Qu’il tente de libérer Venise d’une incroyable pudibonderie ou de réhabiliter Lamartine, qu’il investisse toutes les doublures du monde dans un salon parlementaire , ou qu’il «warholise» ministres et autres célébrités, Jacques Charlier est, avec une saisissante labilité parodique et un sens critique aiguisé, un observateur attentif tant du microcosme du monde de l’art que de la société dans laquelle il agit. Naguère directeur des Zones Absolues, fondateur d’un Centre International de Désintoxication Artistique, pourfendeur d’idées reçues, d’anachronismes et incongruités, l’artiste vit et travaille en Wallagonie, ce pays où fleurissent les fronts de libération des chiens et des trottoirs, des coqs et des tilapias. En Wallagonie, il est de bon ton de fréquenter les centres de la lèche et de la brosse à reluire, les sociétés anonymes des bières et du tir aux pigeons, les comités de la tarte au riz et des marchés de Noël. Sans cesse à la recherche de la meilleure adéquation entre l’idée et le médium, Jacques Charlier privilégie une approche pluridisciplinaire. C ‘est un caméléon du style, un activiste «non exalté », un lecteur attentif de Jean Baudrillard comme de Paris Match qu’il parodie lorsqu’il s’agit d’éditer ses propres travaux. De cette société de l’art contemporain, il est très vite devenu, dès le la fin des années 60, l’observateur agissant des us et coutumes. Avec érudition et labilité, ses récents «Cent sexes d’artistes» en témoignent. Avec humour et bon sens, lorsque Sergio Bonati, son hétéronyme, déclare : «En Art pour être le premier, il est vivement conseiller d’être le suivant ». Ses caricatures, textes, bande dessinées, ses photographies de vernissages sont à la fois une la chronique d’une époque, un regard amusé, mais sans complaisance sur ce fort remuant microcosme, un abrégé des pratiques d’avant-garde, un démontage des discours théoriques qu’il détricote allègement, une critique permanente de la Curie et de l’incurie artistique.
«Des symbolistes à Charlier, écrit Yves Randaxhe, en passant par Duchamp (et naturellement Magritte), on osera aussi tendre un fil rouge qui va de l’ambition annoncée par Jean Moréas dans le Manifeste du Symbolisme de «vêtir l’idée d’une forme sensible» à la volonté duchampienne de «remettre la peinture au service de l’esprit», jusqu’au projet sans cesse réaffirmé du Liégeois de «mettre l’art au service de l’idée». C’est clair, l’héritage d’Ensor, de Rops ou de Magritte, le compagnonnage vécu avec Marcel Broodthaers, cela ne compte pas pour du beurre. Le doute, le décor, la pompe, car la peinture pompière a ses lettres de noblesse, le pamphlet, le simulacre sont autant d’armes redoutables.
Werner Cuvelier produit une œuvre d’une grande richesse, qui prend souvent sa source dans le classe- ment, le catalogage et l’inventorisation de toute une série de faits et de données. Il réalise d’une part des graphiques basés sur des statistiques et des données primaires. D’autre part, il créé un travail géométrique, découlant de traitements formels issus du nombre d’or. À partir de ces deux angles, émergent des peintures et des sculptures, mais aussi des carnets d’esquisses et de notes, qui constituent une recherche incessante de la mise en images d’ordres, de structures et de col- lections. La méthode et la technique de la collecte, du traitement, de l’interprétation et de la présentation de carrés et de cercles apparaissent dans des tableaux d’aperçu, des graphiques et des figures telles que des histogrammes, des diagrammes en bâtons et desgraphiques linéaires. Cette approche scientifique, la répartition rigoureuse des lignes et l’activation res- trictive de telles procédures constituent le moteur du développement de son langage visuel. Si ces ordon- nances semblent mettre des éléments en lumière, les séries génèrent également une expérience esthétique propice à une forme de résilience.