennen, ou encore en fonction de ses propres affinités, déroutant parfois le spectateur mais le ramenant toujours au centre du carré de la peinture. Défilent donc le Carré Noir sur Fond Blanc de Malevitch, celui peint sur un tableau-socle de plâtre, les restaurateurs de celui-ci, Malevitch lui-même dans un champs, ou la tombe de l’artiste constituée du simple carré noir sur fond blanc de l’Absence, la porte de son studio ou une étudiante de l’artiste, assise sous un tableau quadrangulaire. Défilent de la même manière les toiles monochromatiques de Blinky Palermo dont on connaît le sophistiqué sens de l’humour, les études pour « To the people of New-york », ses derniers travaux (1976-77), des clichés de son studio, photographié par Imi Knoebel, lui aussi héritier de l’enseignement de Düsseldorf tout comme d’ailleurs du formalisme spirituel de Kazimir Malevitch. S’enchaînent les carreaux de couleurs du pourpoint de l’Arlequin de Picasso, les chartes de couleurs de Goethe et de Gournes, mais au même titre que Samuel Bekket buvant un soda, Thomas Bernhard roulant à vélo dans son château, René Daniels jetant des toiles dans un conteneur chez lui à Eindhoven, Kurt Schwitters en barque ou, magnifique cliché, peignant en plein air sous un parapluie face à une chaîne de montagnes enneigées. Il y a même Buster Keaton accompagné de Brouwn Eyes, la jeune vachette qui se prend d’amitié pour lui dans le film « Go West ». Il y a là aussi un simple carton publicitaire pour l’eau minérale San Pelegrino, mais annoté de cette question : Wast ist aura ? par Walter Benjamin, lui-même. Olivier Foulon s’empare une fois encore des stratégies broodtharciennes : cette projection est comme une fiction qui permet de saisir la réalité et en même temps ce qu’elle cache. Marcel Boodthaers est d’ailleurs bien présent avec « Amuser, Le plus beau tableau de monde », ce qui nous rappelle que Walter Swennen entretient d’étroits rapports entre le texte, le graphe, l’aphorisme, l’image et la peinture, comme avec Marcel Broodthaers. Olivier Foulon fait là un clin d’œil à ses aînés, de même lorsqu’il glisse une « Totenkopf », une tête de mort de Cézanne, un sujet qui parcourt les toiles et dessins de Swennen depuis longtemps. Le « Souffleur » enfin, ce sont deux reproductions de peintures de Foulon lui-même, deux simples… carrés colorés posés chacun sur une page blanche. Ce carré de couleur, c’est le trou du souffleur. (JMB)

Jacqueline Mesmaeker, 17 Doutes 1992, encore sur papier. Olivetti Typewritter.

Olivier Foulon, Sans titre, 2009 / 2011 / 2012. Technique mixte sur papier quadrillé.

Tokonoma, Jacqueline Mesmaeker, Valerie Sonnier, triple vernissage ce 28 juin

Triple vernissage ce jeudi 28 juin à la galerie Nadja Vilenne, dans le cadre des Parallel Events de Manifesta 09

Tokonoma (titre provisoire)

Suchan Kinoshita, Aglaia Konrad, Willem Oorebeek, Eran Schaerf, Olivier Foulon, Walter Swennen, Kris Kimpe (architect), Joerg Franzbecker (curator). And guests.

Le processus de ce dispositif commun, de cette œuvre collective, est en route depuis le début du mois de mai. On trouvera trace des premières étape de ce processus sur le blog de la galerie : #tokonoma. Nous vous invitons à venir découvrir un premier statement, avant que ce processus de création collective ne reprenne. Il ne se terminera que le 30 septembre.

Jacqueline Mesmaeker (Franz Hals / Paul Claudel)

Après son premier solo à la galerie fin 2011/2012, alors qu’elle est l’invitée d’Olivier Foulon au Wiels à Bruxelles dans le cadre de Un-Scene II et qu’elle exposera durant l’été aux côtés de Peter Downsbrough et de Philippe Durant au Musée des Arts Contemporains du Grand Hornu dans le cadre de l’exposition « Le Miroir et les Chemins » (commissaire Denis Gielen), Jacqueline Mesmaeker dévoile une œuvre à la galerie : « Franz Hals / Paul Claudel », réactivation d’un travail montré en 1990 au Franz Hals Museum de Haarlem. Jusqu’au 15 août.

Valerie Sonnier (Faire le photographe)

Le public de Art Brussels a pu découvrir quelques uns de ses dessins. En voici d’autres. Ainsi qu’un livre, récemment publié aux Editions Yellow Now, avec des textes de Bruno Girveau et Dominique Païni : « Le Cahier des morts minuscules ».

Dans les premières pages des Cahiers de Malte Laurids Brigge, Rainer Maria Rilke écrit : « On savait jadis (ou peut-être sentait-on) que l’on avait la mort en soi tel un noyau dans le fruit. Les enfants avaient une petite mort en eux, les adultes une grande. » […]
C’est peut-être l’idée d’une échelle réduite de la mort qui a conduit Valérie Sonnier à réaliser ces séries de dessins, il y a maintenant un peu plus de vingt ans, pour l’éloigner, cette mort, la rendre moins terrifiante, jouer avec elle. Jouer, ce n’est pas autre chose que s’emparer d’un monde en modèle réduit pour s’en rendre maître. Or, seuls les jouets permettent d’appréhender le monde des adultes tout en s’en préservant.

Née en 1967, Valérie Sonnier vit et travaille à Paris.
Elle est professeur de dessin et de morphologie aux Beaux-arts de Paris depuis 2003. Diplômée de cette même école en 1993, elle a suivi le séminaire de Jeff Wall à l’Université de British Columbia à Vancouver pendant la dernière année de son cursus. Elle développe, depuis, un travail personnel à travers une pratique multimédia. Elle utilise le dessin, la peinture, la photographie et le film Super 8 pour tisser des liens entre ses souvenirs intimes et la mémoire collective de l’enfance, et pour aborder les notions de présence, absence, apparitions fantomatique.
Exposition à la galerie jusqu’au 15 août. Signature du livre le 28 juin.

Durant l’été, jusqu’au 15 août, la galerie est accessible sur Rendez Vous. 00.32.4.227.19.91 – 00.32.475.90.52.26.

Au Wiels, Olivier Foulon invite Jacqueline Mesmaeker et Walter Swennen. Un-scene II

Le Wiels communique :

Vouloir formater le dynamisme artistique d’un pays sous le label plus ou moins précis de ‘scène’. C’est dans ce contexte quelque peu intangible, bâti lui-même sur des fondements linguistiques, historiques et culturels pluriels que l’exposition Un-Scene II tente de représenter ce qui pourrait être appelé la scène artistique belge émergente. Un-Scene II dresse un portrait subjectif d’un lieu, d’un moment et, plus encore, d’un ensemble de préoccupations artistiques portées par la pratique d’artistes belges ou ayant choisi la Belgique comme terrain de développement pour leur travail.

Un-Scene II est la deuxième édition d’une triennale mise en place par WIELS et le résultat de l’engagement continu de l’institution vis-à-vis des démarches et des questionnements artistiques qui l’entourent. A travers les langages singuliers et les pratiques spécifiques de douze artistes invités ; faisant usage de médiums aussi variés que la photographie, la peinture, la sculpture, l’installation, la performance ou la vidéo ; Un-Scene II est une exposition qui esquisse quelques-unes des questions qui animent et bousculent la production artistique belge actuelle.

Les artistes :

Nel Aerts
Harold Ancart
Abel Auer
Olivier Foulon invite Jacqueline Mesmaeker & Walter Swennen
Steinar Haga Kristensen
Gerard Herman
Dorota Jurczak
Vincent Meessen
Sophie Nys
Eléonore Saintagnan
Michael Van den Abeele
Peter Wächtler

Commissaires : Elena Filipovic & Anne-Claire Schmitz
Vernissage jeudi 21 juin à partir de 19h30
Exposition du 22 juin au 26 août

 

 

Tokonoma, diary (9)

16 juin

Des murs derrière des murs. Je me rends compte que ce Tokonoma est une partie où les joueurs avancent leurs pions sur un échiquier où tout se répond, comme s’il s’agissait, consciemment ou intuitivement, d’enchaîner, de rebondir, de mettre en situation des propositions qui, tout en restant singulières, participent au tout et donnent lieu à de nouvelles lectures. Ainsi, le dessin de Walter Swennen, daté de 1997, accroché sur le plan de carreaux de plâtre, non loin de cette trahison des images revisitée par Eran Schaerf agit presque commune une mise en abyme. N’est-il pas la superposition de deux plans, l’un blanc, surface kaolin, l’autre mur de briques rouges, ces deux plans ponctués à gauche d’une tache, là même où serait accroché ce dessin ? Il brouille même, et complexifie, cette idée qu’ « un objet fait supposer qu’il y en a d’autres derrière lui ».

Nouveaux trucs, nouvelles combines, dirait Marcel Broodthaers, Walter Swennen aime les systèmes D. La peinture serait plus une affaire de tactique que de stratégie. Lorsque Suchan Kinoshita l’a invité à participer à ce Tokonoma, Walter Swennen ne lui a pas parlé peinture mais a fait savoir qu’il était prêt à venir planter des clous. Les châssis de Walter Swennen sont parfois de magnifiques systèmes D. Ses sculptures aussi, lorsqu’il bâtit une cabane dans une galerie d’art, s’empare de deux pinces à linge pour créer un avion (celui de Joseph Beuys, dira-t-il) ou compose une fontaine à l’aide de trois pots de Sigma satin, d’une plante maigrichonne et de quelques canettes ou boîte de conserve. Walter Swennen a créé cette fontaine alors que, littéralement, il plantait sa tente, littéralement, en guise d’atelier temporaire dans l’un des espaces de Tour & Taxis  à Bruxelles pour l’exposition « Belgian System », un système B en quelque sorte, en 2001.  Walter Swennen a placé sa fontaine au sein du dispositif, légèrement en retrait tandis qu’il accroche sur la cimaise la plus brute, celle en carreaux de plâtre, une petite huile au couteau, comme un souvenir de cette journée où, collectivement, il fut question de l’inclinaison de la rampe diagonale du « Tokonoma ». Sept traits colorés apparaissent sous le couteau du peintre. Ils sont comme les plans verticaux du dispositif, les quatre premiers traversés par une diagonale. Quatre entailles, un trait diagonal, c’est là, aussi, le système D de toute numération.

Tokonoma, diary (8)

12 juin

Ce chapelet de photographies qu’a envoyé Eran Schaerf et que j’évoquais dans mon précédent billet n’est pas sa seule œuvre présente dans le dispositif du Tokonoma. J’ai déjà  précédemment cité « Séjour », cette bâche utilisée comme abri – écran, impeccable mise en tension de l’espace d’exposition qu’Eran Schaerf déployait en 2008 lors d’un solo à la galerie. Cette bâche semble, ce qui est normal pour un abri temporaire, avoir trouvé une place provisoirement définitive – ou l’inverse –, soigneusement pliée et posée sur la caisse contenant le blackout screen de Willem Oorebeek. Eran Schaerf a également envoyé un troisième travail, une variation sur « ABC Society, » une œuvre mettant à nouveau, la question du langage au centre de ses réflexions. Il s’agit d’un second chapelet d’images, une appropriation d’une suite de dessins de René Magritte  intitulée « Les mots et les images », ce fondamental travail linguistique quant à l’énoncé, au nom, à l’objet nommé, aux images, aux formes, aux objets, aux contour visibles des objets, aux figures, suite de dessins dont le plus célèbre est sans doute celui du cheval – objet, cheval – image et cheval – nom. Eran Schaerf s’approprie quelques uns de ces dessins, qu’il transforme d’ailleurs, comme un nouveau phrasé, rejouant ainsi, sans légendes, les dix-huit énoncés magritiens.

Ce chapelet de mots et d’images est accroché au bord du mur de carreaux de plâtre, lisse et blanc, parfaitement fini.  Dans l’une des planches que René Magritte dessine en 1928, planches qu’il destine à « La Révolution Surréaliste (1929) » (et dont certains originaux sont montrés cet été à Bruges), il y a, entre autres dessins, celui d’un mur de briques. Et Magritte légende celui-ci : « un objet fait supposer qu’il y en a d’autres  derrière lui », ce qui est parfaitement logique dans la ronde des dessins mis en chaine par Eran Schaerf. Ceci prend une signification tout à fait singulière dans ce dispositif où effectivement, il y a des objets et même des murs, derrières les murs.

Tokonoma, diary (7)

11 juin

Lors de sa dernière visite à la galerie, Joerg Franzbecker a déposé une photographie dans le dispositif du Tokonoma. Un autoportrait de Claude Cahun, daté de 1927. Entre deux poids sphériques, Claude Cahun pose en entraineur haltérophile,  maquillée, double accroche-cœur sur le front, portant un short noir, des collants clairs ; un cœur est dessiné sur la cuisse tandis qu’elle a écrit sur son maillot : « Je suis à l’entrainement. Ne m’embrasse pas », « I’m in training. Don’t kiss me ». Récemment réévaluée lors d’une rétrospective au Musée du Jeu de Paume à Paris, longtemps méconnue, « l’œuvre photographique de Claude Cahun s’est imposée ces dernières années comme l’une des plus originales et des plus fortes de la première moitié du XXe siècle. Elle marque rétrospectivement un jalon capital dans l’histoire du surréalisme tout en faisant écho à l’esthétique contemporaine ». Jouant des pseudonymes et des différences sexuelles, proche de Henri Michaux et de Jacqueline Lamba-Breton, de Robert Desnos et de René Crevel, Claude Cahun que André Breton considérait comme « un des esprits les plus curieux de ce temps », entendait l’art comme un moyen de « voyager à la proue de soi-même ». L’artiste se cherche elle-même, dans un jeu de miroirs et de métamorphoses permanent. Ce sont sans doute ses autoportraits qui ont suscité le plus d’intérêt. L’artiste s’y sert de sa propre image pour démonter un à un les clichés associés à l’identité. Claude Cahun s’est réinventée à travers la photographie, comme à travers l’écriture, en posant pour l’objectif avec un sens aigu de la performance, habillée en femme, en homme, cheveux longs ou crâne rasé, chose des plus incongrues pour une femme de l’époque.

Joerg Franzbecker a montré cette photographie, ainsi que deux autres autoportrait des Claude Cahun, dans un projet qu’il a mené à Berlin en 2009, une suite d’expositions, ou plutôt de scenarii, intitulée « Fake or feint », « faux ou feinte », référence au dribble footballistique. Le premier de ces scenarii consista en une confrontation de ces trois photographies et d’une installation d’Eran Schaerf, « Voile », une réinterprétation combinée de plusieurs travaux antérieurs, touchant tous au code vestimentaire, un travail éminemment plastique, mais aussi politique, puisque Eran Schaerf s’attache à interroger et à mettre en valeur les codes sociaux, moraux ou culturels liés aux moeurs vestimentaires, un continuel « recasting », qui aboutit à constituer le vêtement comme un élément linguistique, avec ses assemblages, ses glissements de sens ou ses correspondances.

Ainsi, on pouvait lire dans le dossier de presse de ce premier scénario de « Fake or feint » :

Claude Cahun‘s (1894-1954) photographic work was widely overlooked by art history until its rediscovery in the 1980s, when, against the background of feminist debates, it gained unexpected relevance. Influenced by contemporary currents of symbolism and surrealism, her self-portraits display a unique perspective on the body, staged as a projection screen for social norms and personal and external desires. A play with disguise and gender masquerade inquires the relation of gaze and being seen, and the way this becomes effective in the visual setup of the portrait. Her work thereby refers to cultural stereotypes of her time, which are decoded and subverted, confronting them with a subtle and unpredictable expressivity. Shown are three photographic works from the 1920s.

Eran Schaerf sets up a combined re-enactment of prior works.
The installation Voile lances the room with a cloth panel, its course following the basic architectonic structures. In a gesture of reduplication a second, semi-transparent room is created. The attention is directed to the way how architecture opens the room as a stage for views and movements, thus enabling and structuring social interaction. This diaphanous barrier, resembling a curtain or a veil, is a marking that unfolds a play of visibility that crosses the coding of the public and the intimate.
The situation established by Voile is continued by a narration of the Sapeurs, drawing on clothing as a practice with manifold cultural, gender-related and functional codifications. La Sape (short for: La Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes) is a movement originating from Kongo. Its mostly male protagonists use western designer brands for distinctive self-representation.
Eran Schaerf frames the intricate trails of global exchange and the contradictions arising from acts of appropriation and translation into a narrative setting: A shirt by Paul Smith becomes a momentum of crisis in the life of a Sapeur. In Paris, the Sapeur comes across a shirt, which has its own history of migration. It is tailored from a Kanga, a rectangular piece of cloth, which in Africa serves in different functions as a garment.

Chaque tissu presque comme un mot. L’un des envois d’Eran Schaerf poursuit cette logique. Il s’agit d’une série de photographies d’une manifestation urbaine, sorte de city parade sans doute photographiée à Berlin, où se mêlent les codes vestimentaires et ceux du travestissement, les slogans des calicots, les impressions de textes sur les accoutrements, le langage des corps, des uniformes, des costumes traditionnels. Toutes ces photographies sont enfilées en chapelet sur une chainette de métal. Sur l’une d’elles, on peut lire, inscrit sur la veste d’un manifestant : Break the chain ».  L’œuvre consiste ainsi en une séquences d’images successives, amarrées à un même lien, rappelant en quelque sorte la rampe diagonale de ce Tokonoma et l’enchaînement des propositions au cœur du dispositif.

Suchan Kinoshita a choisi d’accrocher cette chaîne d’images  à même la surface du « platenbild » d’Aglaia Konrad, créant ainsi, par superposition, une tension et une relation entre ces deux travaux.

En introduisant cette photographie de Claude Cahun dans le dispositif, Joerg Franzbecker décline sur un autre mode le sens de cette œuvre commune en construction, car c’est bien ainsi qu’elle semble trouver peu à peu sa singularité.  Théoricien, critique d’art et commissaire d’exposition, il fait référence à son propre travail de créateur de situation et de pensée, prend appui sur un travail mené avec l’un des six artistes participants au processus et fait référence au fait qu’il a mis l’œuvre d’Eran Schaerf, presqu’en un dispositif commun, en dialogue avec celle d’une autre artiste, en l’occurrence Claude Cahun que voici dès lors invitées dans ce dispositif, suivant un autre cheminement que celui qui amena Suchan Kinoshita à introduire la lettre ouverte de Marcel Broodthaers parmi les contributions.