Singulière expérience d’un stand de foire 3D et uniquement online ! Une jolie prouesse. Rassurez vous, les oeuvres de Jacques Charlier et Werner Cuvelier sont bien réelles. Et l’art au temps du corona ne se résumera jamais à un click and collect, la galerie se chargeant du take away. Vivement vous retrouver face aux oeuvres ! Notre online viewer room, toutes les oeuvres commentées, reste en ligne quelques jours encore. Et c’est ici.
Alors que la galerie Plus Kern publie Statistic Project V, 16 feuillets ronéotypés rassemblant toute l’information concernant l’oeuvre elle-même, en fait sa version textuelle adoptant une esthétique administrative propre à l’art conceptuel, le philosophe Rudolf Boehm, professeur à l’université de Gand qui collaborera à diverses reprises avec Werner Cuvelier, commente l’oeuvre elle-même, posant la question fondamentale de la perception.
Une œuvre comme celle-ci pose des questions d’une extrême simplicité – que voyons-nous ? Qu’est-ce que nous percevons ? Qu’est-ce qui est donné ? Afin de trouver notre chemin dans le monde, nous avons besoin de savoir ce qui se passe réellement. Savoir ce que l’on dit doit être basé sur la perception. Perception signifie dans la langue grecque esthétique (aisthetics). Qu’est-ce qui peut nous apprendre à percevoir ? A ne percevoir que sur. S’il y a autre chose à apprendre, qui peut nous aider à apprendre à percevoir ? Probablement juste l’artiste.
Regardons ce que nous voyons. À gauche, un panneau de couleurs (peinture). Les couleurs se présentent comme des données sensorielles immédiates de la plus grande simplicité. Que dire d’autre sur ce qu’il y a d’autre à apprendre ? Ce n’est pas si simple. Sur ce panneau, nous voyons autre chose que ce que nous pensons voir. En fait, nous voyons une représentation de données que nous ne percevons pas immédiatement comme sensorielles. Les couleurs représentent selon des règles strictes, des données statistiques enregistrées dans le panneau de droite (= dessin) Vous savez qu’aujourd’hui, les gens aiment à considérer les données statistiques comme les seules données objectives. Ces données statistiques sont-elles ce que nous percevons réellement sur le panneau de couleurs ? Mais où les voyons-nous ? Seulement sur le deuxième panneau. Mais là encore, elles ne sont montrées qu’à l’aide de caractères. Celles-ci non plus ne sont pas les vraies données mais signifient seulement ce qui est réellement donné : les artistes. Leurs origines, leurs domiciles et leurs lieux de travail. La présence de leurs œuvres dans diverses expositions/collections(*) ; une présence qui n’est plus présente mais passée. Ce sont donc les données réelles qui sous-tendent ce que nous voyons. Mais les voyons-nous ? Que voyons-nous ? Qu’est-ce que nous percevons ? Qu’est-ce qui nous est réellement donné ?
Nous voyons d’abord les couleurs, puis les caractères, puis leur signification. Et maintenant, après ces réflexions, nous commençons à voir – peut-être à comprendre – quelque chose de complètement différent par rapport à ce que nous percevons. Une conclusion est certaine : ce que nous voyons dépend aussi de nous-mêmes. L’artiste fait quelque chose à voir mais cela dépend aussi de nous-mêmes ce que c’est – ce que nous voyons. Cependant, mon intention n’est pas de vous imposer une conclusion, mais seulement de vous offrir une introduction, une préface. D’ailleurs, l’art lui-même n’est qu’une introduction pour revoir la réalité
Mars 1973
Prof. Dr. R. Boehm
(*) Documenta 3 (Kassel ’68) rouge/bleu
Sammlung K Stroher : vert
Sammlung P. Ludwig jaune
Quand l’attitude devient une forme (Berne ’69-’70) jaune clair
Sonsbeek buiten de perken (Arnhem ’71) : gris clair
Prolongation pour cette expérience digitale. Découvrez notre stand – et l’ensemble de la foire – sur la Luxembourg Art Week 3D. Dernier clic dimanche 29 novembre !
Dès le début des années 70, Werner Cuvelier initie une série de travaux conceptuels et représentations visuelles qu’il nomme Projets statistiques. Il se propose en effet d’utiliser différents outils appartenant à la sphère des sciences sociales et sociologiques pour collecter et systématiser des données provenant de contextes culturels, notamment du monde de l’art. Ainsi projette-t-il de produire une série d’œuvres, conceptualisées comme des recherches, qui cherchent à transformer en forme visuelle des données objectives et les relations statistiques qui sous-tendent les mécanismes de production, de distribution et d’échange. En un mot, il s’agira ainsi d’introduire les variables quantitatives de la statistique descriptive dans le champ de l’art. La démarche est pour le moins singulière.
A Gand, où l’artiste réside, cette recherche trouvera une résonance auprès de Plus, un groupe d’artistes opposés à l’idée que l’art se doit d’être narratif, symbolique ou expressionniste et dont le but est d’élever la peinture à une expérience totale et multi – sensorielle. C’est le futur groupe Plus Kerncréé par Yves Desmet et Amédée Cortier en 1969. Yves Desmet, artiste et théoricien, quittera progressivement l’aire constructiviste pour se concentrer sur l’art conceptuel, qu’il envisage en relations linguistiques, mais aussi mathématiques, matérielles ou émotionnelles, ou même en combinaisons de ces divers paramètres. Desmet, dès 1970, sera parmi les premiers à commenter les recherches de Werner Cuvelier. C’est donc très naturellement que la galeriePlus Kernaccueillera Werner Cuvelier. Fondée dans la foulée du groupe et animée par le couple Jenny Van Driessche – Yves Desmet, la galerie Plus Kernencouragera principalement l’abstraction géométrique et l’art cinétique. Elle s’orientera également très rapidement vers l’art conceptuel. Parmi les artistes associés à la galerie figurent François Morellet, Jan Schoonhoven, Amédée Cortier, Leo Copers ou Raoul De Keyser. Et c’est la galerie Plus Kern qui édite, en 1973, la version textuelle, le protocole, de ce Statistic Project Vqui nous occupe ici, quelques feuillets rédigés par Werner Cuvelier accompagnés d’énumérations et de tableaux récapitulatifs, un tapuscrit ronéotypé glissé dans une minimale chemise porte documents en carton. Une pure esthétique administrative, mais qui, en cas précis, ne dématérialise pas et ne remplace pas l’œuvre elle-même. Elle l’explicite, la décrit, la complémente et l’accompagne.
I.
Pour mon « projet statistique V », j’ai utilisé quatre manifestations artistiques et deux importantes collections d’art, qui, je pense, nous donnent une idée claire des arts plastiques dans les années 60, et qui ont eu lieu entre 1968 et 1970. Il sera clair pour tout le monde qu’elles constituent une documentation historique et qu’il s’agit d’une histoire très proche. Le choix de la documentation a été très facile. Certains peuvent en douter, mais je pense que c’était le plus important.
II.
Avec ces informations, j’ai fait une sorte de statistique artistique dans laquelle le caractère statistique devient assez peu important. Cela ne signifie pas que la valeur statistique doit être nulle. A partir des classifications, les énumérations peuvent soulever beaucoup de questions importantes. Les informations recueillies vous permettent de voir précisément ces choses, qui sont normalement cachées et qui ne retiennent pas notre attention. Par exemple, le nombre d’artistes belges qui ont participé : 5 sur 403 = + 1%. De ces informations ont résulté les 6 dessins que j’ai réalisés et qui sont en fait les tableaux intégraux des six différentes manifestations. À côté des noms et des prénoms des artistes sont placés à côté de la date de naissance, de la date de décès éventuelle, du pays d’origine et enfin du lieu où l’artiste vit et travaille. L’année de naissance est représentée par les deux derniers chiffres : par exemple 1939 = 39 ; 1900 = 00 ; 1889 = 89 … Pour les noms de pays, j’ai pris les deux premières lettres de la notation anglaise. Par exemple France = FR.
Pour la composition, j’ai utilisé des colonnes avec 61 noms chacune ; ceci est dérivé de 181 (d5) : 3 = + 61. 181 représente le nombre d’artistes qui ont participé à la Documenta V. Le format 35 x 35 cm est dérivé du module 70 cm des architectes W. Graatsma & J. Slothouber. Ce carré de 35 cm est conservé pour les dessins, les peintures et les panneaux sonores.
Le carré m’a semblé la solution la plus neutre pour ce projet. J’ai écrit en noir sur un fond blanc pour des raisons de lisibilité. Toutes les lettres sont écrites à la main.
III
Les tableaux de couleurs montrent en fait ce que vous pouvez voir sur les stencils ci-joints, c’est-à-dire si l’artiste a participé à une manifestation autre que les six qui constituent notre sujet ici. J’ai donc utilisé six couleurs, qui sont liées aux couvertures colorées des différents catalogues. Par exemple : dans le tableau I, la couleur jaune (ks) montre que J.Albers, outre sa représentation dans le Documenta 4 était également représenté dans la collection Karl Stroher (ks). Pour les tableaux de couleurs, j’ai utilisé la même composition que pour les dessins. Les triangles rouges et bleus renvoient à une représentation dans un ou dans les deux catalogues de la Documenta 4. Cela aurait été encore bien plus clair si les tableaux de couleurs avaient été placés directement sur les tableaux de noms (comme sur les stencils). Mais, comme je l’ai déjà dit, je suis préoccupé par les pseudo – statistiques. La couleur grise, qui fonctionne comme un exposant en arrière-plan, comme non – couleur, n’a aucune signification esthétique.
IV.
Dans la partie auditive du spectacle, chaque couleur correspond à un son. Les six compositions ont chacune une longueur propre variant de 39 (ks) à 181 (d5) unités, qui résultent du nombre d’artistes dans les catalogues respectifs. Chacune des six compositions dure une minute et est divisée en 39, 69, 71, 80, 150 et 181 unités. Ainsi, les sons de la première composition durent 1/39 de minute, ceux de la seconde 1/69, etc. En outre, vous pouvez écouter la composition dans son ensemble, ou partie par partie ou certaines parties ensemble, selon les interrupteurs que vous actionnez. Les interrupteurs et les haut-parleurs se trouvent sur les panneaux. Ils sont placés sur le mur dans cet ordre : couleurs, dessins, sons afin que vous puissiez suivre la musique tout en regardant les couleurs en conséquence, en écoutant les couleurs et en voyant la musique. L’ensemble qui produit les sons est dessiné par M. Bernard Dewerchin et monté avec l’aide d’amis et de connaissances, que je tiens à remercier ici.
La partie électronique est constituée de six haut-parleurs, six oscillateurs, six amplificateurs, dix-huit transistors ac125, douze résistances 150k ohm, six 150 ohm, six 220 ohm, douze condensateurs 0, 1 microfarad (p), six 6800 picofarad (p), six 100 microfarad (e), six 1000 picofarad (p), six 2000 picofarad (p), six 3000 picofarad (p), six 4000 picofarad (p), six 5000 picofarad (p), six 6000 picofarad (p), six pot-mètres de 5k ohm, six trimmers de 50k ohm, trente-cinq résistances dépendantes de la lumière (ldr), beaucoup de câbles et autres items techniques mystérieux.
La partie mécanique est composée d’un petit moteur qui entraîne un disque en plastique sur lequel certaines pièces sont transparentes et d’autres sont peintes en noir. Le disque tourne sur trente-cinq résistances dépendantes de la lumière qui commandent les oscillateurs.
Cette fois-ci, j’ai élaboré la partie musicale d’une manière très technique, mais elle aurait pu aussi être réalisée de manière instrumentale (f.e), mécanique (piano), vocale ou avec des magnétophones. L’idée est le travail, la réalisation est secondaire.
Résumé
1. Le sujet de cette œuvre est l’art en soi, les artistes et leurs informations constituent le matériel. Cela contraste avec tous les sujets qui ont façonné l’art au cours des siècles passés.
2. Je veux ici examiner si ces séries régulées (par opposition aux séries aléatoires) produisent autant de sensations esthétiques que les œuvres composées par intuition. Si c’est le cas…
3. En outre, je ne me limiterai plus à l’un des J’ai beaucoup de catégories dans l’art, mais j’essaie de travailler avec plusieurs catégories simultanément. (…)
4. En conclusion, je me moquerai un peu de la science, et surtout des statistiques, en soulignant la relativité de mes résultats statistiques au moyen de couleurs et de sons.
Werner Cuvelier
Gand, 13 ans. II. 73
I.
For my « Statistic project V » I made use of four art manifestations and of two important art collections, of which I think they give us a clear idea of the plastic arts in the sixties, and which took place between 1968 and 1970. It will be clear for everyone that these constitute a historical documentation, be it of a very near history. The choice of the documentation was very easy. Some people may doubt it, but I think this was the most important.
II.
With these information I made a kind of artistical statistics in which statistical character becomes rather unimportant. This does not mean that the statistical value should ne nil.
Out of the classifications, enumerations can arise a lot of important questions. The collected information permits you to see precisely these things, which are normally hided and withdraw from our attention. For example the number of Belgian artists who participated: 5 on 403 = + 1%. From this information resulted the 6 drawings I made and which are in fact the integral tables of the six different manifestations. Next to the names and the first names of the
Artists are placed the birthdates, next to there the eventual date of death, besides there the native country and at last the place where the artist is living and working. The birth year is represented by the last two figures: for instance 1939 = 39; 1900 = 00; 1889 = 89 … For the country-names I took the first two letters of the English notation. For instance France = FR.
For the composition I made use of columns with each 61 names; this is derived from 181 (d5) : 3 = + 61. 181 stands for the number of artists who took part in Documenta V. The 35 x 35 cm format is derived from the 70 cm module of the Architects W. Graatsma & J. Slothouber. This 35 cm square is maintained for the drawings, the paintings and the sound-panels.
The square seemed to me the most neutral solution for this project. I wrote in black on a white ground for reasons of readableness. All the letters are written by hand.
III.
The colour-tables show in fact what you can see on the enclosed stencils s.i.e. if the artist took part in a manifestation other than the six ones which constitute our subject here. Therefore I made use of six colours, which are related to the coloured covers of the different catalogues. For example: in table I the yellow colour (ks) shows that j. Albers, besides his representation in the D4 was also represented in the collection Karl Stroher (ks).
For the colour tables I made use of the same composition as I did for the drawings. The red and blue triangles refer to a representation in one or in the two D4 catalogues
It would have been much clear if the colour-tables were placed directly on the name-tables (like on the stencils). But, as I said before, I am concerned with pseudo-statistics. The grey colour which functions as exponent-background as no-colour, has no aesthetic meaning.
IV.
In the auditive part of the show every colour corresponds with a sound. The six compositions have each an own length varying from 39 (ks) to 181 (d5) units, which result from the number of artists in the respective catalogues. Each of the six compositions lasts for one minute and is divided into 39, 69, 71, 80, 150 and 181 units. Thus the sounds of the first composition last for 1/39 of a minute, the second for 1/69, etc. Besides, you can listen to the composition as a whole, or part by part or some parts together, according to switches you operate. Switches and speakers are on the panels. They are placed on the wall in this order: colours, drawings, sounds so that you can follow the music while looking at the colours consequently, listening to colours and seeing music. The set which produces the sounds is draft by Mr. Bernard Dewerchin and put together with the help of friend and acquaintances, I want to thank here.
The electronic part is constituted of six loudspeakers, six oscillators, six amplifiers, eighteen transistors ac125, twelve resistances 150k ohm, six 150 ohm, six 220 ohm, twelve condensers 0, 1 microfarad (p), six 6800 picofarad (p), six 100 microfarad (e), six 1000 picofarad (p), six 2000 picofarad (p), six 3000 picofarad (p), six 4000 picofarad (p), six 5000 picofarad (p), six 6000 picofarad (p), six 5k ohm pot meters, six trimmers 50k ohm, thirty-five light dependent resistors (ldr), a lot of cables and other mysterious technical items.
The mechanical part is composed of a small motor which drives a plastic disk on which some parts are transparent and others are paint in black. The disk rotates over thirty-five light dependent resistors which command the oscillators.
This time I worked out the musical part in a very technical way but it also could have been done instrumental (f.e), mechanical (piano), vocal or with tape-recorders. The idea is the work, the realisation is secondary.
Summary
1.The subject of this work is art itselfs, the artists and their information constitute the material. This is in contrast with all the subjects which shaped art in past centuries.
2.Herewith, I want to examine if these regulated series (as distinct from series at random) produce as much aesthetic sensation as do works which are composed by intuition. If yes…
3. Moreover, I will not confine myself any longer to one of the
Many categories in art, but i try to work with more categories simultaneously. (…)
4. In conclusion, I will mock bit at science, and especially at statistics, by stressing the relativity of my statistical results by means of colours and sounds.
Au début des années 1970, Werner Cuvelier apparaît comme l’un des principaux artistes conceptuels de sa génération en Belgique. Il se fait connaître en produisant une série d’œuvres – conceptualisées comme des recherches – qui cherchent à transformer en forme visuelle les données « objectives » et les relations statistiques qui sous-tendent les mécanismes de la production, de la distribution et des échanges culturels. Son but ultime n’était pas la production d’une image en soi, mais plutôt la déconstruction, par des représentations visuelles, des relations quantitatives qui sous-tendent ce qu’il appelle « le problème de l’art ».
Werner Cuvelier a fréquenté l’école d’art Sint-Lucas de la ville de Gand, où il a obtenu son diplôme en 1963. Peu après, il est devenu membre du Visueel Opzoekcentrum [Centre de recherche visuelle] fondé en 1962 par Octave Landuyt et du Groupe IX de Gand, ce qui l’a mis en contact avec d’autres membres de sa génération, dont René Heyvaert, Leo Copers et le critique d’art, futur conservateur de musée, Jan Hoet.
Cuvelier commence très tôt à exposer ses œuvres à la Galerie Richard Foncke et à la Galerie Plus Kern à Gand, tandis que dans les années 80, il expose principalement à la Galerie l’A et chez Cyan, l’actuelle Galerie Nadja Vilenne, à Liège.
S’inspirant des œuvres de Joseph Kosuth, Sol Lewitt, Dan Van Severen, René Heyvaert et, surtout, des représentations abstraites d’Agnes Martin ainsi que des « enquêtes » de Hans Haacke, Werner Cuvelier a développé une stratégie artistique unique pour l’organisation, le catalogage et l’inventaire de toutes sortes de données objectives qu’il a utilisées pour révéler la nature finalement subjective et arbitraire des événements humains. Ces données étaient présentées sous forme de diagrammes, d’éditions de livres, de séries photographiques ou de notes.
Dans les années 1980, les travaux de Cuvelier se sont orientés vers une représentation plus picturale des relations géométriques et arithmétiques sous forme de purs indices minimalistes. Dans sa riche production de dessins, de peintures et d’œuvres conceptuelles, Cuvelier s’est éloigné de ses recherches sur les mécanismes du monde de l’art pour se concentrer plutôt sur les relations conceptuelles qui se cachent derrière des constructions mathématiques telles que le nombre d’or ou la série de Fibonacci.
Quatre photographies d’un clown, perruque blonde décoiffée, lunettes, gros nez et moustaches postiches, quatre faciès aux mimiques idiotes et hilares. Et quatre bulles pensives comme dans les planches de bédé. Le clown réfléchit, – mais oui, il réfléchit – pensant à l’Art, à ce qu’on en dit, à ce qu’on en fait, à ce qu’il en reste. C’est cinglant et plus critique que désenchanté, et cela reste assurément d’actualité. Le clown, c’est Jacques Charlier qui se met lui-même en scène et ce Pensant à l’art, titre de la saynète, est l’un de ses Photos – Sketches. Entre 1974 et 1976, il en réalisera une quinzaine que trois galeries, – avec courage -, montreront entre 1976 et 1978, Kiki Maier Hahn à Düsseldorf, Eric Fabre à Paris et MTL à Bruxelles.(1)
Il y a quelques pages qui rendent compte de ces Photos – Sketches dans la première importante monographie consacrée à Charlier, Dans les règles de l’Art (2), parue en 1983, quelques pages qui ne semblent pas trouver leur place dans l’ouvrage, comme si le terrain, tout à coup, entre Paysages Professionnels et Photographies de Vernissage, devenait fort glissant. D’ailleurs le chapitre consacré à ces saynètes photographiques s’appelle Interlude. Et souvenons-nous, l’interlude, à la télévision, c’était une émission courte, souvent muette, diffuser pour meubler un trou dans la grille de diffusion ou pour pallier à un problème technique. C’est sûr, il y a là comme un trou dans les règles de l’Art. D’ailleurs lorsque Charlier montre ses Photos – Sketches à Bruxelles en 1978, il titre son exposition : Charlier’s Hebdo ou l’art bidon en roman photo. Cela sent la satire à plein nez. Oui, mais voilà, considérer ces choses, là même, au premier degré, ce serait un peu court. Jacques Charlier a toujours vu plus loin que le bout de son nez, même postiche. Et d’ailleurs, ce chapitre Interlude, il l’envoie À l’Art. Sans hésiter.
Ces photos – sketches de Jacques Charlier sont bien des romans photos (ou des photos romans), un art narratif proche de la bande dessinée, une sorte de cinéma du pauvre, en arrêts sur image, à lire dans les magazines, une suite de photogrammes dont le film n’aurait jamais existé, une succession de photographies, agrémentées de textes disposés ou non dans des phylactères, qui conduisent la narration. L’histoire du roman photo, l’analyse du genre, a remarquablement été faite par Jan Baetens, professeur en sémiotique et études culturelles à la KUL à Leuven (3). Ce n’est pas notre sujet ici ; mais très significative, quant à ce qui nous occupe, est toutefois l’exergue que Jan Baetens consacre à Roland Barthes dans son ouvrage, isolant une petite réflexion du sémiologue français. Alors que celui-ci s’interroge sur quelques photogrammes de S.M Eisenstein parus en 69-70 dans les Cahiers du Cinéma, dont il sonde ce qu’il nomme leur sens obvie (ce qui vient au devant de nous) et leur sens obtus (cette réaction émotive face à l’image et aux objets qu’elle contient et leur corollaire signifiant qui bien sûr est son cheval de bataille), Roland Barthes digresse et écrit : Il est d’autres « arts » qui combinent le photogramme (ou du moins le dessin) et l’histoire, la diégèse : ce sont le photo-roman et la bande dessinée. Je suis persuadé que ces arts, nés des bas-fonds de la grande culture possèdent une qualification théorique et mettent en scène un nouveau signifiant (apparenté au sens obtus) : c’est désormais reconnu pour la bande dessinée ; mais j’éprouve par ma part ce léger trauma de la signifiance devant certains romans-photos : leur bêtise me touche (telle pourrait être une certaine définition de leur sens obtus) ; il y aurait donc une vérité d’avenir (ou d’un très ancien passé) dans ces formes dérisoires, vulgaires, sottes, dialogiques, de la sous culture de consommation. Roland Barthes écrit ceci en 1970 (4).
En fait, ce genre ne peut qu’intéresser Charlier, parce qu’il est en effet mineur, populaire, qu’il provient des bas-fonds de la grande culture pour reprendre le discours un peu pompier de Roland Barthes. Et ne nous méprenons pas, il ne s’agira nullement pour Jacques Charlier de trouver des aspects novateurs, voire d’avant-garde au roman-photo, façon Sophie Calle par exemple, ni même de renouveler le genre, tel que le fit Suky Best dans les années 90, revisitant dans ses Photo-Love, les déclinaisons mécaniques de la formule du roman sentimental illustré à destination du public féminin. Il ne s’agira pas plus de tourner le roman-photo en dérision. Si charge parodique il y a, elle est sans aucun doute ailleurs, plutôt dans le rapport qu’entretient Charlier avec le futur récipiendaire de l’œuvre. C’est l’indice sociologique qui intéresse Charlier et surtout, la notion de déplacement. Déplacer dans ce petit monde dit de l’art contemporain, qu’il fréquente et où il agit, un genre qui est parfaitement étranger à cette société et ses pratiques, là même où on qualifierait très certainement ce genre de dérisoire, sot, vulgaire et dialogique, pour reprendre la rhétorique barthienne. Jacques Charlier, a déjà éprouvé cette méthode de déplacement et agit comme il le fit pour ses réalités socio – professionnelles, – les documents du S.T.P, les paysages professionnels, la musique façon Elvis du collègue Rocky Tiger, comme il le fit aussi via ses planches de dessins d’humour. Pour Charlier, il s’agira toujours de chercher le potentiel indiciel de ce qu’il met en œuvre, l’indice sociologique révélé par le déplacement de l’objet lui-même, d’amont en aval et inversement, tant dans ce monde de l’art que dans la société en général. Charlier, en plus, s’est toujours refusé à tout style, celui qui permet pourtant cette identification immédiate si attendue par le marché de l’art et s’est toujours promis d’utiliser tous les média, du moment que l’art soit au service de l’idée.
Ce n’est dès lors pas pour rien que Jacques Charlier produit ses Photos – Sketches précisément durant ces années 1974-1976. Lorsqu’en 1995, Paul McCarty réalise The painter, cette vidéo où l’artiste américain s’attaque au mythe de l’artiste-génie (7), où il apparaît perruque blonde sur la tête et affublé d’un gros nez postiche (tiens donc), où il met en scène un peintre expressionniste abstrait et toutes les personnes qui gravitent autour de lui, du collectionneur au galeriste en passant par les critiques d’art (tiens donc, encore), il décide de le faire dans un décor digne d’un sitcom, un décor qui singe les grandes émissions populaires de la télé et qui préfigure la télé-réalité. Le parallèle est saisissant : vingt ans auparavant, Charlier s’empare d’un genre inventé dans l’immédiat après guerre, qui connut son heure de gloire dans les années 60 et commence à décliner au milieu des années 70, face aux changements de mœurs et à l’essort de la télévision, un genre populaire qui a bénéficié des puissants moyens de diffusion de la culture de consommation, c’est d’ailleurs bien pour cela qu’il est devenu populaire. McCarthy se met en scène dans un sitcom des années 90, Charlier, avant lui, est devenu, le héros d’un roman photo des années 70. Et tout deux agissent en mettant en scène l’artiste. Le parallèle est suffisamment explicite.
A l’époque, on ne pouvait se douter que Charlier possédait un tel potentiel d’autodérision. Jamais, il ne s’était ainsi exposé, jamais il ne s’était mis en scène. Certes, il apparaît bien quelques fois dans les travaux du STP, dans les photographies prises devant la double porte du bâtiment qui abrite le Service, mais c’était, en quelque sorte, au même titre que ses collègues. Alors qu’il a croqué un nombre saisissant d’artistes et d’acteurs du monde de l’art, André Caderé, Marcel Broodthaers, Niele Toroni, Dan Graham, Ian Wilson, Konrad Fischer, Nick Serota, Gerry Schüm, Lawrence Wiener, Françoise Lambert, Gislind Nabakowski, John Gibson, Gian Enzo Spenone, Jean-Pierre Van Thiegem, Barbara Reise et tant d’autres, je ne lui connais aucun autoportrait à charge. Ce sont bien là les premiers, et Charlier fait fort, travesti en clown (et pas même l’Auguste), gros nez postiche, lunettes et fausses moustaches, la perruque s’échappant d’un ridicule bonnet de laine. Charlier a mis en relief des comportements, pastiché les situations, démonté les systèmes et campé des attitudes, il a même même pris le public pour motif. Cette fois, c’est lui qui rentre en piste, qui anime l’interlude entre deux parties du spectacle de l’art et qui annonce au public qui le voit ainsi surgir que sa vie est un vrai roman – photo. Oui, c’est bien lui qui se met en scène et c’est bien de lui qu’il parle dans ces saynètes, lui l’artiste qui se cherche un galeriste, (et celui-ci de toute façon n’aura qu’une envie, celle de virer cet énergumène à qui on ne donnerait pas cinq sous, en refilant la patate chaude à un collègue), qui montre ses œuvres au connoisseur, qui – dans les affres du doute – cherche l’idée, l’inspiration, qui se questionne sur la réception de ses travaux. Pensant à l’art, il s’interroge sur ce qu’on en dit et ce qui en reste. D’ailleurs il n’est pas sûr que ce soit de l’art, et tant pis ce sera pour une autre fois. L’idée, l’inspiration, la réflexion, la création, voilà la grande question ! A la première œuvre, on s’intéresse, à la seconde, on se dit que c’est vraiment trop con ; on s’énerve ? L’artiste s’obstine mais se demande toutefois comment ceux qui déchiffrent l’art tiennent le coup !. D’ailleurs l’artiste se met à la place du connoisseur : Encaisser, ça jamais ! Quoique… Le flair c’est ça qui compte dans l’art. Encore faudra-t-il pouvoir expliquer cela aux autres car le type, l’artiste, a voulu dire quelque chose, mais quoi ! Et si tout cela finalement n’était qu’un problème de mur ? Voilà la bonne question.
L’art, en tout cas, avant de s’accrocher au mur, cela se bricole, d’abord en synopsis et scenarii, ensuite devant l’objectif, avec quelques accessoires, (et dans un cas, avec la complicité d’un ami avocat qui aurait pu être comédien et qui se glisse le temps d’un shooting dans la peau du galeriste). Ensuite en peaufinant les phylactères de ces courtes saynètes qui pourraient se combiner, n’en faire qu’une seule, suite de lucides truismes dont les stéréotypes déclenchent le rire. C’est cela le rôle du clown, non ? Liesbeth Decan (8) fait très justement remarquer que Charlier met en œuvre ses Photos – Sketches au moment même où Christian Boltanski entreprend ses Saynettes comiques (1974), une œuvre parodique où Boltanski se raconte sur un mode clownesque et où, semblant douter de la solennité de ses précédentes démarches, il réajuste le thème de l’autobiographie à une perspective plus légère et plus humoristique. Certes, tant chez l’un que chez l’autre, Charlier ou Boltanski, il y a cette volonté de surprendre et de mettre le regardeur dans l’embarras, mais chez Jacques Charlier, il y a une dimension différente. Ces saynètes sont autobiographiques dans la mesure où elles témoignent avant tout de ses préoccupations du moment, qui d’ailleurs ne le quitteront plus : il se représente dans le rôle de l’artiste, lui comme tout autre, au cœur même de l’intrigue (9), au sens de la complication, de l’embrouillement, de l’imbroglio qui tisse les relations qu’entretiennent les acteurs de l’art, qu’ils soient artistes, promoteurs, questionneurs, regardeurs, collectionneurs, une intrigue qui, de l’extérieur, peut en effet sembler très comique. Car l’Art pour Charlier est son objet lui-même, mais aussi et surtout, cet ensemble tactique relationnel, qu’il n’a de cesse de démystifier.
Il y a en fait deux séries distinctes dans l’ensemble des Photos – Skeches, une première réalisée en intérieur, en studio j’allais dire, et en clichés noir et blanc. Durant les étés 1975 et 1976, Charlier réalisera plusieurs pièces en extérieur, à la campagne, et cette fois en couleurs. L’art, quoi de plus naturel ? déclare le clown entouré des animaux de la ferme. Il fréquente les moutons, décide du coup de faire de l’art pour insomniaques, croise un troupeau de vaches, des vraies vaches auprès desquelles il entreprend des travaux d’approche, ce qui lui semble plus simple que d’approcher un collectionneur, s’exerce à l’art équestre, sieste sur la branche d’un arbre, attendant que le fruit de ses réflexions soit mûr, constate assis sous cet autre feuillu qu’il y en à d’autres qui font de l’art si facilement, qui trouvent leur inspiration, là par exemple pointant le doigt sur le paysage lui-même. Avant de plonger dans une piscine, bonnet sur la tête, afin d’y trouver l’idée terrible et pleine de profondeur, (et il est piquant de savoir que cette piscine dans laquelle le clown boit la tasse appartient à une galeriste hospitalière), il pointe une longue vue marine sur le paysage de bocages que surplombe la piscine. L’Art est à l’horizon !. Tout cela nous renvoie à ces autres images que Charlier réalise en 1970 lorsqu’il décide de peindre un arbre dans le sens littéral du terme -, au latex (toutefois avec l’aide d’un compresseur) quinze jours avant le début de l’automne, images qu’il a titré Paysages Artistiques (10). Oui, Charlier campe dans son réel et dans son environnement avec lequel il interagit. Et pour ma part, devant son roman photo, pour en revenir à Roland Barthes, je n’éprouve aucun trauma du signifiant. Même léger.
notes :
1 Notice catalographique. Dans l’ouvrage « Dans les Règles de l’Art », paru en 1983 aux Editions Lebeer-Hausman, Jacques Charlier publie une liste qu’il qualifie de « complète » des photos sketches. On y compte 13 œuvres. Tout récemment, Liesbeth Decan, dans « Conceptual, surrealist, pictorial. Photo-based art in Belgium » en annonce « environ une vingtaine ». Suite à mes recherches (atelier, publications, salles de vente, photos d’archives d’expositions), j’en compte 16. Jacques Charlier évoque comme période de production les années 74-77. Liesbeth Decan évoque les dates de 74- 79. En fait, je n’ai pas trouvé d’œuvres datées d’après 1976, date à laquelle Jacques Charlier montre une large sélection des Photos Sketches à la galerie Kiki Maier-Hahn à Düsseldorf. L’année suivante, il les montre à Paris, à l’invitation d’Eric Fabre. Jacques Charlier se souvient qu’il réalise une série en noir et blanc durant l’hiver 1974. Les séries en extérieur seront faites durant les deux été suivants. Constatation surprenante faite lors de la découverte des images d’archives d’expositions, les Photos – Sketches sont d’abord montrés rehaussés de textes en allemand. A Düsseldorf, une seule œuvre semble faire exception, une série de six clichés, œuvre non titrée, non reprise à l’inventaire dressé par Charlier, pourtant montrée à Paris en 1977, et qui nous montre l’artiste approchant un groupe de vaches dans un pré en constatant que le travail d’approche des ruminants est plus facile que ceux en usage dans le monde de l’art. Celle-là, tant à Düsseldorf qu’à Paris est montrée avec des textes rédigés en français. La série des œuvres montrée en Allemagne semble avoir entièrement disparu. Elles ne sont pas encadrées, simplement contrecollées sur carton, accrochées ainsi à même le mur. Chez Eric Fabre, toutes les séries sont encadrées. Pour les deux expositions, Jacques Charlier a choisit le format 30 x 40 cm. Il produira, pour la plupart deux séries, dont un exemplaire plus petit et plus maniable, développant les photos au format 7 x 9 / 7 x 11 cm. Les rehauts de textes sont bien sûr apposés dans tous les cas après tirage des clichés. En 1978, Jacques Charlier est invité pour une exposition collective à l’Actual Art Gallery à Knokke. L’exposition est titrée « L’Art se met à table » et se déroule du 17 mars au 28 avril. Lennep et Schwind y participent également. Charlier répond directement à la thématique de l’exposition, en sélectionnant parmi ses Photos – Sketches, la série titrée « L’art à table », reproduite dans l’ouvrage de 1983. Enfin, toujours en 1978, les Photos Sketches sont montrés à la galerie MTL, à l’invitation de Gilbert Goos qui a repris la galerie de Fernand Spillemaekers, à Bruxelles. L’exposition est titrée : « Charlier’s hebdo ou l’art bidon en roman photo ». Pour l’instant, nous ne disposons malheureusement pas d’images d’archives de cette exposition. Notons, finalement, que la toute première apparition publique d’un Photo – Sketch remonte à 1975. Charlier offre en effet une version « domestique » de « Problème de Mur » à Jean Claude Garot, fondateur du Journal POUR, à l’occasion de la campagne de soutien organisée en faveur du journal en 1975, campagne dhttps://luxembourgartweek.lu/fr/catalogue?participation=11e soutien qui donnera lieu à l’organisation de l’exposition Je/Nous au musée d’Ixelles. En témoigne le catalogue publié par Piaza à Paris en 2014, Protest, Art + Design, N°40. La série des Photos – Sketches se compose ainsi : – Le connoisseur, 1974. NB , – Sûr de l’art, 1974. NB, – Le galeriste, 1974. NB, – Problème de mur, 1974. NB, – Pensant à l’Art, 1974. NB, – L’idée, 1974 NB, – L’Art à table, 1974-77 NB, – Compter l’art, 1975 C, – Sous l’arbre, 1976 C, – La piscine, 1976 C, – Le poker de l’art, 1974-76 C, – L’Art naturel, 1974-76 C, – L’aaarrrttt, 1974-76 C, – L’art équestre, 1974-76 C, – Insomnies, 1974-76 C, – Travaux d’approche (titre provisoire), 1974-76 C
2 Jacques Charlier, Dans les Règles de l’Art, Editions Lebeer-Hossmann, Bruxelles, 1983.
3 Jan Baetens, Pour le Roman-photo, Les impressions nouvelles, Bruxelles, 2010.
4 Roland Barthes, Le troisième sens. Notes de recherches sur quelques photogrammes de S.M. Eisenstein, dans Roland Barthes, l’Obvie et L’Obtus. Essai critique 3. Paris, éditions du Seuil, 1982. Ce texte a été publié pour la première fois dans Les Cahiers du Cinéma, juillet 1970.
5 Dans Jean-Michel Botquin, Zone Absolue, Une exposition de Jacques Charlier en 1970, L’Usine à Stars, 2006.
6 Publiée grâce au soutien de AAP, une association d’amateurs d’art qui gravite autour de la galerie Vega à Liège et qui acquiert les planches originales de la bande dessinée
7 Dorothée Dupuis dans, Collection art contemporain – La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007
8 Liesbeth Decan, Conceptual, Surrealist, Pictorial, Photo-Based Art in Belgium (1960s – early 1990s), Leuven University Press
9 Je reprend a dessin ce terme que Barbara Reise applique au travail de Charlier : Ooidonck 1978 projekt, Belgische Kunst 1969-1977. Comité de travail : Fernand Spillemaeckers, Marc Poirier dit Caulier, André Goemine. Documentation rassemblée par Marc Poirier dit Caulier, p.53 et sv.
10 Voir dans Les Règles de l’Art, 1983, p.162 et Liesbeth Decan, op.cit, p. 62.
La route de l’art est devenue aujourd’hui une autoroute saturée. Depuis les années soixante, l’art dit d’avant garde, la création de nouveaux musées, le nombre d’aspirants à la carrière d’artiste, le nombre croissant de nouvelles galeries, l’enthousiasme des collectionneurs et des spéculateurs en ont créé un phénomène de société. Pour certains, une nouvelle religion avec sa curie, ses dogmes, ses foires et ses célébrations internationales. C’est ce constat que Charlier illustre avec humour et sagacité dans la série dites : La Route de l’Art. Comme d’habitude, les styles et les genres lui sont indifférents. Il les choisit au gré de son inspiration du moment et du scenario qui lui convient le mieux. Sergio Bonati.
Depuis les années septante, de temps à autre, quand ça lui prend, Jacques Charlier, artiste pluridisciplinaire, peint ou dessine des Routes de l’art. Ces routes n’ont rien à voir avec les parcours culturels des offices du Tourisme. Elles nous parlent des embûches, des revirements, des détournements, des impasses, des pièges de la mode et du marché qui jalonnent la vie d’artiste. Il cherche depuis toujours à préserver du mieux qu’il peut le cheminement poétique d’une pensée de traverse.
Et pourquoi Le Départ, me direz-vous ? Spirou, petit groom au Moustic Hotel, fils spirituel non pas du peintre Lapalette, comme l’annoncera le magazine Spirou durant les années 50, a été créé par le dessinateur Rob-Vel en 1938. Rob-Vel l’affublera de ce petit costume de groom s’inspirant de la fonction et de la couleur du costume de ses jeunes années passées sur des paquebots transatlantiques, où il exerçait des fonctions similaires, notamment le paquebot Île de France, où le rouge était de rigueur. Jacques Charlier est né quelques mois plus tard, en 1939. Ils font donc route ensemble, tous deux reporters d’ailleurs. Charlier n’est-il pas très vite devenu l’observateur agissant des us et coutumes de cette société de l’art contemporain ? Puis, ils sont tous deux Wallagons. En wallon Spirou désigne au sens propre un écureuil, mais aussi un personnage pétillant et facétieux.